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🍃 8 décembre 2032
C’était un matin de décembre. Un décembre glaçant, à faire frissonner les braves et pleurer les enfants. Un décembre où les gens souffraient, où les uns mourraient sous les attaques d’un vent épouvantable, où les autres chantaient devant les maisons brûlantes sous les feux de cheminées.
Un décembre commun et presque banal, dans une grande ville où rien ne cessait de vivre pleinement malgré les douleurs. Décembre à Aubane, un doux amas de petits bâtiments et de gigantesques immeubles loin d’être tous accueillants.
Charles Harding sortit de l’hôpital, la démarche assurée et la tête haute. Il venait de perdre son âme, pour certains. Regagner le contrôle de sa vie, pour d’autres. Mais surtout, il ne ressentait rien. Le froid extérieur le toucha, le blessa, le secoua. Mais il ne l’agaça pas, ne le rendit pas triste ou nerveux à l’idée d’avoir un accident en rentrant chez lui. Il secoua ses cheveux bruns enneigés et entra dans sa voiture. Il attrapa le volant pour se tester, pour tester son ressenti et ses anciens traumatismes.
Anciens.
Il sourit sans le penser. Tout avait disparu comme après un coup de baguette magique. Les médecins savaient vraiment s’y prendre, avec le cerveau humain. Ils l’avaient berné, ils avaient contourné ses routes tortueuses pour fonder leur propre chemin jusqu’à la réalité des choses, sans illusions parasites. Ils avaient effacé toute la douleur, en contrepartie du vol de tout bonheur.
Charles aurait eu de quoi en rire d’excitation, s’il pouvait encore ressentir ce genre de choses. Mais il le savait, au fond de lui, il préférait mille fois l’alternative qu’il avait choisie. En prenant le parti d’effacer tout ce qui faisait de lui un être humain comme les autres, il s’était sauvé d’un mal qui ne faisait que le ronger. Il serait probablement mort, sans cela. Certes, l’opération lui avait coûté des milliers, mais il fallait bien que l’argent de son défunt père serve un jour.
— Merci, papa, souffla-t-il.
Il démarra le véhicule et sortit du parking, avant de rouler sur la route qui l’avait vu pour la dernière fois malheureux. Il ne l’emprunterait plus jamais dans cet état d’esprit, et il en était reconnaissant. Cent fois il dit merci, durant son trajet. Cent fois il serra plus fort le volant de la même voiture qu’il n’avait pas osé toucher depuis des années, la laissant s’encrasser dans un garage bien trop grand dans une maison bien trop vide. Il n’hésita plus à passer les vitesses, à appuyer sur l’accélérateur même lorsqu’un virage arrivait. Il n’avait plus peur. Il n’aurait plus jamais peur.
Il était remplacé, et les remplacés ne ressentaient rien.
☁︎ 𖣘 ☁︎
Charles jeta ses clefs sur le petit meuble d’entrée qui servait plus de débarras que de rangement. Il observa le long couloir qui menait aux autres pièces de la maison familiale dans laquelle il vivait seul depuis presque deux ans. Il avait tenu deux ans avant de passer le pas et d’accepter que sa seule chance de survie était d’abandonner son cerveau à la science et de la laisser en faire un tas de ferraille.
Il allait vendre la maison, désormais. Il aurait dû le faire plus tôt, et il avait déjà rempli plusieurs cartons d’objets variés sans pour autant réussir à s’en débarrasser ou à les refermer. Il était encore trop attaché aux souvenirs et à la nostalgie qui les accompagnait, mais c’était du passé. Tout ce qu’il voyait ce matin-là ressemblait ni plus ni moins à une maison de cent-vingt mètres carrés quasiment vide, occupée à prendre la poussière dans tous ses recoins habités par un fantôme.
Un miaulement aigu le ramena à la réalité. Il défit ses chaussures et se pencha pour caresser la boule de poils rousse qui se frottait à ses jambes impatiemment.
— Ne m’en veux pas pour ce matin, tu dormais quand j’ai voulu te nourrir.
Un énième cri faussement affamé parvint aux oreilles de Charles, qui se contenta de porter son chat jusqu’à la cuisine où sa pâtée attendait. Il parvint à ouvrir et déverser un sachet tout en gardant le monstre miniature dans un bras, qu’il reposa à l’instant où la gamelle toucha le carrelage froid. Le petit animal ronronna de contentement avant de se jeter sur les morceaux de viande gluante comme s’il n’en avait pas goûté la veille.
— Tâche de ne pas vomir cette fois Néron.
Ce nom ne correspondait pas vraiment à l’apparence toute faiblarde et douillette du chat, mais Charles ne l’avait pas choisi. Il lui avait été attribué lorsque la famille Harding l’avait sauvé du froid et de la famine dont l’hiver le couvrait. La force qui était attribuée à ce prénom représentait bien le survivant qui était venu gratter à leur porte.
Charles se servit un verre d’eau fraîche qu’il descendit d’une traite avant de se rappeler des médicaments qu’il devait s’administrer après l’opération. Le médecin avait été très clair, le risque de réveiller le système limbique après avoir agi dessus était élevé pendant au moins un an. Il devait compenser ce danger de rechuter brusquement dans le monde des émotions en prenant une pilule dont il ignorait le contenu chaque matin à la même heure durant la prochaine année.
Il était dix heures lorsque Charles fouilla dans la poche de son jean à la recherche de la plaquette qu’on lui avait glissé entre les mains à sa sortie de la salle d’opération. Il choisit cette heure pour l’avaler et se contraindre à cette simple mesure pendant encore quelques mois. Voilà peu d’effort pour un résultat si efficace, mais il devait y prêter une grande attention et ne pas trop stimuler son corps avec des événements qui pourraient provoquer un choc émotionnel qui annulerait tout le processus. Il ne voulait plus jamais rien ressentir et pour ce faire, il avait mis toutes ses économies et dernières volontés dans l’hôpital qui avait accepté son cas.
Il respira profondément, puis se mit au travail.
Armé de l’appareil photo de son téléphone, il fit le tour de chaque pièce de la maison ainsi que du jardin pour prendre les clichés les plus attirants en vue d’une annonce de vente. Il créa ensuite sur son ordinateur une page pour décrire ses atouts ainsi que sa composition, puis il enregistra le tout pour la poster sur un site connu de vente et achat de biens immobiliers.
Il trouva son travail bien fait. L’annonce était claire et allait droit au but. Bientôt, les potentiels acheteurs se bousculeraient à sa porte et il n’aurait plus qu’à fermer ses cartons pour s’en aller, dire adieu à cette vie d’homme malheureux.
Il actualisa la page de l’annonce, revint en arrière, et se plaça du point de vue du locataire pour dénicher son futur logement. Il devait refaire sa vie dans un espace qui lui convenait, plus petit et moderne. Quelque chose de sobre qui ne reflétait aucune âme particulière.
Vide, un peu comme lui.
Cette idée ne le dérangeait pas.
D’un autre côté, il ne pouvait plus être dérangé par quoique ce soit.
☁︎ 𖣘 ☁︎
Les cloches de l’église venaient de sonner dix-neuf heures quand Charles commença à somnoler devant la télévision. Il s’endormit presque dans son assiette de pâtes réchauffées lorsqu’il se rendit compte de son niveau de fatigue. Le médecin l’avait prévenu de l’épuisement soudain après l’opération, mais il refusait d’y croire puisqu’il était sorti de l’hôpital bien en forme. La réalité le rattrapait enfin, alors il décida de couper l’écran aux lumières éclatantes et de se glisser dans des draps accueillants après une douche chaude qui l’assoupit d’autant plus.
Néron vint se coller contre ses jambes nues sous la couette cinq minutes après que lui-même s’y soit couché, alors il passa le dos de sa main sur le crâne de son animal quelques fois avant de le laisser et de s’endormir pour de bon.
☁︎ 𖣘 ☁︎
Charles se réveilla au son de son réveil, cette éternelle mélodie monotone et stridente qui ne faisait que le mettre au plus bas dès le matin, auparavant. Il ne le perturba pas le moins du monde, aussi il l’éteignit simplement avant de se lever presque immédiatement, chose qu’il lui était impossible de mettre en œuvre lorsqu’il ressassait toute sa peine, caché sous son oreiller humide de larmes.
Il était huit heures, son ventre gargouillait déjà. Il allait prendre quelque chose à manger dans son frigo lorsqu’il s’aperçut qu’il ne le remplissait plus vraiment depuis des mois. De ce fait, il s’habilla brièvement, attrapa tout naturellement son porte-monnaie et sa veste machinalement posée sur une chaise la veille, avant de franchir la porte d’entrée sans se retourner.
Après une dizaine de minutes de marche vive, il se retrouva au cœur du centre ville d’Aubane, devant la porte du café de l’aube, lieu très fréquenté en matinée pour ses petits-déjeuners copieux et son ambiance chaleureuse. Cela faisait quelques années que Charles avait abandonné sa routine de s’y présenter tous les matins, alors il ne doutait pas que le gérant ou encore les clients aient oublié son visage. Après tout, il avait grandi entre ses dix-huit et vingt-six ans. Il l’espérait secrètement, car il n’avait pas forcément envie de parler à qui que ce soit dans l’immédiat. Il avait juste très faim, et ne se voyait pas acheter quelque chose dans la boulangerie du centre, où tout était enfariné jusqu’à la moelle.
Fort heureusement, seule une serveuse souriante le salua à son entrée comme il était de coutume avec n’importe quel inconnu qui passait la porte du café. Il lui rendit son sourire et se dirigea inconsciemment vers la table qu’il privilégiait toujours, isolée dans un recoin un peu plus sombre de la salle, avec ses deux tabourets hauts dont personne ne soupçonnait le confort.
Rien n’avait bougé ici, mais la seule chose qui frappa Charles fut sa difficulté à se souvenir de l’endroit avec précision. Il en voyait des bribes, des images floutées, mais il ne parvenait pas à les associer ensemble comme il aurait dû. On l’avait prévenu, certains endroits aux souvenirs liés à beaucoup d’émotions différentes risquaient de paraître… Changés. Il ne savait juste pas de quelle manière, mais il commençait à comprendre. Il lui faudrait du temps pour s’habituer à ce nouveau train de vie, mais il s’en savait plus que capable.
— Bonjour !
Un serveur vint interrompre le cours de ses pensées. Il souriait avec tout son cœur, authentiquement heureux d’être ici si tôt pour servir quelques personnes pour la plupart désagréables dû à leur récent réveil. Pourtant, rien ne semblait pouvoir atteindre ce sourire de marshmallow fondant qu’il affichait, d’autant plus égayé par son petit nez pointu, ses yeux plissés qui disparaissaient sous cette euphorie inexpliquée, et ses bouclettes rousses qui tombaient sur deux oreilles aussi rosies par le froid que ses joues.
— Bonjour, répondit calmement Charles.
— Vous êtes nouveau ici, non ? Qu’est-ce qu’il vous faut, bel inconnu ?
Bel… Inconnu ?
Charles resta bouche-bée un instant, ne sachant pas quoi répondre à ce genre de… Compliment.
Cela devait en être un, à en juger par la douce assurance dégagée par le serveur, mais ça ne l’aidait pas à trouver sa réponse pour autant. Personne ne lui avait jamais adressé la parole de cette manière, surtout à Aubane, et alors qu’il limitait les contacts humains ces dernières années, il n’était pas certain que tout le monde communiquait de cette manière en société. Il n’avait pas perdu les codes en se faisant remplacer, non, c’était bien une situation nouvelle et étrange dans laquelle il se trouvait.
— Je… La carte, pour commencer ? se débrouilla-t-il finalement.
Il eut pour réponse un sourire élargi et un bras tendu au bout duquel un menu attendait d’être saisi. Il l’attrapa sans grande conviction et remercia le serveur à demi-mot.
— Je reviens vers vous dans un instant, fit ce dernier avec un clin d’œil avant de s’en aller, tout pimpant dans son tablier bleu.
Pour un premier jour officiel dans sa vie de remplacé, les choses ne commençaient pas simplement.
Est-ce que ce serveur était très charmant et plus chaleureux que l’établissement lui-même, ou bien le draguait-il ouvertement ?
— Décidé ?
Il avait laissé à Charles quelques minutes pour analyser la carte, et était revenu immédiatement en le voyant prêt à commander. Définitivement pas par professionnalisme ni efficacité.
— Je vais prendre un chocolat chaud et un croissant, s’il-vous-plaît.
— C’est comme si c’était fait !
A ces mots, il récupéra le menu et partit en coup de vent. Une paire de minutes plus tard, la commande arrivait sur la table de Charles, la viennoiserie fraîchement sortie du four où elle avait gonflé en douceur dans sa forme moelleuse, et le chocolat dans lequel un visage souriant avait été dessiné dans la mousse. Délicate attention de celui ou celle qui gérait la préparation des commandes.
Le jeune homme n’hésita pas à croquer vivement devant le croissant au beurre qui l’en suppliait de son odeur alléchante, et il but à grandes gorgées le breuvage qui lui réchauffa le corps et le cœur. Il savourait sa nouvelle vie autant que ce déjeuner, et il espérait déjà beaucoup de la suite.
Il regarda l’heure sur son téléphone et décréta que la journée ne défilerait pas sous ses yeux de spectateur, mais bien sous sa performance d’acteur. Il demanda l’addition, qui lui fut amenée par le même serveur consciencieux. Charles déposa un billet qui arrondissait la somme totale de quelques piécettes pour l’accueil irréprochable dont l’établissement faisait encore preuve. Il renversa par inadvertance la coupelle qui contenait l’addition et il ne remarqua qu’en la ramassant qu’il avait manqué une information sur le bout de papier, gravée au marqueur rouge.
Le numéro d’un certain « A », ponctué d’un sourire.
Il le glissa dans sa poche, pas certain de s’en servir de sitôt. Il supposa qu’il aurait été flatté, en temps normal. Il ne le ressentait pas, mais il trouvait ça intéressant.
C’était définitivement de la drague.
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01/08 ;;
Clairement de la drague.
:')
Bref bref bref. I'm so soft and happy rn *-*
J'espère que ce début vous plaît, merci de l'avoir lu déjà c'est un joli pas !
Prenez soin de vous ♡
(Et si wattpad continue de faire buguer mes transitions et mon texte je pourrais bien tuer quelqu'un hahahaha)
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