Doogieman #5


Je ne comptais pas les rencontrer ce jour-là. 

Je longeais la petite route qui menait vers le bois, comme je le faisais souvent quand j'avais besoin de réfléchir seule. Il y avait un endroit plus loin, une vieille cabane abandonnée où personne ne venait jamais. Enfin... je croyais que personne n'y venait jamais.

J'entendais déjà les feuilles craquer sous mes pieds quand je perçus des voix, faibles, presque chuchotées. Ça venait de la cabane. Je fronçai les sourcils. Qui d'autre pouvait bien traîner ici ?

Je m'approchai doucement, par réflexe, comme si j'espionnais sans même m'en rendre compte. Deux filles étaient assises à l'intérieur, en plein milieu du sol poussiéreux. Romane, je la connaissais vaguement. Une fille de ma classe, toujours entourée mais... un peu trop souriante, trop parfaite. Et puis l'autre, Claire. Je n'avais jamais vraiment parlé à Claire, mais elle avait cette aura, quelque chose qui la rendait difficile à ignorer. Un peu comme une ombre qu'on voit du coin de l'œil.

— On nous regarde. Claire avait parlé sans même tourner la tête. Sa voix était calme, plate.

Romane se redressa aussitôt, pivotant vers l'entrée de la cabane. Elle m'aperçut et son sourire se dessina presque instantanément. Trop vite pour être vrai.

— Oh, salut ! Lou, c'est ça ? Elle m'adressait un signe de la main, comme si tout ça était complètement normal. Qu'est-ce que tu fais là ?

Je restai figée une seconde, prise sur le fait. 

— Je... je passais juste.

Claire leva enfin les yeux vers moi. Ses iris clairs semblaient traverser les miens. 

— Elle passait juste. Évidemment.

Elle disait ça d'un ton qui me mit mal à l'aise, comme si elle savait des choses que je ne savais pas moi-même. Je forçai un petit rire. 

— Vous faites quoi ici ? C'est abandonné, non ?

— C'est tranquille. répondit Romane, haussant les épaules. Tu peux t'asseoir si tu veux. Y'a de la place.

J'hésitai. Pourquoi elles traînaient là, ces deux-là ? Elles avaient l'air tellement... à leur place. Comme si la poussière, le silence et le froid de cette vieille cabane leur allaient parfaitement.

— C'est bon, je vais pas vous déranger.

Claire sourit pour la première fois, mais ça n'avait rien de rassurant. 

— Déranger ? On t'a proposé de rester, non ?

Je ne savais pas quoi répondre. C'était comme si elles attendaient quelque chose. Que je dise oui. Que je reste. La manière dont elles me fixaient, sans aucune gêne, m'obligea presque à m'avancer. Mes jambes bougèrent avant que ma tête ne décide quoi que ce soit. Je finis par entrer dans la cabane, un courant d'air froid s'engouffrant derrière moi.

— Tu vois, c'est mieux comme ça. murmura Romane, comme si elle venait de gagner quelque chose.

Claire tapota le sol en face d'elles. 

— Viens, Lou. Assieds-toi. On discutera. Ça fait longtemps qu'on ne t'avait pas vue.

Je fronçai les sourcils.

 — Quoi ? Mais... je vous connais à peine.

Romane échangea un regard avec Claire, et je n'aimai pas du tout ce que je vis passer entre elles. Une espèce de connivence étrange, un secret partagé.

— Peut-être pas encore. dit Romane en me regardant droit dans les yeux.

Je m'assis malgré moi, mal à l'aise, mais incapable de partir. J'avais la désagréable impression que je venais de tomber dans quelque chose qui me dépassait complètement.

Claire tapota la poussière de ses mains et croisa les bras. Elle me dévisageait avec cette intensité agaçante, comme si elle cherchait quelque chose en moi. Romane, elle, semblait presque distraite, mais son sourire ne bougeait pas. Je n'aimais pas ça.

— Alors ? lança Claire d'une voix douce, presque moqueuse. Qu'est-ce que tu fais de beau, Lou ?

— Pas grand-chose. répondis-je en haussant les épaules. Je me balade, je tombe sur vous, et voilà.

Claire échangea encore un regard avec Romane, mais cette fois, je sentis que ça m'était destiné. Comme si elles se parlaient dans une langue que je ne comprenais pas.

— C'est drôle, quand même. dit Romane en se penchant légèrement en avant. Tu viens souvent ici ?

Je secouai la tête. 

— Non, pas vraiment.

— Vraiment ? insista-t-elle, son sourire s'étirant juste un peu trop.

Pourquoi elle posait cette question ? Qu'est-ce que ça pouvait bien leur faire ? Une boule se forma dans mon estomac sans que je sache pourquoi. Je fronçai les sourcils pour me donner un air assuré.

— Je pourrais vous demander pareil. Qu'est-ce que vous faites là, vous ?

Claire éclata d'un rire sec. Il résonna dans la cabane vide comme un bruit de verre qui se brise.

— Elle est curieuse, Romane. Ça change tiens.

— C'est normal d'être curieuse. répliqua Romane en haussant les épaules. Puis, elle planta ses yeux dans les miens. On aime bien cet endroit, c'est tout. Personne ne vient jamais, sauf toi aujourd'hui.

— J'ai pas fait exprès. soufflai-je, un peu plus sur la défensive.

— C'est ce que tu crois. murmura Claire presque pour elle-même.

Je sentis mon cœur battre plus fort. Pourquoi est-ce que tout sonnait comme un jeu avec elles ? Elles en étaient les maîtres et moi un simple pion. Comme si je ratais des indices dans une pièce que je ne connaissais pas. Je secouai la tête, mal à l'aise.

— Vous parlez bizarrement, sérieux. lâchai-je, agacée. Si je dérange, dites-le et je m'en vais.

— Tu ne déranges pas. coupa Romane aussitôt. Trop vite.

Claire acquiesça, toujours ce sourire presque absent au coin des lèvres. 

— On aime bien les nouvelles personnes. Ça fait longtemps.

— Longtemps quoi ?

Romane ignora ma question et se redressa brusquement, époussetant son jean.

 — Tu veux qu'on te montre quelque chose ?

— Quoi ?

Elle tendit une main vers moi. Je ne bougeai pas tout de suite. Une part de moi voulait dire non, faire demi-tour et quitter cet endroit le plus vite possible. Mais l'autre part... celle qui aimait comprendre ce qui n'était pas clair, celle-là me poussait à rester.

— Allez, fais-nous confiance. dit-elle d'un ton léger.

Claire se leva à son tour et sortit la première, sans un mot, comme si elle connaissait déjà la suite de l'histoire. Romane m'observait toujours, sa main tendue. C'est juste un truc à voir. Rien de grave.

J'hésitai. Une seconde. Deux. Puis, comme une idiote, je me levai et la suivis dehors.

L'extérieur semblait différent. Le bois paraissait plus sombre, comme si les arbres s'étaient rapprochés pendant qu'on était à l'intérieur. Claire marchait devant, ses cheveux noirs retombant sur ses épaules, et Romane traînait juste derrière elle. J'étais coincée entre les deux.

— On va où, exactement ? demandai-je, les bras croisés pour me donner une contenance.

— Patience. répondit Claire sans se retourner.

Ça m'agaçait encore plus. Elles avaient ce calme, ce contrôle, qui me mettait mal à l'aise. Comme si elles jouaient un rôle et que j'étais la seule à ne pas connaître le script.

On marcha quelques minutes à travers les branches et les feuilles mortes, jusqu'à ce que Claire s'arrête net. Elle se tourna vers nous et désigna un vieux chêne dont les racines s'étalaient comme des griffes sur le sol. Il y avait quelque chose posé contre le tronc : une boîte en bois, usée et fissurée.

— C'est quoi, ça ? demandai-je en m'arrêtant à mon tour.

Romane s'accroupit près de la boîte et passa une main dessus, presque avec douceur. 

— On l'a trouvée il y a un moment. Ça t'intrigue pas ?

— Je sais pas. Je restai sur mes gardes. Pourquoi vous m'amenez ici ?

Claire s'accroupit à son tour, ses doigts frôlant le loquet de la boîte. 

— Parce que t'as l'air de quelqu'un qui aime poser des questions.

Elle défit le loquet d'un geste sec et souleva le couvercle. À l'intérieur, il n'y avait pas grand-chose : une vieille photo jaunie, un collier tordu, et un morceau de papier plié en quatre.

— C'est quoi, ça ? répétai-je, plus bas.

— Prends le papier. murmura Romane.

Je secouai la tête. 

— Non, merci. C'est votre truc.

— Prends-le. insista Claire cette fois, sa voix plus ferme.

Mon regard alla du papier à leurs visages. Elles me fixaient comme si je n'avais pas le choix. J'avançai la main, lentement, jusqu'à saisir le morceau de papier glacé. Il était froid. Trop froid.

Quand je le dépliai, des mots griffonnés à la hâte apparurent. Je plissai les yeux pour les lire, mais le message n'avait aucun sens :

"Je suis désolée. Si vous trouvez ça, partez. Partez tant qu'il est encore temps."

Je relevai la tête, les doigts tremblants. 

— C'est une blague ?

— Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ? demanda Claire, son regard figé dans le mien.

Romane ajouta d'une voix plus douce : 

— On voulait juste voir ta réaction. Maintenant, tu sais pourquoi on vient ici.

— Ça veut dire quoi ? insistai-je, la gorge serrée.

— On ne sait pas. répondit Claire, se redressant lentement. 

— Mais toi, tu vas rester avec nous pour le découvrir.

— Quoi ? Pourquoi moi ?

Romane sourit à nouveau, mais cette fois, son sourire avait quelque chose d'effrayant. 

— Parce que maintenant, tu fais partie de l'histoire.

Je sentis mes jambes se dérober. Les arbres autour de nous semblaient s'assombrir encore, et mon corps commença à trembler. Est-ce un guet-apens ? Mais pour une fois je crois qu'elles sont vraiment sincères. Mes pensées se bousculaient les unes les autres jusqu'à ce qu'une s'interposa au milieu des autres : C'est fichu...


A suiiivre... (ou pas)

(1527 mots)

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