Le Conservatoire #1

Il pleuvait des cordes ce soir-là. Comme si le fait qu'il faisait déjà nuit n'était pas assez insupportable, il fallait en plus que je sois trempée. Je sautai par-dessus une flaque d'eau, souhaitant tout, sauf ruiner mes chaussures neuves.

Faire le déplacement depuis Londres jusqu'à Paris n'avait pas été simple, d'autant que les billets de train avaient été hors de prix. À peine arrivée, j'avais dû me démener pour obtenir des informations sur comment me rendre jusqu'à mon hôtel, puis, une fois mes affaires déposées là-bas, quels métros prendre pour aller jusqu'au Conservatoire. Moi qui étais habituée au plan assez simple du métro londonien, toutes les sinueuses lignes qui traversaient tout Paris avaient semblé être un véritable labyrinthe.

J'avais été bousculée, serrée contre des gens à l'odeur corporelle plus que discutable, pour enfin me perdre dans la station de métro.

Mon trajet jusqu'à la sortie près du Conservatoire avait été une véritable épopée.

J'avais littéralement sauté de joie en ouvrant l'enveloppe qui contenait la confirmation de mon passage devant le jury. C'était enfin la preuve que j'avais un tant soit peu de talent dans la musique.

Mes parents n'avaient jamais compris ce que je trouvais d'intéressant dans le fait que des objets produisent un certain son assez reconnaissable quand on les entendait. Je n'avais jamais été de cet avis.

Dans ma famille, on m'avait à peu près toujours prise pour une extraterrestre. J'aimais la musique, tandis que le seul art qui avait de l'importance aux yeux de ma famille était le dessin, un art dans lequel je n'avais jamais su me faire remarquer, mon plus beau dessin étant alors un schéma de biologie.

Lorsque j'avais enfin trouvé le courage de demander à ma mère si elle acceptait de me payer des cours de solfège, ainsi que de violon, sa réponse ne s'était pas faite attendre : c'était non, et de toute manière, mon père serait du même avis.

Je m'étais alors tournée vers ma grand-mère maternelle. Elle était bien une des seules à m'apprécier, et ce, malgré mes passions divergeant avec celles de la famille. Mamie Jacky avait fait tout son possible pour me trouver des cours de violon, et, une fois ceux-ci payés, il avait été impossible à mes parents de refuser.

En dix ans, j'avais acquis une certaine maîtrise de cet instrument quelque peu complexe à apprivoiser. Sans aucune vanité, je devais même avouer être assez talentueuse.

Après avoir cheminé dans les rues de Paris un long moment, j'arrivai enfin devant la porte du Conservatoire. Regardant mon téléphone, sur lequel s'affichait encore l'image de l'un des albums que j'écoutais sur le chemin, je vis que j'avais une bonne demi-heure d'avance. Je décidai alors de me promener un peu aux alentours.

La culture française m'avait toujours fascinée, et surtout son histoire.

Je poussai la porte d'une petite librairie. Derrière la caisse, un homme parfaitement charmant me sourit. Il avait dû comprendre que je n'étais pas française en me voyant plisser les yeux pour lire le titre de l'un des livres.

Je passai plus de vingt minutes à discuter avec le libraire, avant de me rendre compte que j'allais être en retard. Le jeune homme eut une moue désolée en me voyant courir au dehors de la librairie comme une imbécile.

Je montai quatre à quatre les marches de l'escalier jusqu'à la salle où je devais passer mes épreuves. Je jurai en voyant que j'avais plus de dix minutes de retard.

« Mademoiselle Genny Grant ? »

Je sursautai en entendant mon nom être appelé. Une jeune femme en tailleur, aux cheveux blonds tirés en un chignon impeccable, me souriait dans l'encadrement de la porte.

« Elle-même... bafouillai-je d'une voix mal assurée.

— Entrez, vous en prie. »

Je suivis son conseil, et pénétrai dans la salle. C'était une pièce vaste, et totalement vide, à l'exception d'une grande table où étaient assis les jurys. Je devais avouer être parfaitement impressionnée devant eux. Je me sentis alors ridiculement petite par rapport à eu tous, qui devaient être, chacun de leur côté, de véritables virtuoses.

Face à eux, je n'étais qu'une pauvre amatrice sans talent, qui désirait seulement prouver elle ne savait trop quoi.

L'une des femmes du jury se leva.

« Bienvenue, mademoiselle. Installez-vous, retirez votre manteau, et prenez votre violon. »

Je m'exécutai, quoique perplexe. Son ton était doux, et me frappa. Je m'attendais à des personnes sèches, dénuées de toute compassion.

Je calai mon violon contre mon épaule et mon cou, saisis doucement mon archet. L'un des hommes du jury sourit.

 « Désormais, j'aimerais que vous nous interprétiez l'une de vos compositions. »

Mon cœur manqua un battement.

 « Une... de mes compositions ? Je... Sur votre lettre, il était spécifié que j'allais interpréter le concerto n°2 de Mendelssohn... Je me suis simplement préparée pour celui-ci ! »

Mon sang battait à mes oreilles. La pression était violemment montée.

« Nous vous avions certes envoyé ceci, mais nous vous demandons désormais d'interpréter une de vos compositions. » 

Le ton de la femme s'était refroidit, ce qui me fit tressaillir.

« Maintenant, jouez, mademoiselle Grant. »

Mes mains étaient devenues moites sur mon archet. Une composition, j'en avais une seule.

Une que j'avais créé après mon premier examen, que j'avais pensé avoir raté.

Je jouai ce morceau, cette composition, dont la moitié m'échappait totalement. J'improvisai alors, inventant une nouvelle mélodie.

Mes yeux étaient fermés, je n'osais plus les ouvrir, de peur de voir la mine attristée des juges devant mon misérable travail. Je n'allais pas être précise, désormais, cela s'imposait telle une certitude.

Lorsque je rouvris enfin mes paupières, j'avais terminé mon morceau. Les griffonnements des stylos sur le papier des carnets des juges me firent trembler.

J'avais peur, atrocement peur d'avoir totalement raté.

« Merci mademoiselle Grant. Je vous prie de patienter dans le hall en attendant les résultats de votre examen. »

Je ne me fis pas prier pour sortir de la salle. Des larmes dévalaient mes joues. Si je n'étais pas prise, ça annonçait pour moi la fin du violon, la fin de la musique. Et ça annonçait aussi d'être considérée pour de bon telle la honte de la famille.

Lorsque mon prénom fut de nouveau appelé, je dus tant bien que mal sécher mes larmes. Je ne devais pas faire mauvaise impression face aux juges. Je ne pouvais pas me permettre de me couvrir de honte en pleurant face à eux. Je devais être fière, et ce, peu importe l'annonce qu'ils me feraient.

En entrant, la première chose qui me choqua fut l'air bienveillant que chaque juge affichait alors. L'un des hommes se leva, et me serra la main.

« Votre improvisation était divine, mademoiselle Grant. Bienvenue au Conservatoire. »

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