Et inversement

     Ses talons claquaient sur le sol d'asphalte. Bras dessus, bras dessous, elle se dirigea avec lui vers le seul lieu qui diffusait encore une lueur à cette heure tardive et qui brillait dans la nuit. N'était-ce pas l'endroit le plus accueillant ? Celui qui, même de nuit, restait là, vaillant et fidèle ? Le seul endroit qui leur donnait une sensation de réconfort après une journée dans ce monde de fous. La femme passa la porte en soupirant d'aise avant d'aller s'installer avec son compagnon sur un de ces hauts tabourets. Un autre homme était déjà présent dans la pièce et ressemblait à s'y méprendre à celui qui venait d'entrer, bien que la femme blonde n'y prêta aucune attention.

     Le barman s'approcha en souriant des nouveaux arrivants, bien qu'ils ne soient pas nouveaux clients.

     — Comme d'habitude, très chers ?

     Les deux acquiescèrent et, lorsque le serveur revint, ils se soulagèrent. La jeune femme commença en parlant, racontant de sa voix fatiguée. De temps à autre, le barman hochait la tête, compatissant. Lorsqu'elle eut fini, l'homme prit le relais. Le serveur pensa, tout en écoutant, qu'un tel rituel était fascinant. Chaque soir, les deux venaient et lui racontaient des faits très semblables, mais toujours différents. Oui, ils vivaient ensemble. Mais bien qu'ils passaient leurs journées à deux, leurs points de vue différents changeaient tout. Certes, ils ne faisaient pas exactement le même travail, mais ce qui changeait le plus, c'était les sentiments décrits, les impressions données, les pensées. En plus de soulager les deux conteurs, ce rituel pouvait se révéler très bénéfique. En effet, car pour pouvoir bien évaluer une situation, il faut savoir prendre du recul, et deux autres points de vue n'étaient que bienfaisants.

     Soudain, alors que les deux buvaient tranquillement et que le barman s'occupait comme à son habitude de la vaisselle, l'homme au costume vert foncé se leva et frappa le bar de la paume de sa main.

     —Je n'en peux plus ! s'écria-t-il.

     La femme, surprise, reconnut le frère de son demi-frère, qui l'était donc lui aussi. Mais même le chat qui venait de traverser la rue afin de fuir le bruit qu'il venait de provoquer savait qu'ils avaient entretenus une relation. Ou... Avaient entretenus ?

     — Tu m'as «quitté» seulement pour le bon à rien qui me sert de frère ! ragea l'homme avant qu'il ne donna un coup de pied dans le bar.

     Un fracas se fit entendre. Verres et bouteilles brisés, larmes tombantes, frères de sang se battant jusqu'à plus que nécessaire... Intéressons-nous plutôt à cet homme, là, vêtu de blanc au crâne dénudé qui se cachait derrière son propre bar. Lui aussi n'en pouvait plus. Mais qui s'en souciait ?


ET INVERSEMENT


     Alors qu'il combattait vainement une tâche à l'aide de sa lavette, il entendit le bruit caractéristique qui annonçait le début du rituel. L'homme retint un soupir puis s'efforça de sourire au frère et à sa demi-sœur. Elle était élégante, cette blonde femme à la robe de sang qui faisait ressortir la couleur de ses lèvres. Et lui, avec son costard noir à la chemise bleu foncé.

     Le rituel qu'il entretenaient n'était bénéfique que pour eux.  Évidement ! Qu'allait faire un barman de la connaissance de chaque journées d'une femme et d'un homme ? Il les écouta d'une  oreille distraite avant de converser brièvement avec eux. Son esprit était ailleurs, car le barman était intrigué par son client précédent et toujours présent, et qui ressemblait à s'y méprendre à l'homme au costard marine... Les mêmes yeux clairs, la même carrure, presque les mêmes cheveux, était-ce...?

     — Je n'en peux plus ! cria soudain l'homme en vert.

     Les deux autres sursautèrent et remarquèrent qu'ils n'étaient pas seuls. Le cri avait confirmé les doutes du barman. C'était Colas, le frère d'Évan, touts deux demi-frères d'Amandine. Et Colas et Amandine était en couple. Aurait-ce changé ?

     — Tu m'as «quitté» seulement pour le bon à rien qui me sert de frère ! éructa Colas avant de donner un coup de pied dans le bar ce qui fit tomber plusieurs verres et une bouteilles que notre serveur ne réussit pas à rattraper.

     — Non ! protesta Amandine. C'est faux ! Je... Évan est comme un frère, pour moi !

     Un ricanement sinistre fit frissonner le barman. Mais ce dernier ne dévia pas de sa tâche, c'est-à-dire ramasser les bouts de verre.

     — Mais oui, bien sûr ! ironisa Colas, une nuance folle dans la voix.

     — Mais c'est vrai ! insista la femme, désolée. Il n'y a que toi que je puisse aimer. C'est juste que...

     — Que quoi ? QUE QUOI ?! hurla l'homme vêtu de vert avant de se tourner vers son frère. Tout ça, c'est de TA faute !

     Et il se jeta sur lui. Le barman s'éloigna, frustré. Allez vous battre dans la rue ! Partez ! Battez-vous si vous le souhaitez, mais pas chez moi ! avait-il envie de hurler. Amandine essayait en vain d'arrêter les deux frères, mais Colas plaqua l'autre par terre avant de déclarer :

     — Tout ça, je le fais pour toi, mon amour.

     Une lueur étrange brillait dans ses yeux.

     — Je t'aime ! hurla-t-il. Et toi, tu n'es pas fichue de me parler !

     — T-tu te trompes ! répliqua Amandine, des larmes brillantes au coin de ses yeux.

     — MENSONGES !!!


     Le barman se laissa glisser par terre. Que faire, que faire ? Tout bien réfléchi, peut-être était-il plus intelligent de les laisser. Ainsi, ils régleraient leurs histoires une bonne fois pour toutes. Pourtant, le barman en avait lui aussi marre. Il avait envie de hurler, de crier à la face du monde. Il avait besoin qu'on entende sa voix, sinon, il n'allait plus pouvoir tenir très longtemps...


Mais qui s'en souciait ?



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Courte nouvelle de 958 mots. Je l'ai écrite hier sur papier à l'école lors d'un atelier d'écriture. Il était demandé de laisser libre cours à son imagination et d'écrire à partir de cette image. J'en suis assez fière, en vrai.

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