XXXVI. Adieu
JONATHAN
— Prenez ce chemin là, vous encourrez aucun danger. Si vous suivez à la lettre cette carte, ça devrait vous ramener vers votre campement, indiqua Nora. Et pas de bêtises ! On veut pas vous retrouver morts demain.
— Nous nous plus... rigolai-je, nerveusement. Bon, je pense que nous sommes prêts. Kalie ?
Postée à côte de mois, raide comme un piquet, elle n'émit aucun son, hocha uniquement la tête avant de tourner les talons et sortir de la chambre.
— Je ne sais pas ce que tu lui as fait, mais elle est encore plus bizarre que quand vous êtes arrivés, remarqua Nora.
— Avec elle, tout est bizarre.
— Heureusement que l'homme aime un peu de mystère, ricana-t-elle.
Je souris légèrement et la salua encore une fois. Son mari nous fit un signe de la main, toujours occupé à couper du bois, puis nous partions enfin de leur maison. Chance ou pas, trouver un couple vivant juste assez près pour nous venir en aide semblait presque impossible. A chaque fois que je me trouvais avec elle, des choses étranges se produisaient. La liste se rallongeait encore et encore sans aucune réponse et quelque chose me disait que dans sa tête, c'était aussi le bordel.
Alors que nous nous engagions dans les bois, elle ne m'adressa pas une seule fois la parole. Le passage était trop étroit pour que l'on puisse tous les deux marcher côte à côté, alors je la laissais me devancer, la carte en main. Cette fois-ci, le chemin était moins sinueux et plus facile à suivre.
Quelques mèches s'échappaient de son chignon décoiffé. Je voulais les replacer, pouvoir sentir sa peau sous mes doigts, mais après notre petite mésaventure de ce matin, ça ne ferait que déployer la colère et le malaise qu'elle ressentait déjà à mon égard.
Quand me lèvres avaient touché les siennes, c'était comme gouté à un fruit interdit. Délicieux mais défendu. Des sensations, des picotements venus de nulle part avait commencé à habiter mon corps, mais ce n'était pas désagréable au contraire, j'en redemandais encore plus. Pourtant, la façon dont mon corps et mon esprit réagissait à Kalie était en décalage avec mon cerveau. Comme si une partie de moi n'arrivait pas à comprendre ce qu'il se passait et pourquoi.
Avant, Kalie n'était qu'une voisine et une camarade de classe avec qui je papotais de temps en temps, mais rien de gênant ou autre. Jamais je n'avais éprouvé des sentiments aussi fort envers elle. D'un seul coup, mon attention était accaparée par elle. Est-ce que c'était parce qu'elle avait commencé à m'ignorer et que comme Nora disait, les hommes aimaient le mystère ?
J'en voulais à Victoria pour m'avoir trompé, mais est-ce que moi-même, je n'avais pas franchi cette ligne ?
Après dix bonnes minutes de marche, le silence me tuait. Il fallait qu'on s'explique, qu'on sache ce qu'on faisait maintenant, mais mon petit doigt me disait que si jamais j'osais lui en parler, elle allait me faire une scène ou pire, m'ignorer. Je décidai donc de laisser cette histoire derrière nous le temps de retrouver le campement.
Tout le monde devait être mort d'inquiétude, mes parents et surtout les parents de Kalie. Après sa mystérieuse agression classée sans suite, ils n'allaient pas être content de comment l'école gérait leur fille. Tellement de mystère et de questions autour d'elle. Puisque nous n'allions pas commencer une conversation maintenant, je n'avais plus qu'à faire l'inventaire de tout ce qui était bizarre chez elle.
En premier, son comportement hostile envers moi, ses crises de panique à tout bout de champ, l'épisode de l'hôtel, mon malaise suivi de rêves bizarre qui ressemblaient plus à des flashbacks, mais qui n'en étaient pas puisque ça ne s'étaient pas encore passé.
Finalement, m'arrêter ici serait judicieux, sinon j'allais me donner une migraine.
Un jour j'arriverai à la déchiffrer, mais entre-temps, notre baiser resta gravé dans ma mémoire. Elle me l'avait rendu, et ça devait être le plus beau jour de ma vie, de savoir qu'au fond, elle aussi elle n'est pas indifférente. Surtout quand elle avait elle-même avouée ses sentiments pour moi.
Je me demandais depuis quand ça durait ? Et si c'était le cas, pourquoi elle ne niait en bloc ? J'étais prêt à les accepter ses sentiments, mais elle ne voulait rien de tout ça, comme si elle m'aimait mais voulait me protéger.
Mais de quoi ?
Après encore une bonne dizaine de minutes, nous commencions à nous fatiguer. Encore fragilisés par nos blessures, il valait mieux prendre une pause histoire de récupérer de l'énergie.
— On s'arrête un peu ?
Elle sursauta légèrement à ma soudaine prise de parole, étant donné le silence, ce n'était pas vachement étonnant. Pourtant, elle ne se retourna pas et dit d'une voix froide et dure :
— Pas la peine, je me sens bien.
D'accord, on opte pour cette attitude d'iceberg.
Son ton était tellement tranchant qu'elle aurait pu découper en morceau l'ours qui nous coursait l'autre jour. Surtout qu'elle mentait clairement. Ses jambes tremblaient légèrement et elle manquait terriblement de sommeil et d'énergie.
— Kalie, on doit s'arrêter, dis-je en prenant le même ton qu'elle.
Cette fois-ci elle se retourna, me foudroyant du regard complètement, mais ne prononçant pas un mot. Durant un petit lapse de temps, je pouvais voir le rouge lui monter aux joues. Est-ce qu'elle serait trop gênée de me faire face tout en me tuant du regard ? Il n'y avait bien qu'elle pour faire une telle dualité.
— Très bien.
Un ton toujours aussi sec, mais un peu moins glaçant. Elle ouvrit son sac à dos et me tendit une bouteille d'eau sans lever les yeux. Soudain une idée me vint à l'esprit.
— Ah... mon bras...
Je pouvais la voir lever les yeux au ciel et soupirer d'agacement avant de demander :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Je souris.
— Mon bras, j'arrive pas à ouvrir la bouteille...
Depuis quand est-ce que je suis aussi taquin... et douillet ?
— Tu as tes dents, sourit-elle sarcastiquement.
— Huh, persiflai-je, ce bras t'as porté pendant tout un trajet et tu ne m'aides même pas ?
Elle soupira encore une fois, avant de se lever de son tronc d'arbre pour venir jusqu'au mien, prit la bouteille d'eau et l'ouvrit avant de me la tendre.
— C'est bon maintenant, tu peux arrêter de te plaindre ?
Je fis la moue.
— Je suis pas habitué à boire de la main droite.
— T'es gaucher ? dit-elle en haussant un sourcil.
— Bah ouais. Tu peux me faire boire ?
Elle fixa le sol avant de lancer la bouteille sur les genoux.
— Je sais que t'es droitier, mais bien tenté.
Pendant un instant, l'espace d'une seconde, j'avais pu voir ses lèvres se retrousser légèrement pour former un sourire. Elle retourna s'asseoir, le visage cette-fois ci, fermé et ne me regarda même pas une seule fois. Ses yeux étaient comme scotché sur le sol.
Déjà qu'avant elle était glaciale, qu'est-ce que ça allait être maintenant ? Est-ce qu'elle allait complètement m'ignorer une fois revenue au camp ? Est-ce qu'elle allait m'avouer ce qu'elle ressentait et ce qu'elle cachait par la même occasion ?
Des réponses que je n'aurais peut-être jamais.
Pour le moment, quand je rentrerais, il faudra que je fasse face à Victoria. Comment est-ce que j'allais m'y prendre exactement ? Et dire que je n'y avais pas pensé depuis un bon moment, comme si finalement, je me sentais plus libre qu'autre chose. Après tout, j'avais essayé d'embrasser Kalie bien avant de savoir pour Vic et Lucas. Est-ce que c'était mon karma ?
Quelques minutes passèrent, histoire de reprendre des forces, quand un bruit dans les buissons attirait notre attention. Tout de suite alerte, Kalie se releva rapidement, non sans une grimace, sa jambe lui faisant toujours mal. A mon tour, je me postais à côté d'elle, prêt à courir de toutes mes forces, mais petit à petit l'adrénaline qui coulait dans nos veines s'évaporait quand on apercevait, non pas un animal, mais des personnes.
— Kalie !
La voix de Chloé, si je me souvenais bien, avait résonné dans la forêt. S'en suivi Oliver et Leila ainsi que des flics et des gardes forestiers, sans doutes ceux du camp. Ni une ni deux, le groupe sauta littéralement sur Kalie, soulagé de la retrouver. Tout de suite après, ils nous demandèrent si on allait bien et constataient nos blessures.
— Oh mon Dieu, mais qu'est-ce qui s'est passé ?! Vous êtes blessés ? s'exclama Leila.
— C'est une longue histoire, sourit Kalie.
Leila lui frappa le bras.
— Aie !
— Comment est-ce que tu peux sourire, espèce d'idiote ?!
Kalie rit de plus belle, enfin soulagée d'être en sécurité. Oliver me tapota le dos, me demandant si je tenais le coup. Je lui répondis par un léger sourire, trop occupé à regarder Kalie enfin parler et rire.
Les gardes et tout le bon monde nous accompagnèrent donc au camp où tout les élèves nous attendaient ainsi que nos parents. Tu parles d'une excursion scolaire. Au loin, j'aperçus Damien et mes parents, morts d'inquiétude. Avec le peu de force qu'il me restait, je couru vers eux et les enlaçai de tout mon être.
— Oh mon bébé, souffla ma mère, soulagée. Est-ce que ça va ? Tu es blessé ? Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ?
— Laisse le respirer maman, il est tout pâle, interrompit Damien.
— Tu as raison... Oh mon petit...
Elle m'enlaça de toutes ses forces, de peur que je m'échappe encore.
— Excusez-moi ?
Un ambulancier venait interrompre notre séance retrouvailles, me rappelant que je devais monter dans l'ambulance pour aller à l'hôpital et traiter mes blessures. Leur dire qu'un couple de vieux nous avait soigné au plus bas de la montagne ne me fera pas rater cette excursion à l'hôpital, au contraire, ils voudront encore plus me faire passer des tests.
— Madame, vous l'ambulance sera trop petite pour mettre les deux familles, pouvez-vous nous joindre directement à l'hôpital ? demanda-t-il en s'adressant à ma mère.
— Oui bien sûr, tu devrais y aller, on arrive tout de suite, fit-elle les larmes aux yeux.
Après une dernière embrassade, je m'apprêtai à monter dans l'ambulance, quand j'entendis quelqu'un qui m'interpella.
— Jonathan ?
Victoria se tenait devant moi, les yeux rouges, les joues creuses. Elle n'avait pas arrêté de pleurer, mais ça ne changeait rien à mes yeux.
— Laissez-moi une minute, dis-je à l'ambulancier qui s'occupa de Kalie en attendant.
Je pris Victoria à part, lui donnant une chance de s'expliquer. Elle respira un bon coup avant de prendre la parole :
— Tu te sens comment ?
— Bien.
Mon ton était froid, glacial, un peu comme Kalie quand elle s'adressait à moi. Je la fixai dans les yeux, mais elle n'arrivait pas à soutenir mon regard.
— Je... je voulais te dire que tout ça c'est de ma faute... jamais j'aurais du être avec Lucas, c'était une stupide bêtise, je me sens coupable pour tout ce que je t'ai fait, jamais j'aurais du t'infliger ça. J'espère qu'un jour tu pourras me pardonner, finit-elle les larmes au yeux.
Au début, je voulais crier, m'énerver, mais en la voyant devant moi, je me rendis compte que moi aussi je n'étais pas parfait. Comme si, j'aurais pu être à sa place... un sentiment bien étrange.
— Je ne te déteste pas Victoria, il me faut du temps pour te pardonner, mais sache que c'est peut-être mieux ainsi.
— Tu veux dire par rapport à Kalie ?
Je fus surpris de sa bonne déduction.
— J'ai vu comment elle te regarde, et toi aussi. La façon dont elle est partie de chercher... Est-ce que tu...
— Je ne t'ai pas trompé avec Kalie. Tu as raison, je ressens des choses pour elle.
— Wow... tu parles de tact..., elle déglutit péniblement. D'accord, je...
Un silence pesant venait de s'abattre. Elle ne parlait pas, honteuse ou juste blessée, mais de mon côté, je ne regrettais rien. Voyant que la conversation n'allait nulle part, je soupirai avant de lui dire, d'un ton les plus sincère.
— Adieu, Victoria.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top