XLI. Le pacte

Si quelqu'un ne me pinçait pas immédiatement, j'allais réellement faire une syncope. 

Non, je retire ce que je viens de dire.

Me pincer ne servirait absolument à rien, à ce rythme-là, il me fallait un coup sur la tête, quelque chose qui fasse détacher mon regard insistant, troublé, étonné de mon double, parce que ça faisait trois bonnes minutes que je restais pétrifiée, assise par terre. 

Mais bordel, qu'est-ce qu'il se passait à la fin ? 

J'eus à peine le temps d'entrer dans une spirale de pensées plus compliquées les unes que les autres, que mon double se leva en un bond du lit avant de se poster juste en face de mon bureau, dos à la fenêtre. 

Encore sous le choc, je me retournais lentement avant de moi-même me relever. En accordant un peu plus d'attention à mon sosie, un frisson parcouru mon échine. On aurait dit moi mais en plus... méchante ? Peut-être que le regard de tueuse, l'accoutrement noir, le trait d'eye-liner parfaitement réalisé et le fait qu'elle avait failli me tuer devaient jouer dans mon interprétation. 

Même si elle me ressemblait comme deux gouttes d'eau, cette Kalie paraissait énervée, mystérieuse et surtout dangereuse. Je ne pouvais m'empêcher d'avoir la chair de poule quand je la fixais dans les yeux. 

Pendant un long moment, ce jeu de regard persistait jusqu'à ce qu'elle prenne la parole m'arrachant un sursaut :

— T'as perdu ta langue ? 

Ma bouche forma un O mais aucun son n'en ressortait, mes cordes vocales n'opérant définitivement plus. Mon cerveau, qui croyait avoir subit tout un tas de choses extraordinaires et hors du commun ne s'attendait visiblement pas à ça. 

— Oh, c'est moi qui te perturbe ? Enfin, voir ton sosie ? Arrête de faire l'étonner Kalie... commença-t-elle en marquant une pause. Tu as échangé de corps avec le voisin d'en face et tu es choqué par un petit truc aussi banal que ça ? 

— Mais comment... 

Décidément, je ne comprenais plus rien. Comment est-ce qu'elle pouvait savoir autant de chose ? Non... je ne posais pas les bonnes questions là, comme par exemple, pourquoi est-ce qu'elle désirait autant me tuer, pourquoi est-ce qu'elle me hantait ? Et surtout, qui était-elle ? 

Même si je ne m'y connaissais vraiment pas en magie, les démons, esprits et compagnie pouvaient prendre n'importe quelle forme. Peut-être que mon double utilisait exactement le même stratagème. 

— Qu'est-ce que t'es longue à la détente toi ! s'emporta-t-elle. Je suis toi et tu es moi, sauf qu'on appartient à deux univers différents. 

Cette fois-ci, je retrouvais mon aptitude à parler.

— Comment ça, deux univers ? questionnai-je encore sous le choc mais décidée à avoir des réponses. T'es qui au juste ? Et pourquoi tu veux me tuer depuis le début ? C'est toi qui me rend dingue depuis cette accident de voiture ! 

— Non, MON accident ! Pas le tiens, corrigea-t-elle avant de reprendre devant mon expression confuse. Je me souviens encore de cette journée, j'ai décidé de faire un footing et je me suis faite écrasée par une voiture et puis quand je me suis réveillée, je croyais que j'étais morte, mais pas du tout. Quand j'ai découvert que part TA faute, je me suis retrouvée coincée... il fallait que je reprenne ma place, par n'importe quel moyen. Et donc, continua-t-elle en se tournant vers le miroir, j'ai utilisé un portail jusqu'à ce monde. Le mien. 

Alors qu'elle déblatérait toute sa tirade, je n'écoutais qu'à moitié, me rendant compte de ce qui se passait. Toujours confuse, mais surtout nauséeuse, je m'assis sur le rebord de mon lit, mon double à ma gauche, me dévisageant fortement en ne montrant même pas une once de sympathie. Il n'y avait que de la haine dans son regard. 

Pur et dur.

Comme Jonathan m'avait regardé ce jour-là, quand je lui ai dit la vérité sur ma mère.

La vérité.

— Coincée ? répétai-je. Coincée où ? C'est quoi toute cette histoire ? Le dernier souvenir qui a encore du sens c'est ce fichu pacte que j'ai passé avec...

— Leiw ? Je le connais, ou du moins, je sais ce qu'il lui est arrivé. T'embête pas à m'expliquer les choses Kalie, je te regarde depuis longtemps, je suis dans ta tête depuis le début, sauf que tu m'as laissé en arrière plan. Tu n'aurais jamais du mettre les pieds dans mon univers. Ma réalité. 

— Hé, j'ai juste passé ce putain de pacte, je ne savais pas que j'allais prendre la place de quelqu'un d'autre, m'emportai-je, les larmes aux yeux. 

Aucune émotion ne traversa son visage, elle resta impassible, son regard me foudroyant du regard. 

— Ecouté, j'en ai rien à faire des lois cosmiques, mais pour trouver un terrain d'entente, je vais t'expliquer ce que je sais. Au moment où je me suis réveillée, je me trouvais dans l'entre-deux. Un endroit pour les âmes errantes. Au début, je croyais que c'était une sorte de purgatoire, puis je t'ai entendu et vu vivre ma vie, à travers des portes. Elles disparaissaient et ne restaient que quelques minutes, ce qui ne me laissa que très peu de temps pour tenter quelque chose.

— Tu veux dire me tuer ? l'interrompis-je, en colère à mon tour. 

— C'est toi qui a volé ma vie je te signale. J'étais prête à tout, tu m'entends ? JE suis censée être grande sœur, pas toi. Tu veux savoir ? T'es pathétique et un lâche. Ce pacte, tu l'as vraiment fait pour Jonathan, ou pour toi ? 

Une boule se forma dans mon ventre tendis que je déglutis péniblement. Cette pensée m'avait traversé l'esprit plusieurs fois en effet, mais je refusais de me l'admettre. 

— Peur d'affronter le divorce inévitable de tes parents, peur de faire face à Jonathan pour ce que ta mère a fait à la sienne, peur que votre couple en pâtisse... Tu as juste peur des aléas de la vie et le fait que tu te défiles montre à quel point tu es faible. J'ai honte d'avoir le même prénom, finit-elle, pleine de sarcasme. 

Sans voix, je ne pris même plus la parole, mon cerveau n'opérant plus correctement. Mon coeur se serra quand j'entendis ce qu'elle venait de dire. Le pire était qu'il y avait de la vérité dans son avalanche de haine. 

— Enfin bref, te détester ne servirait à rien et je gaspille mon énergie. Je n'ai plus beaucoup de temps, mais sache que je retrouverais ma place coûte que coûte. 

— Figure-toi que j'ai aussi voulu des réponses, je suis même allée à la chambre 206 de l'hôtel, mais tu le sais déjà. Leiw n'est pas là, il ne répond pas. 

— Je te l'ai dit, Leiw a été banni. 

Banni ? 

C'est pas possible...

— Ne me demande pas pourquoi ni comment, je n'en sais rien, mais votre petit pacte n'a sûrement pas plus aux petits fantômes ou bonhommes verts ou peu importe. L'entre-deux est presque vide, même très vide, j'entends des conversations, des chuchotements et crois-moi ça rend fou, c'est comme ça que je sais ce qu'il se passe... dans les grandes lignes, tout du moins. Ma place n'est certainement pas là-bas, et la tienne n'est pas ici non plus. 

Etre coincé dans un monde où l'on est piégé sans aucune issues... je comprenais mieux d'où venait son amertume prononcée à mon égard. Voir quelqu'un vivre votre vie tandis que vous êtes coincé dans un endroit plus que douteux. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir mal. 

Mal d'avoir été égoïste, de faire toujours du mal aux gens que j'aimais. 

— Je... je veux annuler ce pacte, mais je ne sais pas comment m'y prendre.

Elle soupira, regarda le sol un moment avant de reprendre : 

— Je peux me renseigner, mais tu dois me promettre que tu partiras. A force de comploter contre toi, je perds aussi de la force. Les photos, puis la voyante, les hallucinations, les attaques surprises... même le coup des gardes à la tour c'était moi. Chloé a du te dire pour le miroir brisé... Survivre à cette chute était un putain de coup de chance, lâcha-t-elle agacée. 

— C'est censé me rassurer que tu me dises tout ça ? On est censé chercher une solution, pas me tuer, je te rappelle. 

Elle sourit machiavéliquement. 

— Tu sais jusqu'où je peux aller maintenant, donc promets-moi. 

Mon regard dévia quelques secondes vers la fenêtre, jetant un coup d'œil à la fenêtre de Jonathan. 

Désolée... 

— C'est promis.

Elle hocha la tête, prête à s'en aller mais je la retins un moment. 

— Est-ce que tu sais pourquoi Jonathan est comme ça ? 

Elle leva les yeux au ciel avant de déballer, de manière désintéressée et monotone :

— Le Jonathan de ton monde est en train de prendre la place du miens. Il a des souvenirs qui ne sont pas à lui. L'attirance qu'il a éprouvé envers toi ne vient pas du Jonathan de mon monde, mais du tiens. Si ils cohabitent dans le même corps pendant encore longtemps, il pourrait y avoir des dégâts. Quand tu repartiras dans ton monde, "mon" Jonathan ne se souviendra plus de rien, vu que tu emporteras les souvenirs de ton Jonathan avec toi. Et pour garder un équilibre tout redeviendra comme avant comme si tu n'avais jamais pris ma place. Tout reprendra au moment de l'accident de voiture, du moins c'est ce qu'on m'a dit.

Je fronçai les sourcils, sceptique de ce qu'elle venait de dire dans sa longue tirade. 

— Pourtant, personne ne s'est souvenu de moi ou n'a eu de crise. Pourquoi uniquement Jonathan ? 

— Parce que vous avez échangé vos corps, faut tout t'expliquer, je rêve. Vos âmes sont comme emmêlées, liées par une force invisible ou je ne sais quoi. Les autres ont l'impression que tu as changé, mais sans plus, tandis que Jonathan... il est directement tombé amoureux de toi. 

Tout semblait beaucoup plus clair maintenant que les pièces du puzzles étaient rassemblées. Tout ce qui m'arrivait depuis le début n'était que le fruit de la haine de la vraie Kalie. Celle qui avait des parents mariés et heureux, celle qui allait être grande-sœur, celle qui était fêtarde,  extravertie, populaire. 

Celle qui n'éprouvait rien pour Jonathan.

— Je... je suis sincèrement désolée, Kalie. 

Quand elle entendit notre prénom sortir de ma bouche, je pus voir une once de bienveillance mais de tristesse et de douleur, comme si ça faisait longtemps que plus personne ne l'avait appelé ainsi. 

— Avec mon égoïsme, je n'en ai fait qu'à ma tête et je t'ai pris ta place. Mais je te promets que dorénavant, je prendrais les bonnes décisions, aussi difficile soient-elles. Tu peux compter sur moi.

Kalie déglutit avant d'hocher la tête brièvement. La tension avait chuté puis elle se dirigea vers le miroir avant de s'arrêter net et de dire de manière sèche mais sincère : 

— Les erreurs de ta mère ne sont pas ton fardeau, tu n'es pas responsable de ses actes. 

Puis elle s'en alla, me laissant seule dans une chambre sans dessus-dessous et mon corps en miettes. 

Il était temps de partir.


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