CHAPITRE 26 (NV)

Kalie

Nous étions devant le restaurant. Mes mains étaient redevenues normales, mais la peur que cet étrange phénomène apparaisse de nouveau me faisait de plus en plus peur au fur et à mesure que les minutes, les heures et les jours passèrent. Cela faisait deux jours que nous avions quitté l'hôpital et pas un jour ne se déroulait sans crainte. Jonathan, qui se tenait à mes côtés, était tout aussi apeuré, car c'était son corps qui disparaissait et non le mien. Mais la question était : si l'enveloppe qui me garde sur Terre était détruite, où irait mon âme ?

Une question parmi tant d'autres. Ce que nous devons chercher, Jonathan et moi, était la raison pour laquelle nous avions échangé nos corps. Comment nous l'avions fait ? Et quel était le but de tout cela ? Dans nos visions respectives, Jonathan et moi avions vu le restaurant Leiw. Tout s'était produit ici. Quant à moi, je ne préférais pas me souvenir de la suite des évènements. Quand je repensai à mes visions, mon cœur s'accéléra et une boule se forma dans ma gorge. Il ne fallait pas céder, Kalie. Tiens bon, me rappelai-je, sans cesse.

Je chassai donc instantanément ces images de mon esprit et me concentrai de nouveau sur notre objectif. Jonathan m'avait dit qu'il avait vu un homme étrange et ce dernier lui avait dit une sorte de phrase absurde du genre "Quand les deux parties seront soignées, alors elles pourront se rejoindre". Pour moi, cela restait du pur charabia et pour Jonathan aussi d'ailleurs. Qui était cet homme et qu'est-ce qu'il voulait dire ? Pourquoi tout le monde nous compliquait la tâche ?

— Ah... Prête ? dit Jonathan, en me regardant.

— Allons-y.

Nous pénétrions dans le restaurant qui n'était pas trop bondé, mais nous devions quand même faire la queue à cause des deux personnes se trouvant devant nous. C'était un couple tout ce qu'il y avait de plus normal. Ils avaient l'air très amoureux. La femme demanda, à la personne derrière le comptoir, une chambre pour deux -étant donné que ce restaurant faisait également office d'hôtel- et nulle envie de savoir ce qu'ils allaient bien fabriquer.

— Désolé, mais aucune chambre n'est disponible, dit le jeune homme.

La femme jeta un rapide coup d'œil derrière le jeune apprenti et fit une moue

— Pourtant il vous reste une clé non ? La chambre 206 n'est pas occupée.

— Oh, cette chambre ? fit-il. La clé que vous voyez est l'unique exemplaire, la deuxième ayant été volée, il y a un mois environ. Et puisque les couples qui viennent ici ne veulent pas toujours courir l'un après l'autre, nous ne proposons plus cette chambre jusqu'à l'arrivée de la nouvelle clé.

— Vous vous fichez de nous ? grogna l'homme. Ça fait un putain de mois que cette clé a été volée et vous n'avez toujours pas le double ?

Il mentait. L'apprenti mentait. Il y avait une autre raison, mais laquelle ? Pourquoi cette chambre ne pouvait plus être réservée ? Kalie, tu as déjà assez de problèmes, ne te mêle pas des autres.

— Calme-toi... chuchota la femme.

Le mari susurra quelque chose à son oreille, et la femme afficha un léger sourire la minute d'après.

— On la prend quand même ! déclara-t-elle. Vous n'allez quand même pas refuser cela ?

Elle sortit une liasse de billets et l'homme de la réception déglutit puis nous jeta un coup d'œil rapide.

— Finissons-en, déclarai-je. Prenez l'argent et donnez-leur cette foutue chambre.

— Kalie, chuchota Jonathan.

Il empocha l'argent et leur donna la clé. Ce n'est pas trop tôt.

— Désolé, mais cette fois-ci, je n'ai vraiment plus de chambre.

— Nous ne voulons pas de chambre ! dit-on en cœur.

Il nous dévisagea un moment en voyant nos dégaines assez étranges puis poursuivit plus durement :

— Que voulez-vous alors ? questionna-t-il les sourcils froncés.

— Parler à votre supérieur. Nous avions eu un dîner de classe il y a environ un ou deux mois de cela, le problème c'est que plusieurs de nos élèves se sont fait voler. Nous voulons régler le problème avec votre supérieur, termina Jonathan.

L'homme avait l'air sincèrement irrité, comme s'il avait su qu'on bluffait. Je commençai vraiment à m'impatienter. La température avait comme soudainement grimpé dans mon corps, c'était tellement étrange. Peut-être que c'était le fait d'être dans le corps d'un homme qui faisait cet effet-là.

— Il n'est pas là pour le moment, revenez quand il sera là, dit-il agacé.

— Hé ! Je vous signale que grâce à nous vous avez empoché un paquet de fric. Il dirait quoi votre patron s'il savait que vous vous êtes fait acheter ? s'emporta Jonathan.

Trop c'est trop. Maintenant c'était moi qu'il avait agacé. La chaleur que je ressentais il y a quelques secondes avait décuplé en moi, tout mon corps était en sueur tellement, qu'on aurait pu croire que je venais sortir de la salle de sport. J'avais tellement chaud comme si j'avais mangé le piment le plus fort au monde. Je me sentis instable, sans aucun contrôle sur mes membres ou mes pensées. Cette chaleur était mêlée à la colère que j'éprouvais envers cet abruti. On allait voir le chef.

Et maintenant.

Je sautai littéralement par-dessus le comptoir jusqu'à atteindre l'homme en face de moi. D'où m'était venue cette force ? Pourquoi mon cerveau ne m'obéissait plus quand je lui disais d'arrêter ? Je ne savais pas, mais une chose était sûre, je ne contrôlais plus rien. À l'aide de mon pied, je poussais l'homme à terre et le pris par son col. L'expression qu'il arborait était de la peur mêlée à de la certaine colère qu'il ne pouvait pas exprimer parce que sinon j'allais vraiment m'énerver.

— Écoute-moi bien, enfoiré. Je me fiche de ce que tu penses où de qui tu es. La seule chose que je veux c'est voir ton patron et maintenant ! criai-je.

Encore une fois sans me rendre compte la pièce se mit à trembler, je devais me calmer, mais c'était impossible. Je ne contrôlais absolument plus rien.

— Kalie ! cria Jonathan. Kalie, écoute-moi.

Il posa ses mains sur mes épaules et ce contact m'apaisa de suite. La rage qui bouillonnait en moi s'estompait au fur et à mesure. Si Jonathan n'avait pas été là...

— Qu'est-ce que c'est que tout ce raffut ?

Jonathan me fit lâcher le col du jeune homme à terre et m'aider à me relever doucement. De nouveau, je me sentais vidée de mes forces, mon énergie était quasi-inexistante et mon teint devait sans doute être très pâle.

— Vous vouliez me parler ? Nous allons parler, dit l'homme d'une voix apaisante.

— Excellente idée, fit Jonathan.

Il avait environ soixante-dix ans à tout casser et était vêtu d'un habit traditionnel chinois. Je me souvenais de lui, il nous avait accueillis lors du dîner de classe, mais il était reparti aussi vite. Sa moustache bouclée sur les extrémités lui donnait un visage assez comique, néanmoins, il avait une force, une aura qui calmait tout autour de lui. C'était comme si, on se devait de le respecter.

Nous marchâmes derrière lui à petite allure tout en jetant des coups d'œil aux alentours. L'espace n'avait pas changé, sauf que la grande table qui avait été installée pour notre classe avait été remplacée par d'autres petites tables ce qui rendait la pièce un peu plus grande que d'habitude.

Il s'arrêta et nous fit signe d'entrer dans son bureau. Ce dernier était très spacieux surtout en ce qui concernait sa longueur. Une grande baie vitrée faisait office de mur tout au fond de la pièce ce qui offrait une luminosité incroyable. Chaque étagère longeait un des trois autres murs contenant un nombre incalculable de livres. Nous décidions de nous asseoir sur le canapé disposé au centre de la pièce. Quant au vieil homme, il s'assit sur l'autre canapé, nous faisant désormais face.

— Je m'appelle Xio Yi, commença-t-il. Que peux-je faire pour vous ?

— Je m'appelle Ka... Jonathan Byler et voici Kalie mon amie, je voulais savoir si vous aviez remarqué quelque chose de bizarre durant notre dîner classe dans votre restaurant.

Il hésita un instant puis me dit clairement :

— Que voulez-vous dire par quelque chose de bizarre ?

— Voilà, moi et mon ami avions comment dire... de vagues souvenirs de cette soirée. Est-ce que vous pouvez nous dire à quelle heure nous avions quitté le restaurant ? Non... Est-ce que vous vous souvenez de cette nuit en général ? demandai-je.

Il sembla réfléchir pendant un instant avant de répondre à ma question.

— Vous jeune homme, vous avez quitté la soirée aux alentours de minuit. Vous étiez plutôt sobre.

— Sobre ? le coupa Jonathan, le vrai.

Je lui donnais un coup de coude discret et il se tut de suite. Si Jonathan avait quitté la soirée sobre, pourquoi ne se souvenait-il de rien ? Toute cette histoire devenait de plus en plus complexe.

— Quant à vous mademoiselle, dit-il, en s'adressant à la fausse Kalie, je ne vous ai pas vu partir... Oh, vous savez, je me fais vieux et j'ai l'impression de n'être d'aucune utilité. Je ferais mieux d'amener du personnel pour que l'on puisse éclaircir cette affaire. D'autant plus que je ne suis venu qu'au début pour vous saluer puis je suis rentré quand votre ami est parti.

Quelque chose clochait, nous n'avancions à rien. Nous étions ici dans l'espoir de trouver des réponses. Mais j'avais bien peur que nous n'en trouvions jamais.

Jonathan commença à faire les cent pas dans la pièce sous les yeux intrigués de Xio Yi. J'essayais de lui expliquer la situation du mieux que je pouvais, mais il n'avait pas l'air de s'en souvenir, ni même de savoir ce que je voulais réellement. Il me répétait n'auriez vous pas plus de détails ? Oui, j'en ai énormément, mais si je vous les disais vous me mettriez dans un asile de fou.

Je me levai et rejoignis Jonathan qui s'était arrêté près d'un petit comptoir et laissa Xio Yi patienter un instant. C'était comme si nos rôles étaient inversés. Jonathan n'était pas de nature stressée même si la situation laissait place à toutes sortes d'émotions. Jonathan était du genre colérique, il exprimait ce qu'il ressentait. Mais maintenant, ce n'était plus le cas. Comme si notre corps empiétait sur notre mental.

— Jonathan, et si on était venu au mauvais endroit ? Si on avait faux sur toute la route ? le questionnai-je, à voix basse.

Un grand silence était ma réponse. Je le fixai bizarrement quand je vis qu'il était en train d'arborer un sourire.

— Kalie, on est au bon endroit...

— Comment ça ?

— Regarde, dit-il, en me tendant une photo.

Deux hommes se tenaient debout, une canne à pêche chacun. Sans difficulté, je pouvais reconnaître Xio Yi, il souriait de toutes ses dents. Mais l'homme à ses côtés m'était inconnu. Plus bas sur la photo était marqué :

Pour mon cher frère.

— Cet homme... c'est lui qui était dans ma vision. On est au bon endroit Kalie.

Il se précipita vers l'homme qui nous attendait patiemment et lui tendit la photo. L'expression du vieil homme se noircissait et celle de Jonathan aussi d'ailleurs. Mais je ne savais pas que ce qu'il s'apprêtait à dire allait faire l'effet d'une bombe.

— Je... je connais votre frère.

Il ne laissa pas Xio Yi répondre qu'il enchaîna.

— Ce que je vais vous dire va vous paraître dingue, mais je vous en prie, écoutez-nous.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? grinçai-je entre mes dents.

— On n'a plus rien à perdre, Kalie.

Le vieil homme écarquilla les yeux. On était bon pour l'asile maintenant.

— Vous m'avez bien entendu. Je suis Jonathan et elle c'est Kalie.

Il s'arrêta un instant et reprit :

— Et nous avons terriblement besoin d'aide. 

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