CHAPITRE 15
Qu'est-ce qu'il fait froid ! C'était la première pensée qui percuta mon esprit. Pour un mois de décembre, c'était normal, mais quelque chose clochait, j'étais où exactement ? Je regardais autour de moi et petit à petit, je percevais mieux les alentours, ou du moins je percevais mieux le vide qui se présentait sous mes yeux. Rien d'autre qu'une traînée de brouillard et un paysage triste.
Il n'y avait pas de soleil ou de pluie, il n'y avait rien, juste une pièce immense qui paraissait interminable. Mais il y avait autre chose qui clochait. Je regardai mes mains et me touchai le corps. C'était le mien, le vrai, celui du vrai Jonathan. Alors ça voudrait dire que j'aurais retrouvé mon corps ? Et donc Kalie...
— Kalie ! criai-je.
La seule réponse était un écho de ma propre voix. Et puis d'un coup, tout me revint en mémoire d'un seul coup, la dispute, les cris, et l'explosion finale. Je me souvenais de m'être comporté comme un connard de première avec Kalie. Toutes ces horreurs que je lui avais dites m'étaient restées en travers de la gorge, je ne savais pas que je possédais un tel niveau de méchanceté. Sans le moindre remords, j'avais utilisé ses sentiments, qu'elle éprouvait dans le passé, pour moi et je lui avais ouvertement dit que sa meilleure amie l'avait trahi et qu'elle était juste pathétique.
Un vrai connard.
Mais sa réaction était étrange, elle était très en colère et je pouvais jurer que ça n'avait rien à voir avec Victoria. Elle n'était pas aussi proche d'elle pour la défendre d'une telle manière. On aurait dit qu'elle éprouvait une sorte de jalousie...
Tu dis n'importe quoi Jonathan, Kalie n'est pas et ne sera plus jamais amoureuse de toi.
Maintenant la question était de savoir ce que je faisais ici. Et c'était où ce ici ? La façon dont j'étais habillé était d'autant plus étrange. Je portais une sorte de robe d'hôpital et elle se mariait très bien avec le décor de par sa couleur et sa laideur. Mais où est-ce que j'étais tombé enfin ?
Des bruits.
Des rires.
Je m'approchais vers ces derniers et une lumière devenait de plus en plus vive à mesure que je m'approchais d'elle. Une vitre transparente se présenta à moi et ce que je vis me glaçai le sang.
Je me voyais moi, Kalie et tout le reste de la classe dans ce fameux restaurant. Qu'est-ce que c'est que ce bordel encore ? Il fallait que je me calme, après tout c'était peut-être un rêve. Je me rassurais en me répétant ces mots.
Mon regard balaya la pièce jusqu'à ce que mes yeux se posèrent sur Kalie, je devais avouer, elle était belle dans cette tenue, mais je ne pensais pas que cette vision avait pour but d'admirer le corps de Kalie. Si j'étais ici devant cette scène c'était que le destin voulait me faire signe, me dire quelque chose. Mais quoi ?
— Coca s'il vous plaît !
La voix de Kalie résonnait interminablement dans la pièce où je me trouvais comme ci elle se trouvait avec moi et puis le temps s'arrêta d'un coup sur cette scène. Plus de bruits ni de rires. Il n'y avait qu'un silence inquiétant, perturbant et oppressant. Je me rapprochais de plus en plus de cette fameuse vitre, mais c'était bien plus que ça.
Avec appréhension, je tendis une main vers cette substance inconnue et quand je vis qu'elle était passée à travers, je la retirais de suite.
— N'aie pas peur Jonathan, tu peux le faire.
Avec, cette fois-ci, un peu plus d'assurance je tendis la main et la laissai traverser la substance étrange. Ce n'était pas dur et résistant comme une vitre, mais ce n'était pas non plus visqueux et totalement liquide.
On aurait dit que ma main traversait un chewing-gum géant, mais en plus épais et surtout transparent. Après avoir fait passé mon bras entier, je fis passer le reste de mon corps. En rouvrant les yeux, je me retrouvais de l'autre côté, en d'autres termes, dans le restaurant. Mais quelque chose avait changé, le temps s'était comme... figé. Il y avait toujours du mouvement, mais c'était extrêmement lent.
— Wow... chuchotai-je.
J'étais passé à travers une espèce de portail et une sensation anormale s'empara de mon corps tout entier, mais petit à petit, la douleur se dissipa elle-même ne devenant plus qu'un mauvais souvenir. D'habitude je ne paniquais pas mais là, il n'y avait pas d'autre alternative. J'étais coincé dans une sorte d'univers parallèle vêtu d'une robe d'hôpital et tout ce que j'avais comme moyen de défense était un vide immense !
Inspire. Expire.
En essayant d'avancer dans la pièce, mes pas étaient devenus très lourds d'un seul coup, comme si le temps n'allait pas tarder à reprendre son cours. Je devais faire vite, si j'avais eu la chance de rentrer ici, c'était forcément pour une raison. Il fallait que je trouve la clef de ce qu'il s'était passé cette nuit-là.
Il fallait que je me concentre sur Kalie et moi. Elle avait demandé du coca, le verre était maintenant au tout début de la table... où j'étais placé. Kalie avait les yeux rivés sur son téléphone donc ce n'était pas elle que je devais observer, mais moi-même.
Je me dirigeai vers mon double et me plaçai derrière son épaule et sans que je ne sache comment ni pourquoi, le temps qui semblait figé, revint à la normale. Les rires fusaient dans l'enceinte de la pièce, mais personne ne fit attention à moi, comme ci je n'existais pas vraiment. Mon attention se redirigea vers mon double et c'était avec intrigue que j'assistais à la scène suivante.
Tout était de ma faute.
J'avais pris le gobelet de Kalie. C'était moi qui l'avais drogué ? Non ce n'était pas possible, jamais je n'aurais été aussi fou pour faire quelque chose d'aussi stupide ! Pourquoi ?! Mais qu'est-ce qui m'avait poussé à faire une chose pareille ?
Et puis une avalanche d'émotions avaient fait leur apparition en moi. Enfin une seule en particulière : la colère. C'était ça qui m'avait poussé à la droguer. Quand elle avait saboté le gymnase et par la même occasion, les qualifications pour lesquelles je m'étais entraîné comme un acharné, j'avais ressenti cette rage contre Kalie.
Mais ma colère n'était pas réellement dirigée envers Kalie à ce moment-là, je le sentais. Elle était envers la personne qui m'avait abandonné. Et j'avais passé toute cette rage sur une fille innocente en prenant comme excuse l'incident du gymnase.
J'étais dégoûté de moi-même, je ne pouvais vraiment plus supporter cette situation. J'avais tenu bon jusqu'ici, j'avais vraiment tout donné. Mais j'arrivais à saturation. Comment est-ce que j'allais dire ça à Kalie ? Après les courses de voitures puis ce que j'avais fait avec Sydney, et puis ça. Kalie ne me pardonnera jamais.
Pour la toute première fois, je laissais des larmes m'échapper sans aucun contrôle. Un homme qui pleure c'est vraiment pathétique n'est-ce pas ? Il devait se montrer fort, avec un mental d'acier mais tout ça c'était des mensonges.
Je m'écartais de l'autre version de moi, l'autre Jonathan. Mais pourquoi est-ce que je continuais à le différencier de moi-même ? On était pareil et cet homme qui était assis en costard cravate sur cette chaise c'était moi. Kalie ne voudra plus jamais entendre parler de moi.
Je me collais contre le mur et glissais tout le long, ma tête entre mes mains. Je tirais un peu sur mes cheveux par colère, haine et déception. Si Kalie se trouvait dans cette situation c'était de ma faute. Et le pire, c'était qu'après lui avoir mis je ne savais quoi dans son verre, je ne me souvenais de rien du tout. Qu'est-ce que je lui avais fait ? Je ne voulais pas me l'imaginer.
— La vérité blesse, n'est-ce pas ?
Une voix d'un homme assez mûre me parvint aux oreilles. En premier, ce n'était que quelques mots étouffés par mes larmes que j'entendais, mais en levant la tête la voix devint plus clair et le visage de l'homme également.
Il avait l'air vieux, ses cheveux blancs fins ainsi que sa fine moustache blanche en témoignait. Il avait définitivement des origines asiatiques avec ses yeux plissé et la façon dont il était habillé, une tenue traditionnelle asiatique qui était composée d'une chemise rouge avec des inscriptions que je peinais à percevoir et un bas également rouge.
C'était peut-être une tenue typiquement chinoise, mais en réalité c'était le moindre de mes soucis de savoir de quelle origine il était, à vrai dire, j'étais plus intrigué par qui il était et comment il avait atterri à mes côtés.
— De quoi as-tu peur ? dit-il de sa voix usée.
Il arborait une expression simple, sereine, j'étais étrangement à l'aise avec lui alors qu'il s'agissait d'un simple inconnu et pourtant sa question concordait avec mes pensées ce qui ne me rassurait pas.
— J'ai peur de moi-même, admis-je. Vous voyez l'homme assis là-bas, celui qui me ressemble comme deux gouttes d'eau ? Il a fait quelque chose d'horrible, mais je ne m'en rappelle pas. Ses actes sont les miennes, ses paroles sont les miennes et pourtant je ne m'en souviens pas. Je ne me souviens de rien.
— Ne pas souvenir de quelque chose dépend du cerveau humain. Parfois, on enferme des souvenirs dans son subconscient pour ne plus se faire du mal. Mais la vérité finie toujours par éclater.
— Mais qui êtes-vous ? demandai-je, finalement. Et où sommes-nous ?
— Qui je suis ? dit-il, en réfléchissant. Je suis juste un vieil homme qui s'ennuie dans sa vie ou du moins dans l'après-vie.
— Comment ça l'après-vie ?
Est-ce que j'étais mort moi aussi ? Si on se trouvait tous les deux dans la même pièce ça voulait dire que...
— Ne panique pas mon grand, tu es en sécurité et non tu n'es pas mort. Tu as encore beaucoup à apprendre, si tu te trouves ici c'est parce que tu avais besoin de réponse, du moins ton âme en avait besoin, mais tu es bel et bien vivant. Ce que tu portes, dit-il en désignant la robe hideuse, c'est ce qui te rattache à la réalité. Mais tu ne sembles pas vouloir y aller, et c'est ce qui t'empêche d'avancer.
Il avait raison, je ne voulais pas rentrer dans le monde réel, j'en avais déjà assez de tout ça.
— Oui, je ne veux pas rentrer vous avez raison. A quoi bon ? Si c'est pour ramener du malheur autour de moi ça n'en vaut pas la peine. De plus Kalie se portera bien mieux sans moi, elle n'a pas besoin d'un abruti dans mon genre à ses côtés.
D'un ton très calme et posé l'homme prit la parole :
— Si cette pensée te ronge autant, pourquoi tu ne demandes pas à Kalie ?
Je levai la tête vers lui et écarquillai les yeux. Kalie se trouvait là elle aussi ? Dans cet univers ?
— Attendez, comment je fais pour la retrouver au juste ? Et elle est où ?
— Jonathan... dit-il, essoufflé, elle est en toi et toi en elle, si tu veux la retrouver tu le peux. Ferme les yeux et pense à elle, imagine là dans ton cerveau, dessine chaque trait qu'elle possède pour lui donner une forme réelle. Et n'oublie pas, une fois que les pièces détachées sont soignées et réunies, la vie reprendra son cours.
— Qu'est-ce que cette phrase veut dire ?
— Juste retiens là, dit-il calmement.
J'essayais du mieux possible d'imaginer Kalie dans ma tête de penser à elle, mais pour l'instant rien ne marchait, mais il fallait persister, alors je continuais. Plutôt que de l'imaginer tout simplement, je décidais de la dessiner, comme si je la peignais sur un tableau vierge.
Je commençai par sa forme ovale du visage avec des joues légèrement creusées, puis continuai avec ses yeux verts et ses cheveux longs et épais. Il ne fallait pas oublier son petit sourire narquois qu'elle faisait quand elle avait gagné contre moi et la cerise sur le gâteau, le petit sourcil qu'elle arquait presque tout le temps.
C'était à ce moment-là que je sentais quelque chose me transporter vers une destination inconnue. Mes yeux étaient fermés, étant trop paniqué par cette sensation qui enveloppait chaque parcelle de mon corps. C'était étrange car, j'étais passé d'une fraîcheur extrême à une chaleur apaisante et réconfortante.
Quand j'ouvris mes yeux, un paysage splendide s'offrit à moi. Un couché de soleil, une mer calme, tout était mis en place pour un moment parfait. Mais c'était avant d'apercevoir à mes côtés des fleurs fanées à mes pieds et des arbres qui donnaient la chair de poule. Un autre détail était surprenant, j'étais maintenant vêtu de mes habits de tous les jours, soit, un jean et un t-shirt marron ainsi que des baskets.
— Tu comptes rester debout encore longtemps, Jonathan ?
Cette voix, je la reconnaîtrais entre mille.
— Kalie !
Je n'avais pas remarqué que cette dernière était assise sur un banc en face de la mer. Elle se trouvait de dos et je m'approchai pour mieux la distinguer. Ses cheveux étaient lâchés et elle portait une robe rose pâle qui, je devais l'avouer, la mettais plutôt bien en valeur. Elle était paisible, calme, son regard rivé vers l'horizon. Tout était si... parfait.
Je m'assis à côté d'elle, silencieux. Je ne voulais pas gâcher ce bon moment, cet unique moment, où ni elle ni moi étions préoccupé par nos ennuis. Mais mon regard ne faisait que de dévier en sa direction, me demandant à quoi elle pensait, me questionnant sur ce qu'elle avait pu traverser. Mais même si je mourrais d'envie de savoir ce qu'il se passait dans sa petite tête, je me disais qu'il fallait que je reste silencieux, jusqu'à ce que ce soit elle qui parle.
— C'est ironique n'est-ce pas ? finit-elle par demander. Un paysage si magnifique, alors que derrière moi, une obscurité inquiétante s'est forgée dans ma vie. Et pourtant l'être humain est comme ça. Il préfère se détourner de ses problèmes, de ses actes, de ses torts.
— Des torts ? Tu n'as rien fait de mal Kalie. Je me suis comporté comme une ordure avec toi, toutes les horreurs que je t'ai balancé et puis ce que j'ai fait avec Sydney. C'est une très longue histoire, mais Sydney et moi c'était une grosse erreur et c'était bien avant votre rencontre. Et puis, ce n'est pas tout, j'ai fait quelque chose de bien pire...
— Tu m'as drogué à la soirée ?
Je me retournais d'un geste vif vers elle, comment avait-elle su ?
— Ne prends pas cet air étonné Jonathan, j'ai également vu ce que tu m'as fait, mais la suite est erronée visiblement. Je ne peux pas accéder à tes souvenirs si toi-même tu ne t'en souviens pas. Et tu te trompes, j'ai fait des erreurs, tout comme toi.
— C'est faux ! Tout ça c'est de ma faute et pour être honnête, j'ai peur de savoir ce que je t'ai fait, j'ai peur d'être partie trop loin et que ma colère ait pu prendre le dessus. Si seulement je pouvais me souvenir de cette soirée, on ne serait pas dans un tel pétrin.
— Tu ne m'as rien fait, du moins ce n'est pas quelque chose d'ignoble. Et si on a échangé nos corps ce n'est pas pour rien Jonathan. Quelqu'un veut qu'on trouve une sorte de réponse à nos problèmes, cette même personne nous a fait échanger nos corps pour une raison et puis je doute fortement que tu sois si inhumain que tu le penses. Si tu m'avais réellement fait quelque chose, tu ne penses pas que toute l'école serait au courant ? Et pourtant, il ne s'est rien passé je me trompe ? Je te connais Jonathan, à chaque fois que tu m'embêtais tu aimais me mettre au centre de l'attention, mais pour le moment il ne s'est rien passé, alors j'essaye de rester positive et de me rassurer en quelque sorte. Tu devrais en faire autant.
Elle n'avait pas tort, si jamais j'avais fait quelque chose à Kalie je l'aurais immédiatement crié sur tous les toits et pourtant ni Justin ni Jason n'avait fait de remarque ce qui voulait dire que peut-être il restait une chance à mon égard. Je l'espérais vraiment.
— Et puis... reprit-elle, je ne suis pas totalement innocente dans cette histoire Jonathan. Moi aussi je t'ai empêché de participer à un événement très important de ta vie. Même si tu m'avais provoqué, je suis allé trop loin. Nos chamailleries ne sont plus de petites piques innocentes, mais de vrais disputes qui peuvent pousser des personnes à bout.
Elle s'arrêta un moment et reprit en me regardant droit dans les yeux et en posant sa main sur la mienne. Ce contact me fit vibrer pour une raison inconnue, j'avais vraiment l'air pathétique mais je restais de marbre. Depuis quand Kalie me fait autant d'effet ?
— A partir de maintenant Jonathan, si toi ou moi avons quelque chose sur le cœur il faut le dire. Si tu as fait une erreur, n'aie pas peur de m'en faire part. Pour Sydney, je n'avais pas le droit de te juger comme ça, je ne t'avais même pas donné la chance de t'expliquer, mais peu importe. A partir d'aujourd'hui il faut que l'on soit transparent l'un envers l'autre. Et n'oublie pas, les actes du passé sont les actes du passé, le but est de trouver la vérité et non de se disputer. Et cette fois-ci, je suis sérieuse Jonathan. Je compte sur toi et tu peux compter sur moi, sourit-elle.
Je ne savais pas si Kalie et moi allions un jour retrouver nos corps, si un jour nous allions découvrir le fin mot de l'histoire. Mais j'étais sûr d'une chose, c'était qu'après ce qu'il venait de se passer, Kalie et moi allions ressortir plus soudés et plus sereins, car pour une fois nous nous étions vraiment écouté, nous avions communiqué et nous nous étions compris. J'avais fait d'énormes conneries et ça je m'en rendais bien compte et même si je ne me souvenais de rien pour le moment, je m'étais promis de tout faire pour découvrir la vérité.
Et pourtant, c'était ce qui m'effrayait.
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