Le jour où Daniel a pansé son cœur

Italie, 2020

La cri de Daniel s'élève dans le ciel italien alors qu'il vient de remporter le grand prix de Monza. Après les disputes avec Max, après le changement d'écurie, après le choix mûrement réfléchi mais qui l'a tant fait souffrir, il est de nouveau sur la plus haute marche du podium. 

Ses yeux sombres scannent la foule comme ils l'ont fait des années plus tôt lors de sa dernière victoire. Ils finissent par tomber sur la personne qu'il avait alors cherchée sans la trouver. Devant le podium, Max est tout sourire à l'applaudir. Les souvenirs de sa déception à l'époque quand il ne l'avait pas trouvé remontent. Il essaie de le retrouver une fois la cérémonie terminée. Mais le néerlandais parait une nouvelle fois avoir mis les voiles. Un soupir lui échappe à cette vue. 

— Félicitations Daniel !! 

Il plonge dans les bras de Christian qui porte sur lui un regard paternel. Il referme ses bras un peu plus fort sur son ancien directeur d'écurie. La nostalgie l'étreint. Les victoires comme les défaites paraissaient toujours plus joyeuses quand elles se terminaient dans la masse bleu marine. Avec le temps, les déceptions et la tristesse semblaient avoir disparu alors que l'australien a finalement compris que l'herbe n'est pas forcément plus verte ailleurs. 

Mais chez McLaren et Renault, il ne se dispute pas avec Max. Chez eux, il ne le blesse pas. Chez eux, il ne termine pas en larmes à cause du mal qu'ils pouvaient se faire. Chez eux, Max est devant le podium à l'applaudir et pas à lui échapper. 

Mais chez eux, Max lui manque, chaque jour un peu plus. Les mois ont passé, mais Max n'a pas changé. Il semble toujours lui en vouloir pour son départ, pour ce jour où il a fait passé son bonheur avant le sien mais où il a égratigné leurs deux cœurs au passage. Et Daniel n'est pas bien certain qu'ils puissent être réparés. 

L'alcool anesthésie légèrement ses sens alors qu'il rentre de la boite de nuit où il vient de fêter sa victoire. A plusieurs reprises, il s'est surpris à chercher le blond avec qui il a fêté toutes ses dernières victoires. Et puis la réalité l'a rattrapé. Max n'a rien à faire à une soirée où son équipe n'est pas présente, encore moins après sa course ratée de son côté. Il écrase la pensée qu'à l'autre bout de la ville, Max est peut-être en train de pleurer caché après s'être fait réprimander par son père. 

Il se rattrape au mur avant de glisser sa carte dans la serrure de sa chambre d'hôtel. Il enlève ses chaussures sans même les délacer dans le petit hall d'entrée, les envoyant valser plus loin. Il se dirige vers le lavabo pour avaler de grosses gorgées d'eau, réhydratant son palet et sa gorge asséchée par les whisky avalés en compagnie de l'intégralité de l'écurie rêvant depuis des années de la victoire qu'il leur a offerte. 

Quand il allume la lumière de son salon, il fait un bond en arrière, lâchant un léger cri de peur. Il ne lui faut quelques secondes pour identifier le corps endormi sur son canapé. Son cœur se met à battre à tout rompre à cette vue, malgré son envie d'en garder le contrôle. 

Il s'approche lentement du rêveur qui a les bras agrippant la petite couverture recouvrant son corps à la peau pâle et la tête enfouie dans un des coussins pourtant bien peu confortables. Il prend le temps de l'observer après des années à ne plus avoir vraiment droit à cette vue. L'air est expiré de sa bouche légèrement entrouverte et sa respiration est forte. A l'époque, il se moquait toujours de sa façon de respirer si fort. 

Les traits paraissent si apaisés et le néerlandais si détendu qu'il hésite longtemps avant de se résoudre à le réveiller. Il jette un léger coup d'œil à son téléphone pour connaitre l'heure. Il est trop tard à son goût pour le tirer de son sommeil paraissant si profond, mais il s'en voudrait si le plus jeune ratait son avion parce qu'il l'avait laissé continuer de dormir. 

Il s'accroupit à son niveau. Ses doigts se posent délicatement sur sa joue. Il les laisse traîner lentement. 

— Il va falloir se réveiller chaton. 

Un grognement embrumé lui répond, lui arrachant un léger rire. Mais le corps bien que bougeant légèrement reste perdu dans le monde des songes. Un sourire attendri s'installe sur ses lèvres alors qu'il voit ses poings se refermer un peu plus fortement sur la couverture. 

— Maxy. Il faut se lever sinon tu vas avoir mal partout. 

Il le secoue doucement, certainement bien trop, parce que cela prend plusieurs minutes de membres remuant avant que les paupières s'entrouvrent et qu'il puisse plonger dans le regard océan. Les yeux clairs sont embrumés et il ne se lasse pas de voir ses paupières papillonner avant que le regard finisse par s'éveiller et se fixer dans le sien.

— Heya chaton, je suis rentré. 

C'est un simple murmure. Les lèvres qui lui font face s'étirent en un léger sourire alors que le blond tente de se redresser. 

— Danny. 

Le silence se fait quelques secondes alors qu'il ne sait pas vraiment quoi dire après des mois à ne pas vraiment aller le voir. Parce que Christian lui avait interdit de lui parler et qu'il s'était dit qu'il lui dirait quand il aurait le droit de le refaire. Mais l'anglais ne l'avait jamais fait, et Daniel avait compris à quel point il l'avait profondément blessé. 

Et cette nuit-là, pour la première fois depuis des mois, la lueur qui lui donnait l'impression d'être si important qui brillait toujours dans les yeux de Max quand il le regardait avant semblait être de retour. Quand il l'aperçoit, il sent son cœur faire un tour, car peut-être que Max sera enfin de retour. La main quitte le plaid et s'étend dans sa direction. Des doigts se posent sur sa joue alors qu'il est resté au niveau du canapé où le néerlandais est toujours à moitié à allongé.

— Félicitations. 

La voix est faible, cassée par le sommeil qui y est encore présent. Il regarde quelques secondes Max qui ne le quitte pas des yeux. 

— Comment t'es rentré ici chaton ?

— Lando m'a dit où vous étiez et Michael m'a ouvert. T'étais le plus fort !

En face, les prunelles se ferment à intervalle régulier alors que le pilote Red Bull semble lutter contre le sommeil qui veut le remmener dans le monde des rêves. Il se demande combien de temps Max l'a attendu pour le féliciter avant de s'endormir comme une masse sur le canapé. 

— Merci. T'es épuisé Maxy, on va aller dormir. 

 — C'est la nuit ? 

Il lâche un petit rire quand les yeux azurés se font étonnés. 

— Oui c'est la nuit chaton, je viens de rentrer de boite de nuit. On parlera demain si tu veux ?

Il n'est pas sûr de la réponse qui va lui être donnée. Parce qu'il ne sait plus jamais comment le blondinet va réagir désormais. Il est distant la plupart du temps, mais parfois, il lit encore dans son regard tout ce qu'il y avait lu le jour où il l'avait repoussé. Et ça le détruit à petit feu, cette idée que Max l'attend quand il ne faudrait pas. Pourtant, Daniel sait qu'il pense bien trop souvent à ce baiser et ce qu'il signifiait certainement. 

— Tu partiras pas ? 

Son cœur se comprime à la pensée que Max n'a toujours pas compris ses raisons. A cette idée que le blond croit toujours qu'en quittant Red Bull, il l'a abandonné, alors qu'il lui a tout laissé. 

— Non, je partirai pas. 

— D'accord alors. 

Il attrape les mains pour l'aider à se relever. Le corps bascule légèrement en avant une fois le néerlandais désormais un peu plus grand que lui debout et il le réceptionne dans ses bras. Immédiatement les bras du plus jeune se referment autour de lui.  

— Tu m'as manqué Danny. 

Il ne répond rien, préférant se concentrer sur son cœur prêt à sortir de sa poitrine tant il bat fortement. Max est trop endormi pour avoir les pensées pleinement claires. Il le guide à travers la chambre d'hôtel. Il le regarde s'emmêler les doigts alors qu'il essaie de retirer ses chaussures, sa tête basculant régulièrement vers l'avant au gré du sommeil le rattrapant. 

— Laisse-moi faire chaton. 

Quelques secondes plus tard, le blond est emmitouflé sous la couette, les yeux déjà pratiquement fermés sur son oreiller alors qu'il fouille dans sa valise à la recherche d'un T-shirt et d'un short dans lesquels passer la nuit. Il s'éloigne, quittant la pièce pour le salon et le canapé peu confortable. 

— Danny. Tu vas où ? 

— Je... 

— Reste. 

L'air implorant de Max a raison de lui. Les doigts glissent dans sa main, venant s'entrelacer aux siens. Il les sent glissant là où il a un petit tatouage. 

— Est-ce que ça fait mal ?

Lorsque sa réponse négative tombe, il sait que Max est déjà endormi. 

La sensation d'être observé réveille l'australien le lendemain matin. Lorsqu'il ouvre ses prunelles sombres, il voit le sursaut et l'éclat bleuté détourné par le blond qui semblait en pleine inspection des tatouages trainant sur son bras passé au-dessus de la couette grise parcourue de fins traits vert forêt. 

— Bien dormi ?

La tête est hochée lentement alors que les joues rougies lui apparaissent pleinement. Il finit par comprendre ce qu'il va se passer quand la main s'approche de son bras pour finalement se poser sur les traits finement tracés à l'encre noire. 

— Il est nouveau ? 

— Oui. 

Il laisse le silence les envelopper alors que les prunelles océan détaille les contours du nouveau dessin. Il se souvient de l'époque où il était la première personne à qui il les montrait. Parfois, il lui demandait même son avis avant, pour être bien certain que ce qui viendrait graver sa peau plairait à son jeune coéquipier. Ce n'est pas le cas cette fois et il a stupidement peur que son nouveau tatouage ne plaise pas à Max. Il n'a pas envie qu'il n'apprécie pas quelque chose marqué sur lui. 

— Il est magnifique. 

Son sourire s'élargit et Daniel resplendit. Il fait trainer ses doigts dans les mèches blond foncé, les ébouriffant encore un peu plus. 

— Tu veux manger ?

— Je peux ? 

La voix est incertaine et elle lui arrache l'organe vital. Cela fait des années qu'il n'a pas vu son ami aussi hésitant autour de lui. Des années alors qu'il ne pense qu'au bonheur que c'était quand il le trouvait sur le pas de sa porte sans l'avoir invité, qu'il rentrait dans son motorhome est qu'il y était endormi, quand il lui mettait des messages lui demandant de passer sans réellement lui laisser la possibilité de ne pas accepter. 

— Oui tu peux petit-déjeuner ici chaton.  

Il observe le blond croquer dans la tartine qu'il vient de lui servir. Il ne parvient pas à détourner le regard à chaque fois qu'il fait trainer le bout de sa langue sur sa lèvre pour en attraper les miettes. Dès qu'il relève ses iris vers lui et lui adresse un sourire, il a l'impression que son monde chavire. Il fait une petite blague, et son cœur se gorge de bonheur, il avait oublié à quel point une des choses qu'il préférait était de parvenir à le faire rire. 

— Ça a été après ta course hier ? 

La tête est faiblement hochée. Une petite moue embêtée traine sur son visage un peu attristé. 

— Ton père était pas trop énervé ?

La question lui brûle tant la langue qu'il ne peut s'empêcher de la poser. Parce qu'il a envie de le presser fortement dans ses bras si cela a été le cas. 

— Je sais pas, il est plus invité et je l'ai bloqué sur mon téléphone. 

Le regard est détourné, comme si le néerlandais n'a pas envie d'en parler. Il n'insiste pas. Mais l'espoir nait qu'il ait enfin compris. Parce que Max mérite d'uniquement briller aux yeux de ceux qui lui veulent du bien, sans être constamment rabaissé.

— Est-ce que j'ai un problème ? 

La question le prend de cours. Alors qu'ils sont en train de débarrasser la table, reprenant bien vite leurs anciennes habitudes, l'air sur le visage de Max s'est fait sérieux. 

— Un problème, un problème comment ? 

— Je sais pas. Un problème qui fait que personne sera jamais vraiment mon ami ou m'aimera.

La foudre semble s'abattre sur Daniel alors que le regard triste se lève vers lui. 

— Alex part aussi. Pierre est parti. Maman et Vic sont parties. Même toi t'es parti alors que... 

 Les mots non prononcés résonnent dans son esprit. Le alors que t'avais promis qu'il laisse en suspens pour ne pas rappeler la douleur de la trahison. Il peut voir l'eau gorger petit à petit les yeux clairs. Il attire le blond contre son cœur. 

— Le problème Maxy, c'est certainement que Christian t'aime un peu trop. 

Il glisse ses doigts dans les mèches, les portent à la jonction entre la base de sa chevelure et son cou, là où il sait pertinemment que cela calme le néerlandais. Il ne sait pas comment lui dire sans le vexer à quel point la place qu'il prend chez Red Bull est immense, encombrante. A quel point, il y est un si grand soleil que rien d'autre n'y brille en comparaison.

— Mais c'est pas de ma faute. Et Christian t'aimait aussi beaucoup. Il voulait pas que tu partes.

Il pince ses lèvres, ne sachant pas réellement comment aborder le sujet sans trop en confier. Comment lui expliquer qu'il était en train de lui briser le cœur à chaque course perdue tant ils voulaient la même chose sans pouvoir tous deux l'obtenir. Comment lui dire sans se mettre ses sentiments en danger à quel point savoir qu'il lui avait fait du mal inintentionnellement l'avait blessé.

— Il fallait que je change chaton. Je t'ai fait du mal à Baku et on s'en serait refait. Et j'avais tout sauf envie d'être celui qui t'aurais blessé. 

Il l'éloignement légèrement, plonge ses yeux dans ceux l'observant. 

— Tu comprends Maxy ?

Ses yeux luisent étrangement et il se retrouve bientôt enveloppé dans une forte étreinte. La tête s'enfouie dans son cou alors que leurs torses sont puissamment plaqués l'un contre l'autre. Il sait avant même la réponse ce qu'elle va être.

— Je crois.  

Après presque deux ans de vie sans Max, il vient de revenir telle une tornade dans sa vie, entrainant tout sur son passage et chamboulant toutes ses certitudes. Parce que malgré cette soirée quelques mois plus tôt, il n'avait plus eu la moindre preuve que Max l'appréciait encore un peu. Mais ce jour-là, il a fallu que quelques mots pour qu'il se réinstalle confortablement dans sa vie et que son cœur abimé par les disputes et la distance soit pansé. 

Max quitta l'hôtel de Daniel le cœur gonflé de joie. Après de longs mois, il avait pu de nouveau plonger dans ses bras. Quand il pensa aux raisons évoquées, il espéra fortement ne pas en faire une mauvaise interprétation qui le mènerait à une fausse joie. Il écrasa cette pensée, se convainquant qu'à présent, il allait de nouveau pouvoir profiter dès qu'il le voudrait de la chaleur de son étreinte et de la douceur de ses doigts.

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