Le jour où Daniel a donné son cœur
L'attente est interminable. Lando l'a rejoint et tente de le divertir mais lorsqu'il le regarde et l'écoute, il n'entend et ne voit que son inquiétude. Celle qu'il essaie sans succès de lui dissimuler. Loin de s'intéresser à son jeune coéquipier, ses prunelles sombres suivent les mouvements de Christian au loin.
L'anglais est engagé dans une conversation animée au téléphone. Lorsqu'il finit par reposer son portable dans sa poche de veste, le cœur de Daniel repart un peu plus. Parce que sur le visage aux traits toujours sombres, il peut lire un semblant d'espoir. Il n'a pas regardé les vidéos. Elles tournent pourtant en boucle depuis un moment. Mais il n'est pas sûre de pouvoir en supporter la vue.
Il n'y a rien qu'il déteste plus que de voir Max souffrir. C'était le cas lorsqu'il n'avait que dix-sept ans et qu'il le suivait partout dans le paddock. Ça n'a pas changé avec les années. Max a beau entasser les victoires et les trophées, il restera toujours cette personne qu'il ressent un besoin viscéral de soutenir et de protéger.
Les yeux bleus plongent dans les siens et il se sent être suspendu aux mots qui vont s'échapper de la bouche de blond à la tête de l'écurie au taureau rouge. Il craint les phrases qui vont être prononcées, mais il sait que jamais Christian ne lui mentira. Il lui dira tout ce qu'il sait sans tourner autour du pot. Son honnêteté est certainement sa plus grosse qualité, même si elle peut blesser.
— Il s'est réveillé dans l'ambulance.
Un soupir de soulagement lui échappe. La main se porte alors à son épaule qui se fait légèrement presser.
— Ses blessures sont sévères. Ils ne savent pas pour l'instant s'il est tiré d'affaire, ni l'étendue des dégâts.
Il déglutit. Ce ne sont pas les mots qu'il désirait entendre. Il veut des bonnes nouvelles. Des nouvelles lui indiquant qu'il est soigné, qu'il va bien, que Max n'est pas à l'article de la mort ou à souffrir le martyr.
Le silence s'installe quelques secondes. Il note les traits qui s'interrogent, qui semblent ne pas savoir comment continuer.
— Il passe au bloc dès qu'il arrivera là-bas.
Il a un léger mouvement de tête. Il est suspendu à la suite, attendant les phrases qui semblent ne pas vouloir échapper à son ancien directeur d'écurie.
— Et, je... Est-ce que tu pourrais voir avec Zak ? Parce que...
Il ne comprend pas les hésitations.
— Voir ?
— Oui, euh. Pour rester ici. Je...
— Accouche Christian.
L'énervement prend place alors qu'il n'est pas habitué à le voir si hésitant. S'il veut obtenir quelque chose de lui, qu'il le demande mais il est loin d'avoir l'envie de l'écouter parler en sachant son ami en souffrance ailleurs. Les paupières se ferment sur le regard qui lui fait face. Il lit la crainte qui traine dans les prunelles qui l'observent quand elles se rouvrent.
— Est-ce que tu peux voir avec Zak pour rester ici avec nous ? Je sais que c'est plus ton équipe, mais...
Le blond se gratte une seconde sa barbe légèrement présente avant de braquer ses iris sérieuses et graves dans celles brunes du pilote McLaren.
— Il t'a demandé, quand il s'est réveillé.
Le monde semble s'arrêter de tourner autour de l'australien alors que les mots s'infiltrent dans ses oreilles, son esprit, son cœur. C'est lui que Max a demandé.
— Oui, je vais rester.
Parce qu'il ne voit pas comment il pourrait partir alors que le néerlandais le veut près de lui. Parce qu'il ne voit pas comment il pourrait partir alors que le néerlandais qui a frôlé la mort a besoin de lui. Parce qu'il ne voit pas comment il pourrait dire non à cette demande de Max. Parce qu'il n'a tout simplement jamais su dire non à Max.
L'attente est interminable. Son pied droit bat de façon frénétique sur le sol alors que le stress et la crainte l'envahissent. Une main se pose sur son genou pour l'empêcher de continuer de bouger. Il tourne ses pupilles inquiètes vers Christian qui se tient à côté de lui.
— Tout va bien se passer, ne t'inquiète pas.
Pour la première fois depuis des années, Daniel ne croit pas celui qui lui a tout offert à une autre époque.
— Comment tu peux dire ça ? Il était inconscient quand il a été sorti de la voiture, on sait même pas dans quel état il va sortir de ce bloc.
Sa colère explose et plusieurs médecins, infirmières et aides-soignants se tournent dans leur direction. Il ne devrait pas se mettre en scène, encore plus dans cette situation mais sa terreur a complètement pris le dessus sur sa raison. Il sent la main se posant sur son épaule et appliquant une très légère pression. D'un mouvement brusque il la dégage. Il sait ce qu'est en train de tenter de faire le blond sur le visage duquel les marques du temps commencent à apparaitre et il ne veut pas de son geste de réconfort. Peut-être qu'il marchait quand il avait la vingtaine et qu'il venait de perdre une course mais c'est de la vie de Max dont il est question.
Deux mains viennent encadrer son visage. Elles se posent sur ses joues et forcent ses yeux à croiser ceux du père de famille.
— Tu as raison, mais j'ai confiance en eux.
Il s'apprête à s'éloigner mais la pression sur ses joues ne diminue pas et il comprend qu'il n'a pas fini. Il n'a jamais lu autant de sérieux et de gravité dans le regard bleuté qui ne le lâche pas.
— Promets-moi que tu seras là pour lui quoi qu'il se passe. Promets-moi que tu seras fort, que tu l'empêcheras de sombrer. Promets-moi que tu ne le lâcheras pas et que tu l'aideras à se reconstruire si nécessaire.
— Oui, mais Chris...
Il n'a pas le temps de finir sa phrase qu'il est broyé dans les bras du plus petit. Ce n'est que quand il se recule qu'il voit les larmes peuplant les yeux tristes et paniqués de celui qui considère le jeune pilote comme un fils. Parce que si Daniel lui a tout appris de la vie sociale et a réussi l'exploit de le sortir un peu de sa bulle uniquement centrée sur la formule un, Christian lui a appris tout le reste. Ils l'ont façonné à leur image et tous les deux l'ont pris à leur façon sous leur aile et protégé de tout ce qui pouvait le blesser. Cela consistait souvent pour l'anglais à prendre le rôle de figure paternelle positive qui manquait tant dans la vie du néerlandais tandis que lui était celui chargé de le consoler et le réconforter.
Il n'ose pas demander ce qu'il entend par le quoi qu'il se passe, ou la reconstruction. Parce qu'il n'a pas envie de connaître la réponse et les différents scénarii catastrophes qui troublent l'esprit de l'anglais. Alors il se contente de retourner dans son étreinte jusqu'au moment où un médecin les interrompt pour leur annoncer que Max est réveillé. Daniel suit une infirmière en direction de la chambre. Avant d'entrer dedans, il peut voir les deux autres hommes en grande conversation, l'homme à la blouse briefant certainement le directeur d'écurie sur le dossier médical.
Il pénètre dans la pièce froide. Il a toujours détesté les hôpitaux, leurs côtés aseptisés même dans le choix des couleurs. Les murs sont vert d'eau, pâles, tristes. Les dalles du plafond sont gris claires. Ça manque de chaleur, de joie. Mais il ne s'y attarde pas, son regard tombe immédiatement sur le blond allongé dans les draps blancs et recouvert d'une couverture d'un rose pâle et fade qui ne s'accorde pas du tout avec les murs.
Le choc le prend au corps quand il voit les bleus qui s'étalent sur son visage, son œil gonflé, sa chair marquée. Il reconnait à peine Max derrière ses traits bouffis et une envie de vomir et de quitter sur la champ la pièce le prend. Pourtant, il se fait violence, tente de reprendre contenance pour ne pas lui montrer son désarroi et s'avance un peu plus dans la pièce. Il déglutit, force son sourire tel qu'il le fait depuis le début de saison à la presse et espère que sa voix ne va pas trop trembler alors qu'il ouvre la bouche.
— Heya chaton.
En face, les lèvres tentent de s'étirer dans un faible sourire sans y parvenir. Il aurait tout donné pour entendre le blond lui répondre d'aller se faire voir avec ce surnom qu'il déteste tant officiellement.
— Dan...
La voix est faible, brisée, les traits paraissent épuisés. Son cœur se brise devant le bras et le poignet pris dans des plâtres et l'épaule maintenue serrée contre son corps par des scratchs. Il sent ses yeux qui se mettent à le piquer alors qu'il lit la douleur dans le regard pourtant brumeux de son ami.
— J'ai eu peur.
Il se jette sur le coin du lit et glisse ses doigts sur le bout de ceux de son cadet qui dépassent légèrement des bandages recouvrant ses mains. La réalité le fouette. Il a l'impression de se prendre une gifle en plein visage quand il réalise qu'il est en vie mais qu'il aurait pu ne plus jamais le revoir, ne jamais avoir pu lui dire à quel point il compte pour lui, lui dire qu'il ne lui en a jamais voulu pour Baku et que jamais il ne pourrait le détester comme il sait que Max l'a cru pendant des années malgré qu'il ait à de nombreuses reprises tenté de le rassurer. Lui rappeler à quel point il est fier de lui et de ce qu'il est.
— J'ai mal Dan...
— Chut Maxy, je vais appeler une infirmière.
Il effleure son visage légèrement de peur d'abimer encore un peu plus la marionnette brisée. Il prend le temps de l'observer un peu plus fortement. Si obnubilé par son visage tuméfié, il n'avait pas fait attention auparavant à son cou orné d'une minerve.
— Je vais plus jamais conduire.
Les yeux océan se noient de larmes qui lui brisent le cœur quand elles finissent par lui échapper et déferlent sur ses joues. La détresse l'entraine telle une vague immense allant s'écraser sur une falaise.
— Dis pas ça, on n'en sait rien.
Un sanglot s'étrangle dans la gorge de Max et il ferme ses paupières en même temps que le néerlandais n'a pas la force de maintenir les siennes ouvertes et qu'un gémissement de douleur lui échappe quand son corps tremble légèrement suite au mouvement d'épaules que sa peine a causé.
— Je suis tout cassé.
Sa voix cassée se brise sur la fin et il referme un peu plus ses doigts sur ceux du blond dont les yeux bleus d'ordinaire si intenses et joyeux quand il les pose sur lui sont noyés de gouttes salées. Il sait que les siens en sont également remplis. Sa vision est légèrement floutée.
— Ça va aller chaton.
Le silence finit par les envelopper. Il ne sait pas quoi dire alors qu'il n'a pas les informations sur le dossier médical. Il voit les paupières qui se ferment et son ancien coéquipier lutter pour les empêcher de tomber. Son visage se tord régulièrement sous la douleur et des plaintes lui échappent dès qu'il fait le moindre mouvement. Daniel s'ancre à ses doigts qui lui répondent doucement en pressant légèrement son index et son majeur auxquels ils sont liés.
Les iris plongent dans les siennes et il se sent être aspiré dans l'âme de Max. Le flot d'émotions qui traversent ceux-ci le submerge. Il y lit la peur, la douleur, la détresse et un léger soulagement. L'incertitude se joint au cocktail de sentiments qu'il parait discerner.
— Est-ce que... Est-ce que je peux avoir droit à un bisou magique ?
Daniel n'ose pas lui dire non. Parce qu'il est incapable de lui dire non. Ça fait cinq ans qu'il côtoie le néerlandais et il n'a pas souvenir d'un jour avoir été capable de répondre autre chose que oui à l'une de ses nombreuses demandes. Et Max demandait. Il demandait souvent. Il demandait beaucoup.
Alors il se penche vers le visage défiguré. Il laisse ses doigts courir sur sa pommette abimée. Il les fait trainer sur la marque bleutée qui s'étale sous son œil tuméfié. Et puis il vient délicatement poser ses lèvres rosées sur celles fendues et rougies par le sang coagulant de son ancien coéquipier.
Sous lui, le plus jeune bouge à peine. Il le voit fermer ses paupières sur ses yeux azur qui l'observaient quelques secondes plus tôt. Une nouvelle fois, il ne sait pas ce qu'il y lit. Il y a toujours une lueur étrange qui traine dans les prunelles de Max quand elles croisent les siennes. Il n'arrive jamais à identifier celle-ci. Il sait juste qu'elle lui plait infiniment et qu'il n'a pas envie qu'elle en disparaisse un jour. C'est certainement pour ça qu'il est un peu trop prêt à tout pour lui.
Leurs bouches s'effleurent un long moment. Il n'arrive pas à savoir si cela est des secondes, des minutes ou des heures. Il perd rapidement le compte quand il sent le corps se détendre légèrement. Il finit par se reculer et les pupilles bleutées se fixent dans les siennes. En cet instant, il n'a envie d'être nulle part ailleurs que là, avec Max à l'esprit embrumé par les médicaments et la morphine qui le regarde comme s'il est la chose la plus importante au monde.
— Merci Dan.
La voix est cassée, fatiguée, épuisée. Mais ses prunelles semblent avoir repris vie quand elles rencontrent les siennes. Il sent son cœur qui palpite comme il ne l'a pas fait depuis des années dans sa poitrine. Il ne sait pas si c'est de le savoir en vie. Il ne sait pas si c'est à cause du baiser partagé. Mais il sait qu'en ne lui disant pas non, il n'a pas uniquement donné quelques secondes de son temps et un bisou magique à Max. Non, au plus profond de lui, Daniel a compris qu'il lui a aussi offert son cœur. Et Daniel prend conscience qu'il vient de faire une immense erreur.
Quand les lèvres de Daniel se posèrent sur les siennes, Max se dit que ce baiser était bel et bien magique. Il ne réparerait peut-être pas ses os brisés, sa chair marquée et son cœur abimé, mais il était aussi magique que pouvait l'être le baiser dont on rêvait depuis cinq longues années.
et voilà :) j'espère qui vous a plu !
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