Journée noire.
C'était il y a un an, le 22 avril dernier. Le jour qui a marqué le début de la fin.
Aujourd'hui je fête mes 19 ans. Enfin je veux dire, aujourd'hui j'ai 19 ans. Je ne fête rien du tout. Cela aurait pu être une grosse fête s'il n'y avait pas eu un autre événement en ce 22 avril, c'est-à-dire le premier jour d'anniversaire de ma vie que je passe sans ma sœur jumelle, Adriana.
Non, aujourd'hui n'est certainement pas un jour de fête. C'est même tout l'inverse. Comment on appelle les journées d'événements qu'on ne peut pas fêter ? Pourquoi il n'y a pas de nom pour cela ? Je vais appeler ça un « jour noir ». Le 22 avril est ma journée noire, tout comme l'est également le 30 avril. Je déclare même que ce sont des jours exclusivement fériés pour moi. Il est hors de question que j'aille à la fac pour y croiser des imbéciles qui vont me souhaiter un « joyeux anniversaire » alors que je pourrais recevoir des milliards de vœux de la part de tout les humains de cette planète que je n'en récolterais même pas ne serait-ce qu'une miette de joie.
Je me dois de passer ces journées noires à m'éteindre, à m'autoriser de pouvoir me bannir de l'existence. Adriana a marqué pour l'éternité ces jours avec l'essence de sa vie et de sa personne. Si ils manquent à l'appel alors ça annule l'existence de ces journées, ça a du sens pour moi. Je vais donc passer ces journées noires à dormir.
Je pourrais vivre ces journées de deuils en me remémorant de ma sœur, ou bien du 22 avril et du 30 avril passés. Essayer de raviver toutes ces émotions pour tenter de les trier, les rationaliser, les digérer. Pour pouvoir mieux vivre avec elles ensuite, pour pouvoir les accepter. Sûrement des trucs qu'un psy pourrait me sortir, enfin je crois, je sais pas j'ai jamais vu de psy. Bref, je ne sais pas comment les autres font leur deuil, j'ai déjà entendu parler des fameuses « cinq étapes » (je suis probablement dans la phase « colère/marchandage »), mais de toute manière il ne peut pas y avoir de loi suprême du deuil. On ne vit jamais la même chose selon notre relation avec la personne défunte mais aussi suivant la manière dont elle est décédée. Peut-on vivre le même deuil d'un proche qui est mort naturellement que de quelqu'un qui a été cruellement assassiné ? Est-ce encore le même chagrin lorsqu'il s'agit d'une mort accidentelle ou bien d'une mort stupide ? D'un décès auquel on a assisté ou de quelqu'un à qui on n'a pas pu dire aurevoir ? Il y a trop de scénarios possibles, trop de peines et de combats différents.
Les émotions maîtresses dans ma situation de deuil sont le regret – trop de regrets – et la culpabilité, maladive. Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est de ma faute si elle est partie, peut-être parce que c'est vrai ? Ou peut-être que j'ai inconsciemment besoin de me le faire croire car si c'était vraiment mon erreur ça laisserait entendre que je pourrais la réparer ? On ne répare pas une mort, certes, mais on peut toujours rétablir la justice lorsqu'elle est manquante.
Adriana ne méritait pas la mort. Elle était jeune, douce, innocente. Elle aurait fait tellement de belles choses dans ce monde de fous. C'est inadmissible que les rares lumières de ce monde comme elle finissent souvent par être éteintes à cause des mauvaises personnes.
Adriana a toujours été ma plus grande confidente, et inversement. On avait chacun peu d'amis, et parfois on mangeait ensemble à la cantine du lycée. On n'était pas juste frères et sœurs, on était également des meilleurs amis. Certains disent qu'on a plusieurs âmes sœurs dans cette vie, que ce ne sont pas que des amants mais toutes sortes d'âmes avec qui tout est facile et tout se comprend naturellement. Je sais que c'est vrai car elle était l'une des miennes.
Il a fallu qu'une fois elle ne me fasse plus confiance, qu'une seule fois elle ne veuille pas m'écouter, pour que ça lui coûte la vie.
Elle n'a jamais été populaire à l'école tout comme moi. On avait trois, quatre amis chacun et ça nous suffisait, parce qu'on savait que la qualité était meilleur que la quantité. On gardait à l'esprit que de toute façon avec le temps et les chemins différents que la vie nous fait emprunter on finit toujours par se séparer de nos amis, mais au moins on aurait toujours l'un et l'autre.
On se parlait tout le temps de nos crushs, plutôt nombreux comparés à nos relations. J'en ai eu deux, elle n'en avait connue aucune avant ses 17 ans. Avant l'arrivée de Mason, le sorcier qui lui a manipulé l'esprit et le cœur, le seul être qui a réussi à fragiliser la solide confiance qu'Adriana et moi nous nous sommes toujours voués, à un point mortel.
L'amour rend aveugle, c'est réel. Ma sœur jumelle était stupidement amoureuse de ce gars là et cela lui a fait perdre la raison, elle en a payé les frais. Je n'étais déjà pas d'accord qu'elle soit en couple avec Mason car il était dans ma classe l'année d'avant leur relation, et tout les élèves dont moi connaissaient bien sa très mauvaise réputation. Le genre de rumeurs qui tournait autour de lui criaient au danger, on disait qu'il faisait partie de gangs qui pratiquaient non seulement des trafics de drogues mais aussi du trafic humain... Rien que ça. Ce n'était que des rumeurs me diriez vous, mais Mason ne les démentait pas et s'en amusait même, alors n'importe quelle personne dotée d'une raison évitait de le fréquenter. Mais pas Adriana non, il a fallu que ma sœur tombe dans ses bras l'année d'après. Lorsqu'il n'était plus dans ma classe et qu'il avait enfin décidé de nier les rumeurs nuisibles à son sujet. Ce n'était toujours pas une raison valable pour s'approcher de lui, mais comme je disais, l'amour rend aveugle.
J'ai insisté auprès d'Adriana pour qu'elle lâche Mason lorsqu'elle a commencé à le fréquenter, j'ai insisté auprès d'elle tant de fois pour qu'elle abandonne sa relation lorsqu'ils se sont mis ensemble, elle n'a rien voulu entendre me disant que ses affaires amoureuses ne me concernaient pas. Quelques jours après, quand elle m'a annoncé son projet de partir une semaine avec Mason aux îles Bahamas juste après notre anniversaire de 18 ans, j'étais certain qu'elle prenait la pire décision de sa vie. À cette période là j'avais un jour aperçu Mason près du pire quartier d'Orlando et j'avais alors décidé de le suivre discrètement, résultat : il traînait avec des gars qui avaient des pistolets dans leurs poches et qui fumaient des substances pas très nettes. Autrement dit il n'était toujours pas fréquentable, et à mon avis les rumeurs qui circulaient autour de lui avaient toujours été vraies.
Désormais je maudis chaque instant de ma vie l'univers de ne pas m'avoir laissé le temps de prendre une photo ou une vidéo de Mason avec ses amis peu recommandables ce jour-là, je me dis parfois que ça aurait pu changer le destin tragique de ma sœur. Au lieu de me péter une crise comme je ne l'avais jamais vu faire en m'accusant d'inventer des mensonges et de la prendre pour une gamine qui ne sait pas gérer ses relations elle m'aurait peut-être cru si je lui avais montré une petite preuve de ce que je lui racontais. Mais ce n'est pas ce qui est arrivé. Elle ne m'a pas cru et m'a retiré sa confiance, on est devenus majeurs le 22 avril dernier et elle a réalisé son souhait quelques jours plus tard en partant avec Mason en vacances, puis elle est morte là-bas le 30 avril d'après à cause d'une intoxication alimentaire. Et depuis je ne peux pas m'empêcher de croire mes théories folles qui racontent que c'est Mason qui l'a intoxiqué pour la livrer à ses gangs de trafics illégaux, qu'ils vont vendre ses organes ou bien la donner à des nécrophiles, et que le corps qui a été enterré n'est donc en réalité pas le sien.
Ce qui me rend le plus fou c'est que Mason a été la dernière personne à voir ma Adriana vivante. Ma dernière fois à moi remontait à une semaine avant son décès, lorsqu'elle était toujours à Orlando, juste après notre anniversaire. Ce n'est pas juste, et je pense de plus en plus à rétablir cette justice. À faire payer l'homme qui m'a arraché ma sœur jumelle.
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