8. Lanthane

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Le micro se ralluma avec son inévitable bruit de fond et la voix dit :

« Euh, bonjour.

La prisonnière ne bougea pas, se contentant de regarder le miroir avec la même expression – la même absence totale d'expression.

Elle ressemblait à une femme de vingt-cinq ans, aux cheveux décolorés, d'un blond artificiel, coupés court. Son visage aurait pu être harmonieux, mais une blessure de guerre avait arraché une partie de sa joue droite, révélant une mousse blanche, parsemée de petits capteurs, ainsi que des muscles en plastique dont certains avaient été sectionnés.

De l'autre côté, Arthur s'était installé sur une table. Il avait essayé de se préparer à l'entretien, mais il ne connaissait pas assez les robots d'avant-guerre, et aucune préparation ne pouvait suffire à ce regard à la fois vide et profond qui le fixait, silencieusement, sans le voir.

– Prisonnière 61204, commença-t-il, soulagé au moins d'être seul, dans la conversation qui suit, j'emploierai la deuxième personne du pluriel pour référer à vous. Est-ce clair ?

Alors, elle parla, d'une voix naturelle et parfaitement humaine. Cela en soi n'était pas perturbant, puisque Arthur, avait connu, bien qu'à une autre époque, les interfaces homme-machine. Mais voir ses lèvres synthétiques bouger alors que tout le reste de son visage était fixe, ses yeux compris, le mettait mal à l'aise.

– Oui, monsieur.

– Pour simplifier les prises de parole, je vous dispenserai de m'appeler « monsieur ».

– Oui.

– Je vais vous poser des questions.

– Oui.

– Voici ma première question : êtes-vous entrée en contact, avant la guerre, avec un individu nommé Carmin ?

– Oui.

– Quels ont été exactement ces contacts ?

– Carmin occupait le poste d'officier des services de renseignement, dans le groupement Proton. J'ai été engagée par le même groupement.

– S'agit-il du groupement qui a gagné la guerre ?

– Oui.

Arthur soupira, et jeta un coup d'œil en direction d'une des caméras.

Système de surveillance interne à la prison. Alors, Omni ou pas Omni ? C'était une ère de décroissance technologique. Les nanorobots n'étaient plus correctement maîtrisés. Pas étonnant que le système ait été ravalé au rang de fantôme... mais son heure allait venir.

– Prisonnière 61204, veuillez vous lever.

Debout, elle ne bougea pas d'un pouce.

– Je vais épeler une suite de lettres et de chiffres.

Arthur s'éclaircit la voix, se rapprocha encore plus du micro, et dit lentement :

– A... J... 0... G... 6... D... 7... 8... 4.. P... 3... P... 4. »

Puis il se retourna vivement, tira successivement quatre aiguilles de son poignet pour les lancer en direction des caméras, qui se coupèrent.

Carmin lui avait brièvement expliqué l'opération. Vingt grammes de nanorobots dans son système, de quoi mettre le feu aux poudres. Carmin avait lui-même introduit les bonnes portes dérobées dans le système informatique, des années plus tôt.

La prisonnière 61204 semblait s'être réveillée. Pour commencer, son visage avait pris une expression, peu engageante, mais c'était déjà un début. Elle se jeta sur la glace sans tain avec violence, mais le verre blindé résista à sa force surhumaine..

Arthur soupira. Il sortit cette fois une aiguille d'au moins une dizaine de centimètres, formée elle aussi des nanorobots qui convergeaient vers son poignet et sortaient de sa peau. Cela ne lui faisait pas mal, mais l'impression était désagréable.

Il la jeta sur la vitre, dans laquelle elle se planta.

Puis les nanorobots s'étalèrent sur la surface et commencèrent à grignoter le verre.

Ensuite, il donna un vigoureux coup de pied dans la surface, qui blindée ou non, explosa.


***


Un garde accourut vers eux. La prisonnière 61204 se porta à sa rencontre, le désarma avant qu'il ait pu faire le moindre geste, puis fonça vers une sortie de service qui ne devait exister que parce que Carmin, dix ou vingt ans plus tôt, l'avait introduite dans les plans.

Elle ouvrit la porte avec un code qu'elle avait manifestement en mémoire, et ils furent dehors.

Devant eux, Carmin jouait les poteaux indicateurs, leur désignant une sorte de tout-terrain, une structure en acier très schématique pourvue de quatre roues et d'un moteur. Il lança un objet à la prisonnière 61204, qui l'attrapa au vol, s'installa dans le véhicule, laissant à peine à Arthur le temps de faire de même.

Carmin leur adressa un signe d'adieu ; des tirs commencèrent à retentir dans sa direction et la prisonnière démarra en trombe.

« Il n'avait pas sous-estimé leur réactivité.

– Pourquoi est-ce qu'il est resté ?

– Simple calcul pour maximiser nos chances de nous enfuir. Omni a indiqué notre fuite auprès des autorités de la prison. Inconsciemment pour eux.

Une main sur le volant, les yeux rivés sur le terrain qu'une vieille route leur faisait avaler, elle lui tendit l'objet que Carmin lui avait lancé. Une sorte de support de stockage avec un connecteur totalement inconnu d'Arthur.

Clé USB du XXVe siècle.

– Branchez dans la nuque.

Ses faux cheveux ne masquaient pas le sparadrap blanc collé sur son cou, par-dessus une prise métallique. Arthur se contorsionna pour insérer le connecteur sans quitter son siège.

– Merci, dit-elle.

Coup d'accélérateur, et ils quittèrent la route pour une plaine aride, soulevant un nuage de poussière et arrachant quelques herbes sèches à leur passage.

– C'est un transfert d'informations, dit Arthur.

– L'intégralité de sa mémoire, en version compressée. Vous pouvez retirer la puce.

– Quelle idée débile.

– L'idée de Carmin était très bonne, au contraire. La production d'androïdes n'est pas un facteur stable de l'évolution des sociétés humaines. Imaginez une période de deux mille ans pendant laquelle il ne peut pas se remplacer. L'électronique n'est pas assez stable.

– Et vous ?

– Ma constitution est assez robuste pour résister des milliers d'années. Et je peux m'autoréparer facilement, contrairement aux précédents modèles – et à ceux à venir.

– Vous avez un nom ?

– Donnez-moi celui que vous voulez.

– Alors ça, non.

– Lanthane.

– À la bonne heure. Et où allons-nous, Lanthane ?

– À deux cent kilomètres d'ici, trouver un passeur.

– Je pensais que je resterais plus longtemps dans cette époque.

– Pour votre sécurité, Arthur, il vaut mieux que vous restiez le moins longtemps possible. À cause d'Omni, et à cause des maladies qui traînent ici. »


***


Ils firent une courte pause pendant la nuit. Lanthane répara leur engin, puis avec quelques pansements, répara vaguement sa joue droite.

« Dormez, dit-elle péremptoirement.

– On a quitté le dôme, dit Arthur.

– La vitre du 4 x 4 vous protégeait des UV. Demain, remettez votre casque.

– Vous avez mis la radio ?

– Non. Pas de radio.

– J'avais cru entendre une musique.

– Vous pouvez la chanter ?

Il s'y essaya. Lanthane réfléchit et indiqua :

– C'est peut-être la symphonie de la fin des temps.

– La musique de Georges Clemm ? Toujours la même musique ?

– Elle traverse les époques. Vous l'avez peut-être entendue en venant ici. On la joue aussi lors des voyages temporels.

– Cette musique m'obsède et je ne sais pas pourquoi.

– Moi non plus, je ne sais pas pourquoi. Et je ne sais pas pourquoi vous voulez voyager en 125 410. cependant, j'ai là-dessus la même opinion que Carmin : essayez de le savoir avant d'y être pour de bon.

– Et si c'est un souvenir que j'ai définitivement perdu ?

– Alors tant pis pour vous. »

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