3. Première étape
2055
Arthur entra en trombe dans le magasin.
« Bonjour, monsieur, l'interpella un robot.
Monté sur quatre roulettes, beaucoup plus épais qu'un humanoïde, il se voulait très amical ; le ton et le timbre de sa voix synthétique étaient très rassurants. Ils l'auraient été si Arthur n'avait pas eu les idées totalement ailleurs.
– Puis-je vous aider ? Dit-il alors que son écran d'affichage numérique, étalé sur sa tête métallique arrondie, figurait en LEDs un sourire simpliste et deux yeux ouverts.
– Non, grimaça Arthur.
Il s'enfonça dans les rayonnages, tandis que le robot le poursuivait en roulant aussi vite qu'il pouvait.
– Vous recherchez quelque chose en particulier ?
Des rayons d'accessoires s'étendaient sur les côtés. Des visages en silicone dont le prix montait au fur et à mesure qu'ils augmentaient en qualité et en réalisme, des pinces, des capteurs de mouvements, des mains, des fausses peaux.
– Je n'ai pas besoin d'aide, répéta Arthur en bifurquant.
Bien que tout ne soit qu'artificiel, on aurait dit un musée des horreurs, le summum étant les bras et jambes recouverts de leur silicone exposés sous vitrine plastique, le plus avancé de la robotique pour grand public.
Semant le vendeur, il arriva enfin aux modèles complets.
Le prix des humanoïdes oscillait de manière vertigineuse. Arthur finit par trouver le modèle qu'il recherchait. « FTM-68100 est LA référence en rapport qualité-prix. Plus de dix mille applications déjà disponibles sur Internet. Le compte d'utilisateur Premium est gratuit pendant la première année. Cuisine, ménage, FTM-68100 est ce qu'il vous faut pour s'occuper de toutes les tâches domestiques, en toute sécurité. Indiqué également pour la garde de personnes âgées. »
Le jeune homme déplia son quadrant, l'appareil s'ouvrit en quatre dans sa main gauche. Il consulta l'un des écrans, refit le tour de l'application qu'il avait programmée pour son futur robot, et vérifia la compatibilité avec ce modèle.
– Parfait, dit-il à haute voix. J'achète.
Il connecta son portable au système de vente, son compte fut automatiquement débité et une voix dans le quadrant lui annonça :
– Merci de votre achat, Arthur. Voulez-vous que votre androïde soit livré à votre domicile ?
– Je le prends d'ici, cocha-t-il.
Deux techniciens robots arrivèrent pour activer la machine. Il fallait simplement lui insérer une batterie fonctionnelle dans le dos, ce qu'ils firent en deux mouvements.
– Si vous n'êtes pas satisfait de votre achat, vous pouvez faire une réclamation dans les six mois. »
Ça ne risque pas.
Lorsqu'il sortit du magasin, son androïde le suivait en marchant. Il venait de débourser une grosse somme, mais c'était le modèle le plus résistant. Sa silhouette était celle d'un humain, toutes proportions correctes, mais avec sa couverture en métal et en plastique, il se rapprochait plus d'une voiture.
Arthur téléchargea ensuite son application. Il l'avait préparée en deux jours, en urgence, pour outrepasser l'ensemble des protocoles du robot, prendre le contrôle complet de son système cognitif et de son instance de prise de décisions. Il installait une IA forte. Un dérivé d'Athos, un des rares systèmes en lesquels il avait confiance.
Tu résoudras tes problèmes tout seul. Si ça marche, tant mieux. Si ça ne marche pas... je me débrouillerai.
Il ordonna à son robot de se trouver une chambre d'hôtel, de la payer à son nom et d'y attendre le temps que sa configuration se termine. Arthur, lui, partait pour l'université.
***
2255
Il ouvrit en grand la porte-fenêtre, sortit sur le balcon, jeta un coup d'œil négligent sur la ville alentour et but son café d'une traite.
Il avait un goût d'ersatz.
« Je suis où, déjà ? Se demanda-t-il.
– Ah, Arthur, ravi de vous voir debout.
– Et vous êtes qui, exactement ?
L'homme s'était arrêté dans l'encadrement de la porte.
– Je vous conseille de rentrer à l'intérieur. On prévoit une pluie acide ce matin.
– Je vous le répète, dit-il en agitant son gobelet en carton, qui êtes-vous ?
Il se retourna pour observer plus en détail l'univers urbain. Un métro passa juste sous son nez. Il fronça les sourcils, regarda en bas : pourtant, c'était bien le quatrième étage. Non, le dixième.
Un drone fonça en vrombissant à une dizaine de mètres du balcon.
– Je vous conseille de rentrer à l'intérieur, répéta l'arrivant.
Il avait des cheveux blonds peroxydés très courts. Son visage était énervant, trop beau pour être vrai. Il collait aux photos retouchées des magazines du XXIe siècle.
– J'y suis, dit-il en jetant son gobelet par-dessus la rambarde en plastique, j'ai un trou de mémoire.
– Vous avez juste un peu de mal à vous concentrer. C'est normal. Nous allons avoir besoin de faire un point.
– Et vous, vous êtes qui ?
– Votre docteur, Arthur. En particulier.
– Et moi... je suis qui, au fait ? Arthur, c'est ça ?
– Un affront à la notion même de personnalité, dirais-je dans un accès de lyrisme.
Le docteur blondinet regarda sa montre. Il en portait en fait deux, et l'une au moins avait l'air d'être tout sauf une montre.
– La pluie est prévue d'ici quelques minutes. Je vous conseille vivement de rentrer.
Arthur fit la moue, s'exécuta et laissa la porte se fermer toute seule avec un bruit feutré.
– C'est quelle année ?
– Pour le moment, c'est 2255. On progresse comme on peut. C'est déjà pas mal. »
Arthur s'approcha de la radio qui traînait sur un bureau en bois aggloméré de mauvaise facture.
« Faites attention aux termites, dit le docteur, leurs morsures sont toxiques.
Il s'assit dans un fauteuil qui relâcha un nuage de poussière, et Arthur s'assit en face de lui.
– Vous n'existez plus à l'état civil, mais je vous désignerai sous le pseudonyme de « Arthur ». Ça vous convient ?
– C'est... euh... mon vrai nom ?
– Considérez que oui, puisque de toute façon vous n'avez aucune chance de le vérifier.
– Et vous, vous êtes qui ?
– Votre médecin personnel.
– Depuis quand ai-je un médecin personnel ?
– Depuis que vous m'avez acheté, c'est-à-dire depuis deux cent ans et vingt-six jours.
– Je suis plus vieux que j'en ai l'air.
– Biologiquement, vous avez vingt-neuf ans et soixante-dix jours.
– Eh ben. Je me suis fait cryogéniser, c'est ça ?
– Ça n'aurait jamais marché, Arthur. Et cette technologie n'existait pas en 2055. »
Arthur se déconcentrait rapidement, et la lumière lui faisait mal aux yeux.
Souviens-toi de ce que tu fais ici, songea-t-il.
Il oublia de quoi il devait se souvenir, puis chercha de nouveau ce qu'il venait d'oublier, puis oublia qu'il était en train de chercher.
Oh, zut, peu importe.
La radio émettait une musique très calme. De nombreux instruments classiques, méconnaissables, surprenants.
« Arthur, essayez de vous concentrer sur le son de ma voix. Pas sur la musique.
– Ils ont encore des radios en 2255 ?
– Essayez de vous concentrer sur ce que je vous dis. Quelle est la dernière chose dont vous vous souvenez distinctement ?
Robot. Je me souviens d'un robot.
Quel genre de robot ? Ceux qu'on achète dans des magasins.
– Attendez... vous êtes... non, c'est une blague...
Il soupira.
– Cela fait deux cent ans que je vous attends, Arthur. Soyez à la hauteur de l'événement. »
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