80 000
Lorsqu'Arthur ouvrit les yeux, la VA déferla dans son champ de vision, lui hurlant à grand renfort de lumières rouges clignotantes et d'idéogrammes qu'il était déconnecté de tous les réseaux. Il désactiva aussitôt le système.
Ses membres étaient douloureux. Il supposa qu'ils venaient de faire une chute. 80 000 ans après, c'était déjà un miracle de ne pas se retrouver au milieu d'une colline ou d'un arbre. Il tâta toutes ses articulations, mais rien ne semblait froissé.
Un conifère géant lui faisait de l'ombre. Quelques branches avaient été coupées très nettement et gisaient près du lui sur le sol. Pas de doute, ils étaient tombés de là, à peu près cinq mètres de haut. Mais le sol était meuble et la tenue de l'an 5000 devait avoir amorti le choc.
Il chercha Aurélia du regard et l'entendit aussitôt descendre d'une branche.
« J'ai trouvé quelque chose, lança-t-elle.
Elle avait une fleur magnifique dans les mains, colorée avec autant de vigueur que l'herbe autour d'eux, à en faire mal aux yeux. Une énorme corolle de dentelle, tout en dégradés de violet, à peine soutenue par une tige noueuse.
– Regardez.
Aurélia se pencha sur le sol et arracha un peu de mousse, ce qui découvrit l'humus et fit s'enfuir quelques insectes. Aussitôt mise en contact avec la terre, la tige frémit, des filaments commencèrent à en émerger et se plantèrent dans le sol. Aurélia lâcha la fleur. Elle s'était enracinée.
– C'est génial, dit-elle.
– Ouais, génial. Bon, je sais que vous voulez rester ici, pas moi. Une idée de l'endroit où peut se trouver Lanthane ?
– Quelque part sur la planète, ce qui peut faire plus ou moins loin.
Il soupira.
– Je vous le dis une dernière fois, Arthur. Restez ici. Installez-vous. C'est ici, la destination finale des voyageurs temporels qui vont dans le futur.
– Omni traque les voyageurs temporels.
– Omni traque ce qui représente une menace pour lui. Regardez-moi ! Je suis toujours là. Je ne m'attardais pas bien longtemps dans mes étapes, mais je ne comptais pas non plus mes heures. Puisque je m'arrête ici, et qu'il le sait, il ne m'en voudra pas.
– Je n'ai pas envie de moisir dans ce coin.
– Il faut rester ici. Par respect pour tous les êtres humains qui ont connu des jours plus sombres, et ils sont fichtrement nombreux.
Arthur se leva, et sentit ses semelles en nanofibres épouser la forme de ses pieds, maintenant qu'il marchait sur un sol souple.
– Un paradis sur Terre, commenta-t-il. L'accomplissement ultime d'Omni. Peu importe. J'ai rendez-vous en 125 410. Je ne peux pas me défiler.
– Avez qui avez-vous rendez-vous ?
Il avait commencé à marcher pour se remettre les idées en place, à défaut de savoir où il allait. Les odeurs et les sons de la forêt étaient délicats, agréables, envoûtants.
– Bonne question. Avec Ophélie, j'espère. Celle avec qui je partage la responsabilité de la création de ce monstre.
Aurélia n'avait pas l'air surprise. Elle savait déjà tout ou partie de l'histoire – elle n'était pas une personnalité qui résiste à l'attrait du mystère.
– On dirait que vous avez de la peine, Arthur. Mais Omni a mis au point un monde parfait. Celui-ci !
Elle avait étendu les bras, embrassant les arbres qui les entouraient, le torrent qui roulait en contrebas, et toute cette lumière qui filtrait entre les branches pour dessiner des motifs sur les fougères jaunâtres.
– Monde parfait, mon œil. La destruction de la Terre en l'an 5000 n'entrait pas tout à fait dans les prérogatives d'Omni.
– C'est vrai. Et pour autant, pensez-vous que l'humanité était plus heureuse en l'an 5000 que maintenant ? Omni existait pour quoi, au juste ? Pour que le monde vive en paix et heureux ? Il vient d'avoir 75 000 ans de paix et de bonheur ! Tout allait trop vite en l'an 5000. Le monde était promis à atteindre un point où le système Omni ne l'aurait plus parfaitement contrôlé. Et que serait-il arrivé ? Encore une guerre ? Sans lendemain, cette fois ? Est-ce que vous ne croyez pas qu'Omni a pris les meilleures décisions ?
– Je m'en fiche, rétorqua Arthur. Tout ce que je veux, c'est parvenir au Panoptique et récupérer Ophélie.
– Vous croyez vraiment qu'Omni vous laissera faire ça ?
La VA entra de nouveau dans son champ de vision pour l'informer que sur un réseau local très léger, une communication était en train de lui parvenir.
– Lanthane.
La VA étant partagée, ils purent voir tous les deux l'androïde.
– Contente de vous voir.
– C'est un message enregistré ?
– Non, je suis vraiment en train de parler.
– Vous avez une tenue exotique, dit Aurélia. Il me faut la même.
– Plus tard. Je suis en train de préparer la machine temporelle. Je vais envoyer quelqu'un vous chercher. Vous en avez pour trois ou quatre heures de marche.
– Vous avez la date exacte ? Demanda Arthur.
– 23 juillet 125 410, à 11 heures. Une heure avant la fin du monde. »
***
L'énorme loup les avait rejoints en chemin, et guidés patiemment jusqu'au sanctuaire.
« J'en veux un comme celui-là », dit Aurélia sur le chemin.
Leurs tenues en nanofibres les isolaient efficacement du froid qui se faisait prégnant.
« Bon, en revanche, les statues sont franchement moches. Enfin, chacun ses goûts.
– Au risque de paraître malpoli, fermez-la, Aurélia.
– Oh, oui, j'oubliais que vous êtes concentré sur votre fin prochaine au cours de la destruction de la planète dans une supernova.
– Tenez, rien que ce détail, cette histoire de supernova, ça ne vous chiffonne pas ?
– Moi, et la physique, ça fait deux.
– Quelle est la probabilité que la Terre soit détruite dans une explosion de supernova en à peine cent mille ans ?
– Je suis incapable de répondre à ce genre de question, mais c'est vrai que c'est très excitant à poser. Je suis sortie avec un physicien au 26e siècle. Un mec très sympa, un peu soporifique. »
Lanthane les attendait juste à l'entrée du sanctuaire, adossée au mur de pierre.
« Pour les milliers d'années que je passe à vous attendre, je ne sais pas si je dois vous remercier ou non de m'avoir sortie de cette prison.
– Vous êtes formidable.
– Ce genre de compliment ne suffira pas, souffla Aurélia, faites un effort.
Puis plus fort :
– Allez, rentrons, on se gèle. »
***
« Vous savez que mon architecture d'IA ressemble furieusement à celle d'Omni à ses débuts ? Dit Lanthane en descendant l'escalier millénaire.
– Laissez-moi deviner... commença Arthur.
– L'architecture de Vince, continua-t-elle. Très célèbre au XXIe siècle et ensuite.
– Vince. Arhur Vince.
– Évidemment. On peut donc dire que je vous dois la vie.
– Vous n'êtes pas obligée de me remercier pour ça.
– Je n'allais pas le faire.
La machine temporelle avait été soigneusement conservée, parfaitement nettoyée. Elle semblait comme neuve.
Parmi les câblages qui couraient sur le sol, deux d'entre eux arrivaient jusqu'à un haut-parleur.
– Il ne fonctionne plus, expliqua Lanthane.
Elle alla s'asseoir dans un siège de pierre, à côté duquel était posée une guitare artisanale. Ses doigts pincèrent les cordes, faisant naître quelques notes délicates.
– Vous reconnaissez, dit-elle en regardant Arthur dans les yeux.
– Vous jouez parfaitement bien.
– J'ai de l'entraînement derrière moi. Aurélia, voulez-vous bien mettre la machine en route ?
– J'hésite à l'accompagner.
– Il n'y a rien pour vous en l'an 125 410. Cette affaire ne concerne que lui. Vous êtes intriguée par le mystère, mais il est temps de le laisser s'envoler.
Elle continua à jouer la symphonie de la fin des temps.
– Lanthane, dit Arthur, je vous remercie profondément pour toute votre aide.
– Je vous envoie en enfer, dit l'androïde. Ne me remerciez donc pas. »
Arthur prit place dans le cercle.
Dernières notes.
Il avait toujours aimé cette musique. Pour en faire son hymne, le système Omni avait dû l'aimer autant que lui.
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