Réminiscences

Arrivés à la maison, je propose tout naturellement mon aide. Elle est gentiment refusée. Laura me suggère d'en profiter pour trier les quelques affaires qu'Éléa et elle ont préparées à mon intention. Ça devrait m'aider à me souvenir, selon elles.

- Elle est gentille, tu sais. m'assure Éléa, On l'aime beaucoup.

- Oui, elle en a l'air. je lui réponds nonchalamment, sans arriver à être suffisamment convaincante.

- Tu espérais quoi ? Revenir et que tout redevienne comme avant.

Cette attaque déguisée de ma fille me révèle à quel point mon absence a pesé sur elle et sur la famille. Ils ont pourtant l'air tellement heureux...

- J'étais dans le coma. je m'insurge.

- Tu es restée trois mois dans le coma. Pas dix. elle m'assène.

- Dix ?

- Tu étais partie depuis plus de 6 mois. J'avais à peine 18 ans. Max lui allait sur ses 17.

- Si longtemps ? Que s'est-il passé ? Pourquoi ?

- Je ne peux te parler que de ce que j'ai vu ou entendu.

- Ne me cache rien s'il te plaît. je la supplie, même si ça fait mal.

- Il faudrait que tu parles à Bruno.

- Bruno ?

- Le prêtre. Il t'a suivie pendant ta maladie. Tu t'es beaucoup confiée à lui. Il a aussi été un des instruments de votre séparation.

- Un prêtre ? Comment ?

- C'est lui qui a obtenu l'annulation du mariage.

- J'ai du mal à le croire. Comment est-ce possible ? Le bébé ? je la harcèle de mes questions.

- Non, leur relation n'a commencé qu'après ton départ. Papa était constamment en colère. Il t'en voulait. Laura était là. Elle l'a consolé, voilà tout.

- Alors pourquoi ?

- Le jour où tu es partie, j'ai entendu papa te crier dessus. Je ne l'avais jamais vu autant en colère.

- « Tu me fais hérisser le poil » ?

- Oui ce sont bien les derniers mots qu'il a prononcés avant ton départ. Tu t'en souviens ?

- Juste de cette phrase. Elle peuple mes cauchemars.

- De quoi te rappelles-tu au juste ?

- De bribes éparses. De mots, de noms. Mais rien de construit. Un peu comme un livre dont on note les titres mais dans lequel les pages restent désespérément blanches.

- Tu vas repartir, n'est-ce pas ?

- Pour aller où ?

- Le rejoindre ?

- Qui ?

- Tu ne m'as jamais dit son nom.

- Alors comment le reconnaître ?

- Il viendra te chercher s'il est aussi amoureux que tu semblais le croire.

- Qu'il ait été amoureux est une chose, les sentiments qu'il éprouverait aujourd'hui en sont une autre.

- Tu devrais vraiment aller voir Bruno. Et puis ça lui ferait plaisir de voir quelqu'un qui ne lui court pas après pour son physique.

- Il faut reconnaître qu'il est plutôt joli garçon.

- Pour un prêtre, tu veux dire.

Nous éclatons alors toutes deux de rire.

- Notre complicité me manque maman.

- A moi aussi ma chérie. J'ai encore une question ma belle demoiselle.

- C'est quoi ?

- Étais-je une mère toxique ?

Éléa vient s'assoir à côté de moi et me répond d'une voix plus douce mais un peu taquine.

- Toxique, je n'irai pas jusque-là mais trop poule, certainement. Étouffante par moments. Mais indispensable la plupart du temps.

Elle m'enlace tendrement. Je la prends aussi dans mes bras. Que de temps perdu.

Sébastien entre après avoir frappé. Il nous trouve enlacées. Un peu gêné, il ne peut s'empêcher d'y mettre son grain de sel.

- Comme si tu n'étais jamais partie... ironise-t-il.

- Papa ! lui lâche Éléa.

- Laisse-nous chérie, je dois parler à ta mère.

- Ne sois pas trop dur s'il te plaît.

- Laura a besoin de ton aide.

Éléa m'embrasse sur le front, sans doute pour me donner du courage puis elle remonte.

- Moi, je ne me laisse pas attendrir si facilement. Que cherches-tu ici ?

- Des réponses, ma mémoire...

- Tu te trompes d'endroit pour ça. Rétorque-t-il sévèrement.

- Je ne comprends pas.

- Parle ! Qu'on en finisse.

- « Tu me fais hérisser le poil »...

- Pardon ? me coupe-t-il.

- Cette phrase me hante depuis des semaines. Pourquoi ?

- C'est la dernière phrase que tu m'as entendue prononcer.

- Tu n'as pas fait que la prononcer.

- J'étais en colère ce jour-là. Tu avais encore vomi alors que je t'avais demandé de ne plus le faire.

- J'étais malade, sous chimio. Je ne comprends pas ta réaction.

- Tu sortais de l'hôpital. Ton PET scan était parfait. Tu étais en rémission. Tu ne voulais juste pas reprendre de poids. Et puis, merde, tu étais devenue anorexique. s'insurge-t-il.

- Anorexique, moi ? Je ne te crois pas.

- Tu ne mangeais plus rien. Tu n'avais jamais faim. Et tu vomissais à chaque bouchée. T'appelles ça comment ?

- J'appelle ça une souffrance. Mon estomac m'abandonnait de jour en jour. Jusqu'à ce fameux jour où je me suis retrouvée à l'hôpital. Aux urgences, mes organes lâchaient un à un. Si cette interne n'avait pas été là. Si elle n'avait pas eu la présence d'esprit d'ouvrir avant l'arrivée du médecin de garde. Je n'aurais pas été ici, devant toi.

Je crie presque ces mots. De colère. Il faut qu'il comprenne mais ça m'épuise alors je poursuis plus calmement :

- Je n'ai plus d'estomac Sébastien. Mon œsophage et mon duodénum ont été rabotés. Je dois me contenter d'aliments hydrolysés. Mon poids est sous surveillance constante. Au moindre écart vers le bas, on me rouvre pour s'assurer que le reste est encore là. Je ne me souviens pas de mon état ce jour-là. Mais je sais que la liquéfaction de mon estomac ne datait pas de la veille.

- Bruno avait donc raison. avoue-t-il.

- Bruno ?

- Oui, il était très inquiet pour toi. Au début, il appelait souvent. A un moment, j'ai même pensé que vous étiez amants.

- Je ne m'en souviens pas. Il m'est impossible de répondre à ton questionnement.

- Ne t'en fais pas pour ça. Il a déjà répondu. Vous étiez de très bons amis... Et puis, j'ai tourné la page.

- Grâce à Laura, j'imagine.

- J'ai appris de notre histoire, je suis plus patient maintenant.

- Je suis contente pour vous. Sincèrement. Elle semble vous aimer énormément.

- Que vas-tu faire maintenant ?

- Retourner à l'hôpital pour commencer. Reprendre ma vie en mains. Découvrir mon chez moi. M'y installer. Rechercher du travail si les choses continuent à s'améliorer. Et visiter ma famille.

- Ta famille ? Tu penses à qui en particulier ?

- Je ne sais pas, mes parents pour commencer. Ils sont toujours en Haute-Savoie ?

- Je suis désolé de te dire ça comme ça mais ils sont morts.

- Morts ? Cette année ?

- Non, Catherine, il y a déjà plus de 10 ans pour ta maman. Ton papa, lui, est décédé 3 ans après.

- J'avais été présente ?

- Oui. Tu les avais accompagnés dans leurs derniers instants.

- Et mon frère, j'ai un frère, n'est-ce pas ?

- Il s'est installé à Toronto, il y a 5 ans déjà. Il n'est jamais revenu depuis. Et je ne connais pas l'état de vos liens actuels. Lui et moi sommes en froid depuis le décès de ta mère.

- Je comprends. As-tu quand même ses coordonnées ?

- Moi non, mais les enfants sûrement. Tiens, c'est pour toi.

Il me tend un joli coffret. Sans doute un petit bijou.

- C'est quoi ?

- Ton cadeau de la Saint Valentin. me répond-il gêné.

- Tu te trompes de fête, je crois.

- Le jour de ton départ était la Saint Valentin. Je t'avais pris ce cadeau pour te remercier de t'être battue pendant la maladie. Pour tous les efforts fournis. Pour te féliciter de ta rémission.

- Cadeau que je n'ai jamais eu.

- J'étais tout heureux en rentrant. J'avais entendu ton message et j'étais sûr qu'on allait reprendre nos vies. Je suis arrivé et tu vomissais. Encore... J'étais tellement en colère que je n'arrivais pas à me contenir. Tu es partie en claquant la porte. Bruno t'as accueillie quelques jours au presbytère puis tu as disparu. Quelques jours après j'ai reçu les papiers du divorce.

- Je suis désolée.

- Bruno t'a aidée. Il a même réussi à faire annuler religieusement notre mariage.

- Je ne sais pas quoi dire. Si seulement je pouvais me souvenir.

- Tiens

- Un autre cadeau ?

- Ce sont les coordonnées de Bruno. Tu devrais lui parler. Il sait sûrement des choses que je ne sais pas.

- Merci Sébastien.

- Je t'en prie. Restons bons amis si tu le veux bien.

- J'aimerai beaucoup.

Il me propose alors de monter pour le repas. Je le suis en repensant à tout ça.

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