Rebondissements

Lundi, enfin de retour dans la sécurité de ma chambre 13. Je demande à voir le docteur Roche en urgence.

« Il passera dans la matinée » m'affirme l'infirmière. Je n'ai rien pu manger depuis dimanche soir. Je ne sais pas si je le dois à mon état psychologique ou à un état de santé dégradé.

On frappe.

- Vous avez demandé à me voir ?

- Bonjour docteur, merci d'être venu aussi vite.

- Vous avez une mine à faire peur. Que s'est-il passé ?

- Mon moral n'est pas au beau fixe mais ce n'est pas pour ça que j'ai demandé après vous.

Il vient s'asseoir à mes côtés. Il me pose le brassard du tensiomètre au bras et lance les mesures. Il semble ne pas aimer ce qu'il lit. Il recommence à plusieurs reprises. Quelque chose ne va pas.

- Expliquez-moi ce qui vous arrive.

- J'ai un goût de sang dans la bouche depuis samedi soir et je ne pense pas que ça vienne de ma bouche même.

Il commence alors à m'ausculter de plus près. Il examine mon abdomen avec des palpations plus ou moins fortes. Je grimace mais je supporte jusqu'à ce dernier appui. Je crie de douleur, me plie en deux, c'est la nausée. Mon sang afflue. Je le vomis. Blackout.

J'ouvre les yeux, j'ai un bras qui me fait mal et l'autre pris dans des perfusions en tous genres. Je suis encore en vie. Que s'est-il passé ?

Je tourne la tête vers l'origine de ma douleur : une tête blonde endormie sur mon bras. Je me mets à caresser ces cheveux que j'aime tant. Il se réveille, me regarde. Il a versé beaucoup de larmes. Je lui souris. Il se met à embrasser frénétiquement la main qu'il n'ose lâcher.

- Je vais bien Alexandre. Ne t'inquiète pas.

Je n'aurais peut-être rien dû dire. Il semble encore plus mal...

- Ne pas m'inquiéter quand j'apprends par Roche que ton hémorragie datait sans doute de samedi.

- Quel jour sommes-nous ?

- mardi.

- Le mardi qui suit le samedi ? je l'interroge inquiète.

- Oui... murmure-t-il

- Ça va bien alors.

- Ça va bien ? Comment peux-tu dire une chose pareille ? Ils ont dû te réanimer...

- Alors je ne m'en sors pas si mal pour une revenante... je plaisante. Comment vas-tu, toi ?

Il me regarde, observe sans doute mes réactions.

- Je vais mieux. Enfin... Je ne comprends plus rien... Explique-moi. me presse-t-il.

- Que veux-tu savoir ?

- J'ai ressassé notre dernière discussion maintes et maintes fois... Je sais que tu ne mens pas. Je sais aussi qu'il t'arrive d'utiliser des demi-vérités pour arriver à tes fins. Je me rappelle mot à mot ce que tu m'as dit en dernier : « Tu n'es pas Païkan. »

- Tu ne l'es pas, en effet. Tu es Alexandre, mon Alexandre si tu veux toujours de moi...

Un sourire se dessine timidement sur son visage. Il lâche enfin ma main mais pour mieux s'approcher. Il s'assoit à côté de moi et vient poser un baiser tout en douceur sur mes lèvres desséchées.

- J'ai eu très peur. lâche-t-il. Ne me refais plus jamais ça.

- Plus jamais...

Il semble ne plus pouvoir bouger. Il reste penché au-dessus de moi, sa bouche effleurant la mienne. Son souffle me réchauffe le visage. Je suis encore là et lui n'est pas parti. Un sentiment ambigu m'habite : le garder pour moi ou le libérer pour lui. J'ai essayé de le libérer mais tel un pigeon voyageur il est revenu. Dois-je réessayer ou dois-je égoïstement le garder mien ?

Il m'aime, je le sais et je ne sais plus me passer de lui.

On frappe. La porte s'ouvre. Alexandre se relève. C'est le docteur Roche.

- Comment va notre malade aujourd'hui ? Vous savez que vous nous avez fait très peur.

- Désolée, ce n'était pas mon intention... Alexandre m'a dit que vous avez dû me réanimer. Que s'est-il passé ?

- Nous cherchons encore. Mais il est probable que ce soit une réaction à l'anesthésie. Ça s'est passé exactement comme la première fois. À la différence près que nous vous connaissions déjà ce qui nous a permis de mieux vous prendre en charge. D'ailleurs, je n'ose imaginer ce qu'Alain aurait fait si nous n'avions pas réussi. finit-il en plaisantant.

- Je vous remercie. Et du coup ? je l'interromps.

- Nous avons dû réséquer une quarantaine de centimètres de votre iléon. Nous avons contrôlé toute la zone. Les prélèvements sont partis en culture. Au jour d'aujourd'hui il ne persiste plus de lésions visibles mais j'ai peur que ça revienne.

- Vous pensez à une tumeur ?

- Ça n'y ressemblait pas vraiment. J'ai donc aussi envoyé une partie des prélèvements à d'Orcy. J'en attends beaucoup.

- L'interne ?

- Plus maintenant. Elle travaille à Paris dans un service qui met au point de nouvelles thérapies, notamment géniques. Elle semble très intéressée par votre cas et son unité propose de financer vos soins si vous l'acceptez.

- Vous voulez dire jouer le cobaye ?

- La thérapeutique qu'ils développent a déjà donné d'excellents résultats dans certaines affections auto-immunes. Docteur d'Orcy pense que votre affection serait, en effet, un excellent cas d'étude.

Alexandre, inquiet, intervient à ce moment-là.

- Quels sont les risques ?

- justement l'étude menée sur une cinquantaine de cas a révélé une grande efficacité avec peu d'effets indésirables. Ils étaient plutôt liés à un risque infectieux. Il y a aussi eu quelques cas de fatigabilité importante notamment en début de traitement.

- Ça semble tout bénef ! Que dois-je faire ?

- Attendre les résultats des analyses pour commencer. Les soins, par contre, auraient lieu à Paris.

- Paris ! Combien de temps ? je m'affole.

Je n'ai jamais aimé Paris la trop grande, la trop impersonnelle.

- Comptez une année environ. me précise-t-il.

- J'imagine que ce sera une fois de temps en temps.

- Elle m'a plutôt parlé d'une hospitalisation de 4 jours hebdomadaires, au moins au début, et d'une fréquence bimensuelle par la suite.

- Toutes les semaines ? s'inquiète Alexandre.

- Oui Alain, je sais c'est contraignant. Mais que pèserait une année de soins comparée à la guérison de Madame Échard. Ça mériterait réflexion, qu'en pensez-vous madame ?

- Attendons les résultats des analyses d'abord. Je prendrai ma décision ensuite si vous le voulez bien.

Alexandre semble inquiet. Quelque chose le travaille. Il tourne en rond. J'essaie donc de le rassurer.

- Il est certain que quatre jours d'hospitalisations par semaine seraient beaucoup pour imaginer rentrer à Lyon tous les weekends mais ça reste faisable... et puis tu pourrais venir me voir de temps en temps. Je trouverais bien une petite chambre où loger pendant cette année... Et peut-être que ce docteur d'Orcy trouvera mon cas inexploitable.

- Elle sera plus qu'intéressée et tant mieux si ça te permet de guérir.

- Alors où est le problème ?

- Je ne suis pas ton Païkan, voilà le problème...

- Pourquoi reparler de ce sujet maintenant ?

- Parce que je sais que tu ne reviendras pas.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Parce que tu vas le retrouver.

- Retrouver qui ? Un personnage sortant de l'imagination de Barjavel...

J'ironise un peu mais il ne trouve pas ça drôle du tout. Au contraire, il est de plus en plus attristé.

- Il venait te voir tous les weekends. Je le croisais ici régulièrement. Je l'ai même vu sortant de ta chambre le 4 décembre. Il était très ému ce jour-là. Il avait laissé le livre de Barjavel sur ton chevet avec sa carte de visite à l'intérieur. J'aurais dû te le donner plus tôt mais j'ai voulu te garder pour moi... Pardonne-moi.

- Je ne comprends pas. Tu es jaloux d'un "il" dont je découvre l'existence. Et puis s'il m'aimait vraiment, comme tu l'imagines, pourquoi n'est-il pas ici à ta place ?

- Il est à l'étranger en ce moment. Il a demandé à une personne du service de le renseigner sur l'évolution de ton état avant de partir.

- Comment se fait-il que tu sois si bien informé ?

- Je le sais parce que c'est mon cousin, au même titre que les membres de la famille d'Orcy. Ce sont tous des cousins du côté de maman.

- Un cousin ! Le docteur d'Orcy aussi ?

- Oui... et c'est à moi qu'ils ont demandé de tes nouvelles. Moi qui étais déjà sous le charme...

- Je te remercie pour ton honnêteté, seulement je ne suis plus la même personne. Même si je l'ai aimé un jour — à supposer même que j'ai pu l'aimer — je ne me souviens même plus de lui aujourd'hui. Nous partagions peut-être un même goût pour les lectures mais c'est du passé. Aujourd'hui, ma vie c'est Alexandre. Bien sûr, à condition qu'Alexandre soit toujours d'accord.

- Alexandre a peur mais c'est tout ce qu'il voulait entendre.

- Alors qu'attend-il pour m'embrasser ?

Il me sourit, soulagé, me prend dans les bras et m'embrasse si tendrement que ça en ferait rougir n'importe quel prince charmant.


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