Pas au RDV

Le sourire ne me quitte plus depuis ces cinq derniers jours. Alexandre a tenu parole. Il a passé tous ses après-midi en ma compagnie. Nous avons discuté et ri. Nous avons joué aux cartes et aux échecs. Nous nous sommes aussi beaucoup embrassés.

Je suis sur un petit nuage. Est-ce ça l'amour ?

Il a aussi tenu à m'accompagner à chacune de mes séances de kiné ou de diététique.

Je devais me remuscler pour appréhender une vie loin de ce cocon hospitalier. De plus, il fallait que j'apprenne à remanger. Autant dire que la seule première option m'aurait largement comblée. Il y avait toutefois l'impératif d'une prise de poids pour un retour à la vie normale. Alexandre d'ailleurs m'y encourageait. Je ne pourrais pas passer ma vie avec une voie périphérique à demeure. La nutrition parentérale ne devrait rester qu'un dernier recours.

Nous sommes le 31 décembre, Alexandre n'est toujours pas arrivé mais je dois me rendre à mon dernier cours de diététique de l'année. Je ne peux plus attendre. Comme d'habitude, Éline, la diététicienne, me rappelle le B A BA de la nutrition ainsi que l'importance des protéines pour me reconstruire. J'écoute sans trop y prêter attention. Mon cerveau est ailleurs : Où est-il ?

Rentrée dans ma chambre, il n'est pas là. Je suffoque et commence à pleurer. Je m'étais pourtant juré de ne pas trop m'attacher. Je prends mon téléphone, pas de message. Que dois-je faire, lui en envoyer un ou attendre sagement ?

Je tourne en rond. Rien à faire, je suis mordue. Et si tout n'est qu'un jeu pour lui ?

Je ne veux pas y croire... N'y tenant plus, je décide de faire un tour à l'aumônerie pour voir si on a besoin de mon aide. Fermée ! Oh désespoir !

En revenant vers ma chambre, je frappe à la porte de la 17. Y séjourne une jeune femme souffrant d'anorexie. Nous avons été plusieurs fois en binôme au cours d'Éline. À côté d'elle je parais éléphantesque. Nous nous sommes rapidement entendues. Ces derniers temps, avec la présence d'Alexandre, je lui ai à peine parlé. Je me suis donc promis de réparer mon impolitesse.

- Bonjour Éléanor. Je peux entrer ?

- Bonjour Catherine. Ton Jules n'est pas avec toi ?

- Comme tu peux le voir...

Au ton de ma voix, elle a compris que ça n'allait pas bien...

- Je suis désolée. S'excuse-t-elle.

- Ne le sois pas. Que vas-tu faire pour le réveillon de ce soir ?

- Mes parents passeront me chercher vers 15h. Nous serons en famille.

- Je suis contente pour toi.

- Et toi ? s'enquit-elle.

- Je ne sais pas encore. Je n'ai rien prévu.

- Tu sais que le service ferme pour le weekend.

- Je l'avais oublié. Je vais appeler ma famille pour voir s'ils n'ont rien de prévu.

- C'est un peu chaud pour ce soir. Tu devrais prévoir un plan B.

- Au pire, j'habite juste à côté, je pourrais toujours y aller. Je vais te laisser finir de te préparer. Et moi je vais devoir passer des coups de fils.

- Passe un bon réveillon. Et à l'année prochaine.

- Oui, merci. Toi aussi.

Je repars, pensive. Je savais que Seb, Laura et les enfants se trouvaient déjà à Auray. J'avoue ne pas m'être inquiété du 31, du premier ou même du 2. Je m'imaginais passer le weekend avec Alexandre. Mais à bien y réfléchir, nous n'avons jamais évoqué le sujet. Je ne me rappelle même pas qu'il m'ait parlé de passer aujourd'hui. Pour un homme comme lui, ce genre de soirées doit se passer avec des amis dans des clubs branchés. Je l'imagine chercher ce qu'il va porter ce soir. Ça me fait mal. Mes larmes recommencent à couler. Je me précipite alors dans ma chambre. J'entre et m'y enferme. Je cours m'affaler sur le lit et me mets à pleurer.

- Je t'ai manqué ?

Dans ma précipitation à courir pour cacher mes larmes, je n'avais pas remarqué la présence d'Alexandre. Il était là, à m'attendre. Il est assis dans le fauteuil en face du lit. Il porte un smoking qui lui va à merveille.

- Tu es très beau.

- Merci. Je n'aime pas te voir pleurer. Que s'est-il passé ?

- Ça va vite sécher. Tu n'as pas à t'en faire. C'est gentil d'être passé me voir avant ta soirée. J'espère que tu passeras un bon réveillon.

- Merci. Tu m'en veux ?

- Non, pourquoi ?

Et c'est vrai, je ne lui en voulais pas. Je n'en voulais qu'à moi-même d'y avoir cru.

- C'est pour une vente aux enchères, elle sera suivie d'un gala de bienfaisance. J'aurais aimé que tu puisses m'y accompagner mais les places sont réservées de longue date et j'avais déjà accepté d'être le cavalier de la maîtresse de cérémonie.

- Tu n'as aucune explication à me donner. Et puis je n'ai jamais aimé ce genre de soirées. Je préfère de loin être en famille. Maintenant excuse-moi mais il faut que je prépare quelques affaires pour le weekend.

- J'avais espéré rester jusqu'à seize heures.

- Désolée mais ça ne va pas être possible, je pars vers quinze heures.

- On se reverra demain alors.

- Impossible. Le service ferme jusqu'à lundi.

- Je pourrais passer te voir dans ta famille.

- Je ne le souhaite pas. Ils ne connaissent pas ton existence.

- Tu pourrais me présenter.

- Pas maintenant. Il faut que tu me laisses, s'il te plaît. J'ai encore beaucoup de choses à faire avant de partir.

- Je suis désolé.

Pas autant que moi. Je retiens mes larmes tant qu'il est dans la chambre.

- Passe un bon réveillon.

- Toi aussi. Nous nous reverrons l'année prochaine.

Si je suis encore en vie...

Il vient pour m'embrasser. Je me laisse faire. Mais c'est un baiser au goût amer. A peine sorti, je me laisse glisser au sol. Je pose ma tête sur mes genoux et me mets pleurer.

Le couperet est tombé. Je passerai le 31 seule en compagnie de mes peurs.

Je décide pourtant de ne pas me laisser abattre. Je prépare ma petite valise à roulettes. Elle est vide. Je me dis qu'elle ferait un excellent caddie. Je prends mon sac à main. L'argent y est encore. Je vais au bureau des infirmiers pour préparer ma sortie. L'infirmière me donne alors une ordonnance pour les compléments nutritionnels.

Je la prends et me précipite dans la première pharmacie. La pharmacienne me demande de mes nouvelles. C'est ma pharmacie de quartier et ça faisait longtemps qu'elle ne m'avait pas vue. Elle m'a délivré des HPHC pour les 3 jours de l'ordonnance. Elle m'a aussi offert quelques échantillons pour tester de nouveaux arômes. Je pars déposer le tout à la maison. Je ressors aussitôt pour voir si je peux trouver quelque chose pour égayer ma soirée.

Passant devant une boutique de prêt-à-porter, une robe à paillettes me fait de l'œil. J'entre et l'essaie. Elle me va parfaitement. Je me fais l'impression d'être une boule à facettes mais je me trouve très belle dedans.  Alors je l'achète et je sors avec, portant mes vieux vêtements dans un sac. Je passe ensuite devant un salon de coiffure. Je pousse la porte sans grand espoir. « Seule la stagiaire est disponible » me dit la patronne. Au point où j'en suis, il vaut mieux être coiffée par une stagiaire que par moi-même.

Elle coiffe super bien cette demoiselle ! Ça me réjouit. En prime elle m'a aussi maquillée. Pour la remercier, je lui ai laissé un bon pourboire.

Je suis ensuite passée chez le fleuriste. Je lui ai acheté un beau bouquet aux couleurs douces puis je suis rentrée. Quelqu'un d'autre aurait acheté de quoi manger ou boire. Boire m'est encore prohibé, quant à manger, je n'ai pas envie de prendre ce risque, étant seule pour la soirée. Je me contenterai de mon milkshake protéiné.

A la maison, je me retrouve nez à nez avec Maria. Il est vrai que nous sommes jeudi, jour du ménage.

- Madame Échard que vous êtes jolie ! fait-elle remarquer.

- Merci Maria. Je vous rappelle que je m'appelle Catherine.

- Que vous avez un beau bouquet là, Catherine !

- En fait c'est pour vous. Je voulais vous remercier d'avoir toujours assuré.

- Ah que c'est gentil. Merci. Vous avez besoin de quelque chose pour ce soir ?

- Non, ça ira. Je vais m'installer tranquillement. Passez un bon réveillon.

- Vous aussi Catherine. Bonne soirée.

Je me retrouve sans ami, sans famille, sans petit-ami et pour couronner le tout sans bouquet pour égayer ma soirée. Et il est trop tard pour ressortir. Qu'à cela ne tienne, je prends quelques serviettes colorées et les arrange en différentes formes. Le résultat me plaît. Je mets ensuite un peu de musique et me mets à tournoyer. Je m'arrête fatiguée. J'ouvre un milkshake au nouveau parfum fraise-banane. Je le bois mais m'ennuie déjà. Je regarde l'horloge, 19 heures. La soirée va être longue.

On sonne.

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