Paris
Je tourne en rond dans ma chambre. J'ai dit au revoir aux enfants hier. J'en ai pleuré, les enfants aussi. J'ai pris la décision de rester sur Paris pendant toute l'année et d'y chercher un travail à temps partiel. Alexandre n'arrive pas à comprendre ma décision. Il voulait me payer mes séjours parisiens, ainsi que mes allers-retours lyonnais. J'ai refusé. Je ne l'ai pas revu depuis avant-hier. Il me boude. J'ai du mal à comprendre ces boudeurs, sous prétexte que nous ne fassions pas comme ils le voudraient, ça leur donnerait le droit de ne plus nous parler... ça me met à chaque fois en colère.
Je ne comprends pas non plus cette appréhension qui me gagne. Je tourne en rond encore et encore... Je me rongerais les ongles s'ils avaient eu une consistance.
J'ai quitté ma chambre 13 il y a deux jours. Ça faisait quinze jours déjà que j'étais repassée au-dessus des 47 kilos. Tout le monde s'accordait à dire que j'allais bien mieux... alors pourquoi ?... Les derniers contrôles n'étaient pas si mauvais pourtant... « Pas si mauvais mais il y a cette tâche au scan »... Cette tâche, quelle idée d'apparaître là, au moment où je devais sortir. Et puis les analyses sont revenues, pas de cancer mais une maladie inflammatoire un peu bizarre. C'est bel et bien une réaction auto-immune... à quoi ? Sans doute une réaction d'intolérance médicamenteuse. Le docteur Roche pensait depuis le début qu'il s'agissait d'une réaction aux différentes chimios. Le verdict est tombé quelques jours avant ma sortie : il avait raison. Je n'ai pas supporté ma dernière chimiothérapie, une nouvelle thérapeutique, un médicament destiné habituellement aux cancers de l'estomac. Moi j'avais un cancer de l'ovaire. J'ai été un malheureux cobaye. Le médicament a été beaucoup trop efficace : son tropisme pour l'estomac et les tissus digestifs a contribué à me priver en partie de ma digestion. Le docteur Roche et Alexandre ont même réussi à m'obtenir un dédommagement conséquent de la part du centre de lutte contre les cancers. Les médecins avaient fait une erreur en négligeant mes plaintes répétées. J'ai accepté bien sûr. J'en ai laissé une partie à mes enfants pour les aider et j'ai gardé le juste nécessaire pour mon séjour parisien.
Je me retrouve dans une des chambres du centre MEARY de l'hôpital Tenon. Tout le monde semble gentil. Le docteur d'Orcy m'a demandé de l'appeler Marie. Tout le monde s'appelle par son prénom ici selon elle. Aujourd'hui elle doit me présenter le directeur des entreprises Roy New Tech. Même si elle m'a dit que ce n'était qu'une formalité, je suis inquiète et je n'arrive pas à rester assise. Une appréhension m'envahit : j'ai l'impression que toute ma vie se jouera ici.
On frappe. Je vais pour ouvrir.
- Bonjour Catherine.
- Marie.
Nous nous serrons les mains.
- Permettez-moi de vous présenter monsieur Henri d'Orcy, directeur adjoint des entreprises Roy New Tech.
- D'Orcy ? Vous êtes donc parents ? je l'interroge.
- Oui, Marie est ma fille. me répond-il.
- Enchantée. je lui réponds.
- Catherine, papa aurait une faveur à vous demander. Ne vous sentez toutefois pas obligée de l'accepter.
- Quel genre de faveur ?
- J'aimerais que vous regardiez ce dossier et que vous me disiez ce que vous en pensez.
- C'est un piège ? je m'exclame.
- Non Catherine, papa cherchait juste votre avis de pharmacien.
- Je comprends mais qu'aurais-je à y perdre ?
- À y perdre, rien. À y gagner peut-être. Il s'agit d'une étude de cas sur une thérapie innovante et très prometteuse. L'entreprise a beaucoup misé sur ce traitement et risque de tout perdre... m'explique-t-il
- À cause de moi ?
- Il y a eu un loupé mais nous n'arrivons pas à comprendre ce qui a mal tourné. Cette thérapie a prouvé son efficacité sur de nombreuses tumeurs mais si nous ne parvenons pas à prouver sa bonne tolérance, l'Autorisation de Mise sur le Marché ne lui sera jamais accordée.
- Je connais mon dossier par cœur et pourtant je n'y ai trouvé aucune faille...
- Le dossier que je vous remets contient aussi des détails confidentiels sur la thérapeutique elle-même. Prenez quelques jours pour le consulter et nous en parlerons par la suite.
J'ouvre le dossier des Résumés des Caractéristiques du Produit, je le parcours en diagonale. Mes yeux se heurtent au tableau des équivalences doses/poids. J'en ai le souffle coupé. Je le referme aussitôt.
- Alors, qu'en pensez-vous ? Allez-vous le regarder plus en détail ? s'inquiète-il.
- Il faudrait que j'aie entre les mains mon dossier complet, avec la partie diététique entre autre.
- Je pensais que tout était là ?
- Je ne sais pas ce qui se passe exactement mais on a négligé de vous donner une partie de mon dossier médical.
- Vous pensez à quelque chose en particulier ?
- Je pense en effet à la courbe de poids. Quand j'ai étudié mon dossier, il me semble n'avoir pas vu d'adaptation de la dose par rapport à mon poids. Or je constante à l'instant la présence d'un tableau d'équivalences. Si j'en crois mes souvenirs, on m'a toujours injecté la même dose de médicament. Non seulement on a négligé mes plaintes mais en plus on n'a pas respecté les RCP.
- Ça pourrait être une piste à creuser... Toutefois, l'intérêt de notre thérapeutique réside dans sans faible toxicité. Un écart de poids, n'aurait pas dû vous affecter ainsi.
- Quand un écart se limite à 5 voire 10 % de la masse, je le comprendrais, mais en l'occurrence j'étais à moins de 60 kilos quand j'ai commencé et il me semble être tombée à moins de 50 à la fin.
- Vous avez perdu 10 kilos, ça n'aurais pas dû avoir des conséquences aussi fâcheuses.
- Et si on en perd 30 ?
- Oui ça serait plus problématique. Dans nos études chez la souris, la tolérance restait bonne dans une limite de 20% de perte de masse. Au-delà, elle mourait.
- Dieu merci je suis encore là. je cherche à dédramatiser.
- Je ne vous suis plus... s'excuse-t-il.
- Les doses que j'ai reçues correspondaient à mon poids de départ, soit 80 kilos...
Henri s'est laissé tomber sur le fauteuil derrière lui. Il vient de comprendre ce que j'ai compris en ouvrant le dossier des RCP.
- C'est inconcevable ? Comment est-ce possible ?
- Je ne sais pas. La grande difficulté réside dans le fait que mes souvenirs de cette dernière année restent encore trop flous. Vous devriez donc demander la partie manquante du dossier pour y voir plus clair.
- Je vous remercie pour ces éclairages.
- Je vous en prie. Pourrais-je vous demander une faveur ?
- Allez-y.
- J'aurais besoin d'un travail à temps partiel. Je pourrais faire du secrétariat, du classement d'archives, des relectures... N'importe quoi qui ne demanderait pas une grande forme physique.
- Et pourquoi pas un travail de pharmacien ? Vous seriez mieux considérée et bien mieux rémunérée.
- J'aurais aimé mais le travail en officine est beaucoup trop coûteux en énergie.
- Je pensais plutôt vous proposer de mener à bien la défense de la demande d'AMM. Qu'en pensez-vous ?
- J'en serais honorée mais je ne suis pas qualifiée.
- Vous seriez assistée d'un juriste confirmé et vous auriez à disposition les travaux de votre prédécesseur.
- Je commence quand ? je conclus.
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