Mais avant

Marc est resté à mes côtés. Il y a passé la nuit. Il s'est allongé tout habillé sur le lit. Il m'a fallu du temps pour m'en remettre. Encore aujourd'hui, il m'arrive de voir du sang sur mes mains.

J'étais seule ce jour-là, Marc avait été appelé au chevet de son père qui se mourait d'un cancer des poumons. Il m'avait laissée seule quelques jours. Il devait revenir le weekend comme à son habitude. Malheureusement son père s'était éteint ce dernier vendredi d'août. J'avais commencé à avoir des contractions. Je l'avais appelé pour l'en informer et lui dire que j'allais me rendre à l'hôpital. Je n'avais pas pu le joindre, son téléphone était éteint. Je lui avais alors laissé un message en lui parlant du sang sur les draps, le suppliant de me rappeler. J'étais allée seule au service d'urgence de la maternité. Le bébé était mort in utero, on n'y pouvait plus rien. On m'a alors donné des médicaments pour « l'évacuer ». J'étais rentrée chez moi seule, j'ai perdu le bébé à la maison seule. J'étais ensuite restée recroquevillée toute la nuit et la journée qui avaient suivi. Marc n'avait toujours pas rappelé. La douleur physique était peut-être difficile à supporter mais la douleur de mon âme devenait, elle, de plus en plus insoutenable.

En me levant, la nuit suivante, j'avais une envie pressante de vomir. J'avais alors recommencé à vomir du sang. Ça faisait plusieurs mois que ça ne m'était plus arrivé, ou alors très peu que je mettais sur le dos des nausées de la grossesse. Je vomissais crescendo, à chaque passage aux toilettes. Au début je croyais que c'était lié à ma fausse couche et aux médicaments qu'on m'avait donnés. Ce n'était pas le cas, mon estomac se délitait de plus en plus mais je ne le savais pas. Mon oncologue, avec qui j'avais rendez-vous le lendemain pour les bilans des 6 mois, n'en comprenait rien. Il m'avait alors prescrit une IRM pour se rassurer. Je n'avais jamais pu m'y rendre...

Marc était rentré le weekend suivant sans me trouver. Il avait mis du temps à comprendre que j'étais la personne que les médecins du SAMU cherchaient désespérément à sauver dans le jardin public d'en face. Il avait observé la scène, debout derrière la fenêtre du salon. J'avais alors pris un taxi pour me rendre à l'hôpital afin de passer la fameuse imagerie. N'y trouvant plus mon air, j'avais aussitôt fait arrêter le chauffeur pour descendre respirer. S'en sont suivies des crises de vomissements. Devant le sang que j'expulsais, les passants avaient alerté le SAMU. Le chauffeur de taxi comprenant que je n'allais pas revenir avait fini par partir. Plusieurs heures après, un client lui avait parlé du sac à main resté sur la banquette arrière. Après avoir pris le temps de fouiller dedans pour vérifier mon identité, il avait fini par le rapporter, quelques jours plus tard, à la concierge de mon immeuble.

Marc avait commencé à s'inquiéter de mon absence. Comme je ne répondais pas aux appels, il avait fini par appeler le centre Léon Bérard pour en avoir le cœur net. On ne m'y avait pas vu. La concierge qui m'avait vue partir le matin en taxi ne m'avait pas vue revenir non plus. Il avait alors tout fait pour me retrouver. Avec mon nom il n'obtenait jamais de réponse. Il avait ensuite eu l'idée de faire des remplacements dans les différents hôpitaux lyonnais pour avoir accès aux dossiers des admissions. Après plusieurs semaines d'appels et de remplacements, il avait fini par réussir. Entre temps il dépérissait littéralement, un burn-out ; Il devenait l'ombre de lui-même. Dans cet état il ne pouvait diriger la société léguée par son père. Son oncle avait alors pris le relais et l'avait sommé de partir se changer les idées et retrouver de nouvelles raisons de vivre. Il ne pouvait décemment lui avouer que ce n'était pas la perte de son père qui le mettait dans cet état et avait fini, non sans regret, par accepter de partir. Il avait par conséquent opté pour du bénévolat avec Médecins Sans Frontière.

Quelques semaines avant de partir, il avait croisé son cousin, psychologue, sortant de la chambre 13. Il avait alors trouvé en lui une épaule pour s'épancher. Alexandre avait pris l'habitude de venir dans cette chambre pour échapper, l'espace d'une heure, aux pressions de son sex-appeal. Marc, lui, venait les weekends et se faisait passer pour un bénévole de la bibliothèque. En partant, après avoir déposé un baiser sur mes lèvres, ce dernier confia ma garde à son cousin. Ce fameux cousin, intrigué par l'effet que je faisais à ce taciturne et imperturbable garçon avait déjà commencé à sonder ma personnalité de « princesse endormie ». Je devenais son objet d'étude favori, jusqu'au jour où il n'arrivait plus à se passer de cet objet de fascination. Il avait décidé de ne plus revenir me voir aussi quotidiennement mais le sort s'était acharné. Mon réveil l'avait obligé à revenir. Mon amnésie l'avait encouragé à me cacher à ce cousin si jalousé.

Ma mémoire remonte peu à peu à la surface. Je me souviens de la relation épineuse que j'entretenais alors avec Marc. Il n'avait été ni mon Roméo ni mon Païkan au départ. Nous n'étions jamais d'accord sur les stands des salons. Je l'irritais pendant les conférences par mes questions incessantes et auxquelles il n'apportait que rarement des réponses. Il n'aimait pas les hôtels non plus et avait pris l'habitude de louer une chambre chez l'habitant. Un jour je l'ai entendu, bien malgré moi, pester au téléphone car il ne trouvait pas à se loger. Sa chambrette n'était pas disponible car il n'avait pas pris la peine de la réserver. Aucun hôtel à proximité n'avait de chambre à proposer. Je lui avais alors proposé de l'héberger pour le weekend. Il avait été surpris mais n'ayant pas eu de meilleure offre, avait fini par accepter. Il a ensuite été convenu qu'il louerait systématiquement ma chambre d'amis. Au fur et à mesure, il avait fini par passer tous ses weekends avec moi. Nous aimions lire et commenter nos lectures ensemble. Nous y passions nos temps libres. Quand nous n'étions pas pris par les salons « new tech » ou pharmaceutiques, nous faisions les maraudes avec d'autres paroissiens du secteur. Je n'étais pas encore divorcée à l'époque. Le jour officiel de mon divorce, il avait ramené une bonne bouteille de champagne et avait cherché à me séduire. Nous avions alors fait l'amour sans protection. J'étais aussitôt tombée enceinte. Marc s'inquiétait de tout : la santé de son père, celle de l'entreprise qu'il devait diriger et de ma santé aussi. Moi je ne m'en mêlais pas mais je n'appréciais plus son stress permanent, ses sautes d'humeur et son comportement taciturne. Nous nous étions encore disputés le dernier weekend passé ensemble, avant qu'il soit appelé au chevet de monsieur Roy père.

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