Lundi 14 décembre, il pleut des cordes. La neige me manque. Je regarde le pendule, 11h20. Cinq minutes de retard... Viendra-t-il ? Il l'a promis... Mais pourquoi ne vient-il pas...

Il me manque...

Je me mets à l'attendre comme Raiponce attendait son prince.

Je ne suis pourtant ni jeune, ni belle... et encore moins une princesse...

On frappe à la porte.

Ouf... il est là, mon cœur se débat...

Son sourire de star aux lèvres...

- Treize... Et si je vous appelle Catherine ? me taquine-t-il.

- Catherine ? Ça serait mon nom ?

- Oui Catherine, je l'ai décidé, ça me plaît bien...

- Vous êtes incorrigible... Où étiez-vous ? je l'interroge.

- Comme ça, on veut tout savoir... seriez-vous jalouse ? Vous aurais-je manqué ?

- Je me suis juste inquiétée, vous êtes habituellement si ponctuel...

- J'attendais quelqu'un... me répond-il amusé.

Quelqu'un qui n'est pas moi... Pourquoi suis-je si touchée par ce "quelqu'un" ?

- Qui ? je m'enquis.

- Mme Rochon, infirmière en oncologie au centre Léon Bérard.

- Rochon ?

- Ça vous parle ?

- Ce nom m'est familier, en effet.

- Elle est l'infirmière en oncologie du service où la patiente « 80 kilos » avait été soignée. C'est elle qui lui a expliqué les soins et qui l'a accompagnée tout au long de son suivi. Elle l'a vue en consultation plus de 20 fois... Et si vous avez vu juste, elle devrait vous reconnaître, même avec 30 kilos de moins.

Il ouvre grand la porte... puis invite l'infirmière du Centre Léon Bérard à entrer.

- Je vous en prie, madame Rochon... Entrez. Je vous laisse vous faire votre opinion... Prenez votre temps...

Je tourne la tête dubitative entre l'infirmière et mon psy... Je n'y comprends rien. Eux semblent tout savoir...

- C'est bien elle. lui répond-elle charmée par son interlocuteur. « Ce regard perdu dans le vague... Il était déjà comme ça au moment de l'annonce... Aucune réaction, pas une larme... Sa seule demande était pour savoir quand elle pourrait chercher son enfant à l'école. Oui je la reconnais bien en votre patiente. »

- Et les kilos, ça ne vous choque pas, s'insurge-t-il. Je veux dire, elle est sortie de votre service peu de temps avant son admission, en urgence, chez nous. Elle ne pourrait matériellement pas avoir perdu 30 kilos en un claquement de doigts...

- Je ne vous suis plus monsieur Alain.

- Dans le dossier, transmis en juin dernier par votre unité, il était fait mention de 80 kilos en lieu et place du poids.

- Oui et c'est bien le poids qu'elle faisait à l'arrivée dans notre service, en septembre 2019... J'en suis certaine. Elle n'a cessé de perdre du poids depuis...

- M'enfin, s'insurge-t-il à nouveau. Je ne suis pas médecin mais dans notre service les mesures de poids sont notées systématiquement...

- Et elles l'ont bien été dans son dossier "diététique"...

- Que vous n'avez pas jugé bon de nous communiquer...

- Je suis désolée mais je peux vous assurer qu'elle a été parfaitement soignée dans notre service...

- Ça reste à prouver... Que de temps gâché !

- Je ne vous permets pas Monsieur... le dernier PET scan ainsi que les analyses qui ont suivi allaient toutes dans le sens d'une rémission.

- Nous verrons tout ça de plus près. Dr Roche se mettra en lien avec votre chef de service pour les détails médicaux. Mes compétences s'arrêtent là mais vous ne m'empêcherez pas d'avoir des doutes.

- Le doute est toujours permis mais je vous assure que tout a été fait dans l'intérêt de madame. Rien n'a été laissé au hasard. Nous avons même dû changer 3 fois les formules de ses chimios car elle n'en supportait aucune.

- Trois fois ? Ça fait un peu beaucoup, non ? s'inquiète-il.

- C'est inhabituel, je vous l'accorde. Ce n'est toutefois pas la première fois que ça arrive.

- Je pense que nous nous sommes tout dit. Je vous raccompagne.

Ils sont donc partis me laissant à mes réflexions...

J'ai essayé tant bien que mal de suivre cette joute verbale mais je n'en ai retenu que l'essentiel. Ainsi je m'appelle Catherine. J'ai eu fait 80 kilos. J'ai perdu du poids tout au long de mon suivi en oncologie. Plus de 30 kilos. Ça n'a choqué personne à Léon Bérard. Pas madame Rochon en tout cas. Peut-être pas moi non plus. Étais-je contente de cette perte ?

J'ai découvert mon prénom. Avec mon poids, c'est bien tout ce qu'on m'a donné.

Mais qui suis-je ?