Éléa et Max

Noël approche à grands pas. Alexandre est revenu chaque jour à 11h15, toujours accompagné d'un stagiaire. Sérieux et professionnel. Toujours très correct mais le sourire en berne. Aurais-je brisé un cœur ?

Pour ma part, je me sens mieux, je reprends peu à peu des forces. Je marche même seule. Ma démarche restant hésitante, la kiné ne me quitte pas encore des yeux. Dans le service, ma récupération physique me fait presque passer pour une extraterrestre. Docteur Roche m'avait donné trois mois pour recommencer à peine à marcher. J'en suis à deux mois et mes pas sont de plus en plus assurés. Qui l'aurait cru ? Ai-je toujours eu cette volonté de fer ?

Je recommence aussi à manger. Je dirais même que je ne suis jamais rassasiée. Malheureusement mon estomac ne supporte plus grand chose... Mon estomac ! Quelle ânerie ! Je n'en ai plus ... Il faudrait que je m'en rappelle à l'avenir. Le contrecoup est si vite arrivé. La diététicienne m'avait pourtant prévenue. Hier j'ai tout rendu pour une bouchée de trop. J'en ai d'ailleurs souffert toute la nuit. Faire attention à tout ce que je mange devient une préoccupation de chaque instant... J'apprends donc à manger beaucoup moins, mais plus souvent. En fait, j'ai l'impression de passer mes journées à grignoter.

Je me souviens qu'enfant on me disait de ne pas grignoter. Je ne devais pas être bien attentive... Mes 80 kilos d'alors en témoignaient.

Aujourd'hui on me demande de grignoter pour reprendre du poids. Où va le monde ? À 47 kilos je pourrais sortir de l'hôpital. À 50 j'arrêterai le suivi diététique.

Adulte, je n'ai jamais pesé si peu. Au mieux je tournais autour de 65 kilos. Pour un mètre soixante-huit, j'étais suffisamment jolie pour qu'on se retourne sur moi. Je portais alors fièrement mes formes féminines.

« Faccia da bambina » avait l'habitude de m'appeler maman. Oui j'ai toujours eu un beau visage et ce malgré mon poids. Un teint clair, des yeux légèrement en amande, de couleur miel, allant du vert à l'acacia selon les couleurs du ciel. Un petit nez, bien dessiné. Tout en équilibre sur un visage un peu arrondi. Au centre y trônait un sourire angélique. Et malgré mes 40 ans passés, pas une ride, ni un cheveu blanc.

Aujourd'hui avec mes 44 kilos, mes rides dessinent les traits de la maturité. Mon sourire plisse mes yeux et renvoie l'image d'une femme de la quarantaine bien tassée. Et mes cheveux, mes beaux cheveux, châtains ondulés, ont disparu, laissant un crâne clairsemé de boucles à la façon d'un petit bébé.

Plus rien de beau. Tout s'est perdu sous les décombres de chimios à répétition.

Je ne me reconnais plus. J'ose à peine me regarder dans un miroir.

Quel gâchis !

Une vie gâchée.

Mes bribes de souvenirs ne m'en disent pas suffisamment pour que je m'en rende réellement compte mais je le vois bien dans le miroir quand j'ose me regarder en face.

J'ai demandé à sortir pour Noël. Une permission en somme. Passer le réveillon en dehors de cette chambre 13 et n'y revenir que le 25 au soir. A l'hôpital, l'équipe était hésitante, ils ont eu peur que je ne supporte pas le monde extérieur.

« Vous n'êtes pas assez forte pour sortir. »

Peut-être.

Passer Noël seule, ici, ne m'enchantant guère, j'ai insisté et ils ont fini par céder...

Il faut dire qu'Alexandre m'y a beaucoup aidée. Je dois reconnaître que malgré l'incident des débuts, il m'a été d'un grand secours.

D'ailleurs, comment un Apollon de son genre pourrait vouloir embrasser une femme comme moi ? Voulait-il se moquer ?

Je ne le saurai sans doute jamais.

En attendant, il est toujours disponible, prompt à me secourir dans mes réminiscences. Il m'a ainsi appris tout ce que je sais aujourd'hui : j'ai été mariée, je ne le suis plus.

J'ai deux enfants, Éléa et Max.

Éléa, ce prénom venait bien de "la nuit des temps". Mon prénom préféré depuis que j'ai lu le livre au lycée.

Ma première enfant, toujours enjouée. Toujours disponible. « Scout toujours » est sa devise. Je l'aime beaucoup. Je crois même que j'ai dû trop l'aimer. Je l'étouffais. Elle avait besoin d'air... Quand j'ai quitté son père, le cordon s'est vite brisé.

Max, mon plus jeune. Peu de temps après son entrée à l'école, on apprend qu'il n'y a pas sa place. Il est différent. Après plusieurs mois de recherches et d'errance diagnostique, le couperet est tombé. « Il est autiste. » Autiste ! Mon cœur de mère s'en doutait. Max est doux et gentil. Il a besoin d'un accompagnement constant. Quand il est dans son élément, pourtant, il n'a plus besoin de personne. Je l'ai compris mais il avait déjà 14 ans.

Dans peu de temps je passerai le réveillon avec mes enfants. Ils me manquent tant... Une question m'interroge tout de même pourquoi ne m'ont-ils pas faite chercher ? Je devrais donc rester sur mes gardes pendant toute la soirée et les laisser se confier à moi s'ils le souhaitent ou me faire des reproches si je les mérite. J'espère tout de même avoir quelques réponses sur mon passé. Mais arriverais-je à répondre à la plus importante des questions :

Qui suis-je ?

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