Chapitre 2.

Je suis assisse au bord du lit. En sous-vêtements : ne portant qu'un soutien-gorge noir, soutenant ma poitrine et dévoilant la naissance de mes seins, ne portant qu'une petite et simple culotte blanche, dont la découpe simple, facile et provocante laisse entrevoir un large morceau de mes fesses. Assise de manière que les plis de mon ventre rond, ce qui saillit à la surface, comme des reliefs saillants, se marquent, se dessinent et me font honte. Je suis assise au bord du lit. De ce lit défait, froissé, puant de l'odeur de nos corps nus et retentissant encore de l'écho de nos gémissements. Il est au lit. Il dort encore, dans le lit. Il est si beau. Il repose sur le dos. Les draps tombent gracieusement son corps nu, laissent apparaître son torse nu. Sa peau est marquée par quelques lignes ensanglantées, irrégulières et sèches. Sous mes ongles, reste un peu de sang. Les draps rouges l'habillent élégamment comme la toge d'un empereur romain : les draps reposent sur ses hanches à la manière d'un fleuve qui s'écoule, s'étale et s'étend au-dessus des roches des montagnes, dissimulant à peine, avec une impudeur soutenue, avec une indécence enivrante, la courbe saillante de son corps nu, noué de muscles, tissé d'une peau parfumée. Sa peau avait le parfum des anges cachés derrière les nuages, la mollesse des étoiles fumantes dans l'éther. Mes doigts gardaient encore sous la pulpe, derrière les ongles, le souvenir délicat de cette peau frémissante. Je me souviens de cette nuit ! de ce temps ! de ce nous ! De ce nous qui n'avait duré que le temps d'une nuit. Il fait nuit, le soleil ne s'est pas levé. La lune a été le dernier témoin de nos corps s'alliant l'un dans l'autre, de nos souffles se mélangeant l'un à l'autre, de nos gémissements s'écoutant l'un après l'autre. La lune, comme une tâche grise sur un fond noir, a vu nos corps chauds comme une lave s'écoulant des volcans au moment des éruptions, mous comme une argile de couleur rouge, malléable et fondante sous la pulpe des doigts, fiévreux comme un malade frissonnant surpris sous une pluie glaciale. La lune, grosse dans le ciel, se tenant comme un hibou perché au-dessus d'une branche, a entendu, les oreilles aux aguets, nos soupirs et nos gémissements et a senti, les ailes papillonnantes, ce désir qui monte et s'accroche partout dans l'air et nulle part dans la chambre.

Soudain, un sentiment s'engouffre dans ma poitrine, déferlant pareillement à une immense vague sur les océans, à la houle grignotant la côte. J'ai l'impression de ne plus savoir comment respirer : mes poumons s'atrophient avec paresse, près de mon cœur, ma poitrine était traversée d'une brûlure dont chaque flambée semblait frapper, à grands coups, contre ma masse osseuse, ma cage thoracique se rétrécit avec dureté, sous ma chair. Emportée par un léger délire qui agite l'esprit humain, qui trouble quelques morceaux d'âmes quelconques et qui ne trouve pas de nom, je me lève. Sur le sol, nonchalamment, comme le vieux souvenir de nos ébats, traine encore ma robe à sequin noir. Je la ramasse, mais ne l'enfile pas, pas encore. Désormais, je me tiens face à un long miroir, suspendu au-dessus du battant de la porte d'entrée. Je me penche légèrement en avant, inclinée. J'essuie le noir qui coule, tache et s'effrite sous mes yeux. Du noir craquèle, s'émiette, est friable sous mes doigts. Des miettes noires salissent, comme un morceau de charbon s'émiettant, parsèment, comme des étoiles dans le ciel, la pulpe de mes doigts. Mon rouge à lèvres déborde de ma bouche, il dépasse sur les bords. J'efface entièrement ces marques disgracieuses sur mon visage de femme, écarlates sur ma peau hâlée par le soleil, du dos de la main. Mon maquillage est un vestige, une antiquité, me restant de ma nuit agitée. De lourdes valises tombent sous mes paupières et mes yeux sont comme deux trous noirs sur mon visage cireux, laiteux, dont une nuance maladive a repeint les traits. Je laisse rebondir mon regard sur mon reflet et j'observe longuement mon corps dans ce verre lisse, neutre, sur cette surface poli et étamé. De larges bleus tirant sur une teinte violette s'étalent sous mes clavicules. De fines griffures marques mon épaule : la peau est égratignée, les cicatrices sont rouges et les mignonnes blessures se déchirent doucement. Mon doigt redessine patiemment les traces que laisse le sang séché, les contours de mes hématomes qui s'épanouissent comme des fleurs violettes. Accompagnée des moiteurs d'un certain frisson, amarrée par la délicatesse d'un flot surprenant, je ferme les yeux. Sous mes paupières, comme un flash foudroyant, pareillement à la pellicule d'un film, défile des images que je peine à replacer dans mon esprit comme de réels souvenirs.

Nous tombions, ensemble, sur le lit, dans un désordre de bras et de jambes. Nos corps, las, mous, échoués sur le matelas, allongés l'un contre l'autre, habillés du tissu de nos vêtements qui nous démange, nous gêne, nous dérange, étaient étendus, sur une grande place, comme sur une plage de sable chaud. Nos visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre : nous nous contentions, premièrement, de nous observer, plantant en profondeur, ancrant intensément, nos regards l'un dans l'autre. Je plongeais dans ses pupilles, la tête la première, tout entière, oubliant de prendre ma respiration. J'avais l'impression fabuleuse d'être submergée par un océan obscur, des ténèbres sans fond, d'où je ne pouvais pas apercevoir la forme de mes pieds. Nous restions sages, l'un à côté l'autre, décollant nos bouches, agrandissant le gouffre nous séparant, n'osant à peine lever une main, éveiller un désir ou trembler de frustration. Nous restions sages, la peau comme gelée, les membres comme figés dans le marbre, le corps comme moulé dans une statut de cire. Nos corps étaient comme faits de cire, prisonniers dans le moule d'une statut, et à l'intérieure, à l'entrée de nos poitrines, étouffés par des conventions sociales, muselés par notre raison, s'épanouissait fraichement une flamme. Une flamme intense faisait fondre, à petit feu, les entrailles de nos corps de cire : notre peau coulait comme un soleil coupé en deux, nos poils brûlaient en dégageant une odeur de cendres chauds, nos muscles consumaient en secret une vive énergie. Nous restions sages, mais ce repos, mais cette sagesse, mais cette bienséance, était le bâton qui attise les flammes dans l'âtre d'une cheminée, non la baguette du maitre qui punit le cancre. Moi, encore. Moi qui ne pus résister. Mon doigt ! mon doigt manucuré, sans être vernis, fin et curieux, s'abandonnait à une rare ivresse, s'éprenait d'une rare audace et se laissait être consumé. Mon doigt ! ô mon doigt de tous les malheurs ! Je maudissais ce doigts, intrépide et tendre, qui s'en était allé, sans avoir consulté la raison dans ma tête. Ce doigt, piquant et flâneur, avait écouté la voix de ce débaucheur, ce mauvais, ce pervers : la voix de mon cœur. Ce doigt s'était posé dans le creux de son cou, puis, il avait caressé. Il avait caressé lentement, tendrement, délicatement, la peau de son cou. Je l'ai senti frémir. Frémir dès mes premières caresses Sa peau était molle, chaude, tremblante, peine de frissons. Sa peau était prise par une violente fièvre. Ce doigt, ce mauvais tendre et ce bel intrépide, avait provoqué sa maladie. Peu soucieux de s'en inquiéter, il se plaisait. Il se plaisait à redessiner les contours de son épaule, à souligner les plis de son cou, à tracer l'arrête de sa mâchoire. Il tremblait. Tremblait comme la terre que secoue une catastrophe naturelle. Il se tordait. Se tordait comme pris par la plus violente des douleurs. Il se tordait de douleur. Quelle douleur ! Sûrement la plus terrible. Il était frustré, douloureusement frustré. Il était sur le dos. Je discernais, à travers son pantalon coupé droit, tisé d'un tissu fin, noir avec de petites rayures blanches, avec une netteté effrayante, une grosse bosse. J'entendais ses gémissements, aussi. Ses gémissements étaient d'une sorte singulière. Ils avaient l'inflexion lascive d'un soupir et les échos effroyables d'une plainte. Entre désir et douleur. Ces gémissements, oh ! ces gémissements ! ils étaient une musique, une douce harmonie, comme la symphonie des plus grands maîtres à mes oreilles. Mozart lui-même n'aurait su composer une ritournelle aussi belle.

Finalement, il leva sur moi un regard terriblement étonné, banalement provocateur. À l'intérieur, ses pupilles se dilatèrent. Sa bouche, hésitant entre la courbe tordue de la surprise et l'arrondi délicat du contentement, dessinait un sourire d'une nature étrange. Je m'approchai de son oreille, je sentis, dans sa poitrine, le bruit de son cœur qui se perdait et s'emballait en adoptant une cadence affolée. Je susurrai dans son oreille, avec cette voix légère, celle que je n'ai pas l'habitude de prendre, celle qui a l'intonation d'une jeune ingénue en même temps que les manières d'une grande provocatrice, la voix de celle qui feindrait de ne rien savoir de cette vague qui montait peu à peu en lui. Je susurrai : « Faites-moi l'amour, faites-moi jouir, monsieur. » Que ces mots étaient obscènes ! Ils avaient un goût de plâtre qui engourdissait douloureusement ma langue, une saveur d'acide qui rongeait la chair de mes amygdales et un parfum de moisissure, de pierre humide et d'herbe en décomposition dans mes narines. Ses pupilles étaient étrangement grosses. Il n'émit aucun son, ne proféra aucune parole. Sa bouche, entre-ouverte, s'affaiblissaient derrière les plis d'une courbure excessive. Soudainement, je sentis ses mains se tordre dans mon dos. Une sorte d'étonnement se figea dans les traits d'une expression singulière qui traversa mon visage, comme une étoile filante dans le ciel, lorsqu'il s'employa à ouvrir la fermeture éclair de ma robe. Plus tard, nous étions débarrassées de nos vêtements.

J'étais nue, les cheveux lâchés. Lâchement allongés sur le lit. Mon corps était lisse, mou. J'avais la chair mollement blanche des femmes. Mes muscles étaient détendus et mes nerfs ressemblaient à de la corde à boyaux. Mon buste brillait avec largesse et finesse. Mon collier de perles blanches étincelle au-dessus. Il tombe avec mollesse et paresse, il guide un chemin sur ma peau et mène jusqu'au début de mon décolleté. Il était au-dessus de moi. Nu, le sexe grossi, dur, gorgé de sang. Il était allongé sur moi, se tenant à bout de bras, posant son membre entre mes cuisses. Il me regardait, mais j'avais fermé les yeux, serré les dents, crispé la mâchoire. Mon corps était lâche, mais mon visage était dur. Mon esprit marchait, seul, perdu, comme errant à quatre pattes comme un nourrisson sans sa mère. Il se tenait au-dessus de moi, avait posé son sexe sur le mien. Son sexe était dur et j'attendais qu'il pousse. Qu'il pousse au fond de moi, en profondeur de moi-même. J'avais fermé les yeux et j'attendais patiemment, me demandant dans un sursaut si les choses seraient douloureuses. J'avais les yeux fermés et j'entendis qu'il me demanda : « êtes-vous certaine, mademoiselle ? » J'hochai la tête vigoureusement. Précipitamment. Je n'avais pas réfléchi à la question mais j'avais hoché la tête. Hoché la tête dans la seconde qui suivit. Je ne m'étais pas donné le temps de réfléchir. Parce que me donner le temps de réfléchir était me donner le temps de renoncer. Je n'étais pas certaine de vouloir le faire, mais j'étais certaine de ne pas vouloir renonce. J'avais hoché la tête, je serais les dents, fermais les paupières et tendais la mâchoire. Je sentais le poids de son corps sur le mien qui pesait, pesait et pesait encore. Qui pesait comme pèse la terre sur un cadavre. J'étouffais. Inexorablement, j'étouffais. Ce poids s'abattait sur mon buste, écrasait mes poumons et torturait mon cœur qui s'épanchait. Qui s'épanchait matériellement. S'épanchait par un désir intense. J'étais empli de désir et ce désir m'étouffait. L'air se raréfiait dans mon sang, dans mon cerveau. Mon cerveau qui devenait comme une masse visqueuse, lâche et molle, qui se répandant dans mon crâne comme de la gelée. Je n'arrivais plus à penser. Bientôt, je ne pensais plus à rien. Rien, rien, rien. Rien d'autres qu'attendre. Attendre que les choses se terminent, que les choses se passent, que les choses se déroulent.

Il était allongé au-dessus de moi, se soutenait sur ses mains. Je sentais son érection contre mon ventre, et l'éclat dans ses pupilles agitait ma chair. Il écarta mes jambes à l'aide de son genou. Mes mains couraient dans son dos dans une tentative désespérée de rapprocher nos corps, nos corps nus et ivres de désirs. Je pressais mon sein contre son torse et désormais, je sentais son cœur battre vite, fort, rapide. Nos visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Mon souffle s'écoulait lentement entre mes lèvres, comme s'écoule une rivière en haut de la montagne, comme tombe l'averse les soirs d'été, comme s'élève le soleil avec les nuages dès l'aurore. Mon souffle échouait au bord de ses lèvres toute rouges, toutes tremblantes, toutes gonflées, comme échoue un bateau longtemps égaré près du port. Il prit une profonde respiration, puis, bientôt, nos bouches se joignent dans un lent baiser voluptueux. Sa bouche était fraîche. Si fraîche. Que ses lèvres, ses lèvres me brulaient. Notre baiser était doux comme une image et provocant comme les jupes d'une courtisane. Nous jouions à cache-cache : ma langue glissant avec légèreté sur la sienne. Je l'embrassais avec fougue, avec pureté. D'une manière banalement irrésistible, terriblement douce. Il était au-dessus de moi et en dessous de lui, je tremblais. Tremblais comme la terre que secoue les éléments. J'étais en dessous de lui et au-dessus de moi, il se tordait. Se tordait de douleur. Quelle douleur ! Sûrement terrible. Il était frustré, et son sexe. Son sexe lui faisait mal. Nous gémissons ensemble et quand nos corps se cambrent, quand nos peaux se rencontrent, quand nos sexes se touchent, nous frissonnons. Finalement, je le sentis pousser. Voici une sensation étrange. Un quelque chose, un morceau de chair tendue, pénètre au fond de moi. Son membre entier grossit en moi-même, puis, je sentis sa peau frotter contre les parois de mon entrée. Je serais les dents et m'entendis étouffer un véritable cri. Immédiatement, il s'arrêta. Son corps, immobile, figée, au-dessus du mien, n'osait bouger davantage, terrifié à l'idée de me briser entièrement d'un assaut, d'un mouvement, d'une secousse. Son regard était tendre, patient et merveilleux et je ne pus le supporter. Il me brûlait ! Son regard me brûlait et il me fallait m'en détacher. Sa main, soudainement, emportée par un tendre inquiétude, caressa mon épaule dénudée. Il approchait doucement, me caressait avec délicatesse, comme craignant que je ne m'enfuie comme un animal terrifié qui un jour avait été blessé par un chasseur et qui aujourd'hui, courait à la vue d'un homme. Un chasseur m'avait blessé, un jour, et désormais, je courais devant les hommes. Seulement, je ne courrais pas devant lui et je n'avais pas envie de courir. J'avais envie qu'il me prenne dans ses bras. D'un sourire, faible, fébrile, qui s'allongeait timidement sur mes lèvres rouges, gonflées, humides, qui froissait à peine ma peau mollasse, élastique, flasque, je le rassurai. Je l'entendis me demander, la voix rauque comme la musique du tonnerre et vibrante comme le bruit que font les choses frappées par le tonnerre, la pupille dilatée et l'œil brillant : « puis-je bouger ? » Ma poitrine se soulevait et ma poitrine se saccadait. J'aurais aimé parler, mais je ne le pouvais. Mon souffle s'était égaré près de mon cœur, enfermé derrière ma cage thoracique, entre mes poumons. J'acquiesçai vivement d'un mouvement du menton. Seulement, il ne suffit de cette réponse et m'invita, ainsi : « Dites oui ou dites non. Je ne poursuivrai sans avoir entendu votre voix. » Mes lèvres se décollèrent, et un souffle, et une syllabe, et un mot, traversa la barrière de mes dents : « Oui. » Il reprit : la sensation de pincement au fond de moi-même me fit grimacer. La sensation était douloureuse, la douleur ne s'arrêtait pas, mais, il m'embrassa. Il m'embrassa partout : sur les joues, sur les lèvres, dans le cou, sur le haut de mes seins, puis, les chastes larmes qui fleurirent au coin de mes paupière. Je me concentrais sur la sensation de sa langue chaude sur ma peau tremblante. Finalement, les choses devinrent simples. Ses baisers rassurants firent doucement reculer ma douleur, ensuite, elle revint tendrement quand il roula ses hanches sur les miennes.  Il était au-dessus de moi, il se soutenait sur ses mains. Il se soutenait au-dessus de moi en même temps qu'il me pénétrait. Il frissonnait et dit « mademoiselle » en gémissant. Les choses étaient intenses, douloureuses. Un étau contractait mes poumons, comme une enclume posée sur mon buste. Ma poitrine se soulevait et s'abaissait lourdement. Ses coups de hanches s'accentuaient et ma respiration se bloquait dans ma gorge sous la forme d'une douleur lourde, muette et profonde. Ma tête tomba, mes paupières se fermèrent, voilà tout le désir qui montait ! Le désir était une chaleur étouffante. Elle étouffait ma raison dans une brume épaisse qui l'obstruait, la muselait et l'emprisonnait. Soudain, sa voix se présenta à mes oreilles. Sa voix se présenta à mes oreilles pareillement à un lourd écho que l'air n'arrivait pas à porter. Regardez-moi, m'intime-t-il avec une dureté dans un accent de sa voix. Mes yeux s'ouvrirent aussitôt. Nos regards plongèrent l'un dans l'autre. Mes joues étaient rouges, mes prunelles étaient grandes. L'air se rarifiait dans mes poumons. Les va-et-vient étaient doucement plus intenses, plus rapides, plus vifs. Sans me quitter des yeux, il continuait ses assauts en moi-même. Finalement, le temps s'accélère et les coups de hanches ralentirent. Il sourit et des larmes, des larmes naquirent au bord de mes paupières. Son front était piqueté de sueur. Un râle lourd et profond tomba sur ses lèvres, fit trembler ma chair. Finalement, le temps s'arrêta et les coups de hanches prirent fin.

Le souvenir brûlant de cette nuit enflammait ma mémoire. Il est dessiné d'un trait de feu. Il est incandescent. Il me donne la fièvre. Je frissonne de chaud, je me consume de froid. Le feu de la fièvre circule dans mes veines. Elle s'élève comme les étincelles rougeoyantes d'une flamme. Un terrible fléau atteint mon corps : une maladie, une fièvre, à laquelle aucun remède n'existe, coure avec mon sang bouillant, remuant, dégageant de fines bulles de vapeur qui s'élève, s'exalte et crève à la surface. Longtemps encore, je n'osais poser un nom sur cette maladie. Je n'osais poser le nom doux, grave, terrible de désir. Je me suis brûlée. Douloureux, douloureux, douloureux. Néanmoins, pas autant que je l'ai pensé. Au début, une douce brûlure. Ce n'est qu'une douce brûlure. Comme un tendre baiser qui me caresse timidement la peau. Ensuite, de petites flammes. Ce sont de petites flammes. Comme un bouillonnement qui bout, un crépitement qui ronronne et que j'aime entendre au creux de ces instants remplis de tendresses. Parce qu'ils sont tendres ! oui, ces instants sont pourtant tendres. J'ai mal. Le regret me dévore le cœur. Une chaleur s'épanouit dans ma poitrine : le regret me brûle le cœur. De petites flammes se métamorphosent en un bûcher. Comme un mélange de gaz qui se condense au-dessus, une fumée qui emplit mes poumons, une trainée de cendres qui obstruent ma trachée. La chaleur n'est depuis longtemps plus une simple caresse. La chaleur est devenue atroce, comme une blessure cuisante. Ah ! pour une bonne blessure, c'est une bonne blessure. Des sortes de dents semblaient se planter dans ma chair, déchiqueter mes tissus et entamer ma viande. La douleur circule, rapidement, dans tout mon corps, jusqu'à déchirer mon cœur hurlant à la mort. J'ignore comment tout s'est enchaîné. Désormais, j'ai l'impression qu'un liquide coule sur mon visage. Un liquide visqueux et opaque, d'une odeur fade et salée, coule comme sur mon visage. Mon front et mon visage sont comme trempés de sang. Un peu semble tomber au bord de ma bouche. Je déglutis : une saveur métallique comme des regrets éternels s'étale comme sur ma langue. Une brûlure semble saigner mon front. Une empreinte est comme inscrite en lettres de feu sur ma peau, marque comme au fer rouge ma chair. Le regard de cet homme sur mon corps, comme le faisceau d'un laser sur du métal, avait gravé son empreinte. J'ai la désagréable impression de ne plus m'appartenir complètement. Donner son corps, voilà ce que l'expression voulait dire ! que nous ne nous appartenons plus. Plus complètement. Que mon corps ne soit plus le mien, que mon corps est le sien et le mien, que mon corps est le nôtre. Il semble qu'une partie de moi-même m'a été arraché, il semble que désormais, je dois vivre avec une moi mutilée. Une moi trouée, saignée. Une femme ne se vaut qu'à son honneur. J'ai donné le mien à cet homme sans être certaine qu'il le méritait, qu'il saurait en être digne, parce qu'à un moment, à une seconde, mon désir de le sentir en moi-même m'avait possédé entière.

Soudain, une sensation étrange de chaud s'imprègne dans mon corps. Je sens une silhouette derrière moi, très proche. Je n'ai pas besoin de me retourner, je sais que c'est lui. Des mains s'agrippent à mes hanches. Il se saisit entièrement, à pleine paume, de ma taille. Ce contact me coupe dans mes pensées, me trouble davantage que je ne pourrai l'admettre. Les choses s'emmêlent dans mon esprit : je me promettais de ne plus recommencer, pourtant, ses mains sur mon corps, ses doigts caressant ma peau, pourtant, je me sens perdre pied. Je le désire tellement. Un feu circule à travers mon sang. Ses mains. Sur mon corps. La manière qu'il a de poser ses doigts entre les plis de ma taille grasse. Comme si ma chair est une soie qu'il caresse, qu'il plie, qu'il plisse. Je comprends à cet instant que je n'ai aucune chance face à lui : cet homme est mon péché. Il est un nuage qui tourne autour de moi, qui emplit mes poumons, que j'avale et qui me tue. Il me caresse et, aussitôt, je n'oppose aucune résistance, je n'ai aucun mouvement de révolte, sauvage ou emporté, tout à coup, je m'abandonne à lui, glissant sous ses doigts. Il s'approche de mon oreille et me dit : « Bonjour, toi ». Sa voix rauque est encore plus grave que celle du matin, elle est chargée de désir. Ses mains se baladent sur mon corps. Surtout qu'il ne s'arrête jamais ! Mon pouls se met à battre vite et j'étouffe un petit cri. Il me fait cet effet à chaque fois ! Je sens son érection contre moi. Juste une seconde, je n'arrive plus à respirer correctement. Mon souffle se bloque dans ma gorge et se transforme en une douleur sourde et profonde. Sans comprendre ce qui se passe, je sens soudainement une pression sur mon cou. J'abandonne un souffle strident, et je devine le sourire graveleux qui se dessine sur ses lèvres. Il lèche doucement chaque centimètre carré de la peau de mon cou, avant d'en choisir un quart, et de la mordre frénétiquement de toutes ses dents. Cette douleur partielle élève un désir intense vers mon entre-jambe. J'incline la tête légèrement afin de lui laisser un peu plus de place, en espérant qu'il continue cette douce torture. Sa bouche touche le point sensible juste au-dessous de mon oreille, et je pousse un si fort gémissement. Cette fois, il aspire ma peau entre ses lèvres. Il presse nos corps l'un contre l'autre, encore davantage. Je bouge mes hanches au ralenti. Son érection se frotte à mon dos, et je l'entends échapper un son inarticulé et plaintif, une sorte de bruissement qui exprime toute sa douleur. Je ris doucement. Je crois qu'il veut se venger. Sa main se pose sur mon ventre rond. Ses doigts flirtent avec ma peau. Ils la pincent légèrement, sans trop faire mal, presque en imitant la piqûre d'un moustique. Deux ou trois descendent, soulèvent l'élastique de ma culotte et se mirent à jouer avec. Puis, sa main entière plonge à l'intérieur. Un cri étouffé sort de ma bouche. Instinctivement, j'écarte les jambes. Je suis stupéfaite par le naturel avec lequel mon corps réagit au sien. Des gémissements roulent sur ma langue et il joue avec mes lèvres. Dans mon ventre, monte une tension délicieuse. Je ferme les yeux et me mord la lèvre inférieure. Mon dos se cambre et mes jambes se mettent à trembler. Sa main trouve mon entre-jambe, et elle le presse tellement, tellement fort. Il le presse, il le serre entre ses phalanges qui deviennent collantes et poisseuses, salies par une substance comme chargée d'eau, il le comprime, il le déforme, lui, tout mou et humide dans sa main, il le marque d'une lourde empreinte, de celle de ses doigts brûlants. Une chaleur étrange me grignote l'abdomen. Mon entre-jambe est en feu et terriblement mouillée, à la fois. Son index titille mon entrée, avant de pénétrer à l'intérieur. Bientôt, suit un autre doigt. Il fait des mouvements qui s'ouvrent et se referment. La légère brûlure est largement supportable, et tout à fait agréable. Ses doigts me pénètrent encore et encore, en faisant ensuite des vas et vient interminable. Je n'arrive plus à discerner la douleur du plaisir. Un délice me prend, et j'hurle à la mort. Il reste quelques instants supplémentaires, le temps de reprendre son souffle, et de me marquer en profondeur. Puis, il finit par se retrancher. Mes jambes tremblent, et je faillis m'écrouler. Je me retourne et le vois. Je suis encore tout essoufflée. Ma respiration tremble, elle est coupée en petit morceaux, elle est rompue, divisée en minuscules et courts fragments. Dans une attitude provocante, avec un sourire lubrique collé sur son visage, il nettoie son index et son majeur, de toute ma substance, sur le sous-vêtement qu'il porte. Son regard étincelle. Je reprends contenance, peu à peu. Je m'approche de lui. Mes yeux se portent sur son sous-vêtement, nettement plus tendu devant. Je rougis et regarde ailleurs. Près de lui à nouveau, je pose une main sur ses pectoraux et la laisse arpenter son torse en dessinant les contours abstraits de ses muscles et en tapotant les marques ensanglantées, irrégulières et toutes sèches tracées sur sa peau. Je sens sous ma main son cœur qui se met à battre à la chamade. Son cœur trime, non pas sans folie, à capturer un mouvement constant et durable, mais il tombe au bout de quelques secondes, à chaque fois, dans une mécanique ébranlée et enflammée. Je palpe sa poitrine qui s'élève et se rabaisse lourdement. Je le vois chavirer. Il se mord la lèvre inférieure et ferme les yeux. Le voilà ! il était là, le désir. Désormais, je comprends. Je comprends ce qui m'a poussé à faire ce que j'ai fait. Je suis prête à tout, à tout pour lui plaire, à tout pour sentir qu'il me désire, à tout pour lui faire dire haut et fort qu'il me désire. Je veux qu'il me désire. Je crois que c'est pourquoi tout a commencé. Une satisfaction inouïe me prend à la gorge, elle est si profonde, elle vient de si loin, que je ne sais faire autre chose que l'accueillir. Elle est venue avec cette chaleur, cette lourde chaleur qui est sa compagne et sa fidèle. Mes doigts se baladent sur le bas de son ventre qui se contracte sous mon toucher. Ils trouvent son nombril, le torturent un peu, et partent à l'aventure, vers le sud. Le silence de plomb, qui pèse sur l'atmosphère délicate de l'appartement, n'est brisé que par le bruit aiguë de sa forte et pénible respiration, toute secouée. Une passion flambe. Je m'en vais soulever l'élastique de son sous-vêtement, quand soudain je m'arrête. Comme frappée par la foudre, je prends soudainement conscience du monde qui nous entoure. A l'image du feu qui se fatigue, une ferveur redescend. Nos corps, encore ivres de plaisirs, se détache l'un de l'autre. Il laisse échapper un gémissement de frustration. Je sens qu'il est encore dur. Je lui dis : « Je dois partir. » Ma voix n'est plus qu'un murmure. Je peine moi-même à l'entendre. Ma voix est tellement rauque que je ne la reconnais pas. Je fais quelque pas en arrière, puis, soudain, ses doigts se glissent dans les miens, me saisissent, me retiennent près de lui. « Reste, susurre-t-il, comme un mourant agonisant sur son lit, qui supplie ses descendants d'accomplir quelques dernières volontés. » J'étouffe le cri de mon désir qui hurle comme un démon dans la nuit, mais je ne réussis à contenir l'épanchement de mon cœur qui s'actionne comme une machine infernale. Ces touchers font fondre le masque de fer sur mon visage. Je suis traversée par un léger frisson de féminité. Je comprends ce que veut dire être femme, ce qu'être femme implique. Les femmes détiennent un pouvoir sur les hommes, je détiens un pouvoir sur cet homme. Seulement, je peine à croire en ce pouvoir infondé que le ciel m'aurait destiné. Je peine à me sentir véritablement puissante. Désormais, nue, pénétrée, je ne me sens pas puissante. Je me sens vulnérable, faible, à découvert. Demeurer nue face un homme est une sensation étrange. J'ai comme perdue une armure. Je suis comme entrée en guerre sans armure. Sous ces doigts, je suis une poupée de chiffon. Il peut me froisser, me découper, me déchirer, à chaque instant. Il peut me blesser, me frapper, sans savoir où. Je ne saurai comment ensuite me relever. Il a choisi de ne pas le faire, mais tous les hommes ne font pas ce choix. Il avait été tendre, doux et patient, mais, aujourd'hui, les empreintes de ses doigts marquent ma chair. Cette chair qui avant était polie, nette et limpide. Cette chair qui avait moulé la forme de ses doigts en profondeur. Cette chose n'est qu'un jeu dangereux que je me suis plu à jouer, qu'un ballet que j'avais appris à danser. Un vertige me prend soudainement des pieds jusqu'à la racine de mes cheveux. J'ai la tête qui tourne, l'air vaseux et une seule pensée à l'esprit : il me faut partir. Maintenant. Soudain, un bruit quelconque : le bruit de la fête battant son train en bas. Je me détache de sa main : c'est comme une déchirure. Nous nous écartons brusquement l'un de l'autre. J'enfile, en grande vitesse, ma robe à sequin noir, encore prisonnière, enfermée dans mon poing, sans m'occuper de fermer la fermeture éclair dans mon dos. J'habille mes pieds de mes talons, trainant encore dans un coin de la chambre. Je bascule les talons, m'avance d'un pas résolu vers la porte, pose une main ferme sur la poignet, puis, finalement, mon corps se prend d'un dernier sursaut. Je me retourne vers lui, d'un mouvement de tête, gardant l'alignement de mon dos, pareillement à Orphée se retournant vers Eurydice dans les enfers. Il avait un air étrange, une courbure de lèvre singulières, un éclat dans la pupille presque terrifiant. Ses cheveux, noirs, bouclés, tombent en pointe sur son front. Quelques mèches lèchent sa nuque, haute, gracieuse, bleuie par endroits. Ses joues s'attendrissent du rouge des premiers délires d'une passion intense qui monte comme un nuage de sang jusqu'à ses tempes. Ses lèvres, gonflées par la piqure de mes baisers, roses comme une fleur s'épanouissant, étaient entre-ouvertes. La pensée me vient à l'esprit, soudainement, furtivement, comme un éclair qui sillonne un ciel sans gros nuages. Cette pensée est belle, grande, mais sa résonnance entre les parois de mon crâne m'effraie. Le feu circule à nouveau dans mes veines : je sens des bulles de vapeurs rouler sous ma peau. Je veux contrôler ces flammes qui me dévore l'intérieur. Mes doigts referment un étau étroit autour du métal de la poignet. Un nuage noir semble planer autour de sa parfaite silhouette, un nuage noir semble l'engloutir entièrement et l'emporter dans des ténèbres obscures d'où la forme des choses se distingue complètement abstraites. Finalement, j'ouvre la porte et partis. J'entendis une voix s'élever dans mon dos, mais je continue ma marche, mais je dévale les escaliers qui m'emmène au rez-de-chaussée. Me faufilant entre les corps des danseurs, évitant les plateaux des serveurs, je réussis à regagner l'extérieur.

Dehors, il fait froid. Le vent claque. L'air s'immisce entre les profondes craquelures de mon épiderme, comprime la chaleur de mon corps. Mes membres tremblent. Ma chair est de poule. L'air qui me parvient me fait l'effet d'une gifle : je suis sonnée, quelque peu étourdie, je vois blanc autour de moi. Mes mains entourent mon buste dans un geste tendre, dans un geste réconfortant, dans un geste chaleureux. Je me raidis, frigorifié sous une nouvelle brise. Un froid cinglant se réfugie dans mon sang sous la forme de cristaux de glace, immerge mon corps et mes esprits. Une légère brise à l'extérieur apparait comme une forte tempête dans mon intérieur. Mes veines rétrécissent. Le sang peine à atteindre mes extrémités, doigts ou orteils, qui se pétrifient. Le vent contracte mes muscles qui s'engourdissent. Des picotements pimentent la douleur incisée dans de mes fibres. J'ai froid, je souris. Je souris d'un sourire original, d'un large sourire, d'un sourire qui dévoile mes molaires, d'un sourire sans humour. Le vent glacial réussit à calmer les élans d'un incendie qui me dévorait de l'intérieur. Ce soir-là, cependant, je me suis lavée. L'eau avait coulé sur mon corps, et j'espérais que soit emporté avec elle, dans les égouts, cette crasse qui colle à ma peau.  Moi, désormais tâché d'une crasse immonde qui se colle à ma peau ! que je ne réussis à retirer ! que mes larmes ne pouvaient laver !

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