Chapitre 1.


J'entre, seule, dans une immense demeure. La démarche assurée, mes talons hauts qui martèlent le sol et mes hanches moulées dans une élégante robe de perle noire. Des cheveux mi-longs et noirs bouclent avec grâce dans ma nuque. Un bandeau de sequins noirs entoure mon front et un long collier de perle blanche tombent avec mollesse jusqu'à la naissance de mes seins, que laisse doucement entrevoir le décolleté de ma robe. Je marche, dans cette demeure, au son d'un harmonieux accord de jazz. L'air est lourd et a l'odeur d'alcool et de tabac chaud. Il est, au loin, assis au comptoir d'un bar, entouré de plusieurs hommes, tenant un verre de whisky et taillé dans un élégant costume à fine rayure blanche. Il rit à une blague de l'un de ses collègues, tout en portant son verre à ses lèvres. Puis, dans un instant d'égarement, il lève les yeux et me voit entrer. Le temps semble s'arrêter, le verre qu'il tient se perd sur le chemin de ses lèvres et son rire s'éteint. Comme subjugué, devant ma personne, ses yeux ne me lâchent pas un seul instant. Il se tourne alors vers ses collègues, il s'excuse auprès d'eux, bois son verre d'une traite et se lève de son tabouret pour me rejoindre.

Il vient vers moi, mais, je ne le remarque pas. Puis, soudain, je sens que l'on attrape délicieusement ma main. Ma main recouverte d'un long gant de soie noir. Il me la prend, et, je suis surprise. Il va la baiser, en levant les yeux vers moi, comme s'il se refuse à quitter mon regard. Je porte une main à mon cœur, et j'ai les joues rouges, profondément intimidée par ses avances. Puis, je l'entends me dire :

- Vous êtes perdue, milady ?

J'essaie de reprendre contenance en même temps que je récupère ma main et d'une voix dont j'essaie de cacher le trouble, je réponds : « non, monsieur. » Sa main va chercher un paquet de cigarette dans la poche intérieure de sa veste. Il en porte une à ses lèvres, l'allume et tire une grosse bouffée, avant de me rétorquer, d'un air à moitié rieur, à moitié condescendant :

- Une jolie demoiselle ne devrait jamais marcher sans un bras pour la porter.

Il tire une nouvelle taffe, et, range son paquet dans sa poche. À ce moment, je sens que je reprends confiance. Je me saisis d'un pan de son costume, récupère son paquet dans la poche de sa veste de costume et vole une cigarette que j'allume. Le bout rougeoie. Je la mets en bouche, laisse mes lèvres colorées d'une rouge vif l'entourer et tire fortement dessus.

- Je sais très bien où je suis, monsieur, lui rétorque-je.

Il me regarde alors, surpris, en levant les sourcils, éperdument étonné par mon assurance. J'espère un peu blesser son égo d'homme, mais, en réalité, ce que je ne sais pas, c'est que je n'ai fait qu'allumer ses pulsions masculines. Celles mêmes qu'on dit à une femme que les hommes sont esclaves. Son regard, et je ne le vois pas immédiatement, est excité de milliers d'étincelles. Autour de nous, l'air s'alourdit, et il est comme une enclume qui se pose sur ma poitrine, et il me gêne pour respirer. Rien ne semble l'affecter, et il reprend, d'un sourire indétachable :

- Voulez-vous un verre ?

J'hausse les sourcils, feignant un air désintéressé, quand, au fond de mon propre être, je retiens les dangereux élans d'un incendie qui se propage. La cigarette dans ma main me brûle les doigts. Ma tête me surprend d'un hochement, et tout est entendu.

Je le suis jusqu'au bar en prenant soin d'assurer une démarche élégante sur ces hauts talons et de rouler gracieusement mes hanches dans cette robe. Nous prenons place sur des tabouret, l'un à côté de l'autre. Ses yeux sont comme deux trous sur sa face blanche et son sourire est une ligne hautaine sur ses lèvres. Il écrase sa cigarette à moitié consommée dans un cendrier.

- Un whisky, Jack, adresse-t-il alors à l'attention du barman, derrière le comptoir, en levant un doigt, mais, tout en continuant à me fixer intensément.

L'homme au veston, lui-même, occupé à nettoyer l'intérieur d'un verre à l'aide d'un chiffon noirci et tâché, laisse tomber ce qu'il est en train de faire, et, se saisit d'une bouteille fait d'un cristal gracieusement travaillé.

- Et un jus d'orange, pour cette enfant, rajoute-t-il.

Je suis outrée, et mes lèvres articulent une ligne tordue, et les traits de mon visage se figent. Mes doigts tortillent nerveusement les perles accrochées autour de mon cou. Mes manières sont brusques, et, le collier pourrait se briser ; j'arrête rapidement.

- Non, scande-je aussitôt.

Je tire fortement sur ma cigarette, et laisse tomber les cendres dans le cendrier installé sur le bar, près de moi. La fumée sort de ma bouche, soulignée de rouge, en des rounds parfaits. Je suis surprise de ma propre aisance à fumer, mais, je le cache. Alors une idée singulière me traverse l'esprit, en même temps que, des flots de tabac chaud m'enveloppe comme un nuage gris : je veux le troubler. Cette pensée amène à bouger mon corps. Mes jambes se croisent de manière terriblement suggestive, avec une lenteur impitoyable, avec une douceur à rendre fou, en déléguant une légère vue, aussi fine qu'une meurtrière, sur mon entre-jambe recouvert du tissu de ma petite culotte. Un instant, et je me demande : est-ce réellement moi ?

- La même chose, murmure-je, d'un timbre affreusement insolent.

Je ne veux pas voir sa face profondément étonnée. Je ne sus donc jamais que ses joues étaient rouges et que ses doigts tremblaient, mais, je l'entends, j'entends sa toux. La toux que l'on crache lorsque l'on veut reconsolider ses esprits en miettes. Mon assurance est belle, bien qu'elle soit fausse, et je me contente de sa beauté. Bientôt, l'homme derrière le comptoir pose, face à nous, deux verres remplis, dans le fond, d'un liquide ambré, et il le remercie. Il boit aussitôt une assez grande gorgée et pose un nouveau regard sur moi. Mes lèvres peintes en rouges se serrent autour de ma cigarette. Je tire une nouvelle taffe, en espérant me donner une espèce de contenance, que je perds peu à peu face à lui. J'ai l'impression d'être un morceau de glace que l'étincelle de son regard fait fondre. Ma cigarette se termine, je la pose dans le cendrier, et pense qu'il sera maintenant difficile de continuer cet entretient sans une dose de nicotine. Mes doigts se nouent nerveusement autour de mon verre. Je fais claquer mes ongles vernis sur le cristal, essayant de calmer mes nerfs, et le bruit qui en sort est si désagréable que je m'arrête rapidement. Je me dis que j'ai besoin d'alcool. Je porte mon verre à mes lèvres. L'odeur immonde m'irrite d'abord les narines, et rapidement, ne voulant plus sentir ces effluves irritants, je renverse le liquide dans ma gorge. Je bois une grosse gorgée, et le whisky me brûle la langue, et cette sensation se répand jusqu'à mon estomac. C'est infect. Ma bouche contracte une grimace affreuse que je ne peux dissimuler.

- Le premier verre est toujours un peu écœurant, me dit-il, mais, la brûlure disparait les suivants.

Je sens une vague chaleur me monter à la tête. J'ai le cerveau embrumé et un air qui ne me ressemble pas. Un mal étrange et pénétrant s'infiltre, près de mes esprits maladroits, au milieu de mon corps perturbé, et il s'élève comme un nuage de sang jusqu'à mes joues. Une jolie couleur se dépose sur mes pommettes, une jolie rose, radieux et brillant, qui me redonne toutes les fraicheurs d'une jeune fille. Mais ma tête ! oh, ma tête est surprise par une migraine atroce. Ça me tenait, là ! là, prés du sourcil gauche.

- Ce verre n'est pas mon premier, mentis-je.

Une douleur se met à chauffer derrière mon sourcil. Un subtil malaise qui a réussi à pénétrer mon enveloppe casse mes esprits. Je ne semble avoir plus conscience de rien. La musique n'est qu'un bruit de fond machinal, les danseurs ne brasent que du vent, les conversations des mondains ne sont qu'un brouhaha agaçant. Je porte une main à mon front, et en sens toutes les moiteurs.

- Allez-vous bien, mademoiselle ? me demande-t-il avec l'expression d'une véritable inquiétude dans sa voix.

Sa voix ! elle fut comme un souffle. Un souffle qui dissipe la brume dans mes esprits. L'épais brouillard qu'apporte les premières ivresses dans un jeune crâne se lève, et tout devint un peu clair.

- Parfaitement bien, monsieur.

D'abord, je ne reconnais pas ma voix. Elle est ronde et pleine, suave et légèrement enraillée. Elle parait être comme le bruit que produit le déplacement impromptu d'un diamant sur la mauvaise ligne de la platine d'un tourne disque qui s'enraille. La ferveur est subitement redescendue, et, une légère fraicheur se dépose sur ma nuque. J'ai quelques sueurs ; j'ai chaud, puis, froid, et, la fièvre trouble quelque peu mon organisme. Il fait dans le club une chaleur exécrable. L'ardeur qui se dégage de ces corps autour de moi nous plonge dans une atmosphère écrasante et rapidement irrespirable. Je m'évente avec ma main. Mais ce fut un bouillonnement, une audace des lourdes chaleurs ; la lumière sèche, les vents la balayent et l'entassent. Mon cœur semble battre au rythme de la musique et des soufflements d'un saxophone.

- Venez avec moi.

Ces paroles me parviennent comme un écho profond et vaporeux, qui se répercute et se prolonge, autour des plus larges crevasses, ou, en haut des monts les plus aigus, mais, que le vent semble repousser. Un bourdonnement affreux résonne à mes oreilles, et, j'aurai voulu me déchirer le front avec les ongles. Mon cerveau tourne comme sous la forme d'un liquide visqueux dans mon crâne, mon sang bat une mesure infernale près de mes tempes. Des forces abstraites me quittent, et, je ne manifeste aucune résistance. Sa main vient s'agripper à mon bras, et il me lève de mon tabouret, et il me mène quelque part où je ne sais.

- Voyez-vous ? Dit-il d'un timbre dont j'entends tout le sourire. Une jolie demoiselle ne devrait jamais marcher sans un bras pour la porter.

Je ris. Ma conscience me dicte de ne pas rire, mais, je ris. Il n'y a plus de conscience. ; elle est trop faible, l'alcool est trop fort. Je veux répondre. Répondre quelque chose de sanglant et d'audacieux, mais, la terre commence à valser sous mes pieds. Je sens qu'un bras passe autour de mes épaules pour me soutenir. Une odeur terrible, un mélange étrange de menthe poivrée, de gel chimique et d'eau de Cologne, émane de ce corps qui se colle au mien. Nous marchons, et, mes genoux se dérobent. Il me retient d'une poigne de fer, et j'ai l'impression de n'être qu'une poupée de chiffon. J'ai l'impression qu'il peut me froisser s'il le veut. Mais sa main ! sa main est de velours dans un gant de fer, sa main est celle d'un enfant qui retourne un soldat de plomb, sa main est toutes les douceurs du sucre mélangés aux amertumes des agrumes. Le sol bouge, mais, il me tient dans ses bras, et, il me murmure quelque chose à l'oreille. Je crois l'entendre prononcer certaines syllabes et des mots quelque conques, je crois l'entendre prononcer : « asseyez-vous ». Un voile tombe devant mes yeux, et lorsqu'il se lève, je vois que je ne suis plus là où j'étais.

Du rouge. Que du rouge. J'ouvre les yeux, la vue me revient, et, je ne vois que du rouge. Je suis assise au bord d'un lit. Et je vois des draps rouges. Les murs de cette chambre étrange sont couverts de tapis rouges ornés de fils dorés. Le sol est en bois, et, trône, près de ce lit immense, sur lequel je suis assise, une grande cheminée éteinte. Au plafond, un lustre à l'abat-jour noir et rouge, contemporain et élégant, plongeait la chambre au sein d'une lumière rouge sang presque noir ébène. Les bruits de la fête, en bas, ne sont qu'un murmure, en haut, dans cette chambre. J'entends un clic, et une brise fraiche se lève, elle, qui semble monter de quelque part. L'air calme peu à peu mon vertige. Je suis les froissements du drap rouge sur lequel je suis assisse en l'effleurant du bout des doigts. Je m'arrête, plus d'un instant, la main ouverte, au-dessus des bosses et des plis. Le silence de plomb, qui pèse sur cette atmosphère, n'est fendu que par le bruit aiguë de ma forte respiration, qui se recompose peu à peu. Mes doigts apprécient le toucher de la matière chaude et soyeuse. Je ferme les yeux, et, il vient s'assoir près de moi, sur ce grand lit aux draps rouges. J'ouvre les yeux. Des pupilles immobiles se posent à l'horizon. Une tête aux cheveux noirs et mi-longs se maintient le plus fixement possible. Le mal qui m'avait frappé s'atténue.

- J'ai ouvert une fenêtre, m'avertit-il. Reposez-vous, maintenant.

Je me retourne, et, aperçois, par-dessus mon épaule, une fenêtre étroite, profondément enfoncée dans le mur et dont les angles sont protégés par de grandes pierres, ouverte et qui bat des battants. J'entends distinctement les rafales du vent. J'entends aussi le bruit persistant d'une branche de pin qui cogne contre les carreaux quand la brise souffle d'un côté ou d'un autre. Je ne prête pas attention et me détourne ; l'air me fait du bien. Maintenant, à l'abri des spots lumineux, et de la musique incessante, et calmée de mon trouble, je le remarque. Je remarque enfin sa beauté. Là, où, je ne voyais que le charme quelconque des hommes, je remarque la beauté d'un être. Ses grands yeux noirs, dans lesquelles ne reflètent plus les flashs multicolores, sont embrassés d'une flamme nouvelle. Son teint hâlé et éclatant ressort ainsi surmonter de cheveux ébènes et gominés, mais, dont certaines boucles indisciplinées, et caressent gentiment son front, et tombent jusqu'à ses épais sourcils triangulaires, et l'allouent d'un air adorable, presque candide. Ses fines lèvres dessinent un sourire unique qui ne semble être, sur son visage, que la marque d'une cicatrice de son cœur. Je me demande alors comment un sourire peut-il être triste. Je ne le sais pas, mais, mon regard est une brillante étincelle. Cependant, je le sens. Je sens, au plus profond de mon être, près de ses abysses qui creusent mon âme, et que je n'approche jamais, je sens les élans d'un incendie que j'avais essayé de retenir se déchainer. Le feu s'allume, et c'est tout mon corps qui tremble.

- Vous tremblez, s'inquiète-t-il, la parole vibrante, en avançant, vers moi, une main tendre qui semble baigner de sang ainsi éclairé par la lumière de cet abat-jour. Vous devez avoir froid ; je m'en vais fermer cette fenêtre.

Ce moment, ah ! ce moment, me surprend encore. Je ne sais le raconter autrement qu'en disant que : je n'étais pas moi, et, que ce soir, je ne voulais pas être moi. Il se lève, à peine, il n'a pas le temps davantage. Mes doigts enserrent son poignet, et, le retient. Il me regarde l'air troublé, les sourcils froncés, et les yeux grands et plein d'une innocence maladroite, et tout le charme est dans cette innocence. Je le trouve incroyablement beau.

- Restez, soupire-je, dans un instant de folie, où ma voix n'est plus mienne, où mon corps n'est plus mien, où ma conscience n'est plus du tout.

Il ouvre les lèvres furtivement. Ma vue presque se trouble, en même que, je sens bizarrement ma tête surchauffer. Mes yeux sont grands, mais, je ne vois plus rien. Mon regard échoue, en réalité, perdu et complétement hagard, comme un bateau emporté par une mer déchainée, au bord de sa bouche. Il semble que c'est là ! là que mon regard semble reconnaître la terre et le calme.

- Un problème, made-

Jamais il ne finit ce qu'il avait à dire. Soudain, parce que j'en ai envie, et, qu'à cet instant, une simple et minime envie me suffit, je dépose mes lèvres contre les siennes. Mes lèvres contre les siennes bougent doucement, presque peureuse d'aller trop vite, d'appuyer trop fort. C'est un tendre baiser, un de ceux qui ne demandent rien d'autre qu'un peau contre peau. La brise du vent tombe au bord de nos lèvres et s'infiltre au milieu de notre baiser. Elle offre un contraste intéressant et une saveur particulière à cette chaleur qui s'embrasse à mesure des mouvements de nos bouches. Le vent est froid, mais, nos peaux, elles, sont brûlantes. Ses mains s'accrochent à ma taille, et, j'entends le cliquètement des perles de ma robe qui s'entrechoquent, ensemble. Il serre l'un contre l'autre nos corps ivres du plaisir le plus intense, le plus brut. Une main sur son torse, je le pousse en arrière. Je le pousse et nous tombons. Et nous tombons. Nous tombons, ensemble, sur le lit, dans un désordre de bras et de jambes. 

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