Le jour du « Tenez, c'est pour vous »

Notre histoire se déroule peu de temps après la fondation de notre royaume. Nous sommes un jour de fête, le septième jour avant la fin de l'année. En effet, la famille proche du roi Pyrrhus Ier était constituée de sept personnes : le couple royal et les cinq princes et princesses. On veut que l'on démarre par l'aveu de Garreth, garde du corps et ami et confident d'Adoline, l'aînée de la fratrie.

— Voilà qui est bien étrange, je m'y attendais, le taquina Galadio.

Ce dernier était le troisième de la fratrie et plus âgé que son frère, Léonin, le benjamin, lui aussi présent lors de cette discussion. Le premier s'appuyait sur le mur, tandis que le deuxième était avachi sur son lit, en pyjama.

— Ne l'avais-tu donc point remarqué, toi, Léonin, ses yeux illuminés quand Garreth la regardait avec un sourire niais ?

— Tu sais, je n'ai point la force pour m'attarder sur ce genre de détail. Cela m'épuiserait inutilement.

— Peu importe. Quand comptes-tu lui déclarer ta flamme, Garreth ? Ce soir ?

— J'aimerais. Seulement, je ne sens aucunement en moi le courage nécessaire pour lui avouer mes sentiments.

— Dans ce cas, pourquoi n'apprendrais-tu point un texte par cœur que tu lui réciterais le moment voulu ? Qu'en penses-tu, Léonin ?

— De mon point de vue, il s'agit d'un effort supplémentaire. Évidemment, je sais que tout le monde ne pense comme moi.

Galadio se décolla du mur et s'approcha de Garreth avant de poser sa main sur l'épaule de ce dernier.

— Fais comme tu le sens, d'accord. Quant à moi, je pars en promenade. Qui sait quelle ravissante rencontre je pourrais faire. L'un de vous me suit ?

— Sans façon, répondit son frère. Il fait bien trop froid dehors.

— Et toi, Garreth ?

— Non merci. Je préfère réfléchir à ma situation.

— Comme tu veux. Rappelle-toi seulement que nous ne sommes pas censés nous brouiller l'esprit avec des choses qui n'en valent pas la peine. Rien ne vaut le naturel.

Sur ce conseil, le prince quitta la pièce, précédé par Garreth qui partit en direction de la salle de bal. Lorsqu'il y arriva, deux personnes étaient en train de la décorer : les deux princesses les plus âgées : Adoline et Emma. Elles avaient accroché des guirlandes autour des deux grandes portes, des fenêtres et quelques unes pendaient du chandelier. Des étoiles en papier avaient été fixées au plafond pour représenter le ciel la nuit. Enfin, elles avaient parsemé de la fausse neige sur le sol, tout comme des aiguilles de sapin. On se croyait en pleine forêt.

— Ah, Garreth ! lança Adoline. Que penses-tu de notre travail ? Tu aimes ?

Le chevalier ne put s'empêcher de rougir.

— Ta manière d'imiter les guirlandes rouges signifie que tu approuves ? demanda Emma.

— N-non, non. Enfin, si ! Si ! Je trouve cela ravissant. Le vert, le doré et le rouge vont parfaitement ensemble. On se sent dehors, mais avec le confort de l'intérieur.

— Tant mieux. Après tout ce que l'on a fait, Adoline et moi-même, je n'aurais pas eu le courage de tout retirer.

La princesse descendit de l'échelle.

— Princesse Emma, se permit Garreth, vous auriez dû m'appeler pour les décorations en hauteur. Vous auriez pu gravement vous blesser. Si le roi, votre père, vous en voyait au sommet comme vous l'étiez, il aurait assurément paniqué.

— Toutefois, cela n'est pas arrivé, rétorqua-t-elle. Ne t'en fais pas pour moi, je sais me débrouiller.

— Alors, Garreth, tu voulais quelque chose ?

Adoline le fixait avec un regard bienveillant.

— Pas spécialement. Je profitais de mon temps libre pour me dégourdir les jambes.

— As-tu été au marché du village ? Il paraît que l'on y vend des babioles en tout genre.

— Peut-être pourrais-tu y trouver une brosse à cheveux, Adoline, intervint sa sœur.

— Pourquoi donc une brosse en particulier ? demanda Garreth.

— Notre chien a réussi à mettre la patte dessus. Je te laisse imaginer dans quel état je l'ai retrouvée.

Soudainement, le chevalier pivota.

— Que t'arrive-t-il ?

— Je.. Je viens de me souvenir que je dois.. cirer mon armure. C'est cela ! Cirer mon armure !

Sans dire un mot de plus, celui-ci fit une brève révérence et se dirigea vers l'écurie. Il sella son cheval et ne tarda pas à rejoindre le fameux marché. Une idée lui était venue : trouver une brosse à cheveux pour Adoline et l'offrir en même temps que son cœur.

Il vit rapidement les premiers stands au loin et accéléra la course. À l'entrée du marché, il retrouva Galadio qui discutait avec une jeune femme. Quand leurs regards se croisèrent, il n'hésita pas à interrompre sa conversation.

— Mais qui voilà ? Garreth ! Tu as finalement décidé de me rejoindre à ce que je vois.

— Je dois vous avouer que vous n'êtes pas la raison de ma venue. Je viens acheter un cadeau. Pour Adoline.

— Le chevalier se veut romantique. Et que cherches-tu ?

— Une brosse à cheveux.

— Es-tu en train de te payer ma tête ? Pourquoi pas un balai tant que tu y es ? Franchement, Garreth, pars sur un classique : un bijou. Si tu es sans le sou en ce moment, je peux te faire une avance.

— Non, non, vous vous méprenez. Votre chien aurait mordillé la sienne, d'après vos deux ainées. Je souhaite simplement la remplacer.

Galadio soupira.

— Prince, quel filou, ce chien. Peu importe, merci de m'avoir expliqué la situation, je comprends mieux maintenant. Permets-moi de t'épauler dans tes recherches.

Le chevalier acquiesça et tous deux s'engouffrèrent dans le marché. Puis, le prince s'arrêta soudainement.

— Tu sais, Garreth, j'étais en train de méditer sur quelque chose. Entre nous, cela te permet également de ne pas payer une somme exorbitante pour un cadeau, n'est-ce pas ?

Celui-ci mit un certain temps avant de concéder.

— Nous allons dire que cela tombe plutôt bien. S'il vous plaît, vous ne lui direz point ?

— Ne t'en fais pas. C'est l'intention qui compte.

Les deux reprirent alors leur marche et observèrent chacun des stands à la recherche d'une brosse à cheveux. Puis, la neige se mit à tomber. Garreth fixa le ciel.

— Si tu ne lui déclares pas ta flamme avec un temps pareil, je te fais avaler ton cadeau, d'accord ?

Le sourire de Galadio, qui paraissait pourtant sincère, rendit le chevalier mal à l'aise. Il sentait de plus en plus la pression. Il tenta de l'oublier le temps de retrouver ce qui finira peut-être dans son estomac s'il n'oserait pas le soir-même. Finalement, ils trouvèrent un stand consacré à tout ce qui pouvait servir à se coiffer. Ils trouvèrent dans le même temps un nez rouge sur leur visage en regardant dans une glace. Garreth acheta donc une brosse avec quelques ornements sur le manche. Aussitôt, ils retournèrent au château, alors qu'ils se plaignaient du froid.

— Je vais voir si quelqu'un a besoin de mon aide, déclara Galadio en descendant de son cheval.

— Très bien. Quant à moi, je compte essayer de préparer un petit discours.

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La nuit était maintenant tombée depuis plusieurs heures et les deux hommes se croisèrent dans un couloir.

— Tiens, n'aurais-tu donc point vu Léonin, Garreth ? À la vitesse à laquelle il s'habille, il a intérêt à s'y mettre tout de suite.

— Je suis désolé. Je ne l'ai vu nulle part.

— Ce serait-il encore endormi dans un endroit incongru ? Enfin, te sens-tu prêt, maintenant, à propos de tu-sais-qui ?

— En quelque sorte. J'ai emballé mon cadeau et appris un petit texte.

— Est-il si court que cela ?

— Pourquoi me posez-vous cette question ? rétorqua Garreth.

— Réponds simplement à la question.

— À vrai dire, on doit approcher les... cinq minutes.

— Garreth... Il s'agit d'une déclaration, pas d'une berceuse.

— Je sais bien, mais je n'ai pas réussi à le raccourcir.

— Si tu le dis. Allez, je repars chercher mon frère. À très bientôt.

L'heure du repas arriva assez vite. La famille royale s'était installée à une table au centre du grand hall tandis que certains seigneurs et chevaliers, et quelques paysans à la demande d'Emma, étaient tout autour. Foie gras, huîtres, et saumon fumé composaient l'entrée. Vinrent ensuite les dindes aux marrons et enfin une immense bûche glacée. Pendant que la noblesse se délectait, plusieurs fous, chanteurs et danseurs les divertissaient. Une fois le dîner englouti, tous allèrent dans la salle de bal décorée par les deux princesses. La plus jeune d'entre elles assura par la même occasion que Garreth s'était chargé des décorations en hauteur. Cela permettait d'éviter l'affolement excessif du roi et de la reine. Bien entendu, Garreth confirma.

Un orchestre fit irruption dans la pièce, au plus grand bonheur de tous. Violons, altos, violoncelles, contrebasses, harpe, flûtes, hautbois, clarinettes, cors, trompettes, trombones, caisses claires, grosses caisses et xylophone, tous ces instruments ne firent plus qu'un afin de servir un bal enchanté.

Le couple royal l'ouvrit puis ce fut au tour des princes et princesses de danser. Galadio invita une jeune comtesse, Emma fut accompagnée par son ami paysan, Frona, la quatrième de la fratrie, préféra montrer les crocs à quiconque lui tendrait la main et Léonin discutait nourriture avec un seigneur. Enfin, Adoline fut abordée par le fils d'un noble et celle-ci accepta de danser avec lui, non sans fendre le cœur de Garreth.

Il regarda alors les deux jeunes gens tournoyer tout au long de la première danse. Seulement, dès la deuxième, il se lança. Il s'approcha de la princesse et bégaya quelques mots. Elle réussit à comprendre «danser» et «moi», ce qui était amplement suffisant. Adoline inclina la tête pour exprimer son approbation. Elle prit alors la main ...

Tous deux se mirent donc à tournoyer ensemble à leur tour. Cependant, Garreth était raide comme un bâton et avait deux pieds gauches. Ce détail lui était sorti de la tête quand il avait vu le grand blond danser avec sa bien-aimée. Heureusement, cela amusait cette dernière.

Lorsque la musique s'arrêta, le chevalier demanda à sa cavalière s'ils pouvaient s'entretenir seul à seul. Intriguée, elle le suivit jusqu'au balcon. La neige n'avait pas cessé de tomber depuis l'après-midi et les deux se retrouvèrent vite avec comme des perles de sucre sur les cheveux.

— Princesse Adoline...

— Oui, Garreth ?

Puis le jeune homme se pétrifia. Son visage resta figé un court instant avant qu'il ne lance :

— Excusez-moi, j'ai oublié quelque chose. Si vous voulez bien rester sur le balcon pendant ma brève absence.

Sur ces mots, Garreth fila à travers la salle de bal en direction de sa chambre. Il y revint peu de temps après et Adoline était toujours là, à contempler le paysage enneigé.

— Tu avais une armure sur le feu, c'est cela ?

Elle ricana et il fit de même.

— J'avais oublié d'emmener quelque chose avec moi.

Il tâta du bout des doigts le cadeau emballé qu'il tenait dans sa main gauche, alors cachée derrière son dos.

— Les environs sont magnifiques sous la neige, dit-elle simplement.

— Effectivement.

— Alors, tu voulais me dire quelque chose ?

— Oui... En réalité...

— Cela vous tenterait de goûter mon pain à la Emma ? coupa cette même princesse. J'ai inventé cela en mélangeant de la farine, du sucre, des œufs, du lait, du miel, de la vanille, de l'anis, de la muscade, de la cannelle et quelques autres épices que j'ai trouvé dans les tiroirs.

Galadio, qui la vit au loin, se hâta de la saisir par les épaules.

— Ma très chère sœur, pourquoi n'irais-tu donc pas proposer ta création à d'autres personnes en attendant. Tu vois bien qu'ils discutent.

— Tu as raison. Excusez-moi.

Elle fit une révérence très discrète avant de s'en aller avec son frère qui mangeait une part de ce fameux pain.

— Il faudra que vous y goûtiez un morceau. C'est succulent, commenta-t-il.

— Nous n'arrêtons d'être interrompus, s'amusa Adoline. Tu peux y aller maintenant, je pense.

Garreth prit une profonde inspiration et expira lentement.

— Je... Je... Vous...

Le chevalier devint rouge et suait à grosses gouttes.

— Je... Je... AH ! Tenez, c'est pour vous !

Il se courba et tendit le cadeau à la princesse.

Oui, l'histoire s'arrête ici. Je sais, cela peut être frustrant. En réalité, nous ne connaissons pas la suite. Ni Adoline, ni Garreth n'a raconté à qui que ce soit comment cela s'est terminé. Je ne peux que vous laissez imaginer votre propre fin de cette histoire d'amour.

La seule chose dont je peux vous assurer est que maintenant, le septième jour avant la fin de l'année, nous décorons notre foyer de guirlandes vertes, dorées et rouges, nous nous goinfrons de pain d'Emma et nous offrons à ceux qui nous sont chers un unique cadeau qui leur sera utile pour l'année à venir et encore après. Et plus important encore, nous le leur donnons avec cette phrase devenue iconique : «Tenez, c'est pour vous». Ce qui est amusant, c'est que le remodelage de cette fête, avec toutes ces traditions, à été instauré par la princesse Adoline dès qu'elle fut couronnée.

Je suis ravi de vous avoir partagé ce récit. Je pourrais même dire : Tenez, c'est pour vous.

***

2124 mots.

Publié le 25/12/2021

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