Prologue

Ces derniers temps, mon père était préoccupé. Je l'avais compris aux rides sur son front qui se creusaient chaque jour un peu plus. Sa manière de parler et le temps passé cloîtré dans sa chambre représentaient deux autres indices importants. Sa mauvaise manie était de me dire que cela n'avait aucune importance. Quand il n'était pas à l'appartement, il se disait en vadrouille pendant toute la journée sans rien me raconter en rentrant. Du haut de mes dix-huit ans, j'aurais espéré qu'il me fasse plus confiance que cela. De plus, il fermait toujours à clé la porte de sa chambre qu'il soit dedans ou en dehors. Que fallait-il d'autre pour attiser ma curiosité ?

Un jour, alors qu'il était parti faire une course, je me décidai à y entrer. Il me suffisait de trouver la clé. Depuis le temps qu'il protégeait son jardin secret, j'avais remarqué grâce à des discrets coups d'œil qu'il se dirigeait systématiquement en direction de la salle d'eau. Notre appartement n'était pas luxueux, mais suffisant pour nous deux : deux chambres, une cuisine et donc une salle d'eau. Comment décrire cette dernière ? Elle était dans le même état qu'une chambre d'adolescent bordélique, pléonasme certains me diraient. En effet, il ne fallait pas se le cacher, le ménage ne faisait pas partie de mes passions. Le panier à linge sale manquait d'exploser à tout moment si bien que l'on ne pouvait plus rien empiler. Deux rasoirs régnaient sur le lavabo avec pour seule compagnie deux brosses à dent et un tube de dentifrice tortillé dans tous les sens. Chaque jour, mon père m'assurait qu'il passerait à la laverie le lendemain. Je ne compte plus le nombre de fois qu'il me l'avait dit. Il aurait fallu que je prenne le temps de le faire moi-même. Bref, à cet instant-là, le plus important dans cette pièce était la clé, si elle se trouvait bien là.

Je fouillai les tiroirs qui contenaient, entre autres, quelques médicaments, de la mousse à raser, du papier toilette et du gel douche. Rien qui ne sorte de l'ordinaire en somme. Ainsi, après deux tours sur moi-même, je passai à la seule cachette possible : le panier à linge sale. Ni une ni deux, je vidai le contenu par terre. Ne voilà pas qu'un petit objet métallique dépassait du tas. Je le ramassai, tout content de ma trouvaille, remplis le panier et accourus vers la chambre de mon père. Je ressentais un mélange d'impatience et d'appréhension. Qu'allai-je y trouver ? S'agissait-il d'un énorme secret comme la confection d'une arme dévastatrice ou plutôt un secret gênant comme... Peu importait. Quoique c'était, j'allai le découvrir. J'ouvris donc la porte et le premier de mes sens à être agressé fut mon odorat. L'odeur était forte. Néanmoins, je n'y fis vite plus attention car en allumant la lumière, quelque chose attira mon regard.

À droite, il y avait son lit défait, en face, la fenêtre avec les volets fermés, et sur ma gauche, je vis un petit bureau en bois. Un grand nombre de feuilles blanches le recouvrait et se chevauchaient. Il avait écrit sur certaines tandis que d'autres étaient encore vierges. Je me penchai dessus et parcourus leur contenu du regard. Discrétion oblige, je ne devais toucher à rien. Quelques brèves lectures me permirent de déterminer plusieurs points communs. La plupart s'adressaient à la même personne : Théobald. Le ton employé se voulait assez alarmant et mon père y répétait souvent un mot bien particulier : Renaissangs. Je restai immobile pendant quelques secondes. Quand je repris mes esprits, comme soudainement soucieux de me faire prendre la main dans le sac, je sortis de la chambre, la referma à clé et glissa celle-ci dans le panier.

Au retour de mon père, soit en fin de soirée, j'eus du mal à le regarder dans les yeux et je crus qu'il l'avait remarqué. À travers les lunettes de soleil qu'il portait constamment, son regard semblait tout de même me transpercer. Ma culpabilité me donnait des sueurs froides. Alors que j'étais celui qui essayait toujours de faire la conversation, je fus alors celui qui tentait de l'éviter à tout prix. Par conséquent, je lui dis que j'allai lui réchauffer son plat. Quant à lui, il partit pour la salle d'eau. Seulement, pendant que je fixais l'assiette de pâtes tourner dans le micro-ondes, il revint vers moi à pas lourd. Je pivotai lentement et pris une expression angélique malgré la pression qui m'écrasait.

— Tu as été dans ma chambre.

Il ne s'agissait même pas d'une question. Il savait. La manière dont il avait prononcé ces mots me fit comprendre que mentir ne ferait qu'empirer la situation parce qu'il devait avoir une preuve. Ainsi, j'avouai mon crime. Il remonta ses lunettes et répondit par un soupir.

— Fiston... Qu'as-tu vu ?

— Des lettres.

— Et qu'est-ce que tu y as lu ?

Je lui expliquai.

— S'il te plait, dit-il d'une petite voix, reste loin de tout ça.

— C'est grave ?

— Ça n'a aucune importance.

— Non !

Il haussa un sourcil, étonné de par ma réaction.

— Ne me dis pas ça si c'est clairement le cas ! Il y a quelque chose du moins. Ça te prend tout ton temps quand tu es ici. C'est comme si je n'avais pas de parent. Encore une fois...

J'avais bien fait d'un peu vider mon sac parce que son front plissé se détendit.

— Pardon. C'est juste que... que ça ne te concerne pas et je ne veux pas que ce soit le cas un jour.

— C'est dangereux, c'est ça ?

Je m'inquiétais plus pour mon père que je ne voulais finalement savoir quel était ce secret. À plusieurs reprises, mon père ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt. Le silence aurait régné un petit moment si les bips du micro-ondes ne s'étaient pas manifestés.

— Je ne sais pas comment t'expliquer la chose... Laisse-moi la nuit, s'il te plaît.

— D'accord.

Il sortit son assiette, se saisit de couverts et partit pour sa chambre.

— J'ai d'autres lettres à écrire.

Avant qu'il ne s'enferme jusqu'au lendemain matin, je l'interpellai.

— En fait, j'ai deux questions.

— Dis-moi.

— Est-ce que c'est en rapport avec ça ?

Pour illustrer mes propos, je balayai l'air de la main. Un miroir apparut entre nous deux pendant un très court instant.

— Je comprendrai que tu me juges dangereux et veuilles te débarrasser de moi.

Il semblait que j'avais touché une corde sensible parce qu'il posa la vaisselle qu'il tenait jusque là et me prit dans ses bras.

— Jamais. Je ne t'abandonnerai jamais. Souviens-toi, je t'aime comme mon propre fils.

— Et toi, comme mon propre père.

Il sourit. Cela faisait un long moment qu'il n'avait pas pris cette expression. L'atmosphère devint soudainement bien plus détendue.

— Et quelle est ta deuxième question ?

— Comment as-tu su que j'étais rentré dans ta chambre ?

— Rien de plus simple. Je cache toujours la clé dans mon T-shirt lila, ce que tu ne savais pas.

— Oui, d'ailleurs, il faut sérieusement qu'on passe à la laverie.

— Tu as raison. Je ferai ça demain.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top