Printemps 2017 - troisième partie.
Je sors faire les courses avec les jumeaux Vendredi, j'ai pris mon week-end pour pouvoir me reposer un peu. Tout s'accumule et Charlotte a insisté grandement pour que je prenne du repos. Comme Félicité n'a pas beaucoup de devoirs pour le lycée en ce moment, elles se chargeront de la boulangerie à deux, en horaires réduits.
Pour ne pas mentir, ces deux jours de repos me feront le plus grand bien. Je joue avec Ernest et Doris, nous faisons des cookies ensemble et ils se mettent de la peinture partout sur les doigts et le visage. Nous sortons jouer au parc quand les après-midi deviennent un peu moins froides, l'été approche à petit pas.
Sincèrement, je ne sais pas comment je fais pour m'en sortir, mais j'y parviens. Je vis, je respire, ma vie continue et se répète jour après jour. Un vilain cercle vicieux, à force je m'y habitue. Je m'enferme dedans.
Même après Harry, je ne cherche pas à rencontrer d'autres hommes. Depuis la mort de notre mère, depuis ma dernière rupture cet été, je n'ai plus voulu tomber amoureux. Ma relation avec mon ex m'a déçu et je me suis laissé bercer par ses mensonges, alors qu'il restait avec moi simplement pour sa vie sexuelle.
J'avais déjà assez de problèmes comme ça, mais Harry est arrivé. Je n'ai pas eu envie de le repousser, de le prévenir que j'avais tendance à faire du mal aux personnes autour de moi pour me protéger, que je ne croyais plus au bonheur et que je détruisais toute chance d'en avoir. Je n'avais pas envie que son sourire timide disparaisse. Pas alors qu'il venait d'illuminer mes journées et me donnait à nouveau goût à me lever chaque matin.
Depuis que je l'ai vu partir, ma vie a encore moins de sens. Je n'ai plus aucune motivation à continuer de subir chaque nouvelle journée. Mon corps bouge automatiquement, mais mon esprit est totalement déconnecté de la réalité.
Je suis encore coincé à cet hiver. Au moment où mes lèvres et celles d'Harry se sont retrouvées pour la première fois, cet instant où mon cœur s'est emballé puis arrêté de battre soudainement. Le temps qu'il souffle contre ma bouche et me fasse renaître.
Parce qu'Harry m'a rendu vivant. Pendant le peu de temps où nous nous sommes vus, il a redonné un sens à mon existence. Un sens que je pensais à jamais perdu. Mais je l'ai retrouvé dans ses yeux, sur ses lèvres, au creux de ses bras quand il m'a enlacé avant de me quitter.
Chaque soir, quand je m'endors, ce sont ses yeux que je vois avant de rejoindre les bras de Morphée. Avant une nuit agitée. Ses iris émeraudes et son sourire. Notre baiser. La seule réminiscence que je garde de lui, de nous.
Et personne ne m'avait fait un tel effet depuis des mois, voir même des années. Ce fut presque instantané. Nos regards se sont croisés, il ne m'a fallu qu'une poignée de secondes pour succomber à son charme. Ses boucles brunes, son sourire d'ange, la candeur sur son visage, l'éclat dans ses yeux. La vie qui ne cesse d'y briller.
Si elle est éteinte aujourd'hui, c'est uniquement de ma faute. Je suis le seul coupable de mon état, de l'état de son cœur, de la bouillie qu'est le mien.
Mais je n'ai rien pu y faire. Je le savais. Je savais qu'il devrait repartir un jour ou l'autre et que ça me ferait mal, que nos baisers ne seraient pas éternels. Puis j'ai eu peur. Je n'ai jamais été aussi effrayé que lorsqu'il m'a dit qu'il allait rentrer chez lui, avant que nous ne nous embrassions, et qu'il ne savait pas exactement quand il reviendrait.
J'ai eu peur parce que tout le monde finit par m'abandonner. Mon père d'abord, puis mère nous a quitté, mes anciens copains m'ont tous lâchés, mon ex a égoïstement rompu avec moi au moment où j'avais certainement le plus besoin de lui. Et j'avais le sentiment qu'Harry n'allait pas déroger à cette règle, qu'il finirait par se rendre compte que je ne lui apporte rien de bon, et que je suis mieux seul.
Parce que c'est ce que j'ai fini par croire. Si tout le monde sort de ma vie, c'est bien qu'il y a un problème. Moi, en l'occurrence.
Après une bonne douche, je prépare le repas et couche les plus jeunes. Les jumelles n'ont pas réellement besoin de moi et mes deux autres sœurs rentrent un peu avant vingt-heures. Nous mangeons à cinq et je vais ensuite me préparer pour sortir avec mes amis cette nuit.
Vers vingt deux heures trente, je les rejoins au bar en bas du village, près de la place. Il n'est pas très grand, on y est vite à l'étroit, mais les bières ne sont pas chers et nous pouvons danser et fumer librement.
Mes cinq amis sont là, je les salue et fais la bise à Mégane, la copine de Sacha. Nous prenons chacun un verre et nous dirigeons vers une table. Je m'allume une cigarette et les écoute parler de leur semaine, du travail, des études, des amours. Je force un sourire et avale rapidement ma bière, parce que moi je n'ai rien à raconter.
C'est après plusieurs verres que je me mets à rire et oublier. Oublier toute ma tristesse que je noie dans ces litres d'alcool. Ce n'est pas la meilleure solution, mais avec mon travail, c'est la seule que j'ai trouvé.
Alors que je me prends une nouvelle cigarette, Colin passe un bras autour de mes épaules. Il rit à mon oreille et crie par dessus la musique :
– Lou, t'es bizarre depuis tout à l'heure, t'es sûr que ça va ?
Je hoche la tête, détourne les yeux et cherche après mon briquet dans la poche de mon jean.
– Ouais, j'ai juste chaud et un peu trop bu. Je vais prendre l'air.
– Tu veux que je vienne avec toi ?
– Ça ira Col, profite de la soirée.
Colin est mon ami depuis la fin du lycée, je pense que c'est celui qui me comprend le mieux. Il ne pose pas trop de questions, mais il voit quand ça ne va pas. Et dernièrement, il a toujours un œil posé sur moi et cet air inquiet sur le visage, comme à peu près toutes les personnes qui me sont proches ces derniers mois.
Je lui tapote gentiment le dos et me trouve un chemin jusqu'à l'avant du bar pour sortir prendre l'air. C'est vrai, j'ai chaud. Parce que je n'ai plus assez d'alcool dans le sang pour réfléchir. Pendant quelques heures, ça me permet de faire taire mon esprit.
Chancelant, je m'appuie contre le mur en brique et tire sur ma cigarette. Mes doigts tremblent, mes jambes aussi. Il fait froid et j'ai oublié ma veste à l'intérieur. Mais l'air du printemps réveille ma peau et me fait sentir vivant.
J'ai presque vécu une saison entière sans Harry, sans lui donner de nouvelles. Je suis ignoble. Égoïste. Je crois que personne ne peut me déteste plus que moi-même en ce moment.
Depuis que ma mère nous a annoncé sa maladie, je me suis fermé à tout le monde. J'ai verrouillé toutes les portes. Encore aujourd'hui, je me dis que c'est de ma faute si mon copain à l'époque m'a quitté, le lendemain du décès de ma mère.
Charlotte ne cesse de me répéter que non, c'était un idiot qui m'a lâché au pire moment, car il ne voulait pas que mon deuil soit un fardeau pour lui.
Je sais simplement que c'est mieux comme ça, que je suis mieux comme ça. Seul. Parce que je détruis tout ce que je touche. Parce que je réduis en cendres toute forme de bonheur ou d'espoir. Je l'ai perdu, l'espoir, quand ma mère a succombé à sa maladie, quand la vie s'est acharnée encore une fois sur notre famille et nous a tout enlevé.
D'abord notre père qui nous abandonne quelques mois après la naissance des jumeaux, je n'étais même pas encore majeur et il avait déjà brisé notre vie. J'ai dû aider ma mère à se remettre sur pieds et élever des bébés à peine nés, les garder quand elle faisait des heures supplémentaires et trouver un travail à côté des études pour pouvoir toucher un peu plus d'argent. Nous en avions besoin, à huit.
Alors, au bout d'un moment, j'ai pris l'habitude de voir toute once de bonheur s'écrouler sous mes yeux avant que je ne puisse la saisir. Maintenant, je ne me fais plus d'illusion. Je me bats simplement pour ma famille. Elle est tout ce qui me reste de mieux ici.
Après une cigarette, je retourne à l'intérieur. Je prends ma veste, salue mes amis et paie ma collation. Ils râlent un peu de me voir partir avant minuit, Colin me serre contre lui et semble réellement inquiet pour moi.
– N'hésite pas à m'envoyer un message si tu as besoin de parler.
– Merci Colin, j'y penserais.
Il sait bien que, au contraire, je préfère tout garder pour moi et qu'il est obligé de me faire asseoir pour que nous parlions enfin. Seulement, ce ne sera pas ici, ni maintenant. Colin a l'habitude, pas forcément de me voir dans un tel état, mais que je sois assez secret et réservé. J'ai tendance à plus penser aux autres, à les aider, qu'à moi-même. J'en oublie de me rendre heureux, c'est lui qui me l'a dit une fois. Je n'ai jamais oublié ces mots là.
Je n'ai définitivement plus la tête à faire la fête, tous mes démons me remontent en travers de la gorge et ce soir, l'alcool a un effet triste sur moi. La musique me fait mal à la tête, je sors rapidement.
Avant de retourner à la maison, je fais un détour par un endroit qui retient les derniers souvenirs que j'ai créé avec Harry. La place où se tenait la patinoire jusque début Février encore. Aujourd'hui, elle n'est plus là. Mais l'impression qu'Harry m'embrasse à en perdre pied est, elle, encore présente.
Ce simple souvenir me tord le ventre. C'est comme si, si je me laissait bercer par le souffle du vent, je pouvais tout revivre. Chaque sensation, chaque mot, chaque geste, chaque sourire, chaque battement de cœur.
Je rentre, je me cache sous les couvertures et je ferme les paupières très fort, jusqu'à voir des étoiles pour ne plus penser à ses yeux verts.
Plus de cinq mois. Nous sommes le dix-huit juin et je n'ai pas arrêté de penser à lui depuis Janvier. Malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à l'oublier. L'été arrive bientôt et il a déjà un goût amer.
Je ne sais pas encore ce que je ferais cet été. Charlotte prévoit de partir deux semaines en vacances avec des amis, Félicité quelques jours à la mer avec son copain. Je pense que je vais rester ici. M'occuper de la boulangerie et de mes frères et sœurs. L'air est insupportable, mais ça ira. Je me suis débrouillé jusqu'ici.
Malgré tout, j'ai promis aux jumeaux d'aller à la plage pendant une journée. Ils en ont envie et besoin, ça a l'air de les rendre heureux. Même si nous n'avions pas forcément les moyens de sa payer des vacances quand notre mère était encore vivante, nous allions tous ensemble une journée face à l'océan. Et j'en ai toujours gardé un souvenir heureux.
Je crois que ça leur permet de ne jamais oublier maman, moi ça me serre la gorge et ça me donne envie de pleurer. Mais je les y emmène quand même, parce que ça les fait sourire.
Un soir, je suis au bar avec mes amis. J'ai un peu trop bu et un garçon me fait des avances. Il me colle, pose sa main sur ma cuisse, il sent l'alcool et les cacahuètes. Il me parle de lui, mais je n'écoute pas. Je ne suis pas intéressé.
Je le repousse pendant la quasi totalité de la soirée. Cependant, il finit par essayer de m'embrasser, alors je me recule, je m'énerve, je pleure. Il ne comprend pas ce qu'il se passe. Et moi non plus. Seulement que je fonds en larmes dans les bras de Colin, que je tremble et que je veux Harry.
Harry à côté de moi.
Harry qui m'embrasse, me sourit, me tient la main, m'enlace.
Harry qui tente de me faire rire avec des blagues idiots et s'esclaffe des miennes qui sont loin d'être drôles.
Harry qui me regarde avec des yeux brillants de vie et d'amour, qui me sourit à m'en faire mal au cœur et me faire perdre la tête avec ses baisers brûlants.
Harry qui me tient contre lui, caresse la joue et me murmure que tout ira bien, qu'il ne m'abandonne pas. Jamais.
Harry qui m'aime, pour de vrai.
Quand je pleure encore dans mon lit ce soir là, bercé par les bras de Charlotte, je sais que ce n'est pas réel. Parce qu'Harry n'est pas là, parce que je l'ai empêché de l'être.
Parce que mon cœur me fait souffrir depuis trop longtemps et j'aimerais l'arracher de ma poitrine.
Mais un matin de début Juillet, je décharge les caisses devant la boulangerie et mon souffle se bloque dans ma gorge.
Parce qu'il est là. Il est la première chose sur laquelle mes yeux se posent.
Harry est là, à quelques mètres de moi seulement. Et mon cœur bat si vite que s'en devient douloureux.
Il remonte la rue d'en face, il n'est pas seul mais je ne vois que lui.
Un moment, je pense qu'il ne va pas me regarder. Mais, il finit par tourner son visage vers moi. Nos yeux se rencontrent l'espace de deux secondes, qui me paraissent une éternité. Son visage est fermé, ses boucles plus courtes, sa peau bronzée et son corps plus élancé encore.
Puis, il détourne le regard et continue son chemin. Il passe devant moi, comme si je n'étais qu'un simple étranger, un inconnu.
Et c'est seulement là que je remarque, la jeune femme à ses côtés et leurs mains liées, entre eux.
Ils s'éloignent, et je ne fais pas attention à ma sœur qui m'appelle ou aux larmes qui me montent en travers de la gorge.
Tout ce que j'entends, tout ce que je sens, c'est mon cœur qui se brise.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top