Hiver 2017 - troisième partie.

  Colin me ramène un nouveau verre, il s'assoit en face de moi et je le remercie avant de prendre une longue gorgée. J'ai déjà la tête qui tourne. Il n'est pas encore minuit. Dans peu de temps, nous passerons en 2018. Je ne sais pas si c'est une bonne chose, je ne sais plus rien.

Mon ami s'assoit en face de moi, il me lance un regard inquiet et je lui fais signe de tout va bien. A peu près. Disons que je serais certainement trop ivre à minuit pour me souvenir de quoi que ce soit. Peut-être que c'est pour le mieux.

Je n'ai pas envie de me souvenir de cette soirée. Pourtant, la musique est bonne, l'alcool n'est pas mauvais, l'ambiance est au rendez-vous et j'ai même assez de cigarettes pour toute la nuit. Mais je n'aime pas réellement voir Harry sourire, rire et se rapprocher d'autres personnes.

Depuis le début de la soirée, un garçon au bar lui tourne autour, il le dévore littéralement des yeux. Je suis certain que même moi, je ne le montre pas autant. Il lui a déjà offert un verre et ils passent beaucoup de temps, accoudés à une table, à parler. Et moi, ça me rend fou. Aucun doute que Colin me voit fusiller cet inconnu du regard depuis tout à l'heure, et je n'en ai rien à faire.

Nous sommes venus vers vingt et une heure, après le repas à la maison. Harry et moi avons décider de fêter le nouvel an au bar. Ils organisent une petite soirée pour les habitués, la salle est décorée, les serveurs habillés pour l'occasion. J'ai invité Colin, ainsi que quelques amis à moi. Nous sommes venus à six. Harry est resté une bonne heure avec nous, on a commencé par discuter et rire ensemble. Puis les boissons sont arrivés, il n'a pas bu énormément. Un ou deux verres je crois.

Mais quand il est allé chercher une nouvelle tournée au bar, cet homme s'est précipité sur lui. Depuis, je les surveille du regard et j'ai le corps entier crispé par la frustration.

– Louis, tu es sûr que ça va ?

Colin se penche vers moi pour murmurer ses mots. Nos amis, à côté de nous autour de la table, sont plongés dans leur conversation. Je doute qu'ils puissent nous entendre, mais je pense que Colin ne veut pas non plus en faire toute une histoire.

Je serre les dents, tourne mon visage vers lui et hoche la tête. Je prends une gorgée de mon verre de bière puis souffle :

– Ouais, j'ai besoin de fumer.

– Tu viens d'y aller il y a cinq minutes.

Ce n'est pas suffisant pour me sortir ces images de la tête. Je me déteste d'avoir eu cette idée. Je me déteste d'avoir invité à Harry à me suivre. Je le déteste d'avoir accepté. Je le déteste de s'être rapproché de moi ces derniers jours pour au final passer la soirée du nouvel an avec un inconnu. Cette nuit, je ferais en sorte qu'il rentre bien avec moi.

– Tu veux m'accompagner ?

Mon ami souffle, mais hoche la tête. Il prend son verre, moi mon briquet et mon paquet de cigarettes sur la table. J'enfile ma veste, lui la sienne, et nous sortons devant le bar. Quelques personnes fument là aussi.

Je m'appuie contre le mur en brique, allume une cigarette que je tends à Colin et une autre pour moi. Il me remercie, boit une gorgée et tire une bouffée. Je fume trop vite, trop fort. Ça me fait mal partout dans le corps. Je ne sais pas ce qui me prends. Enfin si, je suis jaloux. Juste, jaloux.

Mais je pense que j'en ai le droit. L'homme que j'aime depuis des mois, depuis un an maintenant pour être plus précis, flirte avec un autre que moi sous mon nez. J'ai l'impression d'être la victime d'une mauvaise blague. Et je suis assez stupide pour y croire.

– Sérieusement Louis, tu devrais te calmer... Tu m'inquiètes là...

– Je t'ai dis que ça va.

– Donc c'est normal que tu envoies des regards assassins à ce gars avec Harry depuis tout à l'heure ?

Mes doigts se serrent autour de ma cigarette, je pourrais facilement l'écraser. La cigarette ou cet inconnu, ça je n'ai pas encore décidé. Mais je ne peux pas me battre avec lui. Ce n'est définitivement pas quelque chose dont ma mère serait fière. Elle me dirait plutôt que s'il m'aime aussi, il reviendra vers moi.

Sauf que j'ai beau lui commander sa boisson préférée, essayer de le faire rire, demander au barman de passer une de ces chansons niaises qu'il adore, Harry ne me voit pas.

Je lance à Colin un regard réprobateur, puis je reprends une bouffée de nicotine. Je préférais que ce soit du courage, j'irais trouver Harry, lui dire que je l'aime et que je ferais tout pour son sourire, puis je l'embrasserais devant tout ces gens. Peut-être qu'on nous trouverait mignons. Peut-être que j'aurais enfin le courage d'être heureux.

– C'est rien c'est juste...

– De la jalousie, il m'interrompt pour finir ma phrase. Je sais ce que ça fait, je suis passé par là avec Solène. Mais écoute, ça crève les yeux que tu meurs d'envie de l'embrasser. Soit il est totalement aveugle et idiot, soit il a juste peur de se lancer.

Il a besoin de temps. C'est ce que j'ai envie de lui répondre. Seulement, même ces mots ne veulent plus rien dire. Je ne sais pas ce que c'est le temps. Ça peut être demain, comme dans deux mois ou dans cinq ans ou jamais. C'est abstrait, c'est trop long, c'est en dehors de nous. C'est quelque chose que je ne maîtrise pas et ça me fait peur.

Si Harry a besoin de temps, je lui en donne. C'est tout ce qu'il me reste, je n'ai rien d'autre à faire que l'attendre. Mais je refuse que ça se passe comme ça. Qu'il se rapproche d'autres personnes, que je n'existe plus et qu'il soit heureux sans moi. J'ai surtout peur qu'il tombe amoureux d'un autre. Qu'il se rende compte qu'il y a mieux que moi, parce que ça existe. Parce que tous les jours il peut rencontrer quelqu'un qui mérite plus son amour que moi.

– Tu te souviens comment c'était avec Solène au début, on se détestait, elle ne savait pas me voir. Et putain moi j'étais fou d'elle depuis le premier regard, mais je laissais rien paraître parce que j'avais peur de ne pas être à la hauteur d'une fille comme elle. On s'est finalement mis ensemble, on s'est disputé un bon nombre de fois, on s'est séparé puis remis ensemble... Si on y arrive, alors vous aussi.

Mes sourcils se froncent, je coince ma cigarette entre mes lèvres en le regardant. Il termine son verre et fait une petite grimace quand il avale le liquide.

Colin a toujours été le plus intelligent de la bande. En plus d'avoir les bons mots, les meilleurs conseils, il sait relativiser et tirer le positif de chaque situation. J'ai pu compter sur lui suite au décès de ma mère. Il me laissait boire jusqu'à oublier le sens de mon existence, me ramenait chez lui pour pas que ma famille me voit dans cet état lamentable et me donnait des cachets et de l'eau au matin, m'aidait à me tenir quand je vomissais mes larmes dans son toilette et me laissait dormir avec lui parce que j'avais trop peur de rester seul.

Après un léger haussement d'épaules, il reprend :

– J'ai compris que quelque chose n'allait pas l'hiver dernier, depuis tu es hyper bizarre et renfermé. Toujours grognon et dans ta bulle. Ces derniers temps, ça avait l'air d'aller un peu mieux. Charlotte m'a dit qu'il y avait ce garçon, et j'ai pas eu besoin de plus pour comprendre. Seulement, je pense que toi aussi tu sais qu'il n'est pas comme les autres que tu as pu connaître Louis. Il vaut la peine de se battre.

Je sais que Colin a raison. Harry n'a rien à voir avec mes ex. Celui qui levait la main sur moi, celui qui venait me voir uniquement pour le sexe, celui qui me prenait pour un bon à rien, celui qui refusait de me tenir la main dans la rue et de me présenter à sa famille, celui qui m'a abandonné suite au décès de ma mère.

Ils étaient tous un peu pareils. J'avais le don d'attirer les garçons qui pouvaient me faire du mal, qui ne me rendraient pas heureux. Parce que je pensais, il y a peu encore, que c'était tout ce que je méritais. Et je restais avec eux, car c'était ce qui me faisait sentir vivant.

Mais Harry n'est rien de tout ça. Harry est différent.

Harry c'est le soleil, la pluie d'étoile, le bruit des vagues, le coucher de soleil, une musique douce, la lune qui éclaire au beau milieu de la nuit, un morceau de piano, l'odeur des fleurs l'été, une histoire unique, le bonheur infini et l'amour qui donne envie de renaître éternellement au creux de ses bras.

Harry me fait sentir vivant. Quand il est là, je n'ai besoin de rien d'autre pour exister.

– Et si c'était toi qui fait le premier pas ?

– Et s'il me repousse ? Et si je le perds définitivement ?

Colin secoue la tête, me lance un sourire en coin. Il écrase le reste de sa cigarette contre le mur puis se met face à moi. Je suis obligé de le regarder. Même si j'ai envie de fuir et aller me cacher sous mes couvertures à attendre que la vie vienne me chercher.

– Il pourrait te surprendre, il soupire, tu te poses trop de questions Louis. Moi je pense qu'il n'attend que ça.

– Quoi donc ?

– Toi.

Après ces mots, il me tape gentiment l'épaule puis rentre à l'intérieur. Je reste encore un peu dehors, la cigarette se consume entre mes doigts et je fixe un bout de trottoir. Les paroles de Colin tournent dans ma tête. Même quand je finis par rentrer dans le bar et rejoindre la table, Harry est revenu s'asseoir à la table et sourit quand je m'assois.

Lorsque je prends place à ses côtés, je regarde autour de moi et remarque que l'inconnu est toujours au bar, mais il discute cette fois avec deux autres hommes. Je me sens plus détendu et me permet de souffler.

Nous parlons et rions bien tous les six, nous nous rapprochons petit à petit de minuit. Une nouvelle année qui va bientôt débuter. J'oublie un peu mon cœur lourd et l'envie soudaine, en regardant Harry s'amuser à mes côtés, de lui prendre la main et de lui demander de la partager avec moi. Son sourire est lumineux, il me réchauffe la poitrine et provoque des sauts étranges dans mon estomac. Et quand ses fossettes apparaissent, je suis toujours sur le point de perdre mes moyens. Je n'ai qu'un besoin, me pencher et poser mes lèvres dessus.

A la place, je termine mon verre. L'alcool me brûle la gorge et reste un moment coincé là. Colin me lance un regard comme pour m'encourager à me lancer, mais je préfère me lever et aller chercher une nouvelle tournée. J'ai toujours eu le don pour fuir les situations qui deviennent trop sérieuses, je ne vois pas pourquoi aujourd'hui serait une exception.

Mes amis me donnent leur commande, je pose finalement les yeux sur Harry, mais il se lève et se décide à m'accompagner au bar. Je m'appuie contre le comptoir, donne les noms des boissons au barman et Harry demande la sienne.

J'observe autour de moi pour éviter d'arrêter mon regard sur lui. La piste de danse un peu plus loin, au fond du bar, où les personnes se serrent et s'amusent, les projecteurs qui virent du rouge au violet au bleu au vert et alternent les couleurs et ambiances, les deux grosses enceintes d'où sort la musique.

Les yeux d'Harry me brûlent la peau, je le sens, je sens tout mon corps se réveiller. Il n'a fait que cela, ces derniers jours. Depuis qu'il est venu passer ses vacances, depuis que nous avons passé les fêtes chez ses grands-parents. Parfois, j'aimerais juste qu'il arrête de réagir sans mon accord. Que mon cœur cesse de palpiter, comme s'il allait lâcher, dès qu'Harry me frôle ou me sourit.

D'un coup, il se penche vers moi, certainement pour que je l'entende au-dessus de la musique, mais je sens parfaitement la chaleur me monter au joue.

– Lou...

Je tourne la tête, oublie de respirer. Nous sommes proches. Trop proches. Nos visages se touchent presque. Harry parle près de mon oreille, son souffle contre ma peau en éveil.

Et ils ont raison tout ceux qui le disent, l'écrivent, le chantent... Être amoureux c'est ne plus avoir aucun contrôle. Ni de son cœur, ni de son corps, ni de sa raison. Les battements à l'intérieur de ma poitrine s'affolent et ne m'appartiennent plus. Tout m'échappe.

Même Harry.

Parce que nous sommes brutalement ramenés à la réalité. Notre petite bulle explose. Harry se recule et j'ai froid. Harry se recule et l'homme de tout à l'heure se tient entre nous. Un sourire sur les lèvres, un verre à la main. Le barman vient poser les nôtres devant nous, je lui donne un billet en échange.

Je dois rester là le temps qu'il me rende la monnaie, et j'aurais préféré partir que d'assister à cela. Que de voir cet inconnu se pencher vers Harry et lui demander assez fort, comme pour que je puisse l'entendre aussi :

– Tu veux venir danser ?

Harry sourit et accepte en hochant la tête, j'ai le cœur qui se serre et l'envie de pleurer. Il se tourne vers moi, mais je prends déjà les boissons et rejoins la table. Je m'assois lourdement dans le fauteuil et les regarde partir à deux sur la piste. Se fondre parmi les corps, se rapprocher.

Je ne pense même plus à boire ou fumer ou pleurer. Je suis en dehors de moi-même. La musique devient lointaine, opaque. Mes yeux ne se concentrent plus que sur eux. Harry danse, l'autre homme suit le mouvement de son corps, le fait rire, se penche parfois vers lui pour dire des choses à l'oreille qui le font sourire comme jamais.

Moi, au milieu de tout ça, je bouille de jalousie. Parce que j'aurais aimé être la cause de se sourire, j'aurais aimé qu'il me soit adressé, qu'il me regarde avec les yeux qui brillent de joie et me font trembler les genoux.

Seulement, je n'ai le droit à rien de tout cela. Je dois le regarder vivre et aimer quelqu'un d'autre. Je dois le regarder être heureux sans moi. Alors que, chaque jour, je tombe un peu plus amoureux de lui. Et c'est littéralement ça, une chute. Mais j'ai peur qu'à un moment, je ne sache plus m'en relever.

La musique change, devient plus lente et sensuelle. On dirait que le monde fait exprès de jouer avec moi et me tordre le cœur dans tous les sens. Comme si la vie n'était pas assez cruelle ainsi, il faut que je regarde, impuissant, l'homme que j'aime se faire dérober sous mes yeux.

Mon sang pulse dans mes veines quand je vois la main de l'inconnu se poser sur la hanche d'Harry. Je ne peux pas supporter ce spectacle une seconde de plus. C'est de la torture. J'aurai dû rester dans ma famille, boire jusqu'à oublier, fumer à m'en désintégrer les poumons et ne plus me souvenir de rien.

Je me lève brusquement, prends ma veste à côté de moi et mes affaires sur la table.

– Je vais rentrer.

Mes amis me regardent étrangement, Colin fronce les sourcils et se redresse à son tour. J'ai la tête qui tourne, ce n'est pas l'alcool, simplement l'amour qui me donne la nausée.

– Louis, il n'est même pas encore vingt trois heures trente.

– Désolé, je suis fatigué et je ne me sens pas bien.

Colin sait que je mens, je baisse les yeux vers ma veste que j'enfile, il pose une main sur mon épaule.

– Tu veux que je te raccompagne ?

– Non merci, j'y vais à pied et ce n'est pas loin. Profite de ta soirée Col, ne t'inquiète pas.

Il soupire mais se résigne, parce qu'il sait que je suis têtu. Et j'étouffe ici. Cette fin d'année est pire que tout le reste.

– Tu m'envoies un message quand tu es rentré ?

Je hoche la tête et sors une cigarette de mon paquet. Je ne regarde plus vers la piste, je n'ose pas. J'ai peur de ce que je pourrais voir, j'ai peur que ça ne m'achève.

– Tu pourras... faire attention à Harry s'il te plaît ? Je ne veux pas qu'il suive n'importe qui ou qu'il lui arrive quoi que ce soit.

– Je passerais le ramener chez lui.

– Merci.

Avant que je ne puisse m'enfuir, Colin me prend dans ses bras. On ne fait jamais ça très souvent, mais je sais qu'il le pense du fond de son cœur à chaque fois et même quand nous nous en tenons à des mains serrées ou des petites frappes dans le dos.

Cependant, ce genre d'étreinte me fait énormément de bien. Je soupire, ferme les yeux et le serre doucement contre moi. Malgré ma sexualité, il n'y a jamais eu de tabous ou d'ambiguïté entre nous, cela fait plusieurs années déjà que nous nous connaissons et Colin n'a jamais cessé de me soutenir, d'être un meilleur ami.

Je sais bien que je ne lui rends pas assez, qu'il aurait certainement besoin lui aussi que quelqu'un l'écoute parler de ses disputes avec ses copines, de ses problèmes de couple ou simplement personnels. Je dois être le pire des amis.

– Je suis désolé, Louis.

– Moi aussi.

Quand je me recule, je lui souris faiblement et lui murmure que ce n'est pas de sa faute. Puis je me dirige vers la sortie. Je vais dehors, je ne regarde pas en arrière. La porte se ferme sur mes pas et je souffle une fois que l'air frais me frappe le visage.

A peine ai-je fais un mètre que je m'allume déjà une cigarette. Je ne prends pas le trajet de la maison, je n'ai pas envie de rentrer maintenant, subir les questions de mes frères et sœurs et gâcher leur soirée. Charlotte a décidé de passer la nouvelle année là-bas avec son copain, Ernest et Doris, les jumelles sont à une fête chez des amis ainsi que Félicité.

D'abord, je marche un peu sans savoir. Puis je prends la direction de la patinoire. C'est calme, silencieux. Et bien sûr, fermé à cette heure-là. Tandis que je m'assois sur le banc en face de la piste, les souvenirs me reviennent au visage. En travers de la gorge. Ils sont toujours là, vifs sous la peau. Des cicatrices qui ne se sont jamais refermées.

A quelques jours près, il y a un an, j'étais là. Harry aussi. Et nous partagions notre premier baiser.

A quelques jours près, il y a un an, je savais déjà que je tombais amoureux de lui.

A quelques jours près, il y a un an, je lui donnais déjà mon cœur tout entier.

A quelques jours près, il y a un an, je savais qu'il allait être détruis.

J'enchaîne avec une autre cigarette. Je n'ai pas tellement bu, je n'en ai pas envie. L'intérieur de ma poitrine est déjà bien assez lourd comme ça. Je fume et je ferme les paupières. L'air est sec, la neige de Noël est encore un peu présente, elle a doucement fondu ces derniers jours.

Le bout de mes doigts est froid, j'ouvre les yeux après quelques secondes et les étoiles brillent dans le ciel. Des centaines, de milliers de petits points lumineux. Peut-être que ma mère se promène parmi eux, peut-être que c'est celle là-haut à gauche qui brille plus fort que les autres, ou celle au milieu qui semble s'allumer et s'éteindre successivement.

Je voudrais qu'elle soit là, je ne voudrais qu'elle à mes côtés. Qu'on soit à la maison, dans le canapé, à regarder des séries idiotes jusque tard dans le nuit et se souhaiter la bonne année en se serrant fort l'un contre l'autre.

Sans aucun doute, ça aurait été un début d'année merveilleux. Je ne peux pas en dire de même de celle-ci, elle n'a pas encore commencé que je souhaite déjà qu'elle se termine.

– Je savais que je te trouverais là.

Le temps qu'une longue seconde, je me crois dans un rêve. Celui où Harry serait là pour finir l'année avec moi. Un rêve insolite, comme je l'ai vu se rapprocher d'un inconnu et danser avec lui il y a quelques minutes à peine.

Mais je ne suis pas dans un songe. Parce qu'il est bien là. Il s'assoit à même à côté de moi sur le banc. Des frissons montent dans mon corps. Seules de minimes centimètres nous séparent et je ne sais pas si j'ai envie de le remercier d'être venu ou lui hurler de partir.

Peut-être que c'est moi qui devrais m'enfuir. Seulement, j'en ai assez de tout le temps courir. J'ai beau m'éloigner de ce qui me fait du mal, mes démons parviennent toujours à me rattraper. Je porte ma cigarette à mes lèvres, mais avant qu'elle ne puisse se glisse entre elles, Harry me la prend et l'écrase sur le bord du banc. Je râle, tourne mon visage vers lui.

– Je t'ai déjà vu fumer quatre cigarettes ce soir, je crois que tu peux freiner un peu le rythme Louis.

Je regarde finalement en face de moi, la piste vide et sombre. Quelques lampadaires autour nous éclairent. Et je me mets à rire. Pourtant, il n'y a rien de drôle. Je crois même que je pourrais pleurer. Parce que je suis fatigué, amoureux et perdu. Parce que je ne sais rien faire de bien pour une seule fois dans ma vie.

Je ne suis pas capable de garder le seul homme qui pourrait me rendre heureux, je ne suis pas capable de l'aimer et le faire sourire, je ne mérite pas son amour et pourtant je continue de courir après lui, comme si j'allais pouvoir un jour être à sa hauteur.

– Qu'est-ce qu'il y a d'amusant ?

– Laisse tomber Harry, je secoue la tête en reprenant un air sérieux, retourne faire la fête au bar, tu avais l'air de t'y plaire. Je vais bien.

– Qu'est-ce que ça veut dire exactement ?

– Que je peux me débrouiller sans toi.

– Non, je sens dans sa voix qu'il est blessé, qu'est-ce que tu insinues par « tu avais l'air de t'y plaire » ?

Un soupir m'échappe et je lève les yeux au ciel. J'ai trop chaud près de son corps, ce n'est pas normal d'avoir autant l'impression de brûler de l'intérieur en plein hiver. Finalement, je me redresse car ça devient insupportable de rester si près de lui.

J'ai les doigts qui tremblent, j'ai besoin de tenir une cigarette pour éviter de partir en vrille. Je voudrais courir dans l'ombre des arbres, me cacher sous leurs feuilles et que la nuit m'avale. J'aimerais ne plus avoir à exister tant que vivre fait aussi mal. Je n'ai pas signé pour ça, je n'ai pas signé pour perdre ma mère aussi tôt, pour me mettre en couple avec les pires des hommes et tomber amoureux d'un garçon qui ne voudra certainement jamais de moi.

– Comme si tu ne savais pas...

Je souffle ces mots tout en passant mes doigts dans mes cheveux. Maintenant, je suis frigorifié. Je ne porte qu'une simple veste en jean au dessus d'un gros pull, mais j'ai froid. Je sais que ses bras pourraient me réchauffer entièrement, je sais qu'il ne suffirait que d'un pas. Maie je sais aussi que cela m'est interdit.

A son tour, il se lève et fais le tour du banc afin de venir devant moi. Je serre mes bras autour de mon ventre, regarde les ombres des arbres immobiles et puis mes chaussures ensuite. Tout, tout sauf Harry.

– Non, je ne sais pas.

Son ton est presque aussi froid que l'air qui me mord la peau. Sauf que celui-ci me brise le cœur. Le silence nous entoure, je peux donc entendre aussi bien sa respiration que la mienne. Je suis certain qu'il peut facilement percevoir les battements de mon cœur.

– Et j'aimerai bien que tu me regardes Louis... J'ai l'impression de parler à un mur.

Même si c'est compliqué, je lève le regard vers lui. Ses yeux brillent dans la pénombre, mais je ne pense pas que ce soit de bonheur. Je déteste être confronté ainsi à son regard, parce que je n'arrive plus à lui mentir, à lui cacher ce que je ressens.

Et là, j'étouffe. J'étouffe de sentiments refoulés, d'un amour qui ne demande qu'à sortir depuis des mois, d'un amour que je garde enfermé au plus profond de moi-même. Je ne sais pas comment je suis parvenu à ne pas encore exploser. Je crois que ma destruction est lente.

Harry répète mon prénom, je secoue la tête. Le sang pulse dans mes veines. Les images de la soirée défilent dans ma tête et j'ai envie de me réveiller de ce cauchemar.

– Tu vois bien de quoi je parle... Ne joue pas à ce jeu là avec moi, je reprends sèchement. Tu te dandinais toute la soirée avec ce gars, il te collait et te dévorait des yeux, tu ne voyais pas ? Tu as passé plus de temps avec lui qu'avec nous, Harry. Tu avais l'air d'apprécier votre petite danse, de te coller à son corps, alors pourquoi tu n'y retournes pas ?

– C'est ce que tu veux, que je te laisse pour aller le voir ?

– Ouais, fais ce que tu veux.

J'ai le cœur en travers de la gorge, je viens de creuser ma propre tombe et je m'enterre tout seul. Les mots sont sortis brusquement, bien malgré moi. Parce que je suis énervé, contrarié, jaloux et triste. Tout ça, un trente et un Décembre à quelques minutes seulement de minuit.

Encore une fois, je suis en train de tout gâcher. Ou peut-être que c'est lui, je ne sais pas. Un instant, j'ai cru qu'il venait pour me récupérer, mais apparemment il aime me voir souffrir alors il me trouve pour remuer le couteau dans la plaie.

Avant que je ne me mette à pleurer devant lui, je me décide à partir. Je passe à côté de lui, l'amour au ventre, et marche. Mais, avant que je ne puisse m'éloigne de lui, je sens sa main qui se referme autour de mon bras et me retiens. Je m'arrête dans mes pas. Harry est déjà devant moi.

Ses doigts relâchent ma manche et glissent vers les miens. Mon corps tout entier frissonne et se réveil quand il les noue ensemble. Je baisse les yeux pour les regarder, et je sens les siens sur mon visage. A l'intérieur de mon ventre, c'est un tremblement de terre.

– Pourquoi il faut que tu rendes tout si compliqué Louis ?

Je ne comprends pas, je n'ai pas le temps. Il m'attire contre lui pour rapprocher nos corps. A nouveau, je sens la chaleur prendre possession de mon être entier. Mon souffle se coupe et les battements incessants de mon cœur prennent une allure que je ne peux plus suivre. Harry a le parfum de l'alcool et de la vanille en même temps, c'est obsédant. Je ne sens que lui, partout. Sur et sous ma peau.

Ses doigts chauds serrent les miens, j'ai du mal à réfléchir. C'est Harry, il est pire que l'ivresse. Et je donnerai tout pour boire à la lisière de ses lèvres. Douces, rosées, charnues.

Puis, son visage se rapproche lentement et doucement du mien. Je le regarde dans les yeux, j'attends alors que mon cœur est sur le point de lâcher. Quand nos bouches sont assez proches pour se toucher, il pose son front contre le mien et soupire :

– Tu ne comprends donc pas ? Tu ne t'es vraiment rendu compte de rien ?

J'ai la gorge tellement serrée par mon souffle que je retiens qu'il m'est impossible de parler ou de respirer. J'ai l'impression de flotter au milieu des étoiles, autour de mon propre corps qui n'est plus que des os figés. Harry me tient contre lui et c'est au creux de ses bras seulement que j'existe. Que ma vie reprend du sens.

– J'ai tout fait pour que tu me vois, Louis. Tout. Mais je ne sais pas tu étais constamment... ailleurs ? Je te parlais, tu ne me regardais même pas. Et pas seulement ce soir, ça arrive souvent ces derniers temps. Je tends la main pour t'attraper et tu m'échappes. Dès que je veux te parler sérieusement, tu me fuis. Et Louis... il souffle, ça fait des semaines que j'essaie de me rapprocher de toi, par messages ou en vrai et tu es de plus en plus distant...

Les mots d'Harry résonnent en moi et je tente de mettre de l'ordre dans ma tête. Mais je ne comprends pas parce qu'il est trop proche de moi, il me tient chaud et il respire contre mon visage et j'ai l'impression qu'il me prive de mon souffle.

C'est toujours comme ça avec Harry. Soit il est éloigné de moi et je ne vis pas assez, soit il est proche et je vis trop fort. Dans tous les cas, ça me fait mal au cœur de ne pas pouvoir lui tenir la main ou l'embrasser dès j'en ai envie.

Et je crois qu'il a raison, je mets inconsciemment de la distance entre nous pour me protéger. Ce soir, j'ai eu la preuve que je ne peux pas mener ma vie sans qu'elle soit liée à la sienne.

– Je... je n'y arrive pas Harry...

Je lâche ses mains, il fronce les sourcils et je recule. C'est impossible de respirer et de penser à côté de lui, mon monde s'arrête de tourner et je perds la notion du temps et de moi-même. Je m'oublie. Parce que je ne vois plus que lui. Partout. Je suffoque de cette situation, il est si près et si loin à la fois.

– Je n'arrive pas à être ton ami...

– Louis...

– Ça me tue de te voir avec un autre, je continue, je ne peux pas... Je ne peux pas vivre comme ça. Tu n'as pas le droit de me demander d'accepter cette distance entre nous alors qu'elle me détruit chaque jour un peu plus. C'est... Je préfère ne rien avoir plutôt que de t'avoir à moitié. C'est de la torture...

Harry reste un moment sans bouger, sans parler. Puis, il fait un pas en avant, tend sa main vers moi. Je la regarde, les larmes s'agglutinent en travers de ma gorge. Mon souffle se bloque, et chaque nouveau battement de cœur me donne l'impression de mourir sous la douleur. Je devrais y être habitué, mais je ne peux pas m'y faire.

– C'est ce que j'essaie de te dire depuis des jours Louis, mais tu ne m'écoutes jamais... Moi aussi, j'ai fait une erreur. Je m'en suis rendu compte trop tard et... nous ne sommes pas parfaits, personne ne l'est et j'en ai assez de toujours avoir peur de ne pas l'être.

C'est lui qui s'approche et comble les pas entre nous, ses doigts rencontrent ma joue et la caresse. Je frissonne et il relève mon visage lentement vers le sien.

– Regarde moi, Louis, s'il te plaît... J'ai besoin de que tu me vois, j'ai besoin de toi.

J'ai besoin de lui. Quand j'ose enfin le regarder, je vois. Je vois ses yeux brillants dont je suis tombé sous le charme.

– Après nos retrouvailles, je n'osais plus te toucher parce que j'avais peur de ne pas te résister et me jeter dans tes bras. Mais, moi aussi je ne supportes pas ce fossé qui se creuse depuis des mois entre nous. J'ai l'impression de te perdre et c'est ce que je redoutais le plus. C'est de ma faute. Je n'aurais jamais dû te demander ça, nous imposer cette amitié qui ne veut rien dire... A cet instant là, j'étais confus et encore blessé et malgré tout je savais que ça ne fonctionnerait pas. Je meurs d'envie de t'embrasser depuis ce temps là, Louis.

Je respire à peine, je ne vois plus et ne sens plus que lui. Ses paroles qui ont l'air de sortir directement de ma propre bouche, parce que c'est tout ce que je ressens aussi.

– Et... je ne sais pas, tu t'éloignais et je croyais que tu n'avais plus aucun sentiment pour moi, que tu me détestais même. C'est idiot parce que je t'aime encore plus qu'avant, Maëva n'arrête pas de me répéter de t'en parler avant que ça nous tue, de faire le premier pas et je n'ose pas... Tu m'effraies Louis, tu m'effraies car tu es le premier qui me fait sentir comme ça. Vivant et réellement amoureux. Ça me terrifie parce que si je te perds je n'ai plus rien. Je sais que j'ai tout gâché et que tu do...

Il n'a pas le temps de terminer sa phrase, j'ai déjà passé mes bras autour de nuque et capturer ses lèvres dans un baiser désespéré. Un baiser que nous nous sommes retenus de partager depuis des mois. Un baiser qui retient toute la souffrance, la peur, l'attente, la douleur, l'impatience, l'amour qui nous unit. Un baiser au goût d'alcool et de nos larmes silencieuses qui ont coulé sur nos joues. Un baiser pour signer une nouvelle promesse. Un baiser à nos futurs souvenirs.

Au loin, des cris de bonne année résonnent. Je crois qu'il doit être minuit, mais peu importe. Harry s'accroche à moi, je souris contre ses lèvres parce qu'on ne pouvait pas faire plus cliché que ce moment. Il me colle à lui, je ne veux plus aucune distance entre nos corps. C'est une nouvelle année et un nouveau départ, alors je veux faire les choses correctement. Ça commence d'abord par lui montrer que je ne lâcherai pas. Qu'il ne sera jamais une erreur ou qu'il appartient au passé.

Plus rien n'existe. Sauf nous. Sauf Harry. Harry qui m'embrasse comme s'il n'allait jamais me laisser partir et moi qui m'agrippe à lui pour ne jamais oublier ce que ça fait de l'aimer.

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