Eté 2017 - troisième partie.
Je ne sais pas dans quoi Maëva m'entraîne, mais j'ai le sentiment que je ne vais pas aimer ce qu'elle manigance. Un drôle de sourire anime son visage depuis son retour des courses ce matin.
En revenant, elle m'a subitement annoncé qu'elle m'emmenait avec elle quelque part cette après-midi et que je ne pouvais pas refuser parce qu'elle n'allait pas passer le reste de ses vacances ici enfermée. Je n'ai pas cherché à la contredire, elle sait obtenir le dernier mot.
Alors, je l'ai suivi après une sieste. Dehors, la chaleur me colle à la peau et j'ai la sensation de fondre à chaque nouveau pas. Mes boucles sont plus courtes que l'été dernier, mais j'ai encore l'impression d'avoir trop de cheveux. Je les relève de mon front grâce à un bandeau coloré.
Nous arrivons aux alentours du parc, je regarde autour de moi et quand mon regard tombe sur le banc vers lequel nous avançons, je ris amèrement et m'arrête. Directement, je pense à faire demi-tour. Mon cœur fait un bond dans ma poitrine et je refuse de m'avancer davantage.
Parce qu'il est là, Louis. Assit sur le banc, plus beau que jamais. Sa peau a la couleur dorée du sable, le soleil d'été a du épouser le grain de ses bras et ses jambes, son visage aussi.
Je me retourne, prêt à m'en aller, mais c'est sans compter sur Maëva qui me saisit le bras et me fait rester avec elle. Je soupire, souffle entre mes dents serrées :
– Je n'irais pas là-bas.
– Je ne te demande pas ton avis.
– Et moi de te mêler de ma vie.
– Harry...
– C'était ça que tu as manigancé dans mon dos ce matin, n'est-ce pas ?
Ma voix est basse, mais pas pour autant moins colérique. Et je suis déçu, surtout. Je ne veux pas que Louis entende notre conversation, seulement, il se lève déjà du banc et s'avance lentement vers nous. Je détourne le regard, le sien semble encore plus bleu qu'avant. Je le déteste. Je déteste Maëva de comploter avec lui dans mon dos, d'essayer d'arranger des choses qui ne peuvent l'être.
Je ravale ma salive, fixe un arbre au loin alors que Louis se rapproche. Je ne veux rien laisser paraître. Je ne veux pas montrer qu'en réalité j'ai envie de lui sauter dans les bras pour le serrer ou l'étouffer, je ne sais pas encore choisir. Peut-être les deux.
– Harry...
Sa voix murmure mon prénom lentement, prononce chaque lettre et je dois serrer mes lèvres pour ne pas hurler. Je n'avais plus l'habitude d'en entendre le son, je l'avais presque oublié. Puis, là, tout me revient en plein visage. Les souvenirs de cet hiver et je n'ai pas besoin de le regarder pour avoir l'image de notre baiser en tête. Il est déjà ancré dans ma peau. J'ai Louis dans la peau depuis le premier jour, depuis notre rencontre. C'est idiot, et ce devrait être interdit, de tomber sous le charme d'une personne aussi vite. Sans barrières pour nous retenir.
L'amour ne devrait pas faire mal. Ce n'est pas la manière dont il est représenté et vendu dans les livres ou dans les films. Les personnages traversent toujours des obstacles, des disputes, mais finissent pas se retrouver, s'aimer plus fort encore et vivre heureux. Une belle fin.
L'amour ne devrait pas être douloureux. Mais une carapace contre le monde, un moyen de se sentir fort et puissant. Parce qu'aimer c'est se montrer vulnérable, accepter de l'être et rester aux côtés de l'autre malgré les obstacles ou les difficultés. Louis n'est pas resté, je ne souhaite pas revenir.
Aux côtés de Louis, je me suis senti invincible. Mais ce ne fut que pour un tant, ensuite mes ailes ont brûlé et j'ai connu une chute vertigineuse, violente. Je n'avais rien ni personne pour me prévenir ou me retenir. Je suis tombé et je n'ai pas cherché une main à laquelle m'accrocher, elle était déjà partie. Louis n'était déjà plus là dans ma vie.
Je secoue simplement la tête, soupire, ma voix tremble quelque peu mais je parviens à la contrôler un minimum :
– Non, je n'ai pas envie de te parler.
– Tu n'es pas obligé, simplement m'écouter.
– J'aurais aimé entendre tout ça, je continue calmement, il y a des mois, par messages. J'aurais aimé avoir une réponse, mais tu en as décidé autrement. Je respecte ton choix, maintenant respecte le mien.
– Je te demande simplement de me laisser parler, et si tu veux partir ensuite et ne plus jamais me voir, d'accord. Tu en auras le droit.
Après sa dernière phrase, je tourne enfin la tête vers lui. Mais je ne le regarde toujours pas dans les yeux, je n'en ai pas encore le courage.
Maëva nous observe, elle veut certainement aussi participer à cette conversation et me persuader de l'écouter. Je la sens prête à bondir à ma prochaine remarque. J'ai un peu du mal à comprendre dans quel camp elle se situe.
– Pourquoi maintenant ?
C'est tout ce que je demande, mais Louis comprend. Il retire sa casquette, passe une main dans ses cheveux qui, eux, ont légèrement poussés depuis la dernière fois. Il sont plus rasés sur le côté, et sa petite barbe de quelques jours lui donne l'air d'avoir mûrit. Je ne sais pas si ça devrait, mais ça me plaît. Et ça aussi, je déteste. Encore être irrévocablement attiré par Louis. Par tout ce qu'il dégage, par ses traits, sa voix et ses gestes.
Au fond, je devrais le détester, mais je n'y arrive pas. C'est plus fort que moi. Il est là, à quelques mètres de mon corps, et j'ai l'intérieur de la poitrine qui s'emballe. Un véritable capharnaüm. Je ne m'entends plus penser. Parce que je ne peux plus le faire quand il est là. Il m'empêche d'être raisonné. Tout ce que je ressens, ce sont les battements incessants de mon cœur et la moiteur de mes mains, et ce n'est sûrement pas à cause de la chaleur de l'été.
– Je sais que je m'en suis rendu compte trop tard, mais j'ai... des choses à t'expliquer, et à réparer.
– Et si elles ne peuvent pas l'être ?
– Alors, j'aurais au moins essayé.
A nouveau, je détourne le regard et croise les bras devant mon torse. Un court silence s'installe, je fixe l'herbe verte et tente de ne pas penser à la tension entre nous. Je crois qu'il a autant envie que l'on s'embrasse que moi, mais nous ne pouvons pas. Pas maintenant. Ce serait une erreur.
– Je vais vous laisser, vous avez besoin de temps. Tu veux que je t'attende, Harry ?
– Non, je préfère rentrer seul.
– Tu m'en veux ?
Je lève les yeux vers elle, son petit air coupable mais plein d'espoir. Même si Louis m'a fait du mal, elle sait que je l'aime à en passer des nuits blanches. Peut-être que je devrais faire confiance à son jugement, écouter ce que Louis a à me dire. Je n'ai jamais douté des paroles de ma meilleure amie, elle m'a toujours soutenu et prouvé qu'elle ne voulait que mon bien. Et peut-être aussi que mon bien c'est lui, Louis.
Sinon, je sais qu'elle sera là pour m'aider à l'oublier et sécher mes larmes. Comme elle l'a fait dans le passé, comme je l'ai fait pour elle. J'affiche un petit sourire en coin quand je réponds :
– Je ne sais pas encore.
Maëva rit silencieusement, s'avance et me prends dans ses bras. Sa main, à plat dans mon dos, me caresse pour me donner du courage. Elle murmure tout bas à mon oreille de lui faire confiance. Quand elle se recule, elle adresse un dernier regard à Louis et s'éloigne.
Je me sens tout d'un coup moins confiant et fort sans elle. Les yeux de Louis sur moi me brûlent la peau, je remets mes bras croisés devant mon torse.
– On peut s'asseoir ?
Je ne dis rien, je ne réponds pas. C'est lui qui doit et veut me parler. Cependant, je le suis jusqu'au banc où il était assis auparavant. Une distance suffisante entre nous pour ne pas que nos bras ou nos jambes se touchent, voire se frôlent. Il prend un sachet en carton à côté de lui et en sort deux gobelets. Je reconnais l'enseigne et le nom de sa boulangerie.
Louis me tend l'un d'eux, il me précise que c'est un thé glacé à la pêche, je secoue lentement la tête et reporte mon regard devant moi. S'il compte m'acheter avec des boissons, il peut directement s'en aller. Malgré tout, il n'insiste pas. Il dépose la boisson entre nous sur le banc et tient encore la sienne.
Moi, je regarde immobile, j'attends qu'il parle. Je souhaite simplement que ce moment prenne fin aussi vite que possible. C'est presque insupportable de respirer le même air que lui. C'est douloureux d'être si proche de son corps et de ne pas pouvoir le toucher ou le regarder dans les yeux. Mais je ne peux pas le faire, sinon je sais pertinemment que je vais tout lui céder. Louis doit avoir un pouvoir magique, une emprise sur moi.
Et comme un imbécile, je me suis laissée ensorcelé, je suis tombé sous son charme en un clin d'oeil. Il en a fallut peu. Un sourire, un regard et quelques mots échangés. Je n'aurais jamais pensé que la recette de l'amour était si facile, simple. Pourtant, j'ai été pris au piège. Je n'ai rien vu venir.
– Je n'ai pas arrêté de penser à toi... tous les jours, depuis cet hiver.
Je serre les dents et les poings sur mes genoux, parce que ce ne sont que quelques mots mais ils sont déjà insupportables.
– Tu peux ne pas me croire, mais c'est la vérité. Tu étais dans chacun de mes gestes, dans chacune de mes pensées à la moindre nouvelle seconde. C'était comme si tu vivais en moi, alors que tu n'étais plus là.
Louis me regarde, me fixe, je le sais, je le sens. Et ça rend ce moment encore plus dur et intense. Ses phrases se répercutent en moi dans un écho douloureux. Il n'a pas le droit de ressentir la même chose que moi, il n'a pas le droit de prétendre souffrir lui aussi, alors que c'est lui qui a détruit tout ce que nous aurions pu avoir. Alors que c'est lui qui a choisi de ne pas nous laisser une chance. Alors que c'est lui qui m'a ignoré. Alors que c'est lui qui m'a brisé le cœur.
Je refuse d'accepter ça. Je refuse de le croire. Sinon, il serait revenu vers moi. Il aurait fais un effort pour me contacter bien avant que Maëva ne lui force la main.
– J'ai fais une énorme erreur, je le sais. J'aurais dû te répondre, avoir le courage de t'expliquer. Tu méritais au moins ça, la vérité.
Sauf qu'il est un peu tard pour être honnête, maintenant que tout est brisé. Il n'existe plus rien de réparable, ou je n'en ai plus la force. J'ai trop souffert ces derniers mois pour m'y replonger encore.
– La vérité, c'est que j'ai peur.... J'ai eu peur de toi et de tout ce que tu représentais. J'ai encore peur quand je te vois devant moi, parce que tu es tout ce que je veux et tout ce que je n'aurais jamais à la fois Harry. Tu es la personne qu'il me faut, l'homme de mes rêves... je ne pensais pas le rencontrer un jour, mais tu es arrivé et... j'ai totalement paniqué. Je n'avais pas prévu de te rencontrer et que tu bouleverses ma vie à ce point. Mais je ne regrette pas nos moments ensemble, aucun. Seulement la manière dont j'ai agis ensuite. Comme un égoïste lâche et immature.
Je l'écoute en silence, sans l'interrompre. J'ai déjà tant de choses à dire, mais je crois que je ferais mieux de le laisser finir avant. Et, je ne sais pas non plus si j'en ai réellement envie. Me livrer à lui. Me rendre vulnérable à nouveau. Si lui a peur, alors moi je suis effrayé.
C'est la première fois que je laisse tomber mes barrières pour un garçon qui me plaît. C'est la première fois que je me mets à nu, et je n'ai jamais eu aussi froid qu'en l'absence de ses bras. Je crois qu'au fond, j'aurais préféré ne jamais le rencontrer, parce que c'est bien trop difficile de l'oublier et de m'en remettre. Ce n'est pas la première personne que j'ai embrassé, mais c'est la première fois que j'appréciais autant un baiser. Que c'était aussi réciproque.
Je pense que n'importe qui, à ma place, n'aurait plus envie de revivre la même chose. La même trahison. Le même abandon. J'ai déjà eu le cœur brisé une fois, il est à peine en train de se recoller, et j'ai la sensation que tout est en train de s'écrouler à l'intérieur de ma poitrine.
– Si je l'avais été, égoïste et sincère jusqu'au bout, je t'aurais empêché de partir. Je t'aurais demandé de rester avec moi et de ne jamais t'éloigner. Mais je ne suis pas comme ça... Parce qu'en réalité, je ne parviens jamais à penser à moi. Je ne dis pas ça pour que tu prennes pitié, mais c'est la vérité. Je ne sais pas garder les personnes et les choses qui me rendent heureux. Et tu en fais partie. Tu es l'une de ces rares personnes qui me sont inatteignables. Parce que je détruis tout ce que je touche Harry... Et ça me détruit en retour, je ne sais pas faire autrement.
La voix de Louis n'est qu'un murmure tremblant, comme une confession. Et je suis obligé de relever les yeux vers lui pour le regarder. Son visage transmet toute la tristesse qu'il exprime dans ses mots, elle se lit même davantage sur ses traits tirés, fatigués. Ses doigts sont serrés autour de son gobelet et il a les yeux posés sur moi aussi, plus bleus que jamais. Mais ils sont vides. Il n'y a plus cette petite étincelle.
– C'est très long à expliquer mais... je... il soupire et secoue la tête. Je n'ai jamais eu de chance dans mes relations amoureuses, Harry. Je sais, ça n'excuse en rien mon comportement envers toi. Cependant, je crois que ça a eu une sorte d'impact sur ma vie. J'ai peur de me lancer dans quelque chose de sérieux, de tomber amoureux, de m'autoriser à ressentir à nouveau. Je me suis attaché à des personnes qui ont fini par me faire du mal, verbalement ou physiquement, par m'abandonner au pire moment, me laisser au milieu de mes problèmes parce qu'elles ne voulaient pas d'un homme brisé. Seulement, je ne peux pas changer qui je suis... Je ne peux pas changer mon passé.
Dans la façon dont ses mots semblent lui brûler la gorge, je comprends qu'il a dû vivre des moments douloureux. Peut-être encore aujourd'hui, je ne sais pas. Je commence à me sentir coupable de l'avoir jugé et hait aussi vite, alors qu'il devait traverser un moment difficile de son existence.
– Et tu es arrivé et... Je ne mérite pas une personne comme toi, Harry. Je ne pouvais pas croire que j'avais cette chance, de croiser ton chemin. Tu me semblais tellement irréel et hors de portée, tout droit sorti d'un rêve. En quelques jours, tu m'as fait vivre les plus beaux instants de ma vie, tu m'as rendu vivant et heureux. Réellement heureux. J'avais oublié le goût du bonheur, j'avais oublié que ça existait de tomber amoureux sans que ce ne soit une chute brutale.
Sa dernière phrase tourne dans ma tête, je baisse les yeux vers mes genoux et tente de ne pas rougir. Mais je sens déjà la chaleur envahir mes joues. Et si je n'avais pas encore saisit le sens de ses mots, Louis se penche de quelques centimètres vers moi et murmure :
– Je suis tombé amoureux de toi, Harry. C'est ça, la vérité.
Une vérité qui me retourne le cœur. Il bat si vite et si fort que j'ai l'impression que tout le monde autour de nous peut l'entendre frapper contre ma poitrine. Ce n'est pas douloureux, c'est agréable, nouveau. C'est comme apprendre à voler pour la première fois, avoir peur, mais se sentir pousser des ailes.
– Ça ne m'a pas fait mal, au contraire, ça m'a fait énormément de bien. Tu as commencé à guérir mes blessures et mes maux. Seulement, je n'ai jamais eu l'habitude de ces sentiments là, du bonheur. Parce que dès que je le tenais entre mes mains, il m'échappait. Et toi, je ne voulais pas que tu me quittes. Je ne voulais pas que tu deviennes un de ces souvenirs qui me hantent et me torturent. Tu ne peux pas devenir cela, Harry. Tu es tout ce qui m'est arrivé de meilleur.
Malgré notre séparation catastrophiques je ne peux nier, moi non plus, que nos souvenirs me font encore sourire. Ce que nous avons pu vivre, tous les deux, c'était beau. Je ne peux pas dire le contraire. Et je sens dans les mots de Louis, que ça compté pour lui aussi. Que ça voulait dire quelque chose, ces quelques jours passés ensemble.
– Mais... Je n'ai pas su te le rendre, je n'ai pas su te retenir. Parce que toutes les personnes que j'ai aimé ont fini par me quitter, d'une manière ou d'une autre, et je ne voulais pas que ça se passe comme ça.
– Alors tu as préféré être celui qui m'abandonne ?
Nous sommes tous les deux surprit par mon intervention, mais j'ai besoin de savoir. De mettre les choses au clair. Je ne peux pas m'empêcher de lui parler de façon distante, et presque en colère. Parce que je le suis. Je lui en veux d'être parti, sans rien dire, de m'avoir laissé. Je lui en veux de n'avoir donné aucune nouvelle, aucune explication face à son silence alors qu'un message m'aurait suffi pour m'assurer que ce n'était pas une erreur. Je lui en veux de revenir, des mois plus tard, et de croire que quelques minutes vont permettre de tout réparer. Son absence, ses mensonges, les morceaux de mon cœur brisé.
D'abord, je l'entends soupirer. Puis, du coin de l'oeil, je le vois se tourner vers moi. Me faire face. Pourtant, je n'ose pas encore le regarder droit dans les yeux. J'ai quand même le courage de les lever vers lui. Mon cœur bat tellement fort que j'ai du mal à l'entendre quand il me dit :
– Je ne suis pas quelqu'un de bien pour toi Harry...
– Ça, tu ne crois pas que c'était à moi d'en décider à l'époque ?
– Ce n'était pas le bon choix.
– Peut-être, mais c'était le mien, je l'interrompt avec fermeté. Donc, à moi de le faire. Tu n'as pas le droit de prendre des décisions à ma place, Louis.
Il baisse la tête vers le gobelet entre nous, le mien, et acquiesce doucement. Son air triste n'a pas quitté son visage, je dirais même qu'il s'est endurci. Et je trouve ça dommage, qu'un si beau garçon soit triste et sérieux ainsi. Je me souviens encore de son sourire, de l'éclat dans ses yeux et de la manière dont ses paupières se plissaient quand il se mettait à rire.
Aujourd'hui c'est différent. Aujourd'hui j'ai l'impression d'avoir un autre homme face à moi. Un autre Louis. Ou son fantôme, qui aurait perdu toute sa lumière et ses couleurs. Toute forme de vie s'est éteinte dans son regard. En même temps que moi.
– Je veux simplement que tu comprennes que j'avais mes raisons... Elles étaient totalement égoïstes et douloureuses et je me suis rendu compte de l'erreur que j'ai commise. Mes sœurs, Maëva, n'ont cessé de me dire que je te devais au moins une explication.
– Et donc c'est ça ? Tu ne voulais pas souffrir, alors pour te protéger tu as préféré m'ignorer en croyant que tout irait pour le mieux ? Désolé Louis, mais dans mon monde ça ne fonctionne pas ainsi.
– Harry, je n'ai jamais cessé de penser à toi. Tu penses une seule seconde que j'aurais pu t'oublier, vraiment ? Tu es dans ma tête tout le monde, je t'ai dans la peau et... ça m'a autant affecté que toi. Je n'ai pas fait ça par plaisir...
– Alors pourquoi ? Je l'interrompt subitement en ancrant mon regard dans le sien, dur et déterminé. Pourquoi tu as fait tout ça ? Tout aurait pu être bien plus simple si tu m'en avais parlé, tout aurait été différent.
Louis tend sa main vers moi afin de toucher mon bras, certainement, parce que des larmes commencent à pointer aux bords de mes yeux. J'ai la voix qui tremble, le cœur affolé et la gorge serrée par des sanglots que je réprime, des souvenirs que je ravale de travers. Que je n'ai toujours pas digéré. Que je ne veux pas oublier.
Seulement, avant que ses doigts n'aient pu toucher ma peau, je me recule de quelques centimètres et me renferme sur moi-même. Louis comprend le message, il repose sa main sur son genou et soupire. Moi aussi, j'aurais aimé qu'il m'enlace et me murmure qu'il ne me quittera plus, mais nous ne pouvons pas.
– Je m'en veux terriblement, d'avoir pris cette décision. Mais je n'étais pas prêt à l'époque, à t'avouer tout ça, à me lancer dans ces explications et te dévoiler cette partie de ma vie.
– Et s'il est trop tard, maintenant ?
– Il n'est jamais trop tard, Harry. S'il y a bien une chose que j'ai appris, c'est ça. J'ai commis une erreur, je veux essayer de la réparer. Je ne peux continuer à vivre avec ce regret.
Je baisse les yeux vers l'herbe sous mes pieds, indécis. J'aimerais tellement voir dans l'avenir ou être capable de retourner dans le passé et prévenir cette ancienne version de moi. Lui dire qu'il sera terriblement déçu et blessé par un homme dont il était en train de tomber amoureux. J'aurais aimé changer le cours des choses, peut-être, rencontrer le Louis de cet hiver et lui faire comprendre qu'il n'avait rien à craindre. Qu'au contraire, le silence serait son pire ennemi.
Cependant, je n'ai pas cette capacité et encore moins de pouvoirs magiques. Alors, je reste là avec mes plaies encore grandes ouvertes et ma poitrine sans protection. J'essaie de penser à ce que Maëva me dirait. A ses conseils. Écouter ce que Louis aurait à me dire. Parce je sais qu'il n'a pas encore terminé de tout m'expliquer, que le plus compliqué reste encore à venir.
Peut-être que ses mots ne changeront rien, peut-être que je lui en voudrais toujours, plus qu'avant. Mais, je ne peux pas vivre, moi non plus, au milieu des doutes et des regrets. Ces sentiments me rongent et m'empêchent d'avancer.
– Je refuse de croire que c'est la fin pour nous deux, Harry. Pas alors que la vie nous a donné une chance de nous revoir.
– Tu penses que c'est une deuxième chance, alors ?
– Je ne sais pas, mais on peut essayer de mieux faire, non ?
– On ne peut pas faire pire, de toute façon.
Ma phrase jette un froid entre nous pendant plusieurs secondes, une minute ou deux. Et peut-être que Louis a raison, peut-être que c'est notre deuxième chance. Une deuxième chance pour réécrire notre histoire, lui donner une autre fin, un nouveau tournant. Un nouveau départ.
– Je n'abandonnerai pas, Harry. Je ne ferais pas la même erreur.
Je comprends qu'il attend ma réponse, qu'il attend de savoir si son erreur en restera une pour toujours ou si nous allons la réparer ensemble.
Après avoir réfléchi en silence de longues secondes, je relève la tête vers lui. Il me regarde, il attend. Ses yeux sont d'un bleu sombre, presque gris. Mais ils ne sont plus totalement vides, au fond c'est une étincelle d'espoir qui commence à naître. Louis croit en nous, et moi je n'ai jamais cessé de penser à tout ce que nous aurions pu être aujourd'hui.
– Qu'est-ce que tu en dis ?
Sa question n'est qu'un murmure, il a peur de briser ce moment. Il a peur de ma réponse. Et quand je la prononce enfin, c'est à la fois l'écroulement sur son visage et un léger sourire, furtif, sur ses lèvres. Mes mots le décontenance, il tente de ne rien laisser paraître, bien que sa déception se lise facilement dans ses yeux.
Je n'ai pas abandonné, mais je ne me laisse pas retomber dans ses bras entièrement non plus. Sinon, je sais déjà que ce serait la chute assurée. S'il ne peut pas refaire les mêmes erreurs, moi aussi je dois les éviter. Et il faut bien commencer quelque part :
– Peut-être que nous ne sommes destinés qu'à être amis.
– Tu crois ?
– Je pense que nous ne pouvons pas forcer les choses, Louis. Et que nous devons laisser le temps s'en charger. Peut-être que c'est ça notre deuxième chance, tout recommencer.
Le temps n'est pas notre ennemi, j'en suis convaincu. Il nous aidera à panser nos blessures, recouvrir les plaies encore vives, s'ouvrir l'un à l'autre et apprendre à se connaître. Le temps ne nous tuera pas, il nous rendra vivants à nouveau.
Je vois bien que cette perspective blesse Louis, qu'il pensait qu'il en serait autrement, que la nature de notre relation reprendrait là où elle s'est arrêtée l'hiver dernier. Mais je ne peux pas, je n'en suis pas capable. Cette fois, c'est moi qui ne suis pas prêt. Pas pour ça. Pas à être blessé encore. Il me faut du temps pour me reconstruire. Et Louis aussi, même s'il ne le sait pas encore.
– Alors, il hésite et se mord la lèvre, amis ?
– Amis.
Comme pour sceller nos mots, on se serre mutuellement la main. Depuis notre séparation en hiver, c'est la première fois que sa peau touche la mienne. Cette sensation de retrouvaille m'envoie des décharges de frissons et de chaleur dans le corps. Je m'efforce d'oublier cet instant de flottement. Il me remercie sincèrement, je prends mon gobelet et bois pour oublier les battements saccadés de mon cœur, prêt à tout détruire pour sortir de ma poitrine. Je sens déjà que notre nouvelle relation ne va pas être aussi simple à vivre que je l'aurais cru.
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