Été 2017 - deuxième partie.

      Essoufflé, je pose la dernière fournée de croissants au chocolat sur un plateau et les porte à l'avant du magasin pour les disposer derrière la vitrine. Ce matin, c'est Charlotte qui se charge de la cuisine et je suis dans la boutique pour répondre aux besoins des clients.

Le rythme depuis le début de l'été est assez intense, nos nouveaux thés glacés font fureur et nos sommes en train de réfléchir à un moyen de préparer quelques glaces artisanales.

Je sers un pain de campagne et un baguette tradition à une dame âgée qui me sourit gentiment et me dit de garder la monnaie.

La porte de la boulangerie reste ouverte, la chaleur est supportable mais comme je fais des allers-retours et suis souvent près des fours, j'ai vite chaud. La petite brise d'été ne suffit pas à m'apaiser. Je bois une grande gorgée d'eau fraîche et relève la tête de mon carnet de commande au moment où j'entends des pas.

Près à servir mon nouveau client, j'adopte un sourire chaleureux et professionnel. Mais cet air accueillant manque de tomber à l'eau quand mes yeux tombent sur la personne en face de moi.

J'ai réussi à ne plus trop penser à Harry depuis que je l'ai vu il y a deux jours se balader main dans la main juste en face de ma boulangerie. Comme s'il voulait me narguer. Comme si je ne regrettais pas déjà assez mes actes.

Pourtant, je pose mon regard sur ce visage et tout me revient. Et je ne peux pas en vouloir à Harry, parce qu'elle est grande et jolie. Elle porte une robe aux motifs fleuris et un bandeau dans ses cheveux qui tombent en cascade soyeuse sur ses épaules.

Je n'ose pas la regarder dans les yeux, j'ai peur d'y retrouver des souvenirs d'Harry. Alors, je frotte mes mains sur mon tablier et force un sourire.

– Bonjour, qu'est-ce que je vous sers ?

En réalité, j'aimerais qu'elle parte vite. J'ai peur de voir surgir Harry derrière elle d'un coup, qu'il passe ses bras autour de sa taille et embrasse sa joue, tout ce à quoi je n'ai pas le droit.

Ou peut-être pire, j'ai peur de ne plus jamais le croiser. Mais, s'il m'évite, je ne peux m'en vouloir qu'à moi-même, il me rend la pareille. Au moins, je sais ce que cela fait.

– Bonjour, tu es Louis ?

– Euh... oui...

J'hésite un peu, incertain de la tournure que prend cette conversation. Forcément, elle sait que je l'ai reconnu ou elle s'en doute. Elle s'avance d'un pas, ses yeux noisette en forme d'amande m'observent. C'est assez intimidant.

– Est-ce qu'on pourrait se parler cinq minutes, on ne se connaît pas, mais c'est important...

– Je suis en plein travail, je l'interrompt subitement.

– C'est au sujet d'Harry.

Entendre son prénom me fait presque tourner la tête, je soupire et détourne le regard vers la vitrine du magasin. La vue que nous avons sur le coin de rue. C'est encore pire de l'évoquer à voix-haute.

Je n'ai envie d'entendre parler d'Harry et encore moins venant de cette jeune fille. Puis, je n'ai sincèrement pas envie qu'elle m'affiche son bonheur sous le nez. Je n'ai pas besoin de ça. Si Harry est heureux avec elle, je ne peux que lui souhaiter que ça dure, il mérite de l'être. Au moins, ça lui évite d'être malheureux avec moi.

– Je ne pense pas que ce soit une bonne idée...

– Tu peux au moins écouter ce que j'ai à dire, s'il te plaît ?

Bien que j'ai envie de soupirer et de la laisser repartir insatisfaite, je tourne le dos et demande à ma sœur de prendre ma place quelques minutes. Elle me regarde étrangement lorsque je fais le tour du comptoir et sors par devant avec la jeune femme.

Je m'appuie contre le mur, regarde autour de moi. Surtout, je fais en sorte d'éviter de croiser ses yeux. Je n'ai jamais autant voulu échapper à une conversation qui tourne autour d'Harry, j'ai peur de le voir subitement arriver au coin de la rue. J'ai peur que la réalité me frappe au visage et me remonte en travers de la gorge.

Malgré tout le mal que je lui ai fait, je ne suis pas prêt à le voir heureux avec quelqu'un d'autre. Même loin de moi, je ne supporte pas cette idée.

– Tu te souviens de lui, n'est-ce pas ?

Cette question me met réellement en colère. Comme si j'avais réellement pu l'oublier. Je l'ai encore dans la peau presque six mois après. On ne cesse jamais de se souvenir d'une personne à qui on a donné une partie de notre cœur.

Cette fois, je pousse un soupir lourd et tourne le dos pour rentrer. Si la discussion part dans ce sens là, je préfère y mettre fin de tout de suite. Je ne supporterai pas de rester et supporter une minute de plus.

Mais la jeune femme agrippe doucement mon bras, elle ne serre pas, elle me retient simplement.

– Louis, attend...

A nouveau je lui fais face et serre les dents, tandis que de son côté, elle relâche la pression de sa main. Je ne la regarde toujours pas. J'aimerais que ce moment se termine le plus rapidement possible.

– Pourquoi tu continues de l'ignorer ?

– Qu'est-ce que ça peut bien faire maintenant ? Il a trouvé quelqu'un d'autre.

– Quoi ?

Elle fronce les sourcils, l'air sérieusement confuse et je me retiens de rire méchamment. Parce qu'elle joue bien son jeu au final. Je crois que ça fait encore plus mal que si elle m'étalait son bonheur à la figure. C'est exactement comme si elle m'arrachait le cœur, que je prends soin à essayer de réparer depuis des mois, pour le jeter au sol et le piétiner sous mes yeux.

– Je vous ai vu vous tenir la main dans la rue l'autre jour, je continue.

Là, elle se met à rire. Et je ne comprends plus rien. Je la regarde finalement, l'air dur et impassible. Elle ne peut pas plus se moquer de moi.

– Au moins, tu es jaloux donc tu tiens à lui. C'est une bonne chose.

Je fronce les sourcils à mon tour et elle secoue la tête. Je ne sais pas ce qu'il y a de drôle ou ce qu'elle trouve hilarant à ce point, mais c'est assez blessant je dois dire.

– Harry est mon meilleur ami depuis plusieurs années. J'ai déjà un copain, et Harry en aurait peut-être un aujourd'hui si...

Elle ne termine pas sa phrase, mais j'ai parfaitement compris le message. Bien que je me détende un peu, je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Elle me regarde toujours avec un sourire amusé, je cache ma honte en m'allumant une cigarette. Je tire une bouffée, joue avec le briquet.

– Je m'appelle Maëva.

Je me contente de hocher la tête en lui jetant un regard un peu plus long que les autres. Je ne sais pas quoi réellement lui dire ou lui répondre. Sa présence me donne l'impression d'avoir Harry à portée de main et en même temps si loin de moi.

– Écoute, je ne connais par votre histoire par cœur, mais Harry m'en a assez parlé pour que je sache qu'il tient à toi. Énormément. Au vu de ton comportement, je doute fort que tu sois passé à autre chose toi non plus, n'est-ce pas ?

Après avoir porté la cigarette à mes lèvres, je secoue la tête. Je ne peux pas lui mentir, ma jalousie a pris le dessus quelques minutes avant et ce serait peine perdue de lui faire croire que je me sens tout à fait heureux sans lui.

– Maintenant que tu sais qu'il est ici, est-ce que tu comptes aller lui parler ou l'éviter toi aussi ?

– Moi aussi ? Je demande en fronçant les sourcils.

Elle soupir et s'appuie contre le mur à côté de moi. Son parfum floral me parvient aux narines et je fais tomber les cendres de ma cigarette.

– Depuis que nous sommes arrivés, il refuse de sortir de la maison. Il a peur de te croiser.

– Je ne peux pas lui en vouloir, c'est moi qui ai tout gâché entre nous.

– Et pourquoi ne serais-tu pas celui qui fais le premier pas ?

Un bref sourire mélancolique se dessine sur le coin de mes lèvres, je coince ma cigarette entre celles-ci et secoue la tête.

– Harry mérite mieux que ça.

– Quoi, ça ?

– Moi, je souffle, il peut trouver bien meilleur.

– Et si c'est toi qu'il veut ?

– Alors, il doit encore ouvrir les yeux.

Maëva soupir encore et se redresse pour me faire face. Elle prend ma cigarette et l'écrase sur le dessus d'une poubelle, je râle mais elle reprend la parole avant moi :

– Tu tiens à lui non ?

Mes sourcils sont encore froncés, mais je hoche la tête vigoureusement. Je n'ai aucune hésitation à ce sujet.

– Bien, vous ne pouvez pas continuer comme ça. On dirait deux enfants qui se font la tête. Harry est vraiment têtu, mais je suis certain qu'il n'attend que ça, que toi.

– Et quoi, je me présente devant lui avec un sourire et un croissant en espérant que ça règle toutes mes erreurs ?

– Non, mais en parler avec lui serait déjà un bon début.

Un grognement s'échappe d'entre mes lèvres, mais je sais pertinemment qu'elle a raison. Il y a beaucoup de non-dits entre nous, par ma faute. Même si je n'étais pas capable de le retenir, j'aurais au moins pu le prévenir que j'allais lui briser le cœur.

– Tu crois qu'il voudrait, je demande d'une petite voix, me revoir et en discuter ?

– Je suis certaine qu'il en meurt d'envie.

Je souffle et baisse les yeux vers mes baskets. Honnêtement, je donnerais tout pour me retrouver en face de lui, m'expliquer et lui demander une seconde chance. Parce que ces derniers mois laborieux m'ont prouvé que je ne peux pas vivre sans lui. Je ne peux vivre en ayant le poids de mes erreurs, de mon silence, sur le dos.

– J'ai peur de tout réduire en poussière à nouveau.

– Tu ne le saura jamais si tu passes ton temps à te cacher.

– Et si ça ne fonctionne pas ?

– Alors au moins, vous aurez essayé. Mais, vous ne pouvez pas passer votre vie à regretter chaque instant de ne pas avoir tenté votre chance.

Plus les secondes passent, plus je trouve Maëva agréable et attachante. Elle me sourit, compatissante et je fais quelques pas. Pour réfléchir. Pour m'aérer l'esprit.

– Je regrette d'avoir fait ça, de l'avoir blessé, mais c'était... C'était la seule solution.

Maëva s'approche de moi, pose une main sur mon épaule et je serais normalement blessé qu'elle soit presque plus grande que moi. Mais là, je ne parviens pas à penser à autre chose qu'Harry. Et mes erreurs.

– Non, Louis, c'était un choix. Ton choix. Nous faisons tous des erreurs, ça arrive, c'est comme ça qu'on apprend à se construire. Nous ne sommes qu'humains, fondamentalement imparfaits. Et je suis persuadé que vous avez encore des tas de choses à découvrir et vivre ensemble.

– Tu joues les entremetteuses, alors ?

– Seulement la meilleure amie qui ne supporte plus de voir Harry souffrir comme ça. En silence. Il m'a parlé de toi, il a tout déballé pendant une soirée entière, et depuis c'est très compliqué d'aborder votre rencontre. Il se renferme un peu plus à chaque fois, je n'ai pas envie que ça finisse par le détruire totalement.

Je me mords la lèvre et baisse les yeux au sol. La honte et la culpabilité me serrent la gorge. Je sais que c'est uniquement de ma faute. Je sais aussi que mon comportement égoïste allait faire souffrir Harry, mais l'entendre de vive voix me donne la nausée. Et l'impression de tomber de très haut. Une chute vertigineuse. J'ai peur du bruit que fera mon corps lors de l'impact.

– Je ne sais pas... Comment je vais savoir que je ne reproduis pas la même erreur ?

– Commence par lui montrer que vous n'en étiez pas une.

Ses mots me font sourire, parce qu'ils sincères et vrais. Malgré tout ce qui s'est passé, je n'ai jamais douté du fait qu'Harry était loin d'être une erreur. Au contraire, il a tout d'une évidence. Dès notre première rencontre, je l'ai su. Ce serait certainement cliché de dire ça, mais un seul regard m'a suffit. Suffit pour comprendre que ce garçon ne partirait pas sans emporter mon cœur avec lui.

Ce fut peut-être dans son sourire timide, ses grands yeux verts curieux, la façon dont ses joues se sont mises à rougir ou le son limpide et mielleux de sa voix. Je crois que toutes mes barrières se sont effondrées à ce moment là, ce moment même où il a franchi le seuil de ma boulangerie.

– Tu crois qu'il voudra sortir et venir me rencontrer de son plein gré ?

– Ne t'en fais pas, sourit Maëva, j'ai ma petite idée pour le convaincre. Tu serais libre quand ?

Je hausse les épaules et lui propose un lieu de rendez-vous, en fin de journée, je termine à seize heures et je ne serais pas capable de tenir encore des jours à l'attendre. J'ai besoin de le voir rapidement. De tout mettre au clair, de lui faire comprendre que je ne parviens plus à respirer sans lui. Que la vie est à peine supportable depuis son départ. Que j'ai fais une erreur, que j'en ferais certainement encore, mais qu'il n'en sera jamais une.

Maëva m'adresse un sourire encourageant, je la remercie et elle se contente de me faire un clin d'oeil. Avant de partir, je lui fais comprendre qu'Harry a de la chance d'avoir une amie comme elle, elle se contente de me répondre qu'elle le sait, puis rejoint la rue en face.

Quand je retourne dans la boulangerie, un sourire orne mes lèvres. Félicité me regarde avec incompréhension et surprise. Je passe à côté d'elle et me remet au travail. Ce n'est plus une tâche que je fais pour m'occuper l'esprit, j'ai simplement hâte de terminer ma journée. Dans quelques heures, tout va peut-être changer.

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