Chapitre 34 : L'ange perdue à jamais

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Sooah, jour 120

Le cœur de la Leader battait la chamade. Pas d'angoisse mais simplement de fatigue. Juwon tenait une cadence soutenue pour traverser le Laboratoire, Daekho semblait réussir à le suivre mais Sooah émettait quelques signes de fatigue : ses pieds frottaient le sol, son souffle était fort et ses joues rougies par l'effort.

Le soleil était maintenant au zénith. La température augmentait et l'Explorateur ne tarda pas à enlever son t-shirt.

La forêt d'Émeraude défilait, ils marchaient aux abords de ces énormes pins. Sooah se risqua à jeter quelques coups d'œil vers ces grands arbres. Ces ombres géantes qu'ils projetaient au sol, cette odeur de résine si caractéristique, les aiguilles vertes foncées à l'aspect presque noir quand elle les observait en contre-jour.

La jeune femme avait envie de s'arrêter juste pour respirer l'air à plein poumon.

Elle se sentait bien malgré son épuisement. Elle était contente d'avoir quitté le Diamant et les alentours qu'elle commençait à connaître par cœur. Aujourd'hui elle allait loin. Dans un endroit qu'elle ne connaissait pas. Que Daekho ignorait et surtout que Juwon n'avait jamais vu.

Un nouvel endroit à découvrir... Une grotte dans la falaise.

Et si c'était un passage pour se retrouver de l'autre côté de l'île ?

Cette idée si tentante s'évapora bien vite de son esprit. Pourquoi Minjae aurait donc l'Observatoire en vision et non pas la grotte ? Cela serait étonnant que cet endroit ne l'amène dans une zone inconnue...

— Nous allons prendre le déjeuner ici, proposa Juwon qui ralentit enfin sa course.

Sooah ne se fit pas prier. Elle s'arrêta presque instantanément. S'ils continuaient comme ça, ce soir elle dormirait avec un sommeil de plomb...

Daekho acquiesça et ouvrit son sac à dos pour sortir des jumeokbap.

Le déjeuner était calme. Même le maçon ne parlait pas. Parce qu'il savait que les deux autres étaient concentrés, dans leur bulle. Juwon devrait être impatient de découvrir ce qui les attendait tous au cent-vingtième jour. Et Sooah repensait à sa vision, aux attentes des Organisateurs.

Elle n'essayait pas de se remémorer son rêve éveillé dans la maison funéraire. Celui-ci lui nouait l'estomac. Elle avait peur de sa signification. Et pourtant, elle gardait dans un coin de sa tête que tout pouvait être possible. Positif comme négatif.

Ils reprirent la marche, Sooah demanda à ralentir la cadence. Surtout après avoir aperçu le dénivelé qui s'offrait à eux.

Après la forêt d'Émeraude, à l'approche de la falaise, de gros rochers attendaient d'être escaladés. Sooah ne voyait même pas le sommet, elle ne savait pas ce qui les attendaient au bout de cette montée immense. Elle se promit d'avance d'imposer des pauses fréquentes aux garçons.

Au moment où ils commencèrent l'ascension, Daekho posa une question qui concernait les deux Explorateurs.

— Vous n'avez jamais voulu savoir ce qui se trouvait en hauteur ? dit-il en agrippant fermement deux rochers, le regard fixé vers les hauteurs.

— Si, mais nous n'avons jamais risqué d'y monter, répondit Juwon tout en regardant l'obstacle qui les ralentissait. Les roches sont trop abruptes et nous n'avons jamais reçu de Signal d'une quelconque zone qui se trouvait en hauteur. Nous ne voulions pas risquer nos vies, mais maintenant que l'on nous le demande... alors nous sommes prêts à prendre les précautions nécessaires pour découvrir ce qu'il y a là-haut.

Le maçon ne posa pas d'autres questions.

L'après-midi fut rythmé par le souffle de leur respiration, par la sueur qui perlait sous leur front, par les fréquentes pauses imposées finalement par l'ensemble du groupe.

Ce fut vers le milieu d'après-midi que les trois compères atteignirent enfin le plateau.

Daekho avait tendu sa main à Sooah qui n'avait pas hésité à la prendre pour la dernière marche à franchir. Elle était rincée.

— Rassurez-moi, on ne redescend pas tout ça ce soir ? blagua le maçon.

— Redescendre ça devrait être plus rapide... commença Juwon.

— Non, coupa la Leader. Nous verrons ça tout à l'heure. Je refuse que nous parlions encore de cette montée.

Elle lança un regard à Juwon. Elle pensait qu'il aurait lancé un petit pic, du genre "Tu aurais dû faire du sport tous les jours", mais ça c'était l'ancien Juwon. Son ami s'était vraiment fait discret depuis un moment, même auprès d'elle.

Sooah se demandait vraiment ce qui se tramait dans sa tête... Mais elle savait qu'il était fermé par cette idée d'en discuter. Elle avait déjà essayé de lui tendre des perches. Quand il était là. Car ces derniers temps, elle ne le voyait plus beaucoup.

— Je te porterais sur mes épaules, ajouta Daekho d'un léger rire.

— Je vais dégringoler toute la descente. Tu auras la mort de ta Leader sur la conscience, plaisanta à son tour Sooah, pour dédramatiser l'instant.

— Nous devons continuer, ordonna l'Explorateur aux cheveux rougeoyants.

Sooah souffla. Elle était fatiguée mais elle devait continuer. Elle voulait savoir ce qui l'attendait... Mais elle commençait à y aller à reculons. Plus elle s'approchait, moins elle avait envie d'y aller.

Néanmoins, avant de reprendre, elle prit enfin le temps d'observer son environnement. Le plateau était vaste, la falaise qui se trouvait à plusieurs centaines de mètres d'eux leur donnait l'impression qu'ils étaient aussi minuscules que des fourmis. Quelques arbres parsemaient cette grande zone, mais elle était sèche et vide de multiples végétaux verdoyants. Le sol grisâtre montrait un manque de terre à ce niveau. Ce n'était pas très joli, c'était assez désert... Mais impressionnant malgré tout.

De cette altitude, Sooah apercevait la mer s'étendre au loin avec un bleu clair si paisible, le soleil reflétait sa couleur chaude à sa surface.

De l'autre côté, si la Leader s'approchait du bord, peut-être qu'elle pourrait apercevoir une bonne partie du Laboratoire, en hauteur. Mais ici, le point de vue n'était pas idéal.

— Sooah ? la rappela Juwon qui avait déjà pris de l'avance avec Daekho.

— Excusez-moi, j'arrive.

Les trois amnésiques traversèrent la totalité du plateau.

Il restait quasi-désert du début à la fin. Quelques arbres solitaires, des buissons secs, des herbes grasses parsemaient le sol.

Rien de très éblouissant. Si Sooah n'observait pas la pierre blanche et abrupte de la falaise qui s'étendait à des centaines de mètres au-dessus de sa tête. Si elle ne regardait pas à sa droite, vers le sud, pour observer les différentes zones du Laboratoire. D'ici elle pouvait voir les grands pins de la forêt d'Émeraude qui lui semblaient bien plus minuscule. Elle pouvait apercevoir les pics de l'Observatoire où Minjae et Jiho avaient dû s'y rendre.

Elle voyait la Mélodie, les palmiers alignés semblaient bien moins symétriques vu d'ici.

Mais surtout, un arbre de plusieurs centaines d'années étaient visibles en contre-bas, près de la Mélodie. Il était majestueux. Il sortait tout droit d'un livre fantastique, c'était le genre d'arbre enchanté d'une cité. Sooah aurait aimé pouvoir l'admirer de plus près, de plus bas, toucher ses feuilles, son écorce, son tronc... Et peut-être y faire un vœu après tout.

Pourquoi n'avait-il jamais aperçu ce grand végétal ? Pourquoi Juwon et Jiho ne s'y étaient jamais rendus ? Mais Sooah n'osait pas prononcer de mot, trop absorbée par la vision qui s'offrait à elle.

Elle l'avait pourtant vu cette nuit... à travers les yeux d'un esprit volant, mais ce n'était pas aussi impressionnant que de le voir de ses propres yeux.

Le cœur de Sooah se serra. Elle se rappelait du chemin qu'elle avait parcouru. Et ils étaient bientôt rendu à la grotte.

Elle déglutit et se concentra sur la route. Le soleil descendait dans le ciel, annonçant la fin de l'après-midi.

Sooah sentait ses forces la quitter, ses jambes ralentirent le rythme. Mais elle tint bon. Elle devait découvrir. Elle devait savoir pourquoi ils étaient là. Elle espérait enfin pouvoir le savoir.

— Sooah... Est-ce que, c'est ici ? demanda Daekho quand Juwon détourna leur chemin pour s'approcher d'un trou béant dans la falaise.

Son sang ne fit qu'un tour, son cerveau se figea, son corps ralentit pour finalement se mettre à l'arrêt.

C'était comme dans son rêve. Mais la grotte semblait bien plus grande, bien plus sombre, bien plus terrifiante maintenant qu'elle se trouvait devant elle.

Elle n'osa même pas répondre à Daekho. Elle sentit qu'on lui attrapait le bras pour la faire avancer en douceur.

Sooah ne quittait pas cette grotte des yeux. L'entrée devait faire au moins trois à quatre fois sa taille. La pierre qui la composait ressemblait à de grandes mâchoires.

Elle en eut des frissons dans le dos. Serait-ce une sorte d'animal qui serait prêt à l'engloutir ?

Non, ce n'était que le fruit de son imagination. Elle commençait à sentir des sueurs froides couler le long de sa nuque.

Était-ce un coup des Organisateurs ou était-ce réellement la réaction de son corps ?

Daekho s'arrêta à plusieurs dizaines de mètres devant l'entrée, puis il lâcha le bras de Sooah.

Juwon posa une main sur son épaule.

— Je vais rester à l'extérieur pour monter la garde, prévint Juwon.

La Leader déglutit pour tout réponse.

Elle ne regardait pas Juwon, elle hocha simplement la tête par automatisme, les yeux fixés sur l'entrée de la grotte.

Elle entendit la voix de Daekho qui se voulait douce.

— Prends le temps que tu veux. Tu n'as pas à te presser. Je t'accompagnerais si tu le souhaites.

Pour répondre, Sooah chercha avec sa main un contact avec Daekho. Il tendit son bras, elle attrapa son poignet.

Ce moindre contact détendit la jeune femme Sentir une peau humaine à ses côtés, de la vie. Une autre âme qui craignait autant qu'elle la découverte de la grotte. Elle se sentait rassurée.

— Je suis là Sooah, je resterai là, à côté de toi.

Elle ne regardait pas le maçon. Elle l'entendait tout simplement. Elle serrait fort sa poigne, elle le savait. Mais Daekho ne lui fit pas la remarque, la laissant évacuer son stress à sa façon.

Sooah respira à grands souffles. Elle n'osa pas cligner des yeux. Elle pensa au Diamant, à ses habitants. À son arrivée ici. Elle devait savoir, elle devait avancer.

Et ses pas se mirent en route.

Elle avança vers la grotte sombre, ses pieds avançaient maintenant contre sa volonté. Son esprit était bridé, bloqué, elle ne pensait plus à rien. Son âme avait quitté son enveloppe corporelle, elle n'était qu'une carcasse humaine qui obéissait à sa curiosité, à son devoir.

L'ombre les recouvrirent. Ils entrèrent dans la grotte sans un regard en arrière pour Juwon.

Il faisait froid et humide à l'intérieur. Les pierres avaient un aspect bleuté avec la lumière du soleil.

Mais ils n'eurent pas besoin d'aller très loin.

Une lumière bleutée flottait dans l'air.

Sooah attrapa soudainement la main du maçon, les yeux écarquillés, son cœur manquant de quitter sa poitrine.

— Est-ce que... tu la vois ?

— Oui, je la vois. Je reste là, avec toi.

Sooah essaya de contrôler le rythme de son souffle. Elle sentait le pouls de Daekho battre à cent à l'heure, lui aussi.

Cela lui donna de la force. Elle quitta son contact et avança vers cette lumière bleue. Son esprit vide de sens, son regard fixe sur cette lumière, elle toucha cette lueur sans matière du bout des doigts.

Tout autour d'elle devint blanc, seule la rapidité de son pouls semblait l'accompagner dans cette autre dimension.

Sooah était dans le parc verdoyant de Namsan à Séoul. La grande tour rayée rouge et blanche de Namsan lui faisait face. Les cerisiers étaient en fleurs, l'herbe était éclatante et le soleil dansait dans le ciel. La jeune femme avait coiffé une tresse dans ses longs cheveux noirs, elle portait une robe blanche signe d'un bel été. Elle était assise sur une serviette aux quadrillages rouges, un livre en main. Un bouquin sur l'exploitation des abeilles ouvrières.

— Tu as vu Jibin ? Les ouvrières sont bien plus présentes en hiver qu'en été.

— Noona ! Arrête de réviser, viens jouer un peu !

Celui qui répondait au nom de Jibin arrêta d'échanger la balle avec une amie pour venir chercher Sooah sur la serviette.

Il était plus jeune que la brune. Son nez écrasé lui donnait un air juvénile et adorable, ses lèvres remontaient aux extrémités quand il souriait. Son regard était le même que la Leader, avec des pupilles foncés à la limite d'une forme occidentale.

Ils avaient fini de pique-niquer ensemble. Les couverts étaient éparpillés sur la serviette mais cela ne les dérangeait pas, ils profitaient du beau temps et d'un moment ensemble.

— Allez ! On a dit qu'aujourd'hui on allait s'amuser un peu, lâche ton livre ! ordonna-t-il en essayant de tirer sur le bras de Sooah.

— Eh ! C'est important si on veut monter notre entreprise ! lui rappela-t-elle d'un ton mi de reproche mi d'amusement.

— Oui, ce sera important demain mais pas aujourd'hui ! Allez, Noona...

Il fit les yeux doux à la jeune femme qui craqua en seulement quelques secondes. Elle se leva pour aller les rejoindre et jouer avec eux.

La vision du parc de Namsan quitta l'esprit de la brune pour lui montrer une nouvelle image : celle d'une chambre.

Elle était petite mais épurée. Les murs beiges reflétaient les rayons du soleil. Un bureau avec de multiples crayons de papiers et des notes à foison étaient étalés partout. Même sur le lit où se tenait Sooah et ce jeune garçon, Jibin.

— Tu es sûr que tu ne veux pas venir avec nous faire de la randonnée ? Tu as toujours voulu visiter le Japon ! insista le garçon pour la faire changer d'avis.

— Vous n'allez pas réellement visiter le Japon, vous allez marcher dans la nature, dit-elle d'une voix qui se voulait ferme.

— Oh mais ce sera quand même super bien !

— Je t'ai dit non. Et on écoute un peu sa grande-sœur, on n'est pas insolent avec elle, sermonna-t-elle en levant son index.

Il souffla un "T'es nulle", puis Sooah sauta sur lui pour le chatouiller. Son rire enivrait la pièce, ses larmes ne tardèrent pas à couler sur ses joues. Sa sœur rejoignit son éclat de rire.

Attiré par tant de bruits, un chien fit son apparition dans la pièce. Il était petit et marron, long et court sur patte.

— Ah ! Myeonggi, arrête de me lécher !

Le petit animal s'en donnait à cœur joie sur le visage du jeune garçon, le débarbouillant de A à Z. Sooah ne s'interposa pas, profitant plutôt de la vision de voir son frère se battre contre une petite bête qui ne désirait que de l'amour.

Une nouvelle vision s'interposa. Elle se voyait au beau milieu d'un immense immeuble, aux murs gris et brillants où de nombreuses portes s'interposaient dans un grand couloir.

Sooah était avec deux personnes. Deux amis. Une jeune femme au visage fin et blanc, de longs cheveux blonds - à la limite du blanc - était relevé avec une pince. Un garçon à la mâchoire carrée, aux lèvres fines et au regard étiré accompagnait Sooah dans cet immense bâtiment. Ils saluaient tous le téléphone portable de la brune qui avait allumé une visio.

— Alors ? Le voyage, ça se passe bien ? s'intéressa-t-elle, Jibin à l'autre bout du fil.

— Nickel ! Regarde-moi ce temps ! Il est super ! Ça va être génial, tu vas regretter de ne pas être venue.

— On a essayé, mais elle n'a pas changé d'avis, dit la blonde aux côtés de Sooah.

— Elle est bornée aussi, se moqua le garçon.

Sooah ne manqua pas de lui flanquer coup de coude dans les côtes.

— N'écoute pas Taeyeon et Jongdae. Je suis une sœur géniale, c'est tout, se défendit-elle simplement.

L'environnement changea une nouvelle fois.

Ce n'était pas une pièce, ou un parc, mais un concentré d'image qui s'offrait à elle : Sooah se voyait courir dans le couloir de la maison pour accueillir son petit-frère dans la famille. Elle se regardait faire des puzzles avec JiBin, à l'âge de 5 ans, assis sur un tapis aux poils longs, dans la chambre qui était celle de son frère, aux tons bleutés avec de multiples jeux de pompiers. Ça avait été son rêve d'en devenir un, quand il était enfant. Puis pour les futures vacances, ils avaient fait des colonies ensemble, des plongeons dans la piscine, raconté des histoires d'horreur autour d'un feu. Et ils ne cessaient de grandir, l'un à côté de l'autre. Vivant leur première relation amoureuse, leurs premières déceptions. Sooah visualisait parfaitement l'instant où elle avait rapproché son frère de sa future petite-amie... Quand elle l'avait invité à rejoindre leur groupe de théâtre, quand elle lui avait sous-entendu que quelqu'un était intéressé par elle. Ce moment où elle les avait laissés seuls... Ce moment qui avait fait de Jibin un jeune homme comblé. Les études supérieures étaient arrivées, ils avaient décidé de se lancer dans une entreprise familiale : monter une apiculture ensemble pour protéger les abeilles qui étaient de plus en plus menacés en 2050. Elle revoyait leur promesse sous la lueur des étoiles. Elle voyait enfin d'où venait cette habitude de se lever à six heures chaque jour. Ça avait été leur rituel avec Jibin, pour commencer leur journée de bon matin.

Elle vivait avec lui, il vivait avec elle. Ils ne se quittaient pas, ils n'auraient jamais rêvé de meilleur frère ou une meilleure sœur. Jamais leur relation n'avait été brisée, jamais ils ne s'étaient oubliés...

Jusqu'à ce jour.

Le fil de la vie de Sooah s'arrêta, l'Organisation lui montra autre chose.

Elle se retrouvait à nouveau dans cette chambre épurée, mais sans Jibin. Elle était posée sur le lit, naviguant sur son portable. Elle regardait les messages qu'elle échangeait avec son frère, elle n'en avait pas reçu depuis un moment... Presque vingt-quatre heures et ce n'était pas dans ses habitudes.

Soudainement, elle entendit un grand bruit dans l'appartement, des verres se brisèrent en cascade puis sa mère cria.

Un hurlement tout droit des enfers. Comme si un cœur venait de s'arracher en mille morceaux.

Une voix que Sooah n'avait jamais entendu avec autant d'intensité, de déchirement. Son cœur se serra sous l'impact, son sang ne fit qu'un tour.

Elle sauta du lit et ouvrit la porte avec fracas.

Sa mère était recroquevillée au sol, les mains posées sur la tête, "Mon bébé" hurlait-elle. Son père frottait son dos, les yeux rougeoyants, les poings serrés, prêt à frapper les meubles sous la colère.

Sooah s'était approchée, les jambes lourdes, le cœur battant à tout rompre, sa vision se brouillait. Ses forces la quittèrent, son corps tomba au sol, son esprit s'envola.

Jamais elle n'avait senti une telle déchirure, une telle pointe aiguisée plantée dans le corps.

Elle avait hurlé. D'une voix qu'elle ne se connaissait pas. Elle avait pleuré des larmes bien trop abondantes. Son père avait couru à elle, l'avait entouré de ses bras.

Et tout se mit à disparaître.

Sooah en eut le souffle coupé.

On lui offrait une nouvelle vision. Celle de la maison funéraire.

Sooah dans son hanbok noir et rouge. Sooah et son chouchou rouge. Sooah pleurant devant la photo de son frère.

Elle sentait une nouvelle fois la douleur lancinante de cette nouvelle.

On lui avait arrachée la personne la plus importante à ses yeux. Jibin. Elle sentait ses entrailles se serrer, ses mains se crisper, son corps faire des à-coups, son cœur ne battait plus. De chaudes larmes coulaient le long de ses joues.

Une tempête avait éclaté le soir précédent, au Japon. Jibin et ses amis avaient disparus sur le chemin de randonnée. Quand ils avaient reçu l'appel, cela faisait plus de vingt-quatre heures qu'ils n'avaient plus eu de nouvelles.

Les corps n'avaient jamais été retrouvés.

Elle n'avait plus jamais reçu de message de sa part.

On lui avait retourné sa valise. Il lui avait acheté un cadeau. Il l'avait emballé dans un papier blanc avec écrit "Pour ma sœur adorée".

Il renfermait un chouchou rouge.

Le chouchou rouge qu'elle tenait sur l'île. Le dernier présent de son frère. Le dernier souvenir et son dernier espoir s'était envolé ce jour-là.

L'esprit de Sooah retourna dans la grotte, dans le présent, sur le Laboratoire.

Son corps bascula en arrière et Daekho la retint de justesse. Elle fondit en larmes l'instant d'après. Son visage dans ses mains, de chaudes larmes enivra ses joues, elle se recroquevilla pour s'asseoir au sol et se balança d'avant en arrière.

JiBin. Park Jibin. Son sourire communicatif. Son rire tonitruant. Sa présence plus que nécessaire aux côtés de Sooah. Sa moitié. La personne qui la complétait. Qui la comprenait. Arrachée. Perdue. On lui avait pris. On ne lui rendrait jamais. Il avait rejoint les cieux. Et elle restait sur Terre. Seule. Abandonnée. Sans lui.

Sans cette personne avec laquelle elle avait décidé de monter son affaire d'agriculture, sans son frère qui la motivait à chaque instant, sans cette présence qui la réconfortait tout le temps.

Elle murmurait, ses lèvres tremblaient, son visage se balançait lentement. Sooah attrapa son chouchou rouge qu'elle arracha de sa queue de cheval. Elle le serra tellement fort qu'elle couina sous la douleur de ses ongles qui entraient dans sa peau. Mais elle s'en fichait. Elle avait eu un frère. Une famille. Une vie. Des amis. Un chien. Elle vivait à Séoul. Elle était allée au Parc Namsan.

Elle avait un passé. Un passé sans son frère. Un renouveau au Laboratoire. Mais Sooah voulait Jibin. Elle voulait le retrouver. Sa joie de vivre, ses remarques toutes aussi craquantes les unes que les autres. Elle le voulait lui.

Alors que ses pieds se crispaient à leur tour et qu'elle resserrait son étreinte sur sa poitrine, elle sentit des bras l'entourer. Et la chaleur de ce corps lui fit du bien.

Daekho.

Il avait passé ses bras autour d'elle. Collé son torse à ses mains, ses jambes. Il caressait ses cheveux, il posa sa joue sur le haut de sa tête.

— Je suis là Sooah, je suis là.

Sooah lâcha ses jambes, elle entoura le torse de Daekho de ses bras, elle le serra autant qu'elle le put. La chaleur de son corps lui offrit un bouclier humain. Un endroit rassurant, sans problème.

Elle voyait JiBin mais elle sentait le parfum de Daekho.

Les souvenirs de sa moitié fraternel caressaient à présent sa mémoire mais la main du maçon se baladait avec douceur dans ses cheveux.

Elle repensait au corps sans vie de son frère, tandis qu'elle sentait le souffle de Daekho chaud contre son oreille.

Sooah resserra son étreinte. Elle voulait remercier le maçon d'être là, de pouvoir la rassurer, de lui offrir une affection qui s'était envolé avec JiBin ce jour-là. Elle aurait tant voulu lui dire à quel point elle avait été heureuse de ne pas avoir été seule dans cette grotte. De retrouver ces doux souvenirs, cette relation avec son frère mais aussi ce violent traumatisme qu'avait été sa mort. Mort dont on n'avait jamais retrouvé le corps...

Mais la jeune femme ne put articuler toutes ses envies, tout son désir. Les seuls mots qui brûlaient ses lèvres et qu'elle réussit à prononcer fut :

" J'ai un frère Daekho. Je... J'avais un frère."


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L'amnésie est enfin terminée pour Sooah !! Elle sait enfin la vie - ou en tout cas une partie - qu'elle a vécu.

Avez-vous une idée précise de leur réel but sur l'île ? Pourquoi les avoir rendu amnésique ?

Que pensez-vous du personnage de Dakho que nous commençons à apercevoir de plus en plus ? :)


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