Chapitre 3 : L'Identité de la nouvelle

Li Mei, jour 1

Li Mei fit rouler le flacon entre ses doigts.

Elle avait trouvé un coin tranquille où se poser : elle s'était couchée dans l'herbe, derrière le hanok féminin, près d'un bassin d'eau où se prélassait parfois les filles.

En temps normal, Li Mei se serait émerveillée devant. L'eau était d'une transparence incomparable mais le bleu n'était pas aussi clair que le ciel, il était plus foncé, plus profond... Elle aurait pu rêver en l'observant durant des heures. Des pierres grises aux nuances anthracites bordaient cette baignoire artificielle, semblable à un onsen Japonais. Ce qui était sûr, c'était qu'il avait été construit ici, tout comme ces hanoks.

Heureusement, ce soir personne ne se prélassait dedans, et Li Mei profitait de la tranquillité de la nuit, la tête vers les étoiles, les yeux rivés sur ce flacon.

Ce simple objet était quelque chose qui lui appartenait, qui l'identifiait... en tout cas, c'était ce que Harin lui avait affirmé tout à l'heure.

Quatre heures plus tôt...

Et voilà où tu passeras tes nuits ! Avec nous, au chaud, pour des soirées pyjama, s'exclama Harin.

Li Mei regarda tout autour d'elle cette pièce aux touches fleuries, à l'odeur fraîche de coco où quatre futons trônaient sur le sol.

Moi je dors là, Sooah ici et MiYa par là-bas. Tu peux te mettre entre moi et MiYa si tu veux, lui proposa-t-elle.

Li Mei acquiesça. Cette chambre était jolie mais... elle n'arrivait pas à partager l'entrain que Harin essayait de lui transmettre.

La jeune blonde avait commencé à lui faire faire le tour du propriétaire depuis que Li Mei avait mis le pied dans le Diamant. Le stress de se savoir amnésique avait diminué. Li Mei s'était rendue à l'évidence : elle ne connaissait rien d'autre que son nom, son prénom et son âge. Elle essayait de chercher au plus profond d'elle-même, mais rien aucun souvenir ne faisait surface. L'animal qu'elle préférait, sa couleur favorite, le plat sur lequel elle salivait... De simples questions dont elle n'avait définitivement pas la réponse.

Li Mei était démoralisée. L'endroit semblait idyllique, mais des questions sur sa propre personne ne cessaient de tourmenter son esprit. Elle essayait de se cacher derrière un sourire de façade, de se montrer forte devant Harin, mais ses jambes étaient tremblotantes, elles pouvaient se dérober à n'importe quel instant. Li Mei se concentrait sur ses muscles pour essayer de se maintenir debout.

Harin, cria quelqu'un à l'entrée de la hanok.

Ah, je reviens, fit-elle à l'adresse de Li Mei.

À ce moment, Li Mei ne put plus faire semblant. Ses muscles la lâchèrent et elle tomba sur l'un des lits. Le cœur battant à tout rompre, ses yeux s'humidifièrent, ses mains tremblèrent. Mais Harin revint à la vitesse de l'éclair, les yeux rivés sur quelque chose qu'elle tenait entre ses doigts.

Oh, on est vraiment nuls, on a oublié de te donner ça !

La blonde leva son regard en direction de Li Mei, puis elle accourut vers elle aussi vite qu'elle était entrée.

Tu vas bien ? Tu as de la fièvre ?!

Elle posa une main sur le front de la benjamine mais cette dernière l'écarta. Probablement plus violemment qu'elle ne l'aurait voulu car les yeux de Harin s'écarquillèrent. Li Mei aurait voulu s'excuser, mais la force n'y était pas. Elle resta sans voix. Elle tenta de ralentir sa respiration, elle serra ses poings et se concentra sur les battements de son cœur, elle devait calmer son corps, son esprit. Elle devait se montrer forte devant Harin.

Excuse-moi, c'est toujours difficile au début. Parfois, j'oublie un peu...

Face au silence de Li Mei – toujours concentrée sur les ressentis de son corps -, Harin lui tendit l'objet qu'elle tenait au creux de sa main. La nouvelle dirigea son bras encore tremblant vers sa guide pour récupérer ce qu'elle tenait entre les doigts.

C'est ce qu'on appelle notre "Identité". Dès que nous arrivons au Laboratoire, un objet arrive comme par magie en même temps que nous.

Le cœur de Li Mei tambourinait dans sa poitrine. Ses muscles demandèrent à se reposer, trop fatigués par les récents évènements. Mais Li Mei n'écouta pas son corps, elle se concentra comme elle put sur les informations de Harin. Elle l'invita, d'un simple regard, à continuer son explication.

Nous l'avons oublié tout à l'heure avec Jiho quand nous t'avons ramené au village... Il est parti rechercher ton Identité et vient de nous la ramener. C'est comme ça que nous avons appelé cet objet. Car nous supposons qu'il nous définit... Dans la vraie vie.

Li Mei observa l'objet qu'elle tenait au creux de sa paume : un flacon d'huile de ricin. Une huile essentielle utilisée surtout pour ses propriétés cicatrisantes et purifiantes et de rares fois pour des raisons antalgiques. Le flacon était inactinique, seule l'étiquette écrite en Coréen faisait foi sur le contenu de la bouteille. Était-ce une huile que Li Mei avait utilisée un jour ? Elle n'en avait aucun souvenir, évidemment. Elle n'exprimait aucun sentiment vis à vis de cette bouteille.

Elle releva son visage vers Harin.

Et toi ? C'est quoi ton Identité ?

Ce fut la seule chose qu'elle put répondre. Li Mei ne savait pas comment réagir face à ce flacon et voir l'Identité de Harin lui prouverait qu'elles étaient dans le même panier : elles avaient tout oublié en arrivant ici.

Harin se leva pour aller chercher un objet qui se trouvait sur une étagère, près de son lit. Elle revint aux côtés de Li Mei et ouvrit les doigts pour lui montrer ce qui était défini comme étant son Identité.

La dame blanche d'un jeu d'échec... lui précisa-t-elle.

Tu sais y jouer ?

Vite fait... On a fait quelques parties avec Juwon ou Manshik mais je perds souvent. Je connais les règles, mais je suis nulle.

Li Mei ne savait pas qui était ce "Juwon" ou bien ce "Manshik". Elle n'avait encore rencontré personne à part Harin et Jiho au Diamant. Mais l'Identité de Harin semblait tout autant mystérieuse que celle de Li Mei.

La blonde s'était relevée pour lui tendre la main et la gratifier d'un "On continue la visite ?"

Elle referma sa main sur l'huile de ricin.

Li Mei n'avait aucune idée de ce qu'elle devait penser de cet endroit, de ce flacon... Pourquoi Harin était si pétillante alors que Li Mei n'arrivait pas à décrocher un vrai sourire depuis qu'elle se savait bloquée ici ?

Était-elle la seule à trouver cette situation anormale ? Pourquoi tout le monde semblait s'être fait à l'idée de rester ici sans souvenir ?

Elle attrapa le collier de fleurs qu'elle portait autour du cou et l'admira. Des hibiscus sèches aux faibles couleurs jaunes et roses étaient tenues par une ficelle. Kim Insu lui avait donné, c'était le seul habitant du Diamant dont elle avait retenu le nom ce soir.

Une heure et demie plus tôt...

Li Mei avait le ventre noué, elle n'avait aucunement faim. Harin l'avait pourtant obligée à se rendre dans cette grande hanok où trônait une odeur succulente de poulet.

Cette bâtisse n'avait rien à voir avec les deux dortoirs qui se faisaient face dans le village. Cette maison traditionnelle qu'ils appelaient le Hall, était en fait une très grande pièce. L'intérieur ressemblait à une grange aux allures modernes : les poutres étaient d'un bois clair et les hauts plafonds donnaient une touche majestueuse à l'endroit. Le mobilier quant à lui, faisait contraste. Au fond de cette immense pièce étaient disposés de vieux canapés pour un côté salon. Vers l'entrée, deux grandes tables en bois étaient posées les unes à côtés des autres, telle une grande tablée de gîte. Li Mei était actuellement assise en tailleur sur un coussin aux motifs bleus et blancs. Chaque assise était unique, de couleurs et de motifs différents, chaque personne avait adopté son coussin, sa place autour de la table. Dans un coin du Hall, de multiples papiers et objets étaient accrochés et posés sur des bureaux. Harin lui avait promis de lui expliquer tout cela un autre jour, mais en ce moment, c'était l'heure de "MANGEEEER !" lui avait-elle crié.

Mais Li Mei jouait plus avec la surface de sa soupe au poulet plutôt que de l'engloutir comme le faisait son aînée. Pendant l'heure de repas, de nombreux jeunes s'étaient présentés à Li Mei. Elle avait opté un léger sourire et quelques phrases bateaux pour se présenter.

La seule personne dont elle se rappelait le nom et le physique était Kim Insu, un personnage bien à lui.

Joli Tournesol, tu me présentes à la petite nouvelle ?

Li Mei se retourna pour faire face à ce garçon. Il parlait à Harin, il attendait que cette dernière lui présente personnellement la nouvelle. Insu croisa le regard de Li Mei et hocha légèrement la tête pour la saluer. Il était le seul homme à avoir des cheveux longs au sein du Diamant, attaché en une queue de cheval lâche. Il avait les mains dans le dos et le menton levé, comme s'il sortait d'une époque chevaleresque.

Bonjour Insu, je ne t'ai pas vu de la journée tiens, tu vas bien ?

Une pointe de reproche sonnait dans la voix de Harin. Li Mei la connaissait depuis à peine quelques heures mais elle avait l'impression qu'on lisait en elle comme dans un livre ouvert.

Bien, répondit-il à Harin puis il se tourna vers Li Mei : Bonjour chers beignets bruns.

Insu toucha le nez de Li Mei et la fit loucher par la même occasion.

"Beignets bruns" ? Faisait-il référence à la coiffure de Li Mei, attachée en deux chignons de part et d'autre de son crâne ?

Je te souhaite la bienvenue chez nous. Et pour ceci, je t'ai confectionné un joli collier de fleurs. J'y ai mis tout mon cœur et mon énergie. J'espère qu'il te portera chance.

Il lui tendit ce collier que Li Mei prit de ses mains timides. Il la gratifia d'un clin d'œil, d'un petit sourire qui lui donnait un air de chenapan puis disparut en un coup de vent. Elle n'avait même pas eu le temps de se présenter...

Li Mei se retourna vers Harin qui roula des yeux et pointa sa fourchette vers le ciel.

Kim Insu, résuma-t-elle. Il est arrivé juste avant toi. Un gars qui ne participe pas du tout au camp et n'en fait qu'à sa tête. On se pose beaucoup des questions à son sujet. Mais il faut avouer qu'il sait accueillir... Enfin, il faut croire.

Li Mei effleura le collier d'Hibiscus de ses doigts.

Elle ne savait que penser de lui. À part qu'il était original et qu'il lui avait fait un cadeau de bienvenue dès son arrivée. Pour l'instant, il avait l'air sympathique. Li Mei jugerait par elle-même ce qu'elle penserait de lui, avec le temps... Si elle avait bien compris, elle resterait ici un moment.

Elle souffla. Elle sentait des fourmis au bout de ses doigts et son cœur battait la chamade dans sa poitrine.

Elle laissa le collier retomber sur son cou et garda le flacon fermement entre ses doigts, puis elle se concentra sur les étoiles qui brillaient de mille feux. Ses muscles s'étaient décontractés depuis le repas. Elle commençait à se faire à l'idée qu'elle allait rester, elle n'avait pas le choix de toute façon.

— Bonjour Li Mei.

Elle releva la tête pour voir une jeune femme aux longs cheveux noirs approcher.

— Je me présente, je suis Park Sooah, désolée si je n'ai pas pu te rencontrer avant.

Park Sooah... Ce nom lui disait quelque chose... Ah oui ! La première arrivée au Laboratoire qui sortait avec l'un des garçons du village, et accessoirement la cheffe du Diamant. Harin lui avait fait un descriptif détaillé de tous les habitants, mais Li Mei n'en avait retenu que quelques-uns.

Harin semblait s'intéresser d'assez près à toutes les histoires qui se déroulaient sur le camp.

— Je peux me poser avec toi ? demanda la cheffe en pointant un endroit vide à côté d'elle.

Li Mei hocha la tête et Sooah se posa lourdement sur l'herbe verte.

— C'est toujours apaisant de regarder les étoiles... Ça fait du bien au début de se retrouver dans le calme. Mais surtout n'hésite pas à poser des questions et à te fondre avec les autres, plus on est soudés, plus on est forts.

Li Mei croisa le regard de Sooah, il était doux et plein de courage.

— Je suis un peu la Leader du village, si tu as des questions ou des demandes, n'hésite surtout pas. Sinon, Harin est la référente des nouveaux arrivants. Elle t'expliquera demain le rôle du village, j'espère que tu pourras y trouver ta place.

— Merci, susurra Li Mei qui ne savait pas quoi répondre d'autre.

— Quel est ton Identité ?

Li Mei ? Chinoise de 17 ans ?

Non. Elle se remit bien vite dans le contexte et se rappela que son Identité était le flacon qu'elle tenait entre les doigts. Elle le montra à Sooah.

— Oh... C'est une huile ? Veux-tu devenir masseuse ? Ou travailler dans une extraction de plantes ?

— Euh...

— Désolée, c'est une question rhétorique. Tu ne peux pas savoir. Comme nous tous, s'excusa Sooah en rigolant nerveusement.

— Personne ne le sait ? demanda Li Mei dont elle connaissait pourtant la réponse.

Sooah lui montra son poignet gauche. Un gros chouchou rouge y était fermement attaché.

— C'est mon Identité. Pourquoi un chouchou ? Je n'en sais strictement rien. Le rouge est ma couleur favorite ? Oui. Enfin je pense. Peut-être qu'elle l'est devenue avec le temps.

Elle scruta Li Mei et son sourire s'effaça.

— Mince, désolée... Je suis vraiment nulle pour rassurer les gens...

— Non, ne t'inquiète pas.

Li Mei posa sa main sur le bras de Sooah. Elle essayait de rester infaillible mais Sooah avait dû voir son visage se décomposer. Pourquoi tout leur semblait si simple alors que ça ne l'était pas pour elle ? La Leader sembla lire dans ses pensées car elle répondit à sa question.

— Tu sais... Je te trouve très forte. Harin m'a dit que tu n'avais pas touché à ton assiette, mais que tu t'acclimatais bien. Certaines personnes se sont enfuies au début, ou ont pleuré toutes les larmes de leur corps pendant de nombreux jours.

Vraiment ? Li Mei réagissait bien ? Elle se sentait pourtant morose et cafardeuse.

Elle espérait que Harin avait raison, car pour le moment, la jeune femme n'avait pas du tout l'impression de s'habituer à son nouvel environnement et surtout, elle ne s'imaginait pas du tout vivre ici.

Elle n'avait aucune envie de pleurer. Tout simplement parce que Li Mei ne savait pas à quoi penser, elle ne savait pas ce qu'elle avait perdu en arrivant ici. Était-ce bon ou mauvais d'atterrir au Laboratoire ? Elle n'en savait strictement rien. Elle avait juste l'impression d'être une coquille vide. Elle ne se connaissait même pas elle-même, elle ne pouvait s'attrister sur son sort. Elle avait cette impression que son cœur et son cerveau manquaient dans son enveloppe corporelle. Et pourtant ils étaient bien là. Ils tambourinaient dans sa poitrine et dans son crâne.

— Certains se sont enfuis ? répéta Li Mei.

— Oui, au début. Mais ils sont revenus au village. On ne peut pas partir d'ici. On attend de voir ce que l'avenir nous réserve... de récupérer les instructions qu'on nous donnera, pour retrouver notre vie, retrouver qui nous sommes, susurra Sooah en levant son regard vers les étoiles.

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