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Li Mei, jour 13

Voilà presque deux semaines que Li Mei était arrivée au Laboratoire. Elle se demandait, plusieurs fois par jour, ce que le futur lui réserverait... Aujourd'hui, un nouveau souvenir lui était revenu – comme tous les sept jours, d'après Harin et Jiho -, celui de la date de son anniversaire. Elle était née le 11 mars 2033. Et selon les estimations des Joailliers, ils étaient le 15 juillet 2050. L'année n'était pas un souci, tout le monde s'en rappelait. Mais la date actuelle était floue, car personne n'était sûr du jour de son arrivée.

Au bout de sept jours, Li Mei s'était souvenue de son groupe sanguin. Aujourd'hui, c'était sa date d'anniversaire.

Elle avait l'impression qu'on lui reconstituait sa pièce d'identité. Comme si tout ceci était un puzzle à recoller.

Un puzzle bien trop complexe pour la jeune phytothérapeute.

Elle souffla et reprit sa marche matinale.

Elle avançait à travers les arbres, les rochers et longeait la rivière.

Elle était munie de sa sacoche que lui avait cousu Harin, celle qui lui servait à récupérer des plantes dans la nature. Aujourd'hui, Li Mei était sortie pour trouver de quoi remplir son placard à ingrédients. Elle avait besoin de flores diverses et variées pour compléter son panel d'huiles, de gels et de préparations médicales.

Depuis ce matin, la benjamine ne prenait pas le temps de regarder la nature avec émerveillement. Elle était plongée dans ses pensées. Sa date d'anniversaire... Elle était verseau. Devait-elle se baser sur son signe astrologique ou son groupe sanguin pour connaître la nature de son caractère ? Était-ce pour cette raison qu'ils recevaient tous, sans exception, ces souvenirs dès les premiers jours ?

Li Mei n'en savait rien, mais elle était persuadée qu'ils leur étaient donnés, en premier lieu, pour une raison précise.

Elle se pencha pour récupérer une algue, par automatisme, avant de continuer son chemin. Elle fixait ses pieds, trop absorbée par ses récentes réflexions. De nombreuses interrogations fusaient dans son esprit.

Empoisonner les Joailliers... L'idée de Manshik lui tourmentait l'esprit. Et si le pêcheur ne plaisantait pas ? Et si Li Mei était ici, dans le seul but de les faire rentrer chez eux, en mettant leur vie en danger ? Li Mei frissonna et secoua sa tête. Elle refusait de mettre en péril leur bien-être et leur santé. C'était bien trop lui demander.

Et ces zones... Ce A, ce B, ce C et ce D... À quoi servait donc cette information sur les codes ?! Ils en avaient parlé une bonne heure, hier, durant la réunion. Sans jamais trouver le pourquoi du comment.

Les Indices arrivaient aléatoirement sur l'île. Ils pouvaient tomber deux fois de suite dans la zone A, et ne pas atterrir dans la zone D pendant deux semaines. Les zones ne pouvaient pas être des cycles. Ils ne révélaient pas la prochaine destination à explorer.

Mais alors, à quoi leur servaient-ils ?

Elle repensa à cette inscription bleue, qui surplombait tous les Indices dans le Hall : "Mes souvenirs oubliés, mon identité à reconstruire, ma vie à retrouver".

Ils devaient retrouver leur vie. Pourquoi ? Pourquoi "elle" était ici ?

Devait-elle trouver un moyen de se reconstruire ? Avait-elle eu réellement "besoin" d'être ici ?

Et ces Indices, ces messages qu'elle avait lu sur le tableau... "L'inspiration ne viendra pas en te noyant." ou "Nous t'attendons avec impatience, ton rêve va bientôt se réaliser". Certains messages étaient durs, certains remplis d'espoirs. Li Mei ne trouvait aucune logique à tout ceci. Ces messages avaient-ils était prononcés par l'un d'entre eux ? Leur étaient-ils plutôt destinés ?

Si seulement elle le savait...

Sooah avait été d'excellente humeur ce matin. Elle s'était rappelée loger dans un appartement à Séoul. Comment était-il ? Habitait-elle donc seule ? Elle ne le savait pas. Mais cette simple donnée, lui avait offert un nouvel espoir. Une bonne humeur que Li Mei n'avait pas réussi à partager avec elle.

La médecin baissa son regard. Quelque chose au coin de sa vision l'avait intrigué.

Son sang ne fit qu'un tour.

Une femme. Inconsciente. Couchée au sol.

Li Mei ne réfléchit même pas, elle fonça vers elle. Elle se jeta à genou et prit son pouls.

Elle respirait.

Son visage était tellement doux qu'elle semblait dormir. Li Mei leva l'une des paupières de cette inconnue. La pupille était dilatée.

Les mains de la phytothérapeute se mirent à trembler. Et si la jeune femme était malade ? Et si on mettait Li Mei à l'épreuve ?! Elle n'avait rien ! Elle n'avait pas de plantes pour la soigner !

Li Mei retourna sa sacoche et la vida en la secouant dans tous les sens. Elle n'avait que du Caloupilé pour l'hypertension ou de la brède morelle utilisé en tant que sédatif ainsi que ses algues fraîches.

Rien qui pourrait aider la jeune femme !

— Ah...

Li Mei leva soudainement la tête. Elle bougeait ! Elle se réveillait !

La benjamine resta statique, n'osant même plus respirer. La jeune femme regarda Li Mei dans les yeux. À part se réveiller d'un rêve profond, l'inconnue ne semblait pas souffrir.

— Oh... Bonjour.

Li Mei ne répondit pas. Elle déglutit simplement. Elle restait bloquée, elle ne savait pas comment engager la conversation.

Elle l'observa dans un premier temps. Cette jeune femme avait un visage rond, un corps légèrement potelé, de longs cheveux châtains ondulés. Ses lèvres étaient fines mais son regard était grand. Et ses pupilles étaient toujours aussi dilatées.

Elle porta une main à sa tête.

— Waouh... Ça tourne là-dedans.

— Oh, euh... ne bougez pas trop. Ça va aller, se hâta enfin Li Mei, en posant une main sur son bras.

Et tout d'un coup, la phytothérapeute comprit. Cela faisait sept jours que Joochan était arrivé.

La jeune femme était la nouvelle Joaillière du Laboratoire. Comme l'avait été Li Mei, treize jours plus tôt.

— Ma question va peut-être paraître bizarre mais, où suis-je ?

L'inconnue regardait autour d'elle avec intérêt mais aussi avec précaution. Elle sentait son esprit divaguer. Comme l'avait senti Li Mei à son arrivée.

— Vous êtes sur une île... Cela va vous paraître étrange, mais nous allons passer quelque temps ensemble.

Li Mei ne savait pas quoi ajouter de plus. Elle ne voulait pas trop en dire. Ce n'était pas elle qui accueillait les nouveaux arrivants mais bien Harin. Où était-donc sa copine actuellement ? Cherchait-elle la nouvelle ?

— Je m'appelle Wang Li Mei. Et vous ?

— Lee Chonhee.

Une Coréenne. Comme toujours. Li Mei était donc la seule Chinoise.

— Est-ce que nous sommes... sur une île paradisiaque ?

— Euh... Oui et non. C'est plutôt tropical par ici, tenta de sourire Li Mei, mal à l'aise.

— Je... Oh, je... C'est la première fois que je pars en pleine nature comme ça.

Li Mei se raidit d'un coup et s'écria :

— Vous avez des souvenirs ?!

Chonhee la regarda étrangement.

— Des souvenirs ? De mes anciennes vacances ? Euh... Non.

La nouvelle cligna plusieurs fois des yeux.

— Et de votre famille ? De vos études ?

— Euh... Ah bah non, ça non plus...

Le visage de Li Mei se décomposa. Comment pouvait-elle être si imperturbable ?

Quand la benjamine croisa une nouvelle fois son regard. Elle comprit. Cet esprit divaguant, ces pupilles dilatées... On les droguait à leur arrivée. On voulait faire passer la pilule. Cette peur d'arriver dans un endroit inconnu. On les tranquillisait pour éviter tout débordement dès les premières minutes. On voulait une entrée en matière calme, paisible. On les contrôlait.

— Attends, je suis amnésique ?

Li Mei déglutit une nouvelle fois. Elle hocha la tête et Chonhee observa ses mains.

— Waouh... C'est comme dans les films...

La médecin manqua de tomber dans les pommes. Est-ce qu'on lui avait administré un surdosage pour qu'elle réagisse de la sorte ?! Li Mei fit ce qu'elle put pour paraître le plus calme possible, mais elle avait envie de crier de toutes ses forces.

Est-ce qu'on leur envoyait quelqu'un pour se moquer d'elle ? Pour la déstabiliser ? Si c'était le cas, Li Mei l'était totalement. Elle avait presque envie de secouer Chonhee tellement elle était détendue et détachée de toute cette histoire folle.

— Est-ce que... je rêve ?

Li Mei avala sa salive.

Chonhee ne comprenait peut-être pas la réalité qu'elle avait devant ses yeux. Et c'était totalement normal. Mais Li Mei n'était pas habituée. Ce devait être Harin qui aurait dû l'accueillir. Où était-elle ?!

— Euh... Tu peux te lever ? demanda Li Mei qui passa enfin au tutoiement.

Chonhee hocha la tête, puis elle se leva avec l'aide de Li Mei. La nouvelle tangua mais se maintient sur ses appuis.

Li Mei avait l'impression de se voir, treize jours plus tôt.

Des frissons parcoururent son dos. Ça n'avait pas été très agréable de découvrir cette île inconnue avec ses habitants tout autant étrangers.

Quand la benjamine lâcha la nouvelle, elle frôla son bracelet noir.

C'était lui qui les pistait...

Mais aussi, lui qui les droguait.

Li Mei était sûre, la substance tranquillisante était injectée en continu via cet outil. Sinon, comment les nouveaux se réveillaient-ils pile à point nommé ? Li Mei ne s'était pas réveillée seule. Chonhee non plus. On contrôlait leur réveil. Comme on contrôlait leur arrivée.

Une nouvelle question envahit l'esprit de la benjamine. Comment étaient-ils acheminés ?

Li Mei observa le sol. Il ne lui fallut pas plus de cinq secondes pour le comprendre.

L'herbe, encore humide, était écrasée en direction de la rivière.

Ils passaient par la voie maritime. Ils les déposaient à proximité et les réveillaient à l'instant voulu.

Li Mei frissonna, ses mains tremblèrent, ses battements de cœur s'accélérèrent. D'autres personnes étaient présentes sur l'île. Et jamais personne ne les avait vues. On les observait, on les étudiait. Li Mei n'était qu'un sujet.

Qu'un pauvre petit sujet sur une île indéchiffrable aux organisateurs dépravés et indiscernables.

— Oh, Limmie ! Oh, bonjour la nouvelle !

La douce voix de Harin s'éleva dans l'air. Elle adoptait un sourire bienveillant. Elle leva ses bras, et montra discrètement à Li Mei ce qu'elle tenait entre ses doigts.

Un badge, blanc, avec des caractères spéciaux imprimés dessus. L'Identité de Chonhee. Elle l'avait trouvé sur le chemin.

La phytothérapeute souffla.

Harin était arrivée au bon moment.

La sérénité de Li Mei n'avait tenu qu'à un fil. Elle avait été prête à exploser devant la nouvelle... Mais elle avait été sauvée par le gong.

La tension de Li Mei diminua tranquillement, sauvée par l'arrivée de son amie.

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