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- Alors, comment allez-vous Gael ?
Je suis allé au rendez-vous que le docteur Miller m'a fixé par téléphone. À partir de maintenant, tous les lundis, mercredis et vendredis, il faut que j'aille le voir pour qu'il puisse faire un rapport sur ma mémoire; si elle revient rapidement ou pas. Présentement, je suis assis sur une chaise en face de son bureau et il prend des notes dans un cahier avec son éternel stéthoscope autour du cou et son sarrau blanc.
- Ça va bien jusqu'à maintenant, marmonné-je.
- Éprouvez-vous de la difficulté à vous endormir la nuit ? demande-t-il encore une fois.
- Non, généralement je passe de bonnes nuits. Mais pour le réveil, par contre...
Il enlève ses lunettes et croise ses mains comme si de fait allait changer quelque chose dans le fonctionnement de la planète.
- Expliquez-moi ce qui ne va pas.
- Je me réveille au beau milieu de la nuit avec des visions étranges, soit des flashs de mon enfance ou de la vie que je menais avant. Et ça n'arrive pas seulement la nuit..
Son visage s'est légèrement assombri. Je ne sais pas ce qu'il y a de pas satisfaisant là-dedans. Je commence à recouvrer la mémoire, c'est génial !
- Élaborez, s'il vous plait, fait-il d'une voix sombre.
Maintenant, j'hésite à lui en parler. Son comportement a un peu changé, ça me fout les jetons là.
- Euh.. Parfois, je ne fais que regarder quelqu'un et quelques bribes de conversation me reviennent en mémoire de gens que je connais, en voyant une image, une salle. Vous voyez ce que je veux dire ?
- Tout à fait. Décrivez-moi une des scènes qui vous est revenue en mémoire, dit-il, toujours aussi énigmatique.
Il recommence à gribouiller quelque chose qui me semble important dans son cahier d'une écriture illisible. Comme tous les docteurs, quoi.
- La scène de l'accident par exemple ?
Il relève le nez de son cahier et me fixe intensément. Il me fait de plus en plus peur et j'ai juste vraiment envie de prendre mes jambes à mon cou, là.
- Je vous écoute, me rassure-t-il en plissant les yeux.
- Je me souviens que je me suis querellé avec une femme et puis... euh... je me suis vraiment fâché je crois..., commencé-je.
- Continuez.
J'enfouis une main dans mon épaisse tignasse brune en fermant les yeux. Ça fait mal à la tête de tout se ressouvenir.
- J'ai traversé une rue puis une voiture m'a renversé. J'ai senti du sang couler sur mon visage et c'est tout. Mais j'ai réussi à avoir un peu plus d'informations par rapport l'accident.
- Allez-y.
Son regard me sonde, me met à nu et je songe sérieusement à arrêter tellement c'est malaisant.
- Je crois que...
- Non, vous ne croyez pas, vous savez. J'écoute.
Je le défie du regard et il ne se déstabilise pas. Son regard est froid. Glacial. Et tellement impassible que je me demande parfois si ça lui arrive de ressentir des émotions.
- Je.. Je sais que ce n'était pas vraiment un accident. Que quelqu'un aurait essayé de se débarasser de moi... ou plutôt de ma mémoire.
Son visage s'est complètement fermé.
- C'en est assez pour aujourd'hui. Revenez mercredi.
Il se lève et quitte la salle sans dire un mot de plus. Je ne sais pas ce qui lui prend, pourquoi il réagit comme ça. Si ça continue de cette manière, je vais changer de docteur. Après avoir mis mon cellulaire dans la poche arrière de mon pantalon, je quitte la salle et tombe nez à nez avec ma mère.
Elle se lève du banc sur lequel elle était assise et vient à ma rencontre avec un sourire mal assuré.
- Salut...
- Bonjour.
Je lui souris doucement et après un moment d'hésitation, je lui offre mon bras. Un profond étonnement se peint sur ses traits puis elle s'accroche à moi avec un petit sourire. Nous sortons ensemble de l'hôpital sans dire un mot. J'essaie juste de profiter de la présence de cette femme dont j'ai eu quelques bribes de souvenirs en songe. Que des bons. Elle en train de me couper les cheveux, elle en train de m'apprendre à faire des noeux avec mes lacets, elle qui me laisse cuisiner avec elle.
J'essaie alors de renouer un peu avec elle présentement. Mais malgré tous mes efforts, une certaine partie de moi me crie de m'éloigner, que je vais le regretter, je ne sais pas pourquoi. Mais pour l'instant, nous marchons ensemble dans le jardin de l'hôpital en discutant sans une fois aborder mon accident. Elle me parle de ce père indigne qui est parti à ma naissance, de cette grande sœur qui est partie depuis longtemps avec son mari en Suède, de ce moi dont je n'ai aucun souvenir.
Je n'ai rien à lui raconter de mon côté alors je bois ses paroles en regrettant d'avoir oublié une femme si douce, si attentionnée, aux yeux bruns pleins de tendresse.
- Tu... Tu veux venir manger chez moi vendredi ? Il y aura de la famille, mais promis, je ferai en sorte qu'ils ne te brusquent pas.
- D'accord, je viens.
Un large sourire éclaire son visage et ses yeux se voilent de larmes. Elle m'inscrit sur un petit papier l'adresse de sa maison lorsque nous retournons au stationnement et elle m'embrasse sur la joue avant de repartir.
- Je t'aime mon chou... Plus que tu ne le crois...
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