CHAPITRE 2 | MAY-LEE
J'ai dormi trois heures. Trois lamentables heures et ma tête est prête à exploser.
L'insomnie a frappé. Encore une fois.
Je me frotte le visage avant d'étouffer un bâillement. J'ai l'impression que le sol se dérobe sous mes pieds : mon corps instable flotte dans un état second. Je prends sur moi, mais mes yeux ont tendance à vouloir à se fermer.
— T'es sûre de vouloir jouer à ça, Terence Johnson ?
Replaçant son bandeau à motif fleuri sur ses cheveux noirs, Olivia, l'amie de Keira, pointe son doigt menaçant vers le blond aux yeux bleus et au sourire arrogant. Quelques visages s'inclinent dans notre direction face aux piques que ces deux se lancent depuis une bonne demi heure, créant l'animation du jour dans le petit café du campus. Embarrassée d'être au centre de l'attention, je balaye la pièce du regard. Je jure que s'ils n'étaient pas aussi bruyants, je serais tombée dans un sommeil profond. Heureusement ou malheureusement, ils me maintiennent éveillée et je ne trouve même pas la force de fermer les paupières, trop accaparée malgré moi par l'envie de comprendre leur embrouille.
— Ils ne s'arrêtent jamais, me prévient Keira en sirotant son smoothie. Tu t'habitueras vite, tu verras.
Elle touille de sa paille et lève les yeux au ciel pour appuyer son agacement tandis que j'affiche un sourire, amusée. La rentrée officielle approche à grands pas et ces derniers jours n'ont été qu'une succession de visites du campus avec l'aide de ma colocataire. J'ai appris à m'ouvrir autant que je le pouvais et avoir une relation amicale ne m'avait jamais paru aussi simple et naturel depuis Abbie. Avec Keira, nous avons beaucoup de points communs, comme manger l'entièreté des frites avant d'entamer notre burger, ou encore raffoler des films à l'eau de rose rien que pour grimacer de dégoût tout le long. On déteste toutes les deux faire la vaisselle et c'est d'ailleurs pour ça qu'on a mis en place un planning pour partager cette corvée. J'ai encore du mal à lui faire confiance, mais je ne peux pas nier que les nombreuses conversations qu'on a eues m'ont fait du bien.
Autrement dit, à part les quatre premiers jours de mon arrivée, je ne suis pas retombée dans mes travers. Keira a su me faire penser à autre chose en me faisant découvrir la ville et rencontrer ses amis. J'ai fait la connaissance d'Olivia, de Terence et de Chris hier, lorsqu'ils sont venus chez nous pour une soirée « salée aux papilles » – comme ils disent tous pour parler d'apéro chill. Entourée de chips, de biscuits et d'amuse-bouches gourmands, j'ai été adoptée par la bande de Keira Addison et, fière d'elle, elle n'a cessé de répéter qu'on devrait l'embaucher pour organiser des événements d'intégration.
J'ai discuté avec eux, résistant à l'envie pressante de m'enfermer dans ma chambre. Ils ne sont pas méchants, au contraire, une certaine douceur se dégage de cette bande. L'impression qu'ils prennent soin les uns des autres m'a sauté aux yeux à la minute même où je les ai vus enlacer Keira.
— Je te dis juste que tu aurais pu faire un effort vestimentaire. On ne porte pas un col roulé en plein cagnard à Los Angeles, explique Terence.
— Fallait me dire plus tôt que ton deuxième prénom était Kate Young, mais pour l'instant, je crois bien que tu t'appelles : gros enfoiré. Alors, mêle-toi de tes affaires !
Olivia le fusille du regard, mais je remarque aussi la teinte rose que prennent ses pommettes. Ces deux-là sont comme ça depuis que je les connais : taquinerie sur taquinerie, embrouille sur embrouille. Si j'ai d'abord pensé qu'ils étaient ennemis, j'ai vite compris que ce n'était qu'une façade. L'étincelle brille dans leurs iris à chaque pique et la flamme d'une passion dévorante les anime quand ils se permettent de se toucher intentionnellement.
— J'adore quand tu sors tes griffes, tu le sais, n'est-ce pas ?
— Mon poing dans ta gueule aussi, tu kiffes. Arrête ta jalousie maladive et ton obsession, tu ne mérites aucune de mes attentions.
— Oui, ça doit être ça, ouais.
Terence sourit de toutes ses dents, la faisant bouillir un peu plus. Il passe sa main dans sa chevelure blonde avant de dévier son regard vers moi. Quand ses yeux océaniques fondent dans les miens, son visage est impassible. Je ne détourne pas le regard. Terence a été le seul à me montrer qu'il n'était pas content de voir son groupe d'amis grandir, même si je ne me considère pas vraiment comme membre.
Ses iris m'inspectent de la tête aux pieds, il me dévisage d'un air méfiant. Ses cheveux clairs le rendent angélique, mais la façon qu'il a de plisser des yeux quand il me voit est des plus maléfique. J'ai bien compris qu'il n'était pas ravi de ma présence quand il m'a saluée d'un hochement de tête glacial lors de notre rencontre.
— On doit encore faire semblant d'ignorer que vous faites des galipettes derrière notre dos ou on peut éviter de me donner le mal de mer dès le matin ? se moque Chris en cognant son poing contre celui de Keira.
Là, Olivia surchauffe sur place. Terence, quant à lui, baisse la tête pour dissimuler son sourire. S'ensuit une dispute entre Olivia et Chris et les éclats de rire de leurs deux amis retentissent, histoire d'envenimer la situation.
Le fameux Chris est tout l'opposé de Terence. Ses longs cheveux bruns attachés en un chignon et ses yeux de la même couleur lui donnent un air plus doux. C'est le nounours de la bande à ce que j'ai pu analyser. J'ai entendu dire qu'il jouait de la guitare. Une âme libre à ses heures perdues, piégée dans la spirale des études. Keira m'avait prévenue de l'amour qu'il porte aux cultures et elle ne mentait pas quand elle disait qu'il était prêt à tout pour en apprendre plus. Il paraît qu'il a appris les danses africaines par cœur grâce à elle. Je lui ai raconté que j'étais vietnamienne du côté de mon père, laotienne du côté de ma mère et que mon nom de famille est dû à l'adoption de mon père dans une famille américaine après qu'il a perdu la sienne pendant la guerre de son pays. Suite à ça, Chris n'a pas arrêté de me questionner sur la nourriture asiatique et je dois dire que sa curiosité m'a bien divertie. À la minute où il m'a vue, les questions ont fusé. Il a été l'exact opposé de Terence sous tous les angles. En fait, mis à part Terence, on m'a bien accueillie.
— Est-ce que ça va ? me demande alors Keira en me donnant un coup de coude.
Elle me fixe d'un air inquiet alors que le reste du groupe discute. Je prends mon thé glacé en main pour m'occuper et hoche la tête. Je dois sûrement être pâle, encore secouée par mon manque de sommeil. Ou alors, le fait d'être avec eux me tracasse plus que je le pense.
— Oui, c'est juste que ce sont tes amis et que je me sens un peu de... trop. Enfin, je veux dire que...
— Arrête ça, May. Si je pensais qu'ils seraient contre, je ne t'aurais pas emmenée avec moi.
Et Terence alors ? ai-je envie de lui dire d'un ton sarcastique, mais je me retiens.
— Vraiment, May-May, reprend-elle avec le surnom qu'elle m'a attribué depuis notre rencontre. Je pense t'avoir cernée et je sais que ce n'est pas ton truc de sortir. Si toi, tu ne te sens pas bien, alors je ne t'oblige pas à rester. Si par contre tu penses que ça nous dérange, tu te goures.
Je mords la muqueuse de ma bouche et hoche la tête. Je ne saurais expliquer clairement ce que je ressens quand je suis avec eux. Tout est encore nouveau pour moi, perturbant.
— D'accord, ça me va.
Elle reste quelques secondes à me fixer pour essayer de décrypter le vrai du faux sur mon visage avant de commencer une conversation basique. Je lui réponds, opine, observe les autres, souris. Et tout reprend son cours. J'essaye de ne pas m'effacer en riant aux blagues, mais je sais que je ne suis pas dedans. La seule chose que je sache faire est d'avaler ma boisson jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une seule goutte.
— Ça faisait une éternité qu'on s'était pas vus, mais vous ne m'avez pas manqué, s'exclame Olivia.
— Deux mois, ce n'est pas une éternité, réplique Terence avant de me lancer une oeillade. Mais oui, ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas retrouvé tous ensemble, même s'il en manque un.
Je saisis son regard et hausse les sourcils simplement pour garder la face. Il tourne la tête.
— On le voit demain, non ? demande alors Chris en coinçant son bâton de sucette entre ses lèvres.
— Qui ça ? chuchoté-je discrètement à Keira.
— Notre DJ, le cinquième gars du groupe, répond Terence à sa place.
Elle s'apprête à m'expliquer quand Chris la coupe.
— Attends, attends, c'est quoi cette tête, May ?
— Je... Quelle tête ?
— Celle qui m'a l'air de dire : « DJ ? Y a une fête bientôt ? »
Je jette un coup d'œil à ma colocataire.
— Une fête ? m'interrogé-je, perdue.
— Voilà, c'est ce que je disais, continue Chris en soupirant. T'es impolie, Keira, tu n'as même pas prévenu notre nouvelle copine qu'il y avait la soirée au Midnight Light, samedi avant la foutue reprise !
Il me fait un clin d'œil alors qu'elle marmonne dans sa barbe.
— Pour la convaincre, j'avais prévu d'attendre la dernière minute, vous avez gâché mon plan !
— Tu viens, hein, May-May ? me supplie alors Olivia en passant une main dans ses cheveux courts.
Elle pose sa tête contre l'épaule de Terence, qui la regarde. Je croise les pupilles chocolatées de Chris et me renfonce dans la banquette du café, mal à l'aise.
— Crois-moi, c'est la fête de l'année. Tout le monde l'attend avant de reprendre le rythme des examens, des cours. Tu ne peux pas la louper, intervient Terence sans oser me regarder, presque irrité de l'avoir dit. Tu ne peux pas louper DJ Skyfall.
Mon cœur cogne dans ma poitrine, l'anxiété me titille les nerfs. Je joue avec mon verre avant de me mordre la lèvre.
Keira me connaît déjà par cœur, elle savait que je n'allais pas accepter si elle me posait la question maintenant... J'aurais eu le temps de trouver une excuse. Sa réaction me fait penser à mes anciennes camarades de classe au lycée, qui n'ont jamais osé venir me voir parce qu'elles savaient que j'allais refuser dans tous les cas, manquant les fêtes incontournables à cette époque. J'avais l'étiquette de la timide, la réservée et l'angoissée, connue pour être l'amie d'Abbie qui était plus ouverte à la folie... Alors que j'étais seulement emprisonnée par mon bourreau et qu'un rien pouvait me détruire.
J'ai raté tellement de souvenirs, d'événements inoubliables.
Plus rien ne m'empêche de faire la fête, n'est-ce pas ?
Je ne suis plus à Seattle. Avec eux. Avec elle.
Je me mords la lèvre et observe chacune des personnes qui m'entourent. Peut-être que c'est ce qu'il faut pour changer le cours de mon histoire périlleuse : vivre dans l'inconnu et la nouveauté ?
Adieu la retenue.
Je n'ai aucune excuse. Seulement des raisons d'accepter.
— OK, je vous suis.
Et bonjour la nouveauté.
* * *
Le Midnight Light.
Le night-club des étudiants.
Terence ne blaguait pas quand il affirmait que cette soirée est celle que personne ne rate. Nous sommes samedi, dernier week-end avant de commencer notre nouvelle année universitaire et une marée humaine s'écoule de la boîte de nuit. L'air californien est chaud alors qu'on patiente dans la file d'attente. L'obscurité règne. Surplombés par l'inscription « Midnight Light » dont le L peine à tenir, les néons couleur sang nous appellent. Nous sommes comme hélés par l'enfer des âmes vagabondes, perdues entre musique et alcool.
Le thème de cette première soirée dans ce club qui autorise les mineurs à partir de dix-neuf ans – de façon illégale – est populaire. Il semble être le même depuis des années : mystère et anonymat. Ça a pour but de créer une tension entre les étudiants, une envie de se lâcher complètement sans prendre le risque d'être pointé du doigt le lendemain. Nous portons donc tous des masques de mime blancs vierges qui recouvrent la totalité de notre visage, laissant des trous pour les yeux et la bouche. Ce déguisement rend l'ambiance angoissante et particulièrement excitante. L'adrénaline et la peur font battre mon cœur à vive allure.
« Tentez le diable, personne ne vous reconnaîtra. Vous ne serez pas punis. » C'est ce qui nous stimule à dissimuler notre identité.
Dans l'optique de vivre cette nuit comme si c'était la dernière, comme si je n'étais pas celle que j'ai toujours été, j'ai opté pour une combinaison noire qui tombe avec douceur contre mes courbes, soulignant mon corps. Ornée de mes bijoux dorés et de mon masque qui me dissimule aux yeux de tous, j'ai l'impression d'être enfin invincible.
Mon regard flotte autour de nous. Les personnes transpirent d'excitation. Elles se nourrissent des ondes musicales qui nous parviennent et goûtent à leur sorcellerie. Tous ont respecté le thème, plongeant cette soirée dans une atmosphère inquiétante. Merde, ces masques me foutent la frousse : rester dans le flou des visages, sans contrôle.
— C'est toujours aussi bondé à ce que je vois, s'impatiente Chris, soupirant théâtralement. J'espère que ça ne va pas être saturé comme l'année dernière ! On était serré comme des sardines.
Son tee-shirt noir Metallica tombe sur son jean baggy. Il a lâché ses cheveux, ce qui lui donne un air rock'n'roll, et passé un bras autour des épaules de Keira. Ma colocataire est vêtue d'une robe verte scintillante faisant ressortir ses iris, son seul atout pour ce soir selon elle. De leur côté, Olivia et Terence portent du bleu, comme s'ils avaient fait exprès de s'accorder – ce qui est le cas, même s'ils essayent de nous en dissuader.
— L'effet de la rentrée, renchérit Keira en tapotant sur son téléphone.
— De DJ Skyfall, tu veux dire ? répond Terence, les mains dans ses poches. Regarde-moi ces filles, prêtes à jeter leurs culottes pour passer dans le carré VIP.
Le fameux DJ ressort des conversations. Je n'ai pas encore obtenu son prénom. Terence coupe la parole à tous ceux qui tentent de me le dire, c'est presque frustrant. De ce que j'ai entendu, c'est un de leur grand ami et le meilleur DJ des environs. Connu pour enjailler les soirées étudiantes, les night-clubs et toutes autres fêtes, DJ Skyfall fait tomber le ciel sur sa foule.
— Ce con se fait désirer. Il a beau être notre ami, je ne sais toujours pas pourquoi on ne peut pas venir sans faire la queue. Il n'a pas pointé le bout de son nez de toute la semaine et il ne cherche même pas à se faire pardonner.
J'écoute d'une oreille attentive.
— Il est déjà sur scène à cette heure-là, l'innocente Terence en jetant un regard à sa montre.
La minute d'après, nous rentrons dans la boîte. Un pas à l'intérieur de ce lieu et c'est l'enfer qui nous attend. Le péché de chaque ange qui vient danser et s'amuser ici.
L'odeur d'alcool, de sueur et de fumée emplit mes narines.
La musique bat tellement fort dans les basses qu'elle me transperce le crâne et toutes mes terminaisons nerveuses par la même occasion. L'atmosphère électrique m'hypnotise, la tension est si lourde qu'à peine arrivé dans cet endroit, on a envie de se faire posséder par le diable, de tout foutre en l'air et de se lâcher. Tout le monde a le visage voilé et une foule de personnes sur la piste se déhanche, ivre de folie.
Aucun visage, juste des silhouettes qui vacillent.
Aucune lumière, ne serait-ce que la couleur de Satan.
Aucune émotion, mais une excitation affolante.
— Putain, il est déjà sur scène. Quel monstre !
Je suis la bande qui s'installe derrière une table ronde remplie de boissons, entourée de canapés en velours et mon regard s'arrime à la figure emblématique du lieu. L'homme sur la plateforme s'agite, enivrant la masse humaine. Contrairement à nous, il porte un masque noir. Des frissons me parcourent l'échine.
— Crawford nous a réservé ces boissons, si jamais tu te demandes. Le carré VIP, bébé, m'informe Keira en m'offrant un verre.
Je me fige. Coup de poignard.
Crawford ?
Je secoue la tête et mon souffle se coupe. Ce nom... Pourquoi est-ce que mon corps réagit bizarrement ? Pourquoi est-ce que ce nom me... Me fait penser à lui ? Pourquoi est-ce que...
— C'est notre ami. Le DJ, ajoute-t-elle devant ma réaction.
— Oh...
Je hoche la tête, mais la froideur que me provoque cette appellation ne se dissipe pas.
— Crawford.
Ma langue brûle rien qu'en le prononçant et je ferme la bouche de peur de provoquer une explosion au fond de moi. Mes doigts se resserrent. Il y a quelque chose qui m'échappe. Je le sens.
La passion musicale. Crawford. Skyfall.
— May ?
Je fais taire le vacarme de ma conscience tumultueuse alors qu'elle tente de me faire revenir sur terre.
— Tu viens ? me demande Olivia, les mains sur ses hanches.
Terence, Chris et elle m'observent, debout, déjà prêts à rejoindre les attroupements. J'ai raté une bonne partie de leur conversation et, en les voyant devant moi, je devine qu'ils s'apprêtent à aller danser et qu'ils m'attendent tous. Elle me sourit, excitée et déjà en sueur par la température du lieu. Keira me tend la main. Je laisse tremper mes lèvres paresseuses dans le liquide alcoolisé. L'adrénaline parcourt mes veines alors que je vide mon verre et deux shots pour me donner du courage, puis me lève pour les suivre. Cette fois-ci, ils me lancent des regards interloqués et je rougis. OK, peut-être que je vais regretter d'avoir commencé si fort.
Je lève les yeux vers lui. Je serpente entre les corps, mais mon regard reste scotché sur le dieu des enfers perché sur la scène.
Crawford. Crawford. Crawford.
DJ Skyfall.
Une table de mixage est installée autour d'une fumée austère et les éclairages multicolores dévient vers sa silhouette que j'ai du mal à distinguer. Mon ventre se noue. Son corps s'impose au-dessus de la foule. Son regard caresse l'entièreté des êtres ambulants dans la salle alors que son masque m'empêche de l'identifier. Il nous domine par le son qu'il commence à répandre. Des battements de coeurs s'accélèrent dans les basses, la foule se fige, retenant son souffle. Et enfin, le drop qu'il lâche détonne dans un gribouillis de tempo et de rythmes accordés. Des bras se jettent dans les airs, des hurlements, un monde fou se déchaîne sur la piste. Tous sont hypnotisés.
Le ciel nous tombe sur la tête.
Un spasme me secoue, mais je n'ai pas le temps de sortir de cette transe que Keira me capture le coude pour m'aider à me fondre dans la rivière d'êtres humains. Elle hurle de joie et je cherche du regard le reste de la bande.
Un léger sourire se peint sur mon visage. Chris danse comme si sa vie en dépendait, roi de la piste, tandis qu'Olivia semble ne faire qu'un avec un inconnu sous l'œil noir de Terence qui sirote sa bière, feignant l'indifférence.
Incapable de me retenir, je lâche un petit gloussement. L'alcool me métamorphose. Je pousse un cri quand Keira me fait tourbillonner sur moi-même. Ma tête tourne, ma vision se floute et je manque de trébucher alors qu'elle continue de chanter haut et fort les paroles du remix. Quand elle arrête enfin de me malmener, je ferme brusquement les yeux pour tenter de revenir sur Terre.
Merde.
— Ça, c'est mon gars ! hurle Terence.
Ils ont leur regard rivé sur la scène. Des cris et des rires s'élèvent. Alors, mes pupilles s'accrochent rapidement au DJ. La lumière me fait mal aux yeux. La sueur me colle à la peau. J'inspire pour essayer de ne pas mourir étouffée par le masque, devant la proximité de la plateforme. Bien qu'il soit positionné en hauteur, c'est comme s'il était tout proche de nous. Olivia passe un bras autour de mon cou, le corps en mouvement, acclamant son ami. Je ne réprime même pas son toucher, trop perdue dans l'ambiance du lieu.
Mes oreilles sifflent, je frémis. Le visage de Skyfall a beau être dissimulé, ses yeux sont rivés sur nous. Terence danse avec Keira, Chris est possédé.
— Retournons à la table, il va pas tarder à venir, son tour de mixage est fini ! C'est Lexie qui prend le relais, nous propose Chris après quelques minutes de danse effrénée. Il reprend dans une heure et demie.
— Qui m'aime me suive !
— Personne t'aime, Terence.
Un rictus railleur ourle les lèvres d'Olivia quand il la poursuit à travers la foule. Arrivée à notre place, je m'affale, les jambes en compote. Mon ventre tourne. Mon regard flou se dirige vers Terence qui saute sur un homme, ayant oublié sa dulcinée. Je me crispe. Le DJ. Je tourne la tête vers la piste de danse et aperçois une femme sur la scène. Le changement a été rapide.
— Qu'est-ce que ça a été un plaisir de t'entendre ! Avec les vacances, ton son nous avait manqué ! glousse Keira en se jetant aussi dans ses bras.
Elle dépose un semblant de baiser sur sa joue, par-dessus son masque, et ce dernier le lui rend. Elle rit. Je reste en retrait pour l'analyser alors que tout le groupe le rejoint. Pour une raison que j'ignore, les battements de mon cœur s'accélèrent, comme si sa simple présence réveillait en moi une force intérieure. Maintenant que sa position est réduite, je peux enfin le voir de ma hauteur. Pourtant, j'ai la sensation d'être encore écrasée par lui. Il s'installe en face de moi d'un air nonchalant, presque insolent, autour de la table. Après avoir avalé à grandes gorgées sa bouteille d'eau, il se frotte la poitrine... Puis, nos regards s'accrochent, comme deux aimants.
À travers nos masques.
À travers ma réaction incomprise.
À travers la tension qui émane de nos corps.
Je serre les dents et ma poitrine monte et descend, essoufflée. Skyfall m'examine avec intérêt, comme si j'étais une œuvre d'art qu'il peinait à déchiffrer. Il ne me salue pas, alors je ne le salue pas non plus. La lueur sombre de la salle nous dévoile sans nous exposer entièrement, nos masques cachent notre identité, mais j'ai le sentiment d'avoir une connexion particulière avec lui... J'essaye de me détacher de son regard perturbant, tentant d'écouter les conversations qui s'élèvent et se perdent entre la musique et les hurlements énergiques des danseurs. Lui aussi tente de m'ignorer. Pendant un court instant, je le vois échanger avec Terence et écouter le reste de la bande, mais il revient vite vers moi. Il penche la tête, je fronce les sourcils. Je serre les poings, il place son bras sur son accoudoir, frotte sa nuque et écarte un peu plus ses jambes. Son visage est couvert, mais sa large carrure musclée, sa mâchoire carrée et ses cheveux ondulés ne me font pas douter une seule seconde : c'est certainement un beau garçon.
— Eh, oh, s'agace Chris en agitant la main devant ses yeux. Kaiden Crawford, ça fait trois ans que je t'appelle !
Boum.
Comme heurtée, je me laisse retomber sur la banquette. J'arrête de respirer, mais mon rythme cardiaque s'accélère. La lumière rouge caresse son visage au même moment où l'Enfer s'ouvre sous mes pieds.
— Pardon, tu disais ?
Une voix grave. Plus grave, mais avec cette déchirure de cordes vocales si singulière.
Je tombe des nues. On me perfore les poumons et je me noie dans mes souvenirs. Nos souvenirs.
Je n'ai jamais eu aussi mal.
Kaiden.
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Azalée
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