Steve était perdu. Il avait lâché le couteau sur la planche à découper. Pourquoi Bucky n'avait pas envie de le tuer ? Bonne question. Le Captain avait beau avoir foi en son meilleur ami, il n'était pas dans sa tête. Steve inspira un grand coup. Il avait peur de se retourner pour lui faire face. Peur de le regarder dans les yeux et d'être une fois de plus déçu de ne pas voir ce qu'il avait envie d'y voir.

Le silence dans la pièce devint si pesant que ni lui ni Bucky n'osa respirer. Steve ferma les yeux l'espace de quelques secondes. Il imaginait son ami proche de lui, contre lui. Son esprit changea de plus en plus : il sentit les mains de Bucky posées sur son dos, l'enlacer par derrière. Le contact chaleureux de son meilleur ami lui manquait plus que tout au monde. Que ce soit les regards bienveillants ou les tapes amicales sur l'épaule. Il lui manquait quelque chose. Et lorsqu'il pensait que ce manque ne pourrait jamais se creuser plus, il constatait peu de temps après que si, c'était possible que Bucky lui soit encore plus vital.

C'était trop insupportable. Il fallait que Steve comble le manque. Il avait beau avoir le corps d'un super-héros, son coeur était resté celui d'un humain. Il se retourna donc et leva les yeux sur le brun. Il détailla le bras métallique et remonta vers les yeux du Soldat de l'Hiver. C'était de loin la vision la plus triste qu'il ait jamais vu. Ses yeux larmoyant, perdus, qui le regardaient sans le voir. Son ami n'était pas là. Ce qu'il avait en face de lui était un semblant de personne, entre le bien et le mal.

- Steve...

Un frisson le parcourut. Si rapidement même, qu'il eut l'impression que cette vibration s'enfuyait loin de son esprit embrumé. Sa gorge se serra. Dieu qu'il lui manquait. Son sourire victorieux lorsqu'il lui présentait une fille à lui, le petit gringalet tout le temps malade et qui ne plaisait pas, son patriotisme, sa fierté d'être un américain. Bucky n'avait jamais voulu être un héros, il voulait juste faire de son mieux pour que lui, Steve, soit en paix. Pas par pitié, mais par amitié.

Steve fit un pas en direction du Soldat de l'Hiver, hésitant. Il ne devait pas oublier, c'était un autre homme en face de lui. Un autre homme qui avait le visage de son meilleur ami, de son frère, qui parlait comme lui, et qui semblait redevenir lui à ce moment précis. Bucky fit un pas vers lui en retour, ne le quittant pas de ses yeux larmoyants. Le Captain avait cette terrible et ironique impression d'avoir affaire à un petit chiot abandonné. Il le vit triturer son bras en métal, hésitant, puis passa doucement des deux mains dans le dos de Steve, qui se pétrifia sous la surprise.

Le contact était doux, rempli de chaleur. Steve respirait la peau de son ami à pleins poumons, se remémorant cette unique fois où Bucky, encore un simple humain alors que Steve venait de recevoir le sérum qui l'avait guéri de toutes ses maladies, s'était rapproché de lui sous l'emprise de l'alcool. De beaucoup d'alcool. Bucky avait oublié cette nuit-là, mais Steve se souviendrait toujours de la façon dont il s'était collé à lui, l'avait embrassé à pleine bouche et lui avait avoué sans aucune gêne que depuis toujours, Steve n'était pas que son meilleur ami. Depuis, c'était comme si le grand brun ne lui avait rien dit. Le lendemain de cette beuverie, Steve était le même, regardant tristement son meilleur ami redevenir attiré par les femmes.

Et alors qu'il allait se laisser aller à caresser les longs cheveux du brun, une douleur lancinante lui déchira l'épaule, faisant crisper ses mâchoires et lever les yeux au ciel. Il recula d'un pas, regarda le Soldat de l'Hiver froncer les sourcils, se demander pourquoi Steve n'avait pas l'air d'être si atteint que ça, et porta sa main sur son omoplate.

Il caressa des doigts le manche du couteau de cuisine fiché dans le haut de son dos puis le saisit pour retirer la lame. Il n'y avait pratiquement pas de sang, sa peau et ses os étant déjà en train de cicatriser.

- Il serait temps que tu comprennes que c'est pas comme ça que tu vas me tuer...

- J'aurais au moins essayé, rétorqua Bucky, se mettant en garde.

- Bucky...

- JE NE M'APPELLE PAS BUCKY ! hurla l'autre en se jetant sur lui, enserrant son cou.

Steve accusa le coup, se laissant tomber sur la table de la cuisine, sentant la sauce à la moutarde qui trônait là couler dans le col de sa combinaison. Le bras métallique de Bucky serrait plus fort que sa main valide. Il tenta de dire quelque chose, d'appeler encore son meilleur ami pour qu'il maîtrise la bête sauvage qu'on lui avait implanté dans la tête, mais aucun son ne sortait de sa gorge. Il voulait respirer pour lui dire d'arrêter, qu'il pouvait faire taire ses démons, mais il n'y arrivait pas. Il fallait que Steve réagisse maintenant avant de perdre connaissance. Il gesticula à la recherche d'une prise, d'une position qui pourrait lui permettre de frapper le Soldat de l'Hiver. Il haussa un sourcil quand il sentit que la seule option qui se présentait à lui s'avérait être extrêmement douloureuse. Rien que d'y penser, il ne voulut pas être à la place de son ennemi.

D'un geste ferme, il envoya son genou écraser l'entrejambes de Bucky, qui lâcha prise immédiatement, grimaçant de douleur. Steve se releva lentement, toussant pour reprendre sa respiration correctement. Il eut tout juste le temps de lever les yeux et de s'écarter : le brun avait lancé son poing droit vers la mâchoire du blond. Il manqua son coup de peu, mais Captain America en profita pour plaquer deux grandes gifles sur les oreilles de son ennemi. Bucky vacilla, se rattrapant sur la table pour ne pas tomber par terre. Le blond l'attrapa par la nuque et l'enserra de son bras pour l'étouffer. Il dut lutter pour ne pas lâcher prise car le Soldat de l'hiver se débattait comme un poisson qu'on sortait de l'eau. Il envoya son coude à plusieurs reprises dans l'estomac de Steve qui peinait de plus en plus à le garder sous son joug. Et finalement, il enleva son bras et laissa Bucky se dégager.

Du moins, c'est ce que pensa le brun, avant de se retrouver plaqué contre le mur, Steve collé à lui. Il voulut à nouveau lever son poing, mais les yeux de Steve l'en empêchèrent. Le bleu profond, abyssal, des yeux du blond lui enlevèrent toute envie de faire quoi que ce soit. Il n'y lisait pas grand chose. Non pas que Steve ne laissait rien voir, mais il n'était pas capable de comprendre quoi que ce soit. Il se surprit à penser que contrairement à lui, l'inconnu qui n'était ni méchant ni gentil, Bucky aurait su lire tout ça.

- Tu t'adresses à la mauvaise personne Captain, lui dit-il sans animosité.

- Hein ?

- Je ne sais pas ce que tes yeux veulent dire.

- Pas grave.

Il y eut un bref silence où Bucky ne sut quoi répondre. Puis Steve enchaîna :

- J'vais te montrer plutôt.

Et avant que le brun n'ait pu répondre quoi que ce soit, Captain America plaqua sa bouche contre la sienne. Il fut surpris de sentir cette chaleur, quoique les lèvres de Bucky étaient sèches comme le Sahara. Lui qui avait l'habitude, du temps de la guerre que Steve avait eu à peine le temps d'entrevoir, de prendre soin de lui dès qu'il en avait l'occasion, s'était bien laissé aller. Il sentit le bras de métal du brun se coller à son cou, tentant de le repousser, de retirer cette bouche désespérée de sur la sienne.

Steve insista. Il voulait lui rappeler. Lui rappeler ses sentiments qu'il avait refoulé. Et lui dire que c'était peut-être réciproque. Dans le fond, il n'y avait jamais vraiment réfléchi. Mais il tenait à son ami d'enfance plus que quiconque alors il saisirait chaque infime ouverture que le Soldat de l'Hiver lui laisserait. Celle-ci en était une. Et il avait eu raison, car la main de Bucky glissa de son cou jusqu'à son torse où elle resta immobile. Steve pouvait sentir les lèvres de son ennemi (ami ?) frémir et esquisser une espère de sourire. Devait-il encore prévoir un coup foireux ?

Visiblement non. Captain America se sentit fondre quand il sentit la pointe brûlante de sa langue entrer en contact avec ses lèvres. Bucky Barnes qui approfondissait un baiser ? Avec un homme ? Pire encore : le Soldat de l'Hiver qui approfondissait un baiser avec son ennemi juré ? Impossible. Et pourtant. À court de souffle, ils finirent tous deux par se séparer. Il essuya d'un mouvement du pouce un petit postillon de salive qui avait campé là pendant toute leur danse charnelle. Du coin de l'oeil, il vit le brun baisser la tête, rougissant comme une pucelle alors qu'il passait ouvertement sa langue sur ses lèvres.

- Tu te souviendras de la raison pour laquelle tu ne m'as pas repoussé Bucky.

- T-tu crois ?

Il avait bégayé. Hésité. C'était une preuve de plus que son meilleur ami n'était pas mort. Une raison de plus pour Steve d'avoir espoir et de poursuivre sa mission. Ramener Bucky. Et faire payer HYDRA.

- Je n'en doute pas un seul instant, lui répondit-il en souriant.

- D'accord. Alors l'inconnu que je suis te laisse trois jours pour le faire revenir. Passé ce délai, tu pourras considérer que Bucky est mort, et le Soldat de l'Hiver te tuera.