Chapitre 37

Je n'ai jamais rien compris à la vie même en ayant eu la chance de vivre deux fois. Je regardais le monde s'agiter autour de moi, sans être acteur de ma propre pièce de théâtre. J'ai regardé. J'ai admiré silencieusement, mais je n'ai jamais véritablement eu le courage d'agir. Je ne suis pas courageux, non. Je suis même peureux.

Le soir où j'aurai pu... où j'aurai dû faire quelque chose, je n'ai pas agi.

J'ai regardé la mort venir à moi sans broncher.

Le jour où je suis revenu à la vie et où j'ai pris conscience de tout ça, je n'ai rien dit non plus. Je me suis laissé noyer et envahir. Hanté par tous ces souvenirs qui ne m'appartenaient déjà plus.

La nuit où nous avons décidé de revenir ici, de régler cette histoire une bonne fois pour toutes, je ne me suis pas exprimé. J'ai laissé Théo en décider. Je l'ai suivi. Bêtement.

J'aurai dû.

Oh oui, j'aurais dû agir.

« Hé ! Si vous êtes ceux que vous pensez être... Vous vous souvenez de l'entraînement pour les jeux Inter-Étudiants ?

— Tu fais référence à "ça" ?

— À mon signal...

— Hé ! Attendez, je ne suis pas prête ! J'étais un garçon avant, là je suis une fille, ce n'est pas le même renfort.

— Trois...

— T'es pas sérieux ?

— Deux...

— Alexander !!!

— Thétis, à toi de jouer !! »

Cette dernière se met en boule par terre, tandis que je prends de l'élan, l'utilisant comme un vulgaire tremplin pour sauter par-dessus le petit groupe d'ennemi. Les gars du saut à la perche seraient jaloux de voir un courbé aussi beau.

« Octus, à toi ! »

Je lui lance mon épée avant de finir par terre. Ce dernier la rattrape au vol et se défait de l'emprise de notre ennemi avant de la relancer vers Thétis.

« À toi de jouer !

— On compte sur toi !

— Je suis une fragile demoiselle en détresse, vous faites chier !

— Fragile mon cul ! »

Pendant que Thétis profite de la confusion du mouvement, Octus et moi finissons le reste de la troupe à coups de poing et de prises diverses et variées.

« Honnêtement, je ne suis pas certain que l'on ait fait ça la première fois.

— Et là est notre erreur. Personne ne nous a tués, sauf notre propre bêtise. »

Par péché d'orgueil, nous avons été incapables de faire face, ensemble, le moment venu. Je l'ai réalisé certainement bien trop tard, mais assez tôt pour réparer les torts causés. Si, nous avions agi ensemble la première fois, rien de tout ça ne nous serait arrivé. Nous avons voulu, à notre façon, agir dans notre coin, sans concerter les autres, et c'est ce qui a causé notre perte.

Notre propre incapacité à se consulter. À se faire confiance et à s'entraider.

Voilà pourquoi nous nous sommes retrouvés des siècles plus tard, dans un monde inconnu, différent, mais avec nos souvenirs d'antan. Voilà pourquoi nous sommes revenus ici. Pour réparer nos torts. Faire, en quelque sorte, amende honorable, à nos « nous » que nous n'avons pas réussi à sauver la première fois.

« Ah ! Ma robe ! Ils ont déchiré ma robe ! C'était ma préférée... »

Nous avons chassé, pourchassé et massacré ce démon qui nous a hantés bien trop longtemps. En quelque sorte, nous nous en sommes sortis.

Et quand il ne resta plus personne sur qui frapper ou pour nous en mettre une, Iris apparue comme par hasard au beau milieu des corps gisant au sol.

« Eh bien, eh bien... Vous êtes dans un état tous les trois.

— J'espère que c'était les derniers parce que là, je n'en peux plus. »

Octus s'assoit par terre, sur un gars, sans aucun remords.

« Avez-vous compris ?

— Que notre "seconde chance" était une farce monumentale ? Que nous avons traversé tout cela quasiment pour rien ? Ouais, on peut dire ça.

— Par contre, je ne veux pas dire, les deux s'en foutent parce que ça a été des garçons depuis le départ, mais moi... Je deviens quoi dans cette histoire ? On va retourner au XXIe siècle ou pas ?

— Voulez-vous ? Ou souhaitez-vous tout reprendre depuis le départ ? »

On s'échange alors un regard complice tous les trois avant d'éclater de rire. Rester à cette époque de malheur ? Celle qui nous a tout pris jusqu'à même nos vies ? Rester en ces temps anciens ?

« On a un chez nous qui nous attend, je pense. »

Nous étions partis dans un scénario différent de celui-là. Quelque chose de dramatique. De tragique. Une histoire où nous commençons par mourir et où l'on finirait par mourir, encore. Nous étions partis défaitistes avant même d'avoir envisagé la possibilité d'être aidés. Nous étions partis avec nos préjugés, nos peurs, nos craintes et notre idée de cette vague soirée.

« Avez-vous levé le voile sur cette fameuse soirée alors ?

— Non. »

Probablement que même à trois cerveaux, nous n'arriverons jamais à véritablement nous remémorer le contexte de cette nuit. Nous nous sommes jetés dans la gueule du loup, incapable de se défendre, de nous aider et de nous sauver. Pas un seul d'entre nous n'a survécu, c'est ce que nous savons pour sûr.

Mais honnêtement ? Je pense que présentement, nous n'avons pas envie de savoir.

Nous n'avons plus envie de savoir.

D'un claquement de doigts, nous revenons dans les ruines anciennes, nous retournons dans un temps qui nous offre une fenêtre, aussi petite soit-elle, sur l'avenir.

« J'ai une question moi quand même. »

On se retourne alors vers Octus redevenu Octave tandis que je m'assois dans l'herbe sur une petite bute.

« Si, par malheur, l'un d'entre nous avait fait un choix différent... Si l'un d'entre nous était mort...

— La finalité aurait-elle été différente ? C'est ça que tu te demandes. »

Iris se retourne vers moi avec un léger sourire tandis que nous nous comprenons dans un silence.

Ce n'était pas à eux de faire un choix différent, c'était à moi. À moi de décider si je voulais sauver ma vie ou la leur. À moi de leur faire confiance et de croire qu'ils pouvaient se sortir de là tout seuls.

Ce n'était pas aux dieux que revenaient de prendre cette décision, car dieux il n'y a pas.

Une phrase célèbre que l'on attribue à un grand monsieur dit : « Je suis maître de mon destin, capitaine de mon âme ». Peut-être cette phrase est venue bien trop tard à nos oreilles pourtant anciennes, mais aujourd'hui, je pense que je la comprends enfin.

« L'important, c'est que vous avez une nouvelle chance face à la vie. Ne la gâchez pas. »

Comme si.

Ce n'est pas comme si demain, nous risquions de mourir à nouveau.

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