Chapitre 36

Depuis le jour où mes souvenirs me sont revenus, je n'ai jamais cessé de fuir. Fuir en avant. Je ne cessais de me répéter que je ne pouvais que vivre cette vie et oublier celle d'avant. Je n'étais plus ce soldat éperdument amoureux. Je n'étais même pas la moitié de l'homme que j'étais. Je n'étais qu'un étudiant lambda, perdu dans sa petite vie.

Puis j'ai retrouvé Octave. Avec lui me sont revenus d'autres souvenirs. Trop de souvenirs. Des moments heureux. Certainement les plus heureux de ma vie. Octave était Octus. Il était plus qu'un ami, c'était mon frère. Je me suis tout de suite senti mieux avec lui à mes côtés et pourtant, quelque chose me laissait à penser que la vie me jouait un mauvais tour.

Un sale tour.

Mais ça, c'était avant de rencontrer Théo.

Thétis.

Tout ce que je n'ai jamais cessé dans le monde. Malgré tous mes souvenirs de cette vie antérieure, je voulais construire ma propre vie. Je voulais ressentir des émotions qui ne dépendent pas de mon moi ultérieur. Je voulais... Je voulais tout recommencer à zéro.

Parce que c'était comme ça que je voyais la chose. Une nouvelle chance. Pourquoi me souviendrais-je de deux vies simultanément si ce n'était pas une sorte d'avertissement ? Un avertissement que je n'ai jamais cessé d'ignorer. La logique des choses aurait voulu que je m'éloigne d'Octave et de Théo rapidement. Le mieux aurait été que l'on se sépare sans jamais se revoir à nouveau.

Dans cette vie, nous n'aurions jamais dû rester ensemble. Pourtant, quelque chose nous a gardés réunis. Un lien invisible nous unissait.

Et ce lien, si je ne fais rien, si je continue à fuir, se brisera. À nouveau.

J'ai toujours cru que retourner en arrière et tenter de découvrir ce qu'il nous était arrivé était une mauvaise idée. Nous n'aurions jamais dû et, pourtant, c'était plus fort que nous. Nous sommes morts. Ni de vieillesse ou de maladie, non. Nous sommes morts sauvagement, c'est ce que nous savons. Nous ne savons pas comment ni de la main de qui, mais nous sommes morts prématurément.

Nous sommes morts une nuit d'été tandis que les étoiles brillaient encore pour nous.

Maintenant, il faut que je prévienne que cet événement se répète. Il faut que je leur dise que je ne fuirais plus. Que j'arrêterais de me poser toutes ces questions stupides et que j'irais de l'avant avec eux.

Quand je suis arrivé au sanctuaire alors en ruine, il n'y avait ni Théo ni Octave.

Personne.

Juste moi et le bruit des vagues s'écrasant sur la façade en pierre. Je me souviens de ce son si particulier.

C'est le dernier bruit que j'ai entendu avant de...

« Alex ! »

La voix de Théo m'interpelle tandis que je me retourne pour lui faire face.

« Théo... »

J'hallucine. Théo n'est pas... Théo. C'était comme voir double. Voir deux images se superposer en une.

« Thétis ? »

Qu'est-ce que... Qu'est-ce qu'il se passe ? C'est comme si soudainement, tout se mélangeait dans ma tête pour ne former qu'une seule et même image que mon cerveau serait capable d'accepter.

« Alexander !

— Où... Où est-ce qu'on est ? »

La nuit est tombée, le sanctuaire s'est refermé et Théo, ce garçon chétif, a disparu laissant place à la jeune femme aux courbes généreuses : Thétis.

Un retour en arrière ? Comment ? Comment est-ce que...

« Derrière toi ! »

Par reflex je me suis retourné, bloquant une épée d'un soldat que je ne connaissais pas. Je suis encore dans le brouillard, complètement dans le flou. Il y a encore dix secondes j'étais à l'époque contemporaine alors comment j'ai pu revenir à l'époque antique comme ça ?

« Thétis, où est Octus ?

— Je ne sais pas, je ne le trouve pas ! Il était avec moi et puis des hommes nous ont encerclés et... »

Ah. Ça y est. Ça me revient. C'est ce soir-là. C'est le soir où nous sommes morts tous les trois.

Pourquoi le revivre ? Pourquoi m'infliger ça ? Quelle sorte de punition divine est-ce ?

« Reste près de moi, surtout ne t'éloigne pas. »

Est-ce qu'elle le savait ? Est-ce que cette mamie — ou peu importe qui — m'a donné l'épée parce qu'elle savait que... ? Non. C'est impossible. Que quoi ? Je commence à être un habitué de l'impossibilité.

Est-ce pour ça ? Suis-je supposé sauver les gens que j'aime ? Mais comment ? Je ne sais même pas où a disparu Octus.

« Baisse ton épée Alexander où je jure devant Ârès que le corps de ce garçon servira de fourreau à mon épée.

— Mon Dieu, Octus ! »

Qui est cet homme déjà ? L'ai-je déjà vu ?

Réfléchis, allez réfléchis ! Tout dépend de lui ! J'en ai le pressentiment.

« Ne t'occupe pas de moi Alex ! Sauve Thétis !

— Malheureux, Thétis est à moi ! Je ne vous la laisserais pas !

— Alexander... Alexander qu'est-ce que tu as ? »

J'ai l'impression que ma tête va exploser. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Je ne suis personne. Ni un héros ni rien. Pourquoi compter sur moi pour changer le destin de deux personnes ? Nous sommes supposés mourir ce soir.

« Thétis...

— Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as mal quelque part ? Dis-moi ! Dis-moi !!!

— Cache-toi derrière moi et pose tes mains sur tes yeux.

— Non je ne...

— Écoute-moi ! S'il te plaît... »

Je ne veux pas qu'elle voie ça. Je ne veux pas qu'elle assiste à ça. Que ce soit la boucherie en général ou si je dois mourir une seconde fois, je ne veux pas qu'elle en soit témoin.

S'il vous plait, si dieux il y a, préservez au moins celle-là.

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