Ce n'est qu'une fois dans la cour qu'un cri strident résonne dans tout le bâtiment.

Je présume qu'Octave s'est bel et bien présenté à Théo. Le pauvre. D'ailleurs, en parlant du loup, j'en vois le bout de la queue quand il court à toute allure, m'arrivant droit dessus.

« Cache-moi. »

Avant même que j'eusse le temps de protester, il s'agrippe à mes bras, se cachant derrière moi tandis qu'Octave arrive à son tour.

« Ahaha ! Ce que tu peux être susceptible comme gars ! Hé Alex, il est sympa, ton coloc' !

— Qu'est-ce que tu lui as fait ? Non... Ne me dis rien.

— Je lui ai demandé s'il voulait voir mon python.

— À ma défense, je pensais qu'il parlait d'un réel serpent dans sa chambre ! »

Ah. Je comprends mieux.

« Si tu avais lu le règlement, tu aurais su que les animaux sont interdits dans l'établissement et cela ne pouvait être qu'un vulgaire sous-entendu.

— À t'entendre, je suis supposé connaître le règlement par cœur.

— Ainsi que le plan aussi. C'est une perte de temps que de te faire visiter. Tu crois que nous avons fait comment, nous ? On a su se débrouiller comme des grands.

— Je te trouve vachement dur avec moi. Écoute mec, on ne se connaît pas encore, donc j'sais pas si j'ai fait un truc qui peut t'offenser ou pas, mais tu sais quoi ? Je vais suivre ton conseil. Je vais me débrouiller. Et toi là... Laisse ton python loin de moi.

— Ahaha ! Détends-toi l'ami. Ce n'était qu'une blague de bienvenue.

— Gardez vos blagues pour vous-même ! »

Et le voilà qui repart furieux.

« Eh bien... Sacré bonhomme. On ne va pas s'ennuyer, je pense.

— Ouais...

— Mais il a raison sur un point... T'es dur ! On aurait bien aimé à notre arrivée qu'on ait quelqu'un pour nous faire visiter.

— Bah tu n'as qu'à t'en occuper si tu veux tant te balader !

— Ah non ! Trop chiant. C'est ton colocataire en plus. Aller, sois sympa, fait une bonne action et puis... Tu ne sais pas ? Peut-être qu'en vrai c'est un chouette gars. »

Un « chouette gars », hein ?

Mais il est là le problème ! C'est un GARS !

Comment peut-on vouloir me tester ainsi ?

Écoutant le conseil d'Octave — et parce qu'il était évident que j'étais coincé avec ce type, qu'il fallait impérativement que je prenne sur moi — je fis une expérience de respiration pour tenter de garder mon calme, me retrouvant derrière la porte de la chambre.

« Hé... »

Il me jette à peine un regard et m'ignore totalement, continuant de ranger ses affaires.

C'est fou. Il y a encore quelques heures, cet endroit était vide de toute présence et voilà que maintenant, Théo est là.

Thétis est là.

Non, non. Ne commence pas comme ça Alexandre. Tu DOIS mettre cette partie de toi de côté.

Tu dois l'ignorer.

« Qu'est-ce que tu veux ?

— Écoute... J'ai pas été sympa, je le reconnais donc... Je me disais... Si tu as bientôt fini... On pourrait faire le tour du campus.

— Toi et moi ? »

Non, toi et le pape abruti.

« Ouais. »

Comment pourrais-je être en colère contre lui ? Même dans les traits de son faux visage boudeur, j'y vois ceux de Thétis.

« OK. Merci. »

Il fallait que je fasse l'impasse. Théo allait être mon nouveau colocataire. Il allait être là, 24 h/24 et 7 j/7. Je ne pouvais rester vexé ou en colère contre lui, surtout qu'il ne le méritait pas.

J'étais principalement en colère contre moi-même, car je suis bien incapable de me dire que Théo est Théo.

Pour moi, Théo est Thétis, la femme que j'ai aimée et que je continue d'aimer même maintenant.

Si je n'avais pas eu ce foutu incident, tout ça ne se serait jamais passé et peut-être même que j'aurai pu avoir une vie normale.

Presque normale.

« Je peux me changer avant ? J'ai transpiré toute la journée avec le déménagement et...

— Je t'en prie... C'est ta chambre maintenant. »

Il enlève alors son t-shirt et je me surprends à détailler chacune des courbes de ses muscles. Chaque couture de son torse.

Mon dieu, Alex, ressaisis-toi ! C'est un mec ! Un mec !

Même en mec, le destin l'a gâté.

J'ai cette horrible impression de me lancer dans une bataille que je me sens perdre d'avance.

Une bataille contre le destin.

Une guerre contre l'amour.