Chapitre 1

J'ai compris que ma vie allait changer à partir du moment où j'ai vu les cartons s'entasser les uns sur les autres dans la chambre. Petit à petit, quelqu'un venait en rajouter un, même deux, et les rumeurs du dortoir voulaient que j'aie un nouveau colocataire. Je n'en voulais pas. J'étais bien tout seul. Seul avec ma bizarrerie. Seul avec moi-même. Ça me permettait de réfléchir et de me dire ô combien je n'étais pas un garçon comme les autres.

Mais en même temps, comment être un garçon comme les autres quand tout, absolument tout, se bouscule dans ma tête ?

Les souvenirs d'une vie qui n'est plus mienne depuis des années, que dis-je ! Des siècles !

Des souvenirs que je n'arrive pas à chasser ou à ignorer. Ils sont là, ils me hantent chaque jour, chaque nuit, dès que je ferme les yeux. Je quitte ma vie au 21e siècle la journée, pour rejoindre cette autre vie.

Là, dans cet ailleurs lointain.

Pourquoi moi ? Je n'ai rien demandé de tout ça. Je voulais juste grandir normalement. Avoir mes diplômes, trouver un job, une copine et peut-être même me marier !

Mais comment faire quand chaque personne qui m'entoure est, en fait, une âme de ce lointain passé ?

Être Alexandre le jour et Alexander la nuit, franchement, c'est à chier.

Devoir jongler entre une vie étudiante, ma foi bien remplie, et une autre me décrivant comme une sorte de soldat dans ce qui me paraît être l'antiquité grecque. Pourquoi grecque ? Je n'en sais rien.

Je n'ai pas demandé à revenir à ce temps-là.

« Alex ! Tu viens ? On va se faire un foot sur le terrain vague près du campus !

— Ouais, j'arrive.

— Perdu dans tes pensées encore ? Tu fais une de ces têtes.

— J'aimerais t'y voir, toi. T'imagines même pas tout ce que j'ai en tête.

— Oh crois-moi, je n'ai même pas envie de savoir. Aller viens ! Sortir prendre l'air te fera du bien. »

Prenez Octave, mon meilleur pote. Dans sa vie antérieure, c'était Octus, mon écuyer, serviteur, bras droit, homme à tout faire. Je me souviens de lui. Je me souviens de tout ce que l'on a fait et traversé ensemble. De toutes ces batailles où nous étions l'un à côté de l'autre, veillant l'un sur l'autre.

Et là, c'est juste Octave, le mec nudiste de la chambre d'en face.

Donc je ne sais pas si j'ai sympathisé avec lui pour ses tendances « libertines » ou juste parce que mon être profond est attaché à lui. Aucune idée.

« Paraît que c'est aujourd'hui qu'arrive le nouveau ? Il va dormir dans ta chambre, c'est ça ?

— Apparemment... Ce n'est pas comme si on m'avait donné le choix. Mon dernier coloc' s'est fait virer pour possession de drogue.

— Dommage, Barnabé était un mec cool, je l'aimais bien.

— Ouais... La chambre sentait la vieille chaussette avec lui, mais c'est vrai que ça fait vide depuis.

— Du coup... Tu t'attends à quoi ? Un intello ? Un sportif ? Un grincheux ?

— Tant qu'il ne fout pas le bordel et qu'il me laisse pioncer, moi ça me va.

— Tu es si peu exigeant... Tu me déçois. Pour la peine, tu feras le gardien. »

Non pas que je n'avais pas d'exigences à proprement parler, disons juste que je suis arrivé à un moment dans ma vie où je ne suis plus certain de savoir qui commande qui. Qui pilote ma vie ? Moi, ou l'autre ? Alex ou le soldat ? Des fois j'aimerais me rassurer et me dire que c'est « moi » qui ai les commandes, mais quand je vois Octave et que tout me revient d'un coup, avec cette invasion de sentiments et cette nostalgie... Je me dis que c'est l'autre, car je ne ressens certainement pas autant de choses à son sujet.

« En tout cas, si c'est un mec cool, tu nous le présenteras !

— Compte sur moi, ouais. Comme si j'allais vous présenter mon coloc'. C'est un coup à ce que vous me le traumatisez ça.

— Tu as si peu foi en moi ! C'est dingue. »

Justement, c'est parce que je te connais depuis si longtemps et que je connais ton côté farceur que j'ai peur pour le nouveau.

Néanmoins, si tous mes souvenirs de ma vie passée me sont revenus et si mon entourage a un air de « déjà-vu », il y a bien une chose qui ne m'est pas réapparu : Thétis.

Thétis était, il me semble, la seule femme que je n'ai jamais aimée. Je ne vous parle pas d'un de ces amours d'été ou de jeunesse, mais du véritable. Du grand. De celui que l'on vit passionnément et à chaque instant.

Quand j'y pense, je sais que les détails de ma mort sont liés à Thétis, mais en même temps, j'aurai tout fait pour elle. Pour son sourire. Sa tendresse. Sa gentillesse. Il n'existait nulle femme pareille. Elle était unique et j'avais la chance de vivre un amour à double sens.

Thétis.

Voilà ce qui me manque.

« Ah. Mec. On dirait que y'a un surveillant qui fait signe là-bas.

— Je vais aller voir. Tiens Octave, tu n'as qu'à prendre ma place dans les cages.

— Quoi ? Mais on sait très bien que je suis bien meilleur en attaquant.

— Discute pas. Je fais l'aller-retour de toute façon. Juste pour voir ce qu'il me veut et puis, au pire, je reviens avec mon nouveau meilleur ami !

— Hé... C'est moi ton meilleur ami, tête de nœud.

— Sois pas jaloux, mon cœur est déjà pris de toute façon.

— J'aimerais bien savoir par qui. »

Tu n'as pas idée mon ami.

Tu n'as pas idée.

« Alexandre. Ton nouveau colocataire est arrivé. Il est dans la chambre. Tu peux t'occuper de lui faire visiter le campus ?

— Ouais, OK.

— Merci. Je compte sur toi alors ! »

Je n'étais pas partie pour faire du baby-sitting et encore moins une visite guidée, mais bon. C'est toujours mieux que de rester droit comme un piquet à faire le goal.

« Salut ! Alors, c'est toi le nouveau ? »

Je suis arrivé dans sa vie comme un boulet de canon, en grande pompe.

Il était là, déballant ses affaires, les installant petit à petit et puis, au moment où nos regards se sont croisés, j'ai compris.

J'ai compris que j'étais dans la merde.

« Thétis. »

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