Chapitre 1 partie 5

- Si je ne lui obéissait pas vous seriez déjà morte ! rugit-t-il.

Je frissonne, après l'intervention de Maria je ne peux que le prendre au sérieux. Je le laisse ruminer dans son coin et m'installe au piano. J'ai presque pitié pour lui, je n'aime pas les manipulateurs. Je ne sais pas combien de temps je reste à laisser courir mes doigts sur les touches du piano.... Cette nuit j'irai au sous-sol, en repassant toutes les portes du manoir que je connais je pense avoir trouvé laquelle y mène. Je relève brutalement les yeux pour voir si la marionnette est toujours énervée et je fais une fausse note en rencontrant un visage étranger. Il lui ressemble certes, mais ce n'est pas Jasper. Il a les mêmes cheveux blond, mais ils sont plus longs et moins bien coiffés, ses yeux sont aussi rouges et sa peau est aussi pâle. Mais ses lèvres plus pleines, ses yeux plus petits, il n'a pas la même stature et il paraît plus vieux.
- Heu... Vous êtes qui ?
- Lucas, Maria m'a demandé de vous surveiller tant que le major mange.

Je retourne à ma musique. Il faut trouver le moyen de quitter ma chambre sans que mon geôlier s'en aperçoive. Je suppose que j'improviserai le moment venu... Je sais que passé par la fenêtre est exclue, la grande porte est fermée la nuit.Je m'y serais prise plus tôt j'aurais dérobé le double, mais à cette heure Nicolas, le cuisinier, est déjà rentré chez lui. Il faudra faire un crochet par le bureau de Père pour récupérer son trousseau de clef. J'arrête de jouer pour dessiner avant d'aller dormir histoire de me détendre. Sans y réfléchir mon crayon dessine des créatures comme eux au trait parfait. Ils m'obsèdent depuis un mois, des fois terrifiantes et d'autres fois fascinantes. Je suis d'une nature curieuse et ne pas savoir exactement ce qu'ils sont me frustrent énormément. Pas longtemps après le début de mon croquis j'entends derrière moi des bruits de pas et l'odeur métallique du sang arrive jusqu'à mon nez. Paniqué, je me retourne persuader de voir Maria tenant le cadavre de Lucas, mais ce n'est que Jasper et Lucas qui échangent leur place.
- Pas la peine de vous asseoir, dis-je. J'aimerais avoir une ou deux minutes d'intimité le temps que je me change pour la nuit.
Dans un grognement il s'exécute après avoir jeté un coup d'oeil vers ma fenêtre. J'enfile une chemise de nuit et m'enroule dans ma couverture. Mon gardien entre peu après et s'installe en silence près de ma porte. Je m'applique à respirer le plus calmement possible les yeux clos. Je me concentre sur mes inspirations et expirations que je place chacune sur un chiffre et les répète inlassablement jusqu'à entrer dans une sorte de transe. Je ne peux pas dire si le temps passe rapidement ou lentement donc je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est quand Maria refait son apparition.
- Elle dort, chuchote Jasper si bas que ça m'est à peine audible.
- Vient, j'ai un service à te demander.
Ils s'éloignent, mais à quelques mètres de ma chambre je ne les entends plus. J'attends trente secondes avant de m'aventurer dans le couloir sombre.

Mes yeux sont déjà accoutumés à l'obscurité, mais je me repère principalement au nombre de tapis et d'escaliers que je traverse. Dans le bureau de Père, la tâche devient plus ardue, les rideaux cachent la lumière de la lune et je ne connais pas très bien l'arrangement de la pièce. J'avance à tâtons, grimaçant à chaque fois que mon pied rencontre un obstacle, le bureau trouvé je fouille tous les tiroirs jusqu'à rencontrer l'anneau métallique où sont accrochés une dizaine de clefs. Les tenant fermement dans ma main, pour ne pas qu'elles s'entrechoquent, j'avance dans le couloir de droite au-rez-de-chaussé frôlant du coude le mur et comptant les portes. Arrivé devant celle que je soupçonne pour la simple raison que je ne l'ai jamais vu ouverte. Il me faut essayer sept clefs avant de trouver la bonne. En ouvrant un courant d'air frais fait voler mes cheveux, avec lui il apporte une odeur de moisissure, de sang et une autre fragrance plus âcre qui me prend à la gorge et me coupe le souffle. Il me faut faire un grand effort pour ne pas vomir et allumer d'une main tremblante ma lampe torche. Je descends un petit escalier en bois pour me retrouver face à deux portes. De celle de droite s'échappe l'odeur insoutenable, je l'ouvre en premier sans respirer. La faible lueur de la lampe je discerne une dizaine de tables sur lesquelles repose des formes que mon cerveau refuse d'analyser. Je la referme rapidement avant de mourir asphyxier et ouvre la deuxième. L'odeur de sang y est aussi présente, mélangée avec celle de la fumée, douceâtre et entêtante. La pièce est au moins quatre fois plus grande que la première, la lueur de ma chandelle est loin d'être suffisante pour l'éclairer.
- Mademoiselle Ange ? s'étonne une voix dans le noir.
- Qui est là ? demandais-je effrayé.
- Peter, ou du moins ce qui reste de moi... Avancez et faites attention à la table qui est à cinq pas devant vous.
J'avance incertaine, qu'entend-il par : ce qu'il reste de moi ? Et pourquoi autant de regret dans sa voix ? Trop de questions qui se mélangent avec les infâmes odeurs de cette pièce. Petite mes sens fin m'amusaient, mais là je donnerai tout pour avoir le nez bouché. L'ami de mon garde du corps est enchaîné contre le mur. Ses pieds reposent sur un socle en bois, ses bras sont tirés vers l'arrière, deux chaînes presse sa tête en arrière, une sur son front et l'autre autour de la gorge. Je me demande comment il fait pour respirer... Observation faite ni son ventre ni son torse se soulève ou s'abaisse signe d'une inspiration ou d'une expiration. Face à lui ce trouve un corps couvert de plaie, le sang ruisselle sur le sol.
- C'est déjà la nuit ? Demande Peter.
- Oui, mais je ne sais pas l'heure exacte.
- Maria a déjà dut parler à Jasper, pense t-il à voix haute.
- Oui... J'ai l'impression que je dois être désolé pour vous même si je ne sais pas pourquoi.
Ma petite confession fait rire le prisonnier.
- Ça fait environ un an depuis la dernière campagne de recrutement, explique t-il. Chaque année Maria envoie Jasper purger les rang, tous ceux qui sont inutile sont bruler.
- C'est vraiment un monstre cette femme ! Je vais te détacher, je sais pas ce qui ce passe ici mais j'aime pas ça.
Je m'approche du mur en vieille pierre pour retirer les chaînes qui y sont accrochées.
- Non ne le faites pas ! marmonne Peter sans conviction. Je ne suis pas prêt.
- Dites-moi quand c'est le cas.
Il émet un grondement et fait peser tout le poids de son corps sur les chaînes, ses bras sont encore plus écartelés et sa tête compressé en arrière et forme un angle étrange avec le reste de son corps. On dirait que s'il tire encore plus sa tête va se séparer du reste de son corps.
- J'suis prêt, chuchote t-il tous ses muscles tendus.
Il va ce rétamer par terre... Mais si c'est ce qu'il veut. D'un coup sec je détends la chaîne qui retient son bras droit. Avant d'avoir le temps de détendre les autres chaînes, il les arrache comme si ce n'était que des cheveux alors qu'elles font plusieurs centimètres d'épaisseur. Au lieu de tomber à plat ventre dans le sang il se réceptionne sur ses pieds accroupis. Je m'approche pour vérifier qu'il va bien. Il fixe sa main couverte de sang comme hypnotisé et inspire longuement avant de détourner brutalement son regard. Peter me dévisage une seconde les sourcils froncés à l'extrême.
- Si un jour tu as besoin de moi, va sur la colline Ouest et appelle moi.
Il part en courant silencieusement vers la sortie. Il faudrait que je sorte... Curiosité oblige, je m'approche tout de même de la table et regarde ce qu'elle porte. C'est en fait un petit laboratoire avec plusieurs bécher, un décanteur et un distillateur sans compter la multitude de fioles contenant des liquides multicouleurs. L'inspection finie, je remonte dans ma chambre après avoir déposé les clefs dans le bureau. Dans mon petit domaine, Jasper m'attend me regardant avec des traits durs.
- Comment ? demande t-il.
Je le regarde sans comprendre.
- Comment êtes-vous sorti de votre chambre ?
- Vous êtes parti avec Maria... J'en ai profité pour filer.
Je ne peux réprimer un sourire insolent, il a toujours l'air tellement sûr de lui, avoir réussi à le tromper fait partie de mes réussites personnelles.
- Et le sous-sol ? s'enquit-il.
- Je n'ai pas compris a quoi il servait mais j'y redescendrai jamais !
Il hoche la tête et murmure un "merci" avant de reprendre sa place près de la porte. L'idée de dormir ne m'effleure pas l'esprit, la vision du cadavre de la cave me revient dès que je cligne des yeux. Par pure envie de montrer mon mécontentement face à la situation je m'assois au Piano et joue à nouveau pendant plusieurs heures. Mon orgueil d'adolescent est vite froissé, car personne ne vient me demander d'arrêter. Je refais mes activités encore, en boucle, ignorant l'humeur maussade de mon geôlier.





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