Chapitre IX, partie 1 - simulation
— Je suis épuisée !
Tess se laisse lourdement tomber sur sa chaise à côté de moi en soupirant. C'est fou, mais même quand elle se plaint, elle arrive à avoir l'air heureuse et pleine de bonne volonté. Je ne sais pas comment elle fait pour avoir l'air aussi fraîche que la rosée, même après une journée d'entrainement tout ce qu'il y a de plus hardcore. Ses cheveux n'ont pas perdu de leur brillance et son teint est toujours aussi éclatant.
C'est tout le contraire de moi. Depuis mon combat contre Vex, mon état physique n'a fait qu'empirer. Je tends un bras au-dessus de la table où je me suis installée en compagnie de Elias, Tess et Oniver. La couleur des hématomes qui recouvrent mon corps a viré au jaune.
Cela fait trois semaines que nous nous entrainons à un rythme éreintant. Les tests finals approchent à grands pas. Aucun de nous ne sait vraiment ce qui l'attend, ni quelle décision il prendra si toutefois il lui est permis de choisir. Je n'ai de cesse de penser au jour des affiliations.
— Tu ressembles à un cadavre, commente Oniver en posant son plateau en face de moi.
J'arque un sourcil avant de pointer ma fourchette en sa direction.
— Toi, je te supporte uniquement parce que mon frère t'aime bien. Sinon, ça ferait longtemps que je t'aurai cassé en deux à l'entrainement, je le menace d'un ton purement blagueur.
Elias n'a jamais eu beaucoup d'amis. Mais cela dit, moi non plus. Pourquoi en chercher alors que nous nous avons l'un l'autre ? Enfants, nous aimions notre solitude. Je crois même que mépriser la plupart de nos congénères nous amusait. C'était un peu lui et moi contre le monde. Nous n'avions pas besoin de grand-chose. Bien-sûr, cette idée a changé lorsque nous avons rencontré Tess que nous traitons désormais comme une sœur. Aujourd'hui, il est évident que notre stratégie doit changer. Il nous faut ouvrir notre trio à de potentiels partenaires.
Oniver répond en me catapultant un morceau de pain dans la figure et je lui tends mon majeur. Le responsable des cuisines nous lance un regard mauvais qui suffit amplement à calmer nos excès de gamineries.
Au fond, je sais qu'Oniver n'a pas tort. Ce matin, je suis allée inspecter mon reflet dans le miroir. J'y ai vu un faciès abimé par la fatigue et les épreuves de cette dernière semaine. J'ai réalisé que je ne m'étais pas vue depuis des jours et presque peiné à me reconnaître. Mes cheveux blond foncé étaient emmêlés, mon teint terne, sans clarté. Une auréole violacée entourait encore le coin de mon œil gauche et une entaille minutieusement suturée barrait mon sourcil. Ça ne fait aucun doute que cette trace restera pour toujours. Mais je ne m'en plains pas. Je ne déteste pas les cicatrices, j'y trouve même quelque chose de beau puisqu'elles témoignent de ce que nous avons vécu. Etrangement, j'ai envie de me souvenir de ce moment. Il n'y a que depuis que je suis ici que je parviens à me sentir vraiment vivante. Et cela passe par la douleur des combats et le goût amer de la défaite que j'ai encore en travers de la gorge.
A Aiôn, nous avions l'interdiction formelle de nous montrer violents alors qu'à Kairos, nos instructeurs nous hurlent de frapper plus fort. J'ai la sinistre impression que ma raclée d'il y a quatre jours à servi d'exemple pour les autres cadets. Ici, la violence est rhétorique. Contrairement à Elias qui semble développer une aversion certaine pour les traditions rustres des Kairosiens (et particulièrement des Sentinelles, mais qui cela pourrait-il bien étonner ?), j'aimerais avoir la force nécessaire pour me prendre au jeu. A vrai dire, je crois que cela me fascine. Les Kairosiens sont extrêmement différents de nous parce qu'ils connaissent le prix de la vie, et sont tout de même volontaires pour risquer la leur au nom de celle des autres.
Quelques fois, nous avons vu revenir de mission les membres du Corps Expéditionnaire. Il y a dans le regard de chaque légionnaire une impassibilité et un calme glaçant. Je n'ai jamais vraiment osé poser de questions à ceux qui sortent en zone non sécurisée, c'est-à-dire l'ensemble des terrains les plus éloignés de Kairos, des zones qui ne sont pas couvertes par les ondes novas. A notre arrivée, tout cela semblait surréaliste. Mais la commandante Vegnory a su nous enseigner des rudiments d'aleotechnologie qui m'ont permis de comprendre comment ces simples ondes parviennent à nous protéger des Mirages. En trois semaines à Kairos, j'ai appris plus de choses qu'en 18 ans d'existence et pourtant, quand je vois le Corps Expéditionnaire rentrer, imbibé des odeurs du monde extérieur et les yeux remplis d'images que personnes d'autres à part eux ne peut voir, je me dis que je ne connais toujours rien.
Nous manquons cruellement d'informations sur nos ennemis ce qui rend certainement les combats inégaux. Mais, lors de l'élaboration de la base terrestre, les premiers membres du Corps Expéditionnaire, ceux qui ont inspiré et qui inspireront toujours l'ensemble des légionnaires, ont découvert une information capitale sur les Mirages. Ces créatures communiquent entre elles par un langage muet, comme s'ils s'envoyaient des signaux soniques imperceptibles par les humains. S'ils ont un chef et des codes militaires, alors c'est comme ça que tous les Mirages, peu importe leur type, reçoivent leurs ordres et c'est aussi la façon dont ils se repèrent dans l'espace.
Les batteries Nova émettent des ultrasons sous forme de vagues d'ondes répétées qui non seulement brouillent leurs communications, mais les empêchent aussi de repérer la base. Autrement dit, Kairos disparaît dans le décor, cachée derrière une muraille d'ondes qui désorientent nos ennemis.
Cette découverte a indéniablement changé le cours de la guerre, et même si nous ne faisons pas le poids au combat, nous avons trouvé un moyen de rivaliser.
Le calme retombe parmi notre petit groupe et chacun se concentre sur ce qui se trouve dans son assiette. Ici, personne ne fait la fine bouche. Il faut profiter de toutes les sources d'énergies disponibles.
En cette fin d'après-midi, les entrainements se sont terminés un peu plus tôt. Les commandants, leurs capitaines ainsi que les autres gradés devaient se rendre à une réunion afin de préparer une nouvelle mission en extérieur. Je n'ai pas eu davantage de détails à ce sujet. Tout ce que je sais, c'est que chaque expédition en dehors des murs est méticuleusement préparée par l'ensemble des officiers. Je suppose qu'ils ne prennent aucune de ces opérations à la légère. Après tout, envoyer des soldats dehors, c'est risquer leur vie ainsi que celle de toute la base si jamais ils se font attraper.
Certains novices ont donc trainé un peu dans la salle de divertissement. Comme son nom l'indique, c'est un endroit prévu pour que les légionnaires puissent se détendre, ce qui est d'une importance trop sous-estimée à mon goût. Entretenir le moral des troupes contribue à rendre les légions terrestres efficaces. Alors lorsqu'ils ont un peu de temps libre, les Kairosiens se rendent à ce bâtiment situé dans l'aile Est de Kairos pour se détendre. Ils peuvent y lire, se reposer, regarder l'unique chaîne télévisée de Kairos et d'Aiôn qui diffuse parfois des films datant de l'ancien temps que l'on a miraculeusement réussi à sauver bien que le ciel nous soit tombé sur la tête.
Enfant, j'adorais me rendre aux diffusions spéciales proposées à Aiôn Est. Pour une poignée d'heures, j'avais l'impression de vivre une vie comme celle des anciens. Un quotidien tranquille, sans craindre au fond de moi que les Mirages envahissent nos galeries et achèvent ce qu'il reste de l'Humanité.
Ça me faisait toujours bizarre de voir à l'écran des gens qui sont sûrement morts lors de l'arrivée de ces créatures. Je me dis qu'ils ont de la chance quelque part. Contrairement à tous les autres, il reste un souvenir d'eux, une image qui marque les esprits, même 100 ans après la fin du monde.
Je sors de mes rêveries lorsque la porte de la cantine claque pour laisser entrer un autre groupe de novices. Ces derniers dirigent aussitôt vers le comptoir pour se servir à manger.
Son plateau rempli, Narvik Borstad, une jolie blonde à la peau très blanche et aux yeux clairs se dirige vers nous. Sans rien dire, elle prend place à côté de moi. Elle commence à manger, mais lorsque nos regards se croisent, elle me dit la bouche pleine :
— J'ai quelque chose à te demander.
Curieuse, je plisse les yeux. Nous ne nous connaissons pas si bien que ça elle et moi. Bien-sûr, nous échangeons parfois quelques mots lors des entrainements, mais je me demande bien ce qu'elle peut vouloir de moi.
— Dis toujours ? je baragouine d'un air détaché entre deux bouchées de pain blanc.
— Tu es douée avec un flingue. J'ai vu à quel point tu tires bien.
Je hausse les épaules, feignant que ce compliment ne me réchauffe pas le cœur. J'ignore combien de temps exactement j'ai passé à m'entrainer, mais suffisamment pour avoir l'impression que j'ai fait ça toute ma vie. Et à vrai dire, je tire du maniement des armes à feu une certaine satisfaction.
— Je me débrouille, je réponds avec une modestie forcée.
— Ce n'est pas mon cas. J'ai besoin d'entrainement supplémentaire. Tu veux bien m'aider ? fait-elle en plantant ses yeux turquoise dans les miens. Quand Narvik Borstad vous regarde, vous pouvez facilement croire qu'elle s'apprête à vous jeter un sort.
— Il y a des cadets bien meilleurs que moi, je ne suis sûrement pas la première de la promotion. Tu devrais leur demander à eux.
Je suis consciente que mes talents en tir se sont fortement améliorés depuis le premier jour. Même si les séquelles de mon premier combat sont toujours visibles, je pense avoir repris du poil de la bête. J'avais peur que cette humiliation me cloue définitivement au sol, mais contre toute attente, la hargne en moi n'a fait que grandir.
En écoutant ma réponse, ma voisine secoue la tête de droite à gauche.
— Je sais, mais j'ai vu la façon dont tu tires. Si tu rates, tu ne te laisse pas déstabiliser. Je voudrais être aussi confiante que toi, affirme-t-elle, plus sûre d'elle que jamais.
Je sens un sourire me titiller le coin des lèvres. Confiante, moi ? J'ignore si c'est le mot que j'utiliserais. J'ai horreur des échecs, surtout quand ceux-ci peuvent me coûter d'être renvoyée sous terre.
Mon ego est flatté par cette demande, mais je ne suis pas sûre de pouvoir me permettre de jouer les instructeurs. Mais Bellelac a dit qu'il fallait que l'on se soucie les uns des autres et que l'on s'entraide. Peut-être que si j'accepte d'aider Narvik, j'y gagnerais tout autant qu'elle.
Le temps de prendre une décision, mon regard se promène sur les autres novices présents à la table et s'arrête sur Elias. Assis en face de moi, il n'a bien évidemment pas perdu un mot de la conversation. Ça a toujours été une habitude pour moi de consulter mon frère lorsque j'ai une décision à prendre. Au vu du sourire bienveillant qu'il m'adresse, je suppose que cette idée lui semble bonne.
Mon attention se reporte donc sur la blondinette qui attend toujours ma réponse sans pour autant afficher aucune appréhension capable de crisper son visage de poupée. Cependant, elle me fixe avec un regard qui veut dire « alors ?? »
— D'accord, je veux bien t'aider, dis-je finalement en lui souriant gentiment.
Son visage s'illumine.
— Super ! On pourrait se retrouver demain après le repas du soir ? suggère-t-elle.
Je hoche la tête pour approuver sa proposition. Peut-être que donner des conseils à quelqu'un d'autre améliorera ma propre technique. L'avantage, c'est que les kairosiens, légionnaires ou novices, peuvent aller s'entrainer quand ils le veulent, même en dehors des horaires obligatoires. Après tout, qui pourrait en vouloir à un soldat de faire des heures supplémentaires ?
Mais pour l'heure, j'ai juste hâte de retrouver mon lit.
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Le lendemain, le réveil sonne comme à son habitude à une heure qui fait grimacer. On a beau s'y habituer, se lever à cinq heures n'est un plaisir pour personne. Chaque matin ici se ressemble, et cela ne change pas trop d'Aiôn.
Je bondis hors de mon lit pour enfiler ma combinaison. Nos habits de tous les jours ont été conservés je ne sais où pour que nous puissions les récupérer si jamais nous sommes renvoyés chez nous. Pour ma part, mon vieux débardeur gris délavé et mon jean trop larges ne me manquent pas.
Au moins, le fait de porter les mêmes vêtements nous rend égaux. Même si nous ne sommes pas tous amis, nous nous montrons solidaires les uns avec les autres. Après tout, nous poursuivons le même objectif (enfin, pour la plupart) et passons les mêmes épreuves. Nous arrivons sur le même point d'égalité : semblables à de petites créatures ignorantes et vulnérables. Je détestais cette sensation. Même si ceux qui rentraient de leurs initiations sans avoir été retenus parlaient de ce qu'ils avaient fait à Kairos, ça n'était pas comparables à toutes les choses que j'ai découvertes et apprises depuis que je suis ici. Les uniques images des Mirages se trouvent ici, ainsi que toutes les informations à leur sujet. Le peuple d'Aiôn a toujours été maintenu dans l'ignorance afin de lui faire oublier ce qui se trame au-dessus de sa tête. En voyant la vie mécanique et sans intérêt que vivent la plupart des ouvriers condamnés à passer le restant de leurs jours sous terre, j'ai compris que cette stratégie ne marchait pas si mal que ça. Aussi longtemps que je m'en souvienne, les choses ont toujours été ainsi. L'entièreté de notre peuple est distinctement scindée en deux : les guerriers et les ouvriers. A 18 ans, il faut choisir à quel clan l'on veut appartenir et cela n'est pas sans conséquences. Mourir ou s'ennuyer ? Pour certains, ce dilemme mérite réflexion.
Dans leurs spots télévisés répétitifs, les agents de communication de Kairos préfèrent dire que le choix est entièrement nôtre et que tout est une question de tempérament L'initiation à Kairos est censé faire surgir notre véritable nature afin de déterminer comment nous pourrons nous rendre utiles pour ce qu'ils aiment appeler « la cause », qui n'est autre que l'humble question de la survie de l'Humanité. Mais ce n'est jamais aussi facile que ce que l'on croit. J'en suis la preuve vivante. Pour être considéré comme apte à servir, il faut remplir un grand nombre de critères précis, aussi bien physiques que mentaux, que l'on ait ou non de la bonne volonté.
Après le petit déjeuner, tous les novices sont conviés à l'auditorium. Aujourd'hui, c'est à la commandante Laing de prendre en charge notre entrainement, et je suis tout particulièrement intéressée par ce qu'elle pourrait nous apprendre.
— Je vous préviens, l'exercice d'aujourd'hui sera différent de ce dont vous avez l'habitude, annonce la chef du Corps Expéditionnaire, debout près du moniteur central.
Je me penche en avant, appuyant mes coudes sur mes genoux. Après les séances intensives de corps à corps, la théorie tactique et les discours interminables sur le fonctionnement de l'aleodern, je ne suis pas contre un peu de nouveauté.
— A présent que nous connaissons les forces et les faiblesses de chacun d'entre vous, nous allons vous scinder en quatre groupes sans prendre en compte vos affinités. Dans les légions terrestres, nous sommes tous frères et sœurs et chacun d'entre vous doit être capable de collaborer avec son voisin, même s'il ignore son nom, reprend Laing.
Un court silence s'installe. Bien-sûr que ces derniers jours, des groupes se sont déjà formés, et je dois avouer que je n'ai pas fraternisé avec beaucoup de monde mis à part mes voisines de dortoir et les personnes contre qui j'ai dû me battre à l'entrainement.
Va droit au but, me dis-je en triturant la peau de mes doigts, impatiente de savoir ce que nous allons faire.
— Aujourd'hui, vous allez non seulement apprendre à vous comporter en situation de combat, mais aussi à travailler en équipe. Pour cela, vous allez travailler en simulation. Mais ne vous méprenez pas, aucun simulateur ni aucun entraînement ne peut vous rendre indestructible face aux mirages. Cependant, cet exercice vous permettra d'apprendre et de développer les formations essentielles pour survivre en extérieur.
Jusqu'ici, j'ai entendu pas mal de soldats parler des entrainements en simulateur. Ce dernier est censé nous entrainer aux opérations en terrain hostile. Mais rien ne peut nous préparer au face à face avec les mirages.
— Les simulacres ont été développés par l'unité scientifique et ne représentent aucun danger pour votre santé, explique Laing en pianotant sur le clavier du moniteur central jusqu'à ce qu'une image soit projetée au centre de l'auditorium.
Ce qu'elle appelle simulacre ressemble à un cercueil en métal. Lorsque l'image se met à s'animer pour nous montrer comment l'utiliser, un légionnaire apparaît et s'allonge dans le simulacre avant de pivoter sur le côté. Un assistant — sûrement un US, connecte la puce de sa nuque à la machine à l'aide de câbles étranges. Ensuite, le démonstrateur reprend sa position initiale et une sorte de vitre scelle le simulacre, l'empêchant donc de bouger. L'idée de me retrouver ainsi bloquée est loin de me séduire et je sens une boule se former dans mon ventre. Une fois le légionnaire installé, la simulation est lancée manuellement par les techniciens.
— Pour ce premier exercice de travail en escouade, vous serez dirigés par nos capitaines. Chacun d'eux prendra en charge une équipe et vous serez sous leurs ordres pendant toute la simulation. Mais sachez que pour les tests finals, vous serez seuls.
Je plisse les yeux. Les quatre jeunes officiers en question sont alignés derrière la commandante et s'avancent au moment où elle les mentionne.
J'en connais déjà trois : Appolo, capitaine de la brigade tactique, beau garçon, sûr de lui, intelligent et charismatique, c'est sûrement un bon parti que de travailler sous ses ordres. Et puis il y a Vex, celle qui m'a mis la misère devant tous mes camarades, le chien de garde enragé de Denor. Je suis obligée de me pencher sur la droite et de me retenir en m'accrochant aux épaules de Tess pour apercevoir Kara Witt dont nous avons fait la connaissance récemment. A côté de Vex et de son mètre quatre-vingt-cinq, elle a presque l'air d'une enfant.
Le quatrième, Alec Lavarone, fidèle second de Laing attend patiemment qu'elle termine son discours. Je suppose que si nous ne l'avons pas autant vu que les autres, c'est parce qu'il dirige régulièrement des opérations extérieures.
C'est un garçon à la carrure svelte, aux cheveux bruns et longs jusqu'au-dessus des épaules et à la mine espiègle. Ses yeux noirs et perçants scrutent l'assemblée. Il est plus petit que Appolo et bien moins athlétique que Vex. De ce fait, il ne paraît pas bien impressionnant. Mais je crois être la mieux placée pour dire qu'il ne faut jamais sous-estimer un kairosien, encore moins un gradé qui doit forcément avoir des qualités spéciales l'ayant fait mériter ce poste. Comme le reste des membres de son unité, Lavarone est très agile et rapide. J'ai eu l'occasion de le voir s'entraîner dans le dôme. Il manie l'arc comme personne. J'ai trouvé son choix d'arme un peu étrange. Pourquoi jeter son dévolu sur une arme vieille de plusieurs siècles quand on a accès à un tas d'équipements extrêmement sophistiqués ? Mais l'arc a l'avantage d'être parfaitement silencieux, ce qui est très utile en environnement hostile, là où le moindre bruit peut attirer une horde de mirages.
En les étudiant du regard et en dressant leur portrait dans ma tête, je me dis que chacun d'eux incarne de manière caricaturale son unité : le meneur, la machine à tuer, le chasseur et le petit génie. Ça en serait presque comique.
— Pendant votre session, vous serez tenus d'obéir à vos supérieurs. Vous apprendrez que suivre les ordres en situation de danger est une question de vie ou de mort, explique Laing, l'air grave.
— Voilà quelque chose que tu vas avoir du mal à faire, me murmure Elias en me donnant un coup de coude.
— La ferme, ne m'enfonce pas alors que je suis déjà plus bas que terre ! répliqué-je à voix basse, indignée.
Il a raison. Mon frère a toujours raison sur mon compte. Après tout, personne ne me connait aussi bien que lui. Lui et moi, nous sommes à la fois identiques et opposés. J'ai toujours détesté obéir aux ordres et je ne compte plus le nombre de fois où cela m'a créé des problèmes.
— Les escouades seront envoyées dans le simulateur par deux et les autres pourront suivre leur progression sur un écran. La mission sera la même mais le terrain sur lequel vous évoluerez changera d'un groupe à l'autre.
A quelques mètres devant moi, une fille lève la main pour attirer l'attention de Laing qui interrompt ses explications pour poser sur la cadette un regard inquisiteur.
— Pardonnez-moi commandant, mais êtes-vous sûre que c'est sans danger ? S'il y a un bug dans le système ou...
— En cas de problème, la simulation prendra fin automatiquement et vous reviendrez aussitôt, la coupe Laing, sûrement pour éviter que l'inquiétude de la jeune novice ne se propage dans l'assemblée. Vous serez surveillés en permanence, alors concentrez vous sur votre mission.
J'ignore si cela est vraiment censé être rassurant. Mais de toute façon, nous n'avons pas le choix. Depuis mon accrochage au dôme, je m'attends à tout. Maintenant que nous avons acquis les compétences militaires de base, je sais que les instructeurs ne nous ménageront pas.
La commandante se tourne vers les quatre capitaines.
— Vous savez ce qu'il vous reste à faire, conclut-t-elle en s'écartant pour leur laisser sa place.
Le quatuor répond d'un signe de tête synchronisé. Leur posture reflète l'autorité dont ils sont pourvus malgré leur jeune âge. Leurs mains sont jointes derrière eux, leur dos est droit et leurs jambes écartées comme s'ils étaient prêts à bondir.
Appolo Zukerman avance en premier et sort un nanopad de la poche de son uniforme.
— Je dirigerai la section Alpha pour cet exercice. Si j'appelle votre nom, venez vous placer vers moi, ordonne-t-il d'une voix forte.
— Dans quelle équipe tu veux être ? me glisse Tess sans quitter Appolo des yeux.
Je hausse les épaules. Les quatre capitaines représentent un avantage certain pour accomplir n'importe quelle mission, mais leurs compétences sont extrêmement différentes. Alors leur stratégie d'attaque le sera sûrement tout autant. Si je devais vraiment me prononcer sur une quelconque préférence, j'attendrais d'abord de connaître l'objet de la mission.
Appolo appelle un à un les membres de son escouade. Ni moi ni aucun de mes amis n'en faisons partie.
La section Alpha quitte la salle sans plus attendre, sûrement pour recevoir de nouvelles consignes sur cette fameuse fausse mission. Vex constitue à son tour son équipe, et je ne peux nier un certain soulagement puisqu'elle n'appelle pas mon nom mais celui d'Elias. Je lui fais un signe de tête pour lui souhaiter bonne chance lorsqu'il rejoint son groupe.
Quand vient le tour de Alec, mon nom sort dans les premiers. Au moins, je n'aurai pas de préjugés et je vais pouvoir me concentrer pleinement sur ma réussite. De plus, Alec fait partie du corps expéditionnaire. Il doit être habitué plus que quiconque à ce genre d'exercice.
Comme pour les autres équipes, Alec nous fait entrer dans une salle de briefing. Au centre, il y a un tableau de bord numérique semblable à ceux utilisés par la brigade tactique pour mettre au point les stratégies.
Nous nous positionnons tout autour du moniteur central et le capitaine prend place face à nous. Je ne connais aucun de mes coéquipiers à part Neven et Narvik. Nous sommes la section Charlie.
Lavarone tape dans ses mains pour attirer notre attention.
— Bon alors les bleus, le scénario de mission est très simple, commence-t-il en mettant en route le tableau numérique, on va devoir récupérer les informations recueillies par une escouade d'expédition en zone non-sécurisée.
— Et comment on va s'y prendre ? demande ma voisine de dortoir, les sourcils froncés.
— Leur position sera indiquée sur votre pilote, atteste Alec en pointant du droit son bracelet, identique à ceux que tous les kairosiens portent, mais nous ignorons ce qui se trouvera sur le chemin qui nous mènera à eux.
Je ressens une excitation grandissante. Je sais que cette mission compte pour du beurre, mais c'est bien la première fois que nous allons agir comme de véritables soldats, reste à savoir si nous serons capables de faire le meilleur score.
— Vous allez devoir affronter les pièges de la nature et les tours de magie des mirages, sans compter les autres sections qui risquent de nous mettre des bâtons dans les roues.
— Je croyais qu'on ne s'affrontait pas, j'interviens en levant la voix pour être sûre que tout le monde m'entende.
Alec me regarde en plissant les yeux.
— En effet, pas directement. Mais quand plusieurs équipes poursuivent un même but, on entre immédiatement dans un esprit de compétition, n'est-ce pas ? répond-t-il.
Il n'a pas tort.
— Ça me plait, commente Neven, posté à deux ou trois mètres de moi.
Le plan de la zone d'opération se dessine en 3D sur le tableau de bord. Je m'approche pour l'étudier dans ses moindres détails. Première chose à faire avant d'établir un plan : étudier son environnement afin de le tourner à son avantage.
— Qu'est-ce que vous voyez ? demande Alec.
— Au vu du point d'extraction, nous avons plusieurs trajectoires possibles sur des terrains différents, déclare une fille aux cheveux très courts.
Sur la gauche, un point lumineux clignote. J'en déduis que c'est l'endroit auquel nous devons nous rendre. Le distance à parcourir n'est pas immense, mais un bon nombre d'embûches peut se trouver sur notre chemin. Visiblement, le point d'extraction se situe dans une gorge étroite sans issue. Il doit forcément y avoir quelque chose de dangereux à l'entrée.
La forêt remplit une grande partie de la zone et entoure un grand lac au centre dans lequel vient se jeter un ruisseau. Je suis impressionnée par tous les détails du décor produit par le simulateur.
— Si on longe la falaise, on gagnera beaucoup de temps, affirme Neven en suivant du bout du doigt l'itinéraire en question.
— Mais on serait à découvert durant toute la progression, rétorque la fille aux cheveux courts, alors que si on passe par la forêt au milieu, on sera protégés.
— Mais on perdra trop de temps. Et on ne sait pas ce qu'il y a entre les arbres. Quelque chose pourrait nous ralentir.
Neven semble sûr de lui : il faut prendre tous les risques et miser sur la vitesse. Cependant, avancer à découvert sans moyen de repli est probablement le meilleur moyen de se faire tuer. J'observe attentivement la carte. Il doit y avoir une autre alternative.
— On peut passer par au-dessus, dis-je finalement.
Je sens tous les regards se poser sur moi. Comme Neven, je trace un chemin sur l'hologramme. L'idée serait de sortir du plateau qui est forcément un nid à pièges pour passer par les hauteurs.
— On grimpe juste ici, la pente n'est pas très abrupte. Après, on longe le bord à une distance raisonnable jusqu'au point d'extraction. En cas de problème, on peut se mettre à couvert derrière ces grands rochers.
Au-dessus du plateau, le terrain est beaucoup moins plat et plus irrégulier. Il faudra faire plus attention, mais au moins, nous ne serons pas des proies faciles.
— Et comment on fait pour atteindre l'objectif ? me questionne Narvik.
— Une partie descendra en rappel dans la gorge pour récupérer ce qu'il nous faut, l'autre montera la garde au-dessus et assure le repli, dis-je avec assurance.
Alec reste parfaitement silencieux. Il veut nous voir à l'œuvre, noter nos capacités à établir un plan par nous-même. Mais j'imagine qu'il le modifiera s'il est trop catastrophique, rien que pour sauver son honneur auprès de ses alter-ego qui doivent être en train d'étudier le même plan de leur côté.
— C'est audacieux, mais pas complètement irréfléchi, finit par dire notre capitaine.
— Ça peut marcher, approuve la fille aux cheveux courts.
Eh bien, cette partie était en chantier depuis un moment ! J'avais envie de garder cette idée du simulacre mais j'avais besoin de le travailler davantage dans ma tête et pour cela j'ai fait vla des recherches sur la technologie et la neuropsychologie pour essayer d'être un minimum cohérente. Franchement, ce roman m'en aura appris des choses ! Comme d'habitude, je vous remercie encore pour vos lectures, commentaires et votes ! On se retrouve bientôt pour la suite qui vous verrez ressembleras beaucoup à la première version, à quelques détails près :3
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