Chapitre 6 : Nuit blanche

Je ne sais pas trop ce qui m'a pris de lui demander de rester avec moi, mais je sais que je n'avais pas le courage de rester seule de peur de me rendormir. Je ne voulais pas retourner à mes cauchemars remplie de Ben, de sa rage, et de ses poings.

Quand je vois Jason assis aussi loin que possible de moi, visiblement mal à l'aise et nerveux, je ne regrette bizarrement pas de lui avoir demandé. Il me fait oublier un instant ma situation, me donne envie de ne penser à rien d'autre que lui, juste un moment. Je brise le silence la première quand je vois qu'il ne va pas le faire. Une question me tourne dans la tête depuis qu'on est sortie des urgences.

― Qu'est-ce que vous faisiez à l'hôpital ce soir ? Vous travailliez ?

― Pas exactement, m'avoue-t-il en tournant la tête vers moi. J'ai dû emmener mon coéquipier aux urgences.

Surprise par sa réponse je me redresse et m'adosse un peu plus à la tête de lit avant de me tourner légèrement vers lui. Je m'imagine déjà le pire, qui sait s'il ne sait pas fait tirer dessus, renverser par une voiture qui tentait de leur échapper, ou je ne sais quoi d'autre.

― Il s'est passé quelque chose pendant que vous étiez en train de bosser ? Est-ce qu'il va bien ? je m'empresse de demander.

Jason me surprend en riant doucement, je pense d'abord que j'ai dit quelque chose de stupide et baisse la tête honteuse, mais je comprends vite que je me trompe quand il me répond.

― On avait fini de bosser en fait. Une journée pas forcément facile, ou tout aurait pu mal tourner pour différentes raisons, pourtant tout c'est bien passé pour nous. Mais en sortant du poste, Griffin -mon coéquipier- c'est un peu trop précipité dans les marches et a glissé. Cet homme c'est déjà pris des balles à différent endroit, et c'est en tombant sur le c... sur le derrière, se reprend-il comme s'il allait m'offusquer, que je l'ai entendu le plus jurer et insulter la terre entière, plaisante-t-il en souriant et en ancrant son regard au mien.

Je détourne rapidement les yeux et les plantent sur mes mains croisées sur mes cuisses.

― Il a quelque chose de grave ?

Il rit à nouveau avant de me répondre.

― Un énorme hématome au coccyx et une sacrée fêlure à son égo, je pense. Rien de grave, il se remettra vite sur pieds.

― Mais vous êtes parti sans lui ? Il ne doit sûrement pas avoir besoin de passer la nuit là-bas pour un simple bleu, si ?

Je commence déjà à me sentir coupable à l'idée qu'il ait laissé son coéquipier se débrouiller seul pour rentrer simplement pour s'occuper de moi. J'ose à nouveau tourner la tête vers lui. Il me regarde toujours de la même façon, ses yeux passent en revu mon visage, je suis presque certaine de voir sa mâchoire se serrer quand son regard se pose sur mon arcade mais il passe rapidement outre avant de me répondre.

― Sa femme venait d'arriver, c'est elle qui l'a ramené chez eux. J'allais partir quand...

Je vois qu'il hésite à continuer, je comprends rapidement qu'il est resté pour moi. Reste à savoir comment il a pu voir qu'il y avait un problème avant même de me voir.

― J'étais prêt à sortir quand je vous ai vu arriver avec Ben.

― Comment...

Je ne termine pas ma question mais je sais qu'il devine ce que je veux lui demander. Cette fois-ci il est celui qui détourne le regard, il se passe une main dans les cheveux, avant de me fixer à nouveau.

― J'ai vu la façon dont vous avez réagi quand il a passé son bras autour de vous, même à plusieurs mètres j'ai pu sentir votre tension. Et la façon dont lui se tenait... c'était juste visible que quelque chose clochait quand on a l'habitude de voir ce genre d'individu. Je suis retourné m'assoir et j'ai attendu de voir ce qui allait se passer. Je pense que j'ai eu confirmation que quelque chose n'allait pas dès que j'ai vu comment vous vous comportiez, la peur dans votre regard quand vous regardiez dans sa direction. Vous connaissez la suite.

J'hoche la tête, la suite nous a menés ici, dans sa chambre à parler à je ne sais quelle heure au milieu de la nuit. Je laisse le silence s'installer à nouveau, caressant le chien qui dort profondément sur mes cuisses.

― Quel âge vous avez ? demande-t-il en se décalant finalement pour déposer sa deuxième jambe sur le matelas.

― J'ai eu vingt et un aujourd'hui, ou plutôt hier. Et vous ?

Il fronce les sourcils un instant avant de mordre sa lèvre et de baisser le regard.

― Trente-trois.

― Vous faites plus jeune, je laisse échapper.

Il me regarde aussitôt, un sourire aux lèvres, avant de me remercier pendant que je rougis sans raison. Il ne me fait pas de remarque, se contente de continuer à me sourire avant de soudainement décoller de la tête de lit et de retourner complètement vers moi.

― Est-ce que vous avez envie de parler de ce qui s'est passé ? Pas seulement de cette nuit, mais de tout ?

Sa question me surprend un instant, mais je ne prends pas longtemps avant de secouer négativement la tête. Je n'ai absolument pas envie d'en parler maintenant, surtout en sachant que je devrais le faire quand j'irai déposer ma plainte demain au poste. Cette nuit j'ai juste envie d'oublier pour chasser les cauchemars, comme je l'avais prévu en lui demandant de rester avec moi. Il n'a pas l'air déçu ou contrarier que je refuse, au contraire, j'ai bien l'impression qu'il est soulagé. Il acquiesce et descend rapidement du lit avant de venir de mon côté et de me tendre sa main. Je la regarde, confuse, avant de redresser la tête pour regarder son visage. Il se mord la lèvre avant de retirer sa main en s'excusant.

― Vous avez envie de penser à autre chose, je me trompe ?

Je secoue la tête. Non, il ne se trompe pas.

― Venez, je pense que rester au lit n'aidera pas. On sera mieux au salon.

― Van Gogh dort.

Je caresse encore le chien pour prouver mes dires alors que Jason sourit.

― Au vu du nombre de fois qu'il m'a réveillé pendant la nuit, je pense qu'on sera quitte, ne vous inquiétez pas pour lui.

J'hésite encore une seconde avant d'accepter et de me lever en essayant un maximum de ne pas déranger la bête. Mais c'est peine perdue, il se réveille aussitôt, redressant les oreilles et tournant la tête pour voir ce qu'il se passe. Quand il se rend compte que tout va bien, il saute du lit et sort de la chambre sans nous prêter la moindre attention.

― Vous voyez ? Il ne vous en veut même pas.

Je souris avant de suivre Jason qui emprunte la même direction que Van Gogh. Quand j'arrive près du canapé il est en train de débarrasser la table basse de son ordinateur et de tout ce qui se trouve près de celui-ci. Il me propose de m'assoir puis disparait vers la cuisine pendant un moment. Je prends le temps de regarder autour de moi. Son meuble télé en face de moi est entouré de deux bibliothèques remplie de livres. Je me lève, curieuse de découvrir les ouvrages qui s'y trouvent. Je ne connais aucun des livres qui me font face, mais je devine rien qu'aux titres qu'ils ont l'air d'être des romans policiers. J'en attrape un au hasard et lis la quatrième de couverture qui me confirme ce que je pensais.

Quand j'entends Jason revenir dans le salon, je lui demande sans me retourner :

― Vous devez résoudre des enquêtes à longueur de journée, arrêter les méchants, et votre genre préféré sont les polars ? Vous n'en avez pas marre ?

Je me retourne et le découvre en train de déposer un festin sur la table basse, j'aperçois du pop-corn, des chips, des M&M's et Reese's. Mon ventre gronde en voyant tout ça alors que je ne pensais même pas avoir faim. Je redresse la tête vers Jason, la confusion doit se lire sur mon visage puisqu'il n'attend pas que je demande quoi que ce soit avant de prendre la parole.

― Une séance cinéma ne peut pas se faire sans avoir de quoi manger.

Le sourire qu'il me lance est contagieux, je ne peux pas retenir le mien. Je ne sais pas quand était la dernière fois où j'ai souri autant de fois en si peu de temps mais ça me fait du bien, je me sens plus légère, et même si ce n'est que l'histoire d'une soirée, ou plutôt d'une nuit, je compte bien en profiter avant que la réalité ne vienne frapper à nouveau à ma porte.

― Et pour répondre à votre question, je n'en ai absolument pas marre. J'adore ces romans. C'est différent de mon boulot, bizarrement ils me détendent, et puis ils peuvent me donner des idées dans certaines enquêtes. Même si c'est plutôt rare.

― En réalité vous travaillez, même quand vous ne travaillez pas c'est ça ? Quand vous ne resolvez pas vos enquêtes dans la vraie vie, vous tentez de le faire chez vous avec ces livres ?

Il ricane avant d'hocher la tête.

― C'est ça. Apparemment je suis un accro du boulot, mais tant que je ne partage pas ma vie c'est la seule chose que j'ai à faire.

― Mais si vous passez votre temps au boulot ou dans vos bouquins plutôt que de chercher quelqu'un vous ne risquez pas de trouver qui que ce soit pour la partager.

― J'ai arrêté de chercher, m'avoue-t-il en haussant les épaules.

― Pourquoi ? je demande sans filtrer.

Jason à l'air aussi surpris que moi par ma question, il me fixe un instant, ouvre puis ferme la bouche.

― Désolée, ça ne me regarde pas. Je m'incruste suffisamment dans votre vie privée, je ne vais pas non plus vous en demander les détails.

― Ça ne me dérange pas. Vous ne me dérangez pas Aisling, précise-t-il. Si vous raconter ma vie peut vous faire penser à autre chose alors je serais ravie de le faire. Il risque de ne pas y avoir énormément de chose à raconter en revanche alors je ne sais pas combien de temps ça pourrait vous distraire, ajoute-t-il avec un clin d'œil.

Je baisse la tête et ne réponds pas alors que je sens mes joues rougirent. Cet homme a définitivement le don de me déstabiliser, de manière totalement différente de ce que j'ai vécu jusqu'à présent. Et cette nuit j'ai bien l'intention de profiter de cette confiance étrange que je ressens en sa présence.

― J'ai arrêté de chercher quelqu'un avec qui partager ma vie après une mauvaise rupture.

Il brise le silence et me fait redresser la tête. Il s'éloigne vers la cuisine sans m'en dire davantage alors je décide de le suivre. Il est devant le frigo ouvert à récupérer je ne sais quoi. Il a dû sentir que je le suivais car il continue à m'expliquer.

― Après deux ans de relation la femme avec qui je pensais passer le reste de ma vie m'a quitté du jour au lendemain.

Il s'éloigne du frigo et me tend plusieurs bouteilles, deux de sodas, deux d'eau, puis il se penche à nouveau et recule avec un deux bouteilles de bières.

― Vous en prendrez une ?

Je le regarde lui, puis la bouteille avant de pincer les lèvres afin d'éviter un sourire.

― Je n'ai jamais goûté.

Jason sourit, pose les bouteilles sur l'îlot centrale puis se tourne vers moi en croisant les bras sur son torse, laissant les muscles de ses bras saillirent. Je les observe un instant avant de retourner mon regard au sien.

― Vraiment ? demande-t-il.

J'hoche la tête alors qu'il sourit davantage.

― Je ne suis pas de service vous savez ? Et même si je l'étais, les petits délits ce n'est pas vraiment mon secteur. Alors vous me dîtes que vous n'avez jamais goûté parce qu'ayant eu vingt et un an seulement hier ça aurait été un délit d'en boire avant ça puisque vous n'aviez pas l'âge requis ? Ou bien vous me dites la vérité ?

Je ricane quelques secondes, pas réellement surprise de voir qu'il ait vu mon mensonge aussi facilement.

― J'y aie peut-être goûté quand j'avais seize ans, j'avoue alors, peut-être aussi à dix-sept, définitivement à dix-huit...

Jason se marre et secoue la tête avant d'attraper à nouveau les bouteilles et de se diriger vers moi pour retourner vers le salon. Il dépose le tout sur la table près des snacks et je l'imite avec les bouteilles que je tiens toujours. Je m'installe ensuite sur le canapé tandis qu'il récupère deux télécommandes près de la télé, avant de venir s'assoir à son tour, à l'autre bout.

― Pourquoi elle vous a quitté ?

Je suis curieuse de connaître la suite de l'histoire même si je ne devrais peut-être pas. Mais il l'a dit lui-même, s'il peut me distraire ça ne le dérange pas de me raconter. Il n'a d'ailleurs pas l'air surpris que je continue de lui poser des questions et y répond sans hésiter.

― L'excuse officieuse était qu'elle ne supportait plus mon métier, qu'elle en avait marre de toujours avoir peur de recevoir un appel qui lui dirait que je me trouve à l'hôpital, ou à la morgue. Je ne pouvais pas lui en vouloir pour ça, je ne demanderais jamais à une femme de rester si cette crainte devenait un fléau constant pour elle. Je connais les risques de mon métier et elle les connaissait aussi quand on a commencé à se fréquenter. Mais quelques jours après son départ j'ai découvert la raison officielle.

Jason se penche pour attraper les bières avant d'en ouvrir une puis de me la tendre. Je l'accepte en le remerciant et avale une gorgée pendant qu'il fait pareil avec sa bouteille.

― La raison officielle donc ? je l'encourage à continuer en espérant ne pas dépasser les limites.

― C'était plus facile de me mentir plutôt que de m'annoncer qu'elle avait une aventure avec un de mes collègues depuis plusieurs mois.

― Merde.

Jason rit sans joie avant de ramener sa bouteille à ses lèvres et d'avaler une nouvelle gorgée.

― J'ai été un peu moins poli en l'apprenant, plaisante-t-il. Mais c'est du passé, ils sont toujours ensemble et vont bientôt se marier, s'ils sont heureux alors tant mieux. On n'était clairement pas fait pour être ensemble si cela a été aussi facile pour elle de me mentir. J'aurais préféré qu'elle parte sans m'avoir trompé c'est tout.

― Ça s'est passé il y a combien de temps ?

― Un peu plus de deux ans.

Je lève ma bouteille dans sa direction pour trinquer, il hausse d'abord un sourcil avant de lever la sienne dans ma direction.

― Aux ex sans morale, j'annonce alors.

Il hésite un instant, cherche peut-être à voir mon état d'esprit, si je vais craquer ou je ne sais quoi, mais quand il a l'air décidé il tape sa bouteille contre la mienne et répète.

― Aux ex sans morale. Et à ceux qui se reconstruisent malgré tout après ça.

Il me fait un nouveau clin d'œil puis se tourne vers la télévision pour finalement l'allumer. Je ne sais pas encore si je vais réussir à me reconstruire, je ne sais même pas où je serais demain, mais je préfère mettre de côté cette question pour l'instant et me concentre sur le choix du film que l'on va regarder.

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