Chapitre 12 : C'est l'heure
Jason
Voir Aisling l'air totalement insouciante alors qu'elle s'amuse à jeter la balle de Van Gogh depuis une dizaine de minutes me remplie de joie. Elle a l'air un peu plus libre depuis qu'on est arrivé ici pour lâcher mon fauve et le laisser courir à son gré. Elle était tendue en sortant de l'appartement, je n'ai pas pu louper ses coups d'œil incessant autour d'elle, mais je ne lui en ai pas fait la remarque. Je me suis contenté de lui parler sans cesse afin qu'elle pense à autre chose, et je sais que cela a fonctionné quand elle a peu à peu arrêté de vérifier les alentours et qu'elle s'est contentée de me faire la conversation en retour.
Maintenant assis sur un banc à l'observer, je réfléchis à la façon dont je pourrais lui proposer de rester en contact après cette journée qui s'annonce désagréable. Une fois qu'on se mettra en route pour le poste je sais parfaitement que cette bonne humeur, dans laquelle elle semble être, disparaitra. Après ça je ne sais pas dans quel état elle sera, probablement pas très bon, et avec ça je doute réussir à lui parler aussi facilement que maintenant. Je pense donc essayer de lui parler avant que l'on ne sorte du parc, et je trouve rapidement comment lui proposer, quand, en mettant une main dans ma poche, je sens le bout de papier que j'y ai glissé un peu plus tôt.
Aisling vient s'assoir sur le banc, laissant suffisamment de distance entre nous pour que je ne puisse pas la toucher. Ça me sert toujours le cœur, mais pas parce qu'elle ne me fait pas confiance, simplement parce que c'est un rappel constant de voir à quel point ce Ben l'a brisé. J'essaie de ne pas y penser quand je vois tout de même son sourire quand elle me regarde un instant avant de détourner le regard vers Van Gogh qui arrive à nos pieds et se couche, exténué. Je sors le bout de papier et le tends vers elle, laissant suffisant de place pour qu'elle l'attrape sans avoir à me toucher.
― Sarah a laissé ça pour toi.
Aisling tourne la tête vers moi et attrape le papier sans poser de question, elle le regarde un instant et son sourire s'affaisse. Je ne comprends pas pourquoi voir le numéro de mon amie la rend soudainement triste, je m'apprête à poser la question quand elle me devance en m'expliquant sans jamais me regarder.
― Elle m'a dit qu'elle me le donnerait, mais je n'ai pas osé lui dire que je n'avais pas de portable. J'ai peur qu'elle pense que je ne veux rien à voir à faire avec elle quand elle ne recevra pas de nouvelle de ma part. Mais j'aimerai vraiment lui parler à nouveau, enfin si ça ne te dérange pas, continue-t-elle en tournant la tête vers moi.
― Pourquoi ça me dérangerait ?
― C'est ton amie, je ne veux pas que tu penses que je m'immisce dans ta vie après... après que tu m'aies déposé.
Je comprends mieux sa crainte, mais au contraire de ce qu'elle peut penser, je n'ai aucun problème à ce qu'elle s'immisce dans ma vie.
― C'est mon amie, c'est vrai, mais je n'ai aucun problème à ce qu'elle devienne la tienne. Je pense que vous pouvez bien vous entendre.
Aisling sourit à nouveau ce qui me ravit.
― Je pense aussi qu'on pourrait s'entendre, je l'aime bien. Je sais que je n'ai passé que quelques minutes avec elle mais je me suis sentie à l'aise rapidement et accepté pour la première fois depuis longtemps.
J'hoche la tête comprenant parfaitement ce qu'elle a pu ressentir. Sarah a ce don de faire en sorte que les gens se sentent bien en sa présence, même en peu de temps, j'en ai été témoin au fil des années.
― Je lui dirais que tu n'as pas de portable pour le moment, ne t'inquiètes pas elle comprendra. Même si tu la contactes dans plusieurs jours, voir plusieurs semaines, elle sera toujours ravie d'avoir de tes nouvelles. Et moi aussi, j'ajoute en attendant de voir sa réaction.
Aisling n'a pas l'air de comprendre où je veux en venir alors je décide de prendre enfin mon courage à deux mains et de lui parler franchement de ce que à quoi je réfléchis depuis ce matin, ou même cette nuit vraiment.
― J'aimerais aussi avoir de tes nouvelles, rester en contact. Je peux te donner mon numéro si tu as besoin de me contacter en urgence pour n'importe quelle raison. Mais je pourrais aussi... peut-être passer te voir ? Juste pour parler, et on pourrait sortir aussi... enfin si tu en as envie.
Elle fronce un instant les sourcils puis grimace et s'arrête aussitôt à cause de la douleur clairement visible à son arcade. Je regrette de ne pas avoir penser à lui donner un anti-douleur ce matin, elle doit souffrir le martyr, ne serait-ce même que dans ses côtes malgré qu'elle fasse tout pour ne pas le montrer.
― Tu en as vraiment envie ?
Ce doute que je lis dans son regard me pince une nouvelle fois le cœur. Elle a encore une fois si peu confiance en elle qu'elle pense sûrement que je me force. Si elle savait...
J'hoche simplement la tête en souriant, j'aurais beau lui faire une réponse élaborée en lui expliquant toutes les raisons qui me donnent envie de la connaitre davantage et de passer du temps avec elle, je suis sûr qu'elle ne me croirait pas. Ce petit sourire timide qui commence à m'être familier apparait alors tandis qu'elle m'annonce qu'elle aimerait bien, elle aussi, que l'on continue de se voir. J'évite de montrer ce que je ressens vraiment à la suite de sa réponse, ou je serais surement en train d'exercer la danse de la victoire devant elle, ce qui ne serait probablement pas très séduisant.
Quand j'ai finalement annoncé à Aisling qu'il était temps de partir pour le poste, à peine une heure après notre sortie dans le parc, celle-ci à commencer à se renfermer petit à petit, au point de ne plus avoir décroché un mot depuis que l'on est rentré dans ma voiture. On est désormais sur le trottoir devant le poste, les passants nous évitant de justesse pour continuer leur chemin d'un côté ou d'un autre, alors qu'Aisling à mes côtés marche de plus en plus lentement. Je sens la tension irradiée de tout son corps alors qu'elle fait un pas après l'autre, regardant au sol. Puis, alors qu'il ne reste que deux pas à faire pour que j'ouvre la porte, Aisling fait soudain demi-tour et s'éloigne rapidement. Je la rattrape avant qu'elle ne disparaisse parmi la foule et la suis jusqu'à ce qu'elle s'arrête dans un coin calme retiré de la rue principale. Je m'arrête devant elle et mon cœur se brise quand elle relève la tête et que les larmes dévalent ses joues à grande vitesse sans vouloir s'arrêter. Son corps est raide, sa respiration s'accélère et ses yeux s'écarquillent alors qu'elle passe une main sur son cou. Je devine rapidement qu'elle n'arrive plus à respirer. Elle se penche en avant et essaie de trouver son souffle alors que je m'avance automatiquement vers elle. Je m'apprête à la prendre dans mes bras mais m'arrête à la dernière seconde, je ne peux pas faire ça sans lui foutre une trouille monstre. Je dois la prévenir avant.
― Aisling ? Je vais te serrer dans mes bras. Je ne vais pas te faire de mal, je veux juste te réconforter, et t'aider à respirer, d'accord ?
Elle acquiesce en continuant de pleurer et de respirer laborieusement. Je m'approche lentement d'elle pour ne pas lui faire peur avec des mouvements trop brusque, doucement je passe mes bras autour d'elle et vient la serrer contre moi. Elle tremble horriblement, et je ne sais pas si je dois mettre ça sur le compte de ce qu'elle s'apprête à aller faire, ou bien sur le fait que je la touche. Je préfère espérer que ce n'est pas ce dernier car je n'ai pas envie de la lâcher tant qu'elle est dans cet état. Mais elle me surprend quand elle se tourne contre moi et passe ses bras autour de mon cou, s'accrochant à moi fortement et se serrant encore plus contre mon torse. Je la laisse faire et resserre ma prise autour de sa taille, caressant son dos, la laissant pleurer autant qu'elle le souhaite.
― Je ne peux pas Jason... Je ne peux pas. Je ne veux pas tout raconter, je ne veux pas qu'on sache, je ne veux pas qu'on me prenne en pitié, j'ai trop peur. Il va se venger. Je ne peux pas.
― Je sais que tu as peur. Je sais à quel point ça doit être dure pour toi. Mais pour pouvoir vivre sans lui, pour qu'il passe des années derrière les barreaux et que tu puisses enfin vivre, alors tu dois le faire. Je serais là pour toi, tout du long, je ne te laisserais pas, je te le promets. Tu ne seras plus seule. Tu ne le seras plus jamais, promis-je ensuite en pensant réellement que je passerais ma vie à ses côtés si elle en a besoin.
Petit à petit ses tremblements cessent, ses larmes se tarissent et ses sanglots diminue avant de totalement disparaître.
― Je suis désolée, dit-elle la voix étouffé par mon t-shirt.
― Il n'y a pas de mal. Tu en avais besoin.
Elle reste encore silencieuse contre moi pendant un instant avant de détacher ses bras puis de se reculer d'un pas. Je la lâche au même moment, mes bras retombant contre mes flancs. Elle me lance un sourire penaud avant de s'essuyer les joues. J'aimerais le faire pour elle, du bout des doigts, avant de passer ses cheveux derrière ses oreilles, mais je serre les poings pour éviter de le faire. Elle m'a laissé la toucher une fois, ça ne veut pas dire que je peux recommencer, et ça ne serait absolument pas approprié. Je ne peux pas laisser ce genre de pensée me monter à la tête, c'est une victime qui vient à peine de s'en sortir et qui est encore loin d'une vie normale.
― Est-ce que tu es prête ?
― Non, répond-elle en secouant la tête. Mais je n'ai pas le choix pas vrai ?
― Bien sûr que si tu as le choix, tu l'auras toujours maintenant. Personne ne peut te forcer à faire ça, mais si tu veux vivre en paix alors c'est le mieux à faire. Mais si tu décides que tu ne veux pas alors on peut retourner dans ma voiture tout de suite, et je t'emmène où tu en as envie.
Ses épaules s'affaissent un moment avant qu'elle ne prenne une longue inspiration qu'elle relâche doucement. Quand son regard croise à nouveau le mien, elle a l'air décidé et un peu plus forte que quelques minutes plus tôt.
― Je vais le faire.
J'acquiesce sans un mot, évitant de lui dire qu'elle prend la bonne décision et que c'est la meilleure solution. Je reste au plus proche d'elle quand on marche jusqu'à l'entrée du poste. Nos épaules se frôlent mais si Aisling s'en rend compte, elle ne bouge pas. Au contraire, j'ai presque l'impression qu'elle se penche davantage contre moi à chaque pas. J'aimerai passer un bras autour de ses épaules et la soutenir, mais je me retiens une nouvelle fois.
Je salue plusieurs de mes collègues en entrant. Certains me regardent avec un œil curieux -je ne suis pas censé être ici aujourd'hui après tout-, d'autre qui sont intervenus hier à l'hôpital me regardent avec un œil connaisseur. Je dirige Aisling rapidement vers une salle privée faisant signe au passage à une de mes collègues féminines pour qu'elle vienne prendre sa déposition, en sachant parfaitement qu'Aisling sera plus en confiance avec une femme qu'un homme.
Quand on est tout les trois assis et que ma collègue ait été mise au courant de la situation, j'indique à Aisling qu'on va commencer. Mais avant même qu'on ne lui pose la première question, cette dernière tourne la tête dans ma direction et secoue la tête. J'ai peur qu'elle change d'avis, ce qui ne serait pas bon, Ben doit payer pour ce qu'il lui a fait subir. Mais le seul changement qu'elle souhaite effectuer vient de moi.
― Est-ce que tu peux sortir s'il te plait ?
Elle rougit et baisse la tête tandis que mon estomac se serre, je lui ai promis que je serais avec elle tout du long, mais maintenant elle ne veut plus de moi ? Je m'apprête à lui répondre quand elle relève de nouveau le regard vers moi et continue.
― Je ne veux pas que tu aies à entendre ça, pas alors que tu veux continuer à me voir après, dit-elle en rougissant davantage. Je t'en parlerais quand je serais prête, si je le suis un jour. Mais pas aujourd'hui, pas maintenant, s'il te plait.
J'acquiesce en comprenant parfaitement, la douleur au ventre se calmant légèrement, je peux faire ça pour elle, même si j'aurais aimé être là et la soutenir. Je me lève donc et frôle ses doigts du bout des miens sans penser avant. Un geste pour lui montrer que je suis là. Je m'apprête à la voir sursauter et se recroqueviller, mais elle me surprend une nouvelle fois quand elle ne bouge pas. Elle a l'air aussi surprise que moi, elle regarde ses doigts puis ma main avant de planter son regard dans le mien et sourire.
Ça doit vouloir dire quelque chose, non ?
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