Chapitre 3: A jamais réunies
Kaya
Les yeux de Kaya fixaient les murs blancs qui, maintenant, constituaient son monde. Les seules touches de gaieté sur ces cloisons immaculées étaient les dessins qu'elle avait fait accrocher. De simples gribouillages ou de banals paysages colorés, ils l'emplissaient de joie. C'étaient les preuves que l'amour existait encore dans son univers monotone et triste.
Plusieurs photos ornaient aussi ces barrières qui la séparaient de ceux qu'elle aimait et du monde où elle vivait. Elles avaient immortalisé les plus merveilleux moments de sa vie ainsi que les personnes qui égayaient celle-ci.
Celle à laquelle elle tenait le plus était la photographie qui représentait Loralai. Elle la montrait, souriante, heureuse, à marcher sur un chemin cerné d'arbres en fleurs. Les rayons de soleil, se reflétant sur les pétales qui valsaient au vent, faisaient pâle figure à côté du sourire radieux de Loralai. C'était un de ces rares moments où elle était sortie de sa prison blanche... Un des rares moments où elle et Kaya avaient pu profiter des petits bonheurs de la vie. Comme deux personnes normales...
Bien que plusieurs années s'étaient écoulées depuis que Loralai avait rejoint la mort, Kaya n'avait cessé de penser à elle. Comment l'oublier, cette ange ? Comment oublier le lien qui les unissait ?
Lorsqu'elle avait dû accepter cette réalité où Loralai n'était plus qu'un souvenir alimenté par une pierre tombale et quelques photos, Kaya s'était écroulée. Sa vie n'avait plus aucun sens désormais. Elle avait perdu tout ce qui la retenait...
Elle avait voulu en finir avec la vie.
Mais qui était-elle, jeune femme intelligente, aisée, en bonne santé, pour désirer cela ?
Certes, elle était emplie de chagrin. Toutefois, elle ne connaissait rien à la vie. Là où elle habitait dans une maison, d'autres dormaient sous des porches. Là où elle mangeait à sa faim, d'autres se nourrissaient de minimes trouvailles comestibles. Là où elle respirait la force et la santé, d'autres supportaient les prothèses et les soins quotidiens.
En somme, elle méconnaissait la vie et ses leçons qui en mettaient certains à terre.
C'est donc submergée de tristesse et consumée par l'affliction qu'elle a continué de marcher sur le chemin de l'existence. Au fil de sa marche, des personnes entraient et sortaient de sa vie, sans n'avoir jamais remplacé Loralai. Au fil du temps qui s'écoulait, des saisons qui passaient, Kaya se métamorphosait pour passer de jeune femme rongée par le deuil à femme épanouie, gardant néanmoins des séquelles de sa mélancolie. Son visage d'antan, où se devinaient les larmes qu'elle n'avait cessées de verser, était devenu ridé, camouflant les preuves de son désespoir. Ses cheveux d'ébène avaient pris la même couleur que l'âme de Kaya. Ils étaient devenus gris...
Et, aujourd'hui, même si elle avait envisagé de se soustraire à la vie, elle ne regrettait nullement d'avoir continué. Après tout, elle était bien placée pour savoir que vieillir est un privilège refusé à beaucoup... Et aujourd'hui, à l'âge où la silhouette de la mort se dessinait à l'horizon, sa vie était comblée.
Elle avait aussi eu la chance de rencontrer des personnes qui avaient su lui redonner le goût de vivre. Et puis, à son tour, elle l'a donnée, la vie.
Des enfants magnifiques, qu'elle chérissait de tout son coeur, leur offrant l'amour qu'il lui restait, celui qu'elle n'avait pas pu donner à Loralai.
C'étaient eux qui avaient égayé sa chambre d'hôpital. Eux ainsi que leurs enfants. Leurs dessins, leurs créations, lui avaient permis de ne pas sombrer dans les regrets et la déprime quand, trop faible pour s'occuper d'elle-même et de sa santé dégradante, elle avait dû remettre sa vie entre les mains de ceux qu'elle détestait. Entre les mains de ceux qui avaient écourté la vie de Loralai...
Cette chambre, ces murs, ces odeurs, ces gens qui se voulaient compatissants... Tout cela lui rappelait l'époque où sa moitié était encore à ses côtés. Était encore là pour lui tenir la main.
Elle éprouvait enfin toutes les émotions quotidiennes de Loralai. Excepté la solitude et l'absence de soutien et d'amour de la part des proches...
Et cela lui brisait le coeur... Pourquoi Loralai, une femme magnifique, un ange tombé du ciel, avait subi les pires penchants, les pires défauts, de l'humanité ?
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Un cri de surprise franchit les lèvres de Kaya lorsqu'elle vit ce qui se trouvait en face d'elle. Des couleurs avaient remplacé son monde blanc. Le plafond terne de l'hôpital avait laissé sa place à un ciel épuré de toute souillure. Elle n'était plus allongée sur son lit, à regarder les traits bleus qui s'affichaient sur l'écran, témoins des battements de son vieux coeur. Au lieu de cela, elle admirait l'incarnation de la beauté.
Devant elle, s'étendait le paradis.
Le ciel était une aquarelle de somptuosité. Il était d'un bleu sombre où se dessinaient parfois des nuages de violet et de rose pâle. Ces derniers détonaient dans ce camaïeu de bleu.
La maitresse de cet empyrée trônait au milieu de celui-ci, illuminant son royaume. Elle était entourée par ses sujets, formant ainsi une immense cour étincelante.
Sous la voûte, la terre était envahie par l'herbe. Les brins, d'un vert sombre, qui semblaient refléter les magnifiques couleurs du ciel, dansaient, portés par la brise qui soufflait.
Mais ce qui était le plus fantastique, malgré la magnificence hors de commun de ce paysage, étaient les lanternes qui reposaient dans cette mer d'herbe. Elle resplendissaient d'un feu imaginaire, détonant dans ce panorama d'un soir.
Un sourire courba les fines lèvres gercées de Kaya. Les larmes lui montaient aux yeux. Comment ne pas être émue devant cette parfaite représentation de la beauté ?
— Tu dois être Kaya.
La vieille femme sursauta, surprise par cette voix qui venait de parler. Son regard quitta la splendeur qu'elle contemplait et vint se poser sur le visage de celle qui avait prononcé ces mots. Malgré la beauté de ce dernier, Kaya ne remarqua qu'une unique chose : le voile qui camouflait la moitié du visage de la jeune femme et qui voletait au vent. Il voguait entre ses arabesques et, suivant les mouvements de la brise, des ombres s'esquissaient sur le tissu. Elles formaient des traits qui ne ressemblaient en rien à un visage.
— Voudrais-tu bien me suivre, ma belle enfant ?
Un sourire mélancolique étira les lèvres de la jeune femme.
Kaya fut d'abord étonnée par le surnom qu'elle lui avait attribué. Elle n'avait rien d'une enfant. Et encore moins d'une belle enfant.
Sa vie se lisait sur ses traits. Elle les avait sculptés, ainsi que ses peines et ses regrets. Et elle savait que ses yeux ne brillaient plus de la lueur enfantine qui vivait en chaque enfant. C'était elle qu'elle s'était employée à faire grandir lorsqu'elle s'occupait des siens.
— Quelqu'un t'attend. Elle guette depuis longtemps le jour de ton arrivée. Bien qu'elle refuse de s'avouer qu'elle souhaite que tu la rejoignes et que tu m'embrasses.
La jeune femme n'avait pas cité de nom, pourtant Kaya avait deviné de qui elle parlait. Quelques larmes mouillèrent ses joues. Ce qui n'empêchait pas un immense sourire d'ensoleiller son visage marqué par les ans.
Kaya venait aussi de comprendre qui était la femme devant elle.
Alors, elle lui emboita le pas, sans regarder en arrière. Elle n'ignorait pas la tristesse qu'engendrera son acte, cependant, elle se savait inutile. Plus personne n'avait un besoin réel de sa personne. En revanche, elle, elle avait besoin de celle qu'elle aimait.
Quelques minutes auparavant, Loralai.
— Loralai ?
A l'entente de son prénom, l'interpellée arrêta de parler, faisant cesser le flot de mots qui s'écoulait de sa bouche. Les enfants, assis en rond autour d'elle, soufflèrent de mécontentement, déçus de ne pas connaitre la fin de l'histoire qu'ils lui avaient réclamée.
Lorsqu'ils étaient venus la voir, petite troupe de joie, Loralai n'avait pu refuser leur demande. Comment pouvait-elle éconduire ces petites âmes qui ne demandaient qu'à être diverties et qui voulaient simplement oublier les absences qui remplissaient leur vie ? L'absence d'un père, l'absence d'une mère. L'absence d'une famille et d'amour, tout ce dont un enfant avait besoin pour que le bonheur conquière son corps et qu'un sourire fleurisse sur ses lèvres.
Alors si elle pouvait leur en insuffler une, de chaleur d'amour, elle n'hésiterait pas une seule seconde.
— Je suis désolée mes enfants, s'excusa Nephtys, mais promis, je vous ramène Loralai très vite.
Cette dernière se leva pour suivre la souveraine qui s'éloignait de la tribu enfantine. Elle se retourna un instant pour adresser un grand sourire et un petit geste de la main aux enfants puis se reconcentra sur celle qui marchait en face d'elle.
Elle s'abstînt de poser des questions, malgré sa curiosité montante. Elle se laissa guider, à travers les paysages qu'elle avait, au fil du temps qui s'écoulait, appris à connaitre.
Cela faisait maintenant plusieurs années qu'elle se trouvait ici. Elle avait erré longtemps dans ce monde, sans but. Aujourd'hui, elle en connaissait chaque recoin, chaque âme et surtout chaque secret. Elle avait découvert mille et une choses qui l'avaient ébahie ou attristée.
Au premier abord, ce monde pouvait paraitre joyeux et féérique, mais quand on cherchait plus loin que la surface, on exhumait l'envers du décor. Comme les enfants qui avaient perdu leurs parents... Ou alors ces âmes, auparavant représentées par une rose grise, qui avaient abandonné derrière elles celle qui les maintenait vers le haut. Ou celle qui partageait leurs tourments...
Elle avait également appris, qu'en plus des roses, un autre évènement reliait le monde des vivants à celui de Nephtys et marquait la douce accolade que la souveraine accordait à certain.
Pour cela, il suffisait de lever la tête et de regarder les merveilles qu'abritait le ciel.
Lorsqu'une étoile filait à travers l'éther, laissant dans son sillage un filament d'or, cela signifiait qu'une nouvelle âme venait d'entrer dans le royaume. D'après les rumeurs qui couraient, l'étoile qui incarnait la personne venant de mourir serait plus brillante pour quelques-unes des âmes peuplant ces terres. Ceux qui la voyaient ainsi étaient les proches du défunt. Ils sauraient aussi qui était exactement ce dernier.
Loralai n'avait jamais pu vérifier ces dires. Après tout, la seule personne de qui elle était proche était Kaya. Et elle était persuadée que cette dernière avait encore une longue et belle vie devant elle.
— Voudrais-tu bien m'attendre ici, Loralai ? demanda soudain Nephtys en la sortant de ses pensées.
Loralai regarda autour d'elle, stupéfaite par la demande de la souveraine. Mais avant qu'elle n'ait pu protester, Nephtys avait disparu.
Celle qui régnait sur ce royaume l'avait laissée au milieu d'une plaine, aux couleurs du crépuscules.
L'herbe à ses pieds avait revêtu son manteau de nuit et une douce brise berçait les pousses vertes.
Au-dessus de sa tête, le ciel était identique à une palette de peinture où différentes teintes de bleu se seraient mélangées. A quelques endroits, le violet et le rose pâle venaient rejoindre le bleu.
Un pinceau imaginaire semblait avoir mouillé ses poils dans cette panoplie de couleurs, laissant derrière lui des points scintillants ou des trainées d'argent.
Un de ces trainées brillait plus fort que ses compagnes. Le regard de Loralai s'y accrocha, toujours ébloui par ce spectacle dont elle ne lassait pas.
Soudain, une intuition inonda son esprit. Elle se résumait en un mot.
Ou plutôt, en un prénom.
Kaya...
© 2023 Sélène Rivers
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