Chapitre 1: A jamais séparées
Kaya
Des nuages cendrés avaient inondé le ciel. Les rayons de soleil avaient été submergés, ne laissant qu'une étendue de coton gris. Les branches des arbres voletaient au gré du vent, et leurs revêtements feuillus valsaient dans l'air. Les oiseaux les plus courageux faisaient part de leurs mélodies au monde. Ces quelques notes se mêlaient aux lamentations des personnes présentes.
Du ciel, coulaient de fines larmes qui traçaient des volutes d'eau dans l'atmosphère. Cet empyrée larmoyant était le parfait reflet du visage de Kaya...
Sur ses joues s'étaient peints des chemins de tristesse. Ses larmes s'y déversaient avant de rejoindre leurs jumelles. Sa peau hâlée était trempée de ces eaux où se confondaient gouttes naturelles et pleurs de deuil...
Elle fixait le sol, cachant au reste du monde sa tristesse. Ne leur offrant que la vue de sa chevelure d'ébène.
Elle avait toujours su que ce moment allait arriver. Mais cela n'avait pas empêché une graine d'espoir de se planter dans son coeur et de germer, jusqu'à ce qu'elle espère pouvoir profiter encore quelques mois, ou même quelques jours, de cette présence si lumineuse. Cette présence qui illuminait sa vie... Qui la rendait si amusante, si belle, si joyeuse, si... parfaite...
Hélas, le destin en avait décidé autrement... Et Kaya ne possédait aucun pouvoir pour changer cela. Elle devait s'y plier, que cela lui plaise ou non.
Si seulement elle avait su combien la mort voulait l'embrasser. Peut-être aurait-elle agit autrement... Elle aurait pu lui dire à quel point son amour était grand... Lui répéter, jusqu'à s'en casser la voix, qu'elle la chérissait... Lui chanter, jusqu'à ne plus avoir de souffle, son adoration...
Aujourd'hui, c'était trop tard...
Elle ne la reverrait jamais. Elle ne pourra plus suivre du regard les milliers de tâches qui parsemaient sa peau pâle. Elle ne pourra plus écouter son rire limpide et contagieux. Elle ne pourra plus entendre sa voix si claire mais pourtant si cassée. Elle ne pourra plus admirer ses magnifiques yeux bleus qui reflétaient à la perfection son âme. A la fois si pure et si hantée...
Elle était l'incarnation de l'innocence... Elle n'était pas souillée par la laideur du monde... Comment une personne si belle pouvait-elle vivre le pire des enfers ?
Enfin... A présent, ses souffrances ont cessé... Elle connaissait enfin la paix, après des années de combats incessants...
Kaya laissa son regard voguer entre les corps rassemblés autour de sa tombe. Certains pleuraient à chaudes larmes, d'autres avaient un visage inexpressif. Comme si la mort n'était qu'une simple poussière dans l'univers... Comme si elle était insignifiante...
Elle les détestait, tous ces hypocrites... Aucun n'avait été là quand elle était au fond du gouffre. Pourquoi devraient-ils être présents maintenant ?
Elle savait qu'ils n'éprouvaient nul regret. S'ils devaient revenir en arrière, ils brilleraient toujours par leur absence, ils feraient toujours preuve de la même lâcheté pour préserver leur image. Mais la mort semblait être une meilleure attraction que la vie...
Un de ces poltrons s'avança au devant de la tombe. Il se baissa et y déposa des fleurs. Le jaune pastel des hélianthes* détonait dans cet éther funèbre. Les gouttes de pluie dévalaient les délicates courbes des pétales. La personne se releva avant de se retourner vers les invités. Kaya retint le rire amer qui monta en elle quand elle vit les larmes factices qui mouillaient les joues de ce menteur avéré.
— Ta famille, tes amis, tes collègues, tous ceux qui t'ont connue et appréciée... Tout le monde est là. Nous sommes là pour te dire adieu et te rendre un dernier hommage. Tu pars avant nous bien trop tôt, bien trop vite... Tu laisses un immense vide derrière toi. Et pour mieux surmonter ce moment douloureux, nous n'aurons qu'à nous souvenir de ton rire, de ta bonne humeur, de ta bonté et de ton éternel optimiste. Repose en paix.
Que c'était risible ! Des paroles en l'air tous ça !
De beaux mensonges à peine percevables. Cette fausseté dissimulée était comme une épine dans le coeur de Kaya. Un douloureux rappel de sa vie.
Elle avait vécu avec peu. Elle se contentait du strict minimum, en terme de matériel comme en terme d'entourage. Elle lui avait souvent dit qu'elle était la seule personne qu'elle avait laissée entrer dans sa bulle... Dans ses rêves, sa mémoire... Qu'elle était la seule étoile dans la nuit qu'était sa vie...
Mais c'était aussi vrai dans l'autre sens... Kaya ne pouvait s'imaginer sans elle...
Elle laissait un immense vide derrière elle...
Un vide dans sa vie... Un vide dans son coeur...
Irremplissable... Irréparable...
— Ta disparition nous rappelle comme une évidence que nous sommes finalement bien peu de chose et qu'il faut profiter de chaque seconde, de chaque minute ici-bas... Toi, qui savais faire beaucoup avec si peu, toi qui cultivais l'amitié et l'amour... Tu rendais ces moments rares... Comment les oublier ? Comment oublier l'amie fidèle et généreuse que tu étais ? Impossible. Ta mémoire sera toujours gravée dans nos coeurs...
Des gentianes* vinrent décorer la tombe.
De la sauge*, aux pétales froissés et abimés, vint l'orner.
— Pour certains d'entre vous, elle était une simple connaissance, une collègue, une patiente... Pour d'autres, une amie, une parente, une soeur... Toujours là, fidèle au poste. Toujours positive, optimiste, malgré les nombreuses épreuves qu'elle traversait... C'était une personne vraiment extraordinaire. Elle avait juste omis de nous dire à quel point ce serait difficile de vivre sans elle... Il me faudra sans doute longtemps avant de réaliser qu'elle est partie. C'est une perte pour nous, mais pour l'humanité aussi... On ne l'oubliera jamais... Adieu et merci pour tout.
Des mots comme des balles...
Des bouches comme des fusils...
Et des larmes comme des blessures...
Tellement de mensonges débités en si peu de temps... Tellement d'illusions tissées...
Quand ce fut son tour de lui adresser quelques phrases, Kaya se retrouva paralysée. Seul un réflexe lui permit de s'avancer vers sa sépulture. Son cerveau était en veille. Il s'était déconnecté de cette réalité qui le faisait souffrir.
Avec des gestes lents, elle embellit l'endroit où elle reposerait pour l'éternité. Lui rendant un dernier hommage...
Des sagittaires et des anthémis pour représenter la rupture. Celle qui les séparait.
Des myosotis pour représenter l'amitié sincère. Celle qui les liait.
Des ancolies pour représenter la tristesse. Celle qui l'habitait.
Des pensées pour représenter les souvenirs. Ceux qui peuplaient sa mémoire.
Des hellébores noires*, ses fleurs préférées.
Un bouquet coloré mais peu harmonieux... Pour une vie aux mille couleurs mais sans équilibre...
Kaya resta un instant les yeux rivés sur cette pierre. A présent, c'était la seule chose qu'elles partageaient. L'une pleurait dessus, l'autre dormait dessous...
Elle prit le temps de graver dans sa mémoire les traits de la stèle. Ses reflets, ses imperfections, ses défauts... Puis elle se tourna vers la foule.
Elle prit soin de croiser son regard, de scruter chaque visage, de décrypter chaque émotion. De détruire chaque mensonge.
Quand elle ouvrit la bouche, ce fut pour réduire à néant ces mécréants par des mots nourris de vérité... La simple, la vraie... La bonne, la mauvaise...
— Je n'aurais pas l'outrecuidance de répéter ce qui a déjà été dit... Je voudrai que mes mots la représentent vraiment. Qu'elle ne soit pas réduite qu'à de simples et pauvres adjectifs. Je pourrais rester longtemps ici, à énumérer ses qualités comme d'autres avant moi. Mais je préfère parler de ce qui m'a attiré chez elle. Elle avait une vision du monde que peu ont. Tout simplement parce qu'elle connaissait l'entière vérité. Elle me répétait souvent qu'elle ne supportait pas l'espèce humaine. Ils ne jurent que par le mensonge... Ils dissimulaient leurs véritables attentions... A l'époque, j'acquiesçai. Je lui apportai le soutien que beaucoup lui refusaient. Toutefois, je ne l'ai jamais vraiment crue. Aujourd'hui, je me rends compte qu'elle avait raison. L'espèce humaine est vraiment la pire des ordures... Je suis bien contente qu'elle ne soit plus là... Au moins n'aura-t-elle plus à s'interroger à chaque fois que quelqu'un lui adresse la parole.
En prononçant ces mots, Kaya ne regarda personne en particulier. De toute façon, ils étaient tous concernés.
Elle continua son discours, en transformant à son tour les mots en balles...
— Beaucoup pense que la mort est le rappel de Dieu à Lui. Que mourir, c'est revenir près de Celui qui nous a créés. Celui qui a forgé notre vie... Dans ce cas, j'espère que, s'Il existe bel et bien, elle L'insultera... Dieu est miséricordieux, n'est-ce pas ? Alors pourquoi a-t-Il laisser souffrir un ange ?
Elle s'arrêta un instant pour laisser ses paroles s'insinuer sous ce masque de mensonge qu'ils portaient tous.
— Pour ma part, j'ignore si la mort est vraiment une fin. Ne peut-on pas la considérer plutôt comme une nouvelle aventure ? Un nouveau monde à explorer ? Une nouvelle quête à mener ? Qu'importe... Aujourd'hui, elle vit ce que nous avons jamais vécu... Mais elle éprouve ce que nous, nous ressentons au quotidien... Elle connait enfin la paix et la liberté... Alors qu'elle en profite... Son absence m'est insupportable, cependant, si elle est plus heureuse là haut, alors qu'elle y reste. Et je lui souhaite tout le bonheur du monde...
C'est sur ces dernières paroles que Kaya quitta le cimetière. Laissant derrière elle un champs de surprise et un soupçon d'insolence. Mais surtout, une foule de vérité.
Elle devait à tout prix partir d'ici. Son coeur était lessivé de cette tristesse qui le grignotait... Son corps était fatigué du gouffre qui le remplissait...
Sa mémoire voulait oublier...
Oublier ce déchirant adieu fait à sa meilleure amie...
Astérique:
Dans le langage des fleurs, elles représentent:
Hélianthe: apparence trompeuse
Hellébore noire: "mettez fin à mes tourments"
Gentiane: le dédain, le mépris
Sauge: force, santé
© 2023 Sélène Rivers
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