Première Partie
Mei Misaki est à côté de moi.
Si c'est un rêve, j'aimerais ne jamais me réveiller.
Elle arbore une robe rouge sang et un teint pâle comme la mort. A ses pieds, une paire de sandales.
Elle n'a pas l'air d'être à sa place ici, dans ce musée, loin de Yomiyama, sa ville natale, et du magasin de poupées de sa mère. Mais ça m'est égal. Je suis plus que ravi qu'elle soit enfin venue me rejoindre à Tokyo.
—Qu'est-ce que t'en penses ? lui demandé-je en parlant du tableau que nous sommes en train de regarder.
Elle ne répond pas. Elle continue d'observer la peinture en inclinant la tête de gauche à droite comme pour en saisir tous les contours, tous les détails.
—Mei... ?
Malgré le fait qu'elle fasse tâche dans ce lieu, son comportement, lui, reste le même. Je renonce à l'importuner davantage et darde un énième coup d'œil sur le tableau qui se trouve en face de nous.
Il représente une femme aux longs cheveux noirs et au teint blafard, ayant à peu près la trentaine. Son visage est empreint de mystère, un peu comme celui de Mei. Elle porte une robe verte tendant vers le gris, ouverte au niveau des épaules. Le tableau se coupe au niveau de sa poitrine.
C'est un tableau simple. Pourtant, pour une raison qui m'échappe, je le trouve assez déconcertant.
—As-tu peur de mourir, Sakakibara ?
Je sors de ma rêverie et me tourne vers Mei, médusé. Pourquoi me poser une telle question... si soudainement... ?
Je prends du temps pour réfléchir.
—Après ce qui s'est passé l'année dernière, je vois mal comment je pourrais dire le contraire, lui réponds-je. D'ailleurs, bien avant ça, j'avais déjà un peu côtoyé la mort, tu sais...
—Ah oui, à cause de ta maladie...
—Exactement.
—Mais maintenant, tu es totalement guéri, n'est-ce pas ?
—D'après le docteur, oui. Mais ayant été malade pendant si longtemps, je ne peux m'empêcher de rester sur mes gardes. Au cas où cette douleur reviendrait, tu comprends... ?
—Oui, je comprends..., dit Mei de sa voix douce.
Après un soupir, elle ajoute :
—C'est ça l'inconvénient avec la douleur. Une fois qu'elle nous habite, on n'est plus jamais la même personne. Même quand elle nous quitte.
J'acquiesce d'un mouvement de tête. Encore une de ses phrases énigmatiques dont elle seule a le secret.
—Et toi, Mei ? la questionné-je après une courte pause. As-tu peur de la mort ?
Elle ferme son œil droit, le seul qui est visible. Elle a perdu son œil gauche lorsqu'elle avait quatre ans au cours d'un regrettable accident. Pour pallier cette perte, sa mère lui a confectionné une prothèse oculaire. Mais Mei préfère la garder cachée. Raison pour laquelle elle porte un cache-œil en permanence.
Le silence se prolonge. Au moment où je pense qu'elle ne va pas répondre, elle ouvre la bouche :
—Bien sûr que j'en ai peur.
Tout à coup, ce qu'elle m'a dit un an plus tôt me revient à l'esprit :
La mort n'est pas gentille ni bienveillante. Elle est noire et ténébreuse et aussi loin que tu puisses voir, tu es tout seul. Il n'y a personne d'autre.
—La mort n'a rien de réjouissant, poursuit-elle. C'est pourquoi quand une personne meurt, on ne peut qu'être triste. Triste parce qu'on ne la reverra jamais, et triste parce qu'elle se trouve à présent dans un endroit terrible. Un endroit où nous irons tous. Tôt ou tard.
Un frisson parcourt mon échine. Pourquoi parler d'un tel sujet maintenant ? En l'invitant dans ce musée, je me suis dit que nous allions passer un bon moment sans prise de tête. Mais il semble qu'avec Mei, c'est tout bonnement impossible.
En même temps, je peux la comprendre. Tout comme moi, elle a connu la douleur de la mort très tôt, la douleur d'une séparation inexpliquée et inexplicable. Et comme elle l'a dit tantôt, elle n'a plus jamais été la même après ça.
—Que dirais-tu qu'on aille regarder une autre peinture ? proposé-je soudain pour détendre l'atmosphère. Je crois me rappeler que tu m'avais dit que tu étais plus portée vers l'art occidental classique. Il y en a par là-bas...
—Sais-tu pourquoi je t'ai demandé si tu avais peur de la mort, Sakakibara ? m'interrompt Mei.
—N-non, je ne sais pas.
—Lorsque nous sommes arrivés au musée tout à l'heure, dit-elle, j'ai enlevé mon bandeau pendant un instant. Tu t'en souviens ?
Bien sûr que je m'en souviens. Lorsque je lui en ai demandé la raison, elle m'a dit que c'était pour arranger sa prothèse oculaire. Je me souviens aussi avoir retenu une grimace de dégoût en imaginant cet œil, pourtant si beau, hors de son habitation.
J'opine du chef en guise de réponse.
—Pendant ce bref instant, continue Mei, eh bien...
—Quoi ? la pressé-je.
—J'ai vu quelque chose, dit-elle après quelques secondes de silence.
Comprenant le sous-entendu de son affirmation, mes yeux s'agrandissent d'horreur.
En effet, cet œil n'était pas juste un œil de verre normal, mais d'après ce que Mei m'avait dit elle-même, il lui permettait de voir la couleur de la mort. Autrement dit, grâce à cet œil, elle pouvait savoir si une personne était proche de la mort ou non.
—Tu as vu quelque chose ? répétai-je, alarmé. Tu veux dire... comme... comme avec ma...
J'allais dire ma sœur, mais même un an après, penser à elle ou parler d'elle était toujours aussi douloureux. Heureusement, Mei comprit, ce qui m'épargna de le faire.
Elle hocha la tête, presque imperceptiblement.
Je déglutis.
—Qu'est-ce que t'as vu ? lui demandai-je d'un ton plein d'urgence.
Si elle avait tenu à me le dire, cela signifiait qu'il y avait, en effet, urgence. Sinon, la connaissant, elle ne m'en aurait pas parlé.
Baissant la voix, j'ajoutai :
—Est-ce qu'il y a une personne ici qui... qui se trouve près de la mort ?
De nouveau, Mei acquiesce de la tête.
Sans tarder, je jette un coup d'œil aux alentours pour essayer de deviner de qui il s'agit.
Il y a, effectivement, de potentiels suspects.
Pour commencer, cet homme, à quelques mètres de nous, qui tousse toutes les deux minutes. Il est maigre avec un visage émacié. Il fait un bon candidat.
Un peu plus loin, une femme aux cheveux châtains porte un masque, le genre dont on se sert pour se protéger d'un virus. Quel genre de maladie peut-elle bien avoir ? Ou est-ce un effet de mode... ?
Ou encore ce petit garçon qui...
Hey Koichi ! Calme-toi, mon vieux ! Voilà que tu deviens parano ! Tu vas finir par suspecter tout le monde à ce rythme-là. De toute façon, quelle importance ? Ce n'est pas comme si découvrir l'identité de cette personne allait t'influencer d'une quelconque manière. Tout ce qui s'est passé à Yomiyama dans la 3ème 3 n'a aucun effet ici. Savoir qui est le mort n'a aucune importance dans cet endroit alors relax!
Ayant réussi à chasser ces craintes qui me rongent, je me tourne vers Mei :
—Qui est-ce ?
En guise de réponse, elle ferme à nouveau son œil. Pendant un moment, je me demande où elle veut en venir ou même si elle va me répondre.
Finalement, elle le rouvre et je crois y discerner une lueur de tristesse.
Sa réponse, à laquelle je ne m'attendais absolument pas, me frappe comme la foudre.
—Toi, dit-elle.
A l'instant où elle me désigne, une douleur fulgurante me traverse la poitrine. Une douleur que j'ai déjà connu dans le passé et que je pensais ne jamais plus devoir connaître.
Je mets ma main sur mon torse et tombe sur le sol.
Après, c'est le trou noir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top