6. Kara

 La torture continue, jour après jour. Je n'arrive plus à espérer une quelconque issue de secours. Pour moi, tout est fini. J'ai maintenant peur de la nuit, du noir, du soleil se couchant et laissant une pénombre recouvrir ma grande chambre. Peur parce que je sais que c'est à cet instant que les soldats Argents viennent me sortir de mon refuge, là où je me sens le moins en danger. De force, ils me ramènent dans une pièce étroite mal éclairée, à quatre murs dont chacun d'entre eux est taché de sang de couleur Rouge. Je suis attachée comme un animal par des chaînes enlaçant mes quatre articulations qui leurs empêchent de faire le moindre mouvement. Fouettée, brûlé au fer, griffée... le martyre dure jusqu'au levé du soleil. Je cri, hurle, agonise, supplie, pleure pendant des heures et attends l'infime petit rayon lumineux pouvant mettre fin à cette souffrance. Et tout ça parce que je suis coupable d'être une Rouge.

Je passe ma journée assise, prête à bondir en cas de danger. Mes menottes en pierre du silence m'empêchent d'utiliser mon pouvoir et m'affaiblissent elle aussi. Sans pouvoir je ne vaux rien de plus qu'une pauvre enfant perdue.

Malgré la chambre luxueuse dans laquelle je vis, je me sens oppressée. La grandeur de celle-ci me parait chaque jour rétrécir un peu plus. Les miroirs muraux reflètent mon visage abattu et me rappelle à quel point je dois changer ce monde avant qu'une autre que moi subisse le même sort.

Toutes les quatre nuits, deux Argents, dont le pouvoir est Guérisseur de peau, viennent me guérir de mes nombreuses blessures et me rendre intacte. Mais ce n'est que pour me re-détruire après. C'est la méthode du roi ; faire souffrir les gens au lieu de les tuer a toujours été un principe chez lui, contrairement à Cal qui préférait s'en débarrasser au plus vite. Ce côté sadique que cache Maven derrière son visage d'ange, représente parfaitement sa mère qui faisait de même avec ses prisonniers. C'est une façon de faire culpabiliser et abandonner tout effort du coupable sûrement plus victime qu'autre chose.

En repensant à toutes ces effroyables nuits, je me recroqueville sur mon lit, laissant couler des larmes par simple incompréhension. Je ne comprends pas l'attitude de Maven, pourquoi un tel changement ? Je l'ai toujours connu comme étant le prince le plus aimables parmi les Argents connus pour être ignoble. Il s'est métamorphosé en un monstre sanguinaire capable d'exiler son demi-frère, anéantir et manipuler une population innocente. Je suis la seule à savoir les horreurs qu'il cause de façon bien précise afin de ne pas faire lever le moindre soupçon contre lui. Maven ne montre que ce qu'il a envie de montrer, et rien d'autre. Tant de mensonges...

Le jour venu, quand je sortirai d'ici, ça sera sa parole contre la mienne. Mais qui voudra croire en une Rouge ? Cal ? Lui me croira, il m'écoutera et fera en sorte que le message passe correctement. C'est sa raison de sa venu à la Garde Écarlate ; faire ce dont des Rouges sont incapable.

Aujourd'hui, les Guérisseurs de peau sont venue me rendre visite le matin très tôt pour réparer mon petit corps abîmé. Les ouvertures, le sang qui coulait et avait séché, les bleus, les traces de ma dernière nuit... tout a disparu. Ce pouvoir Argent fait des miracles. Mais même après ça, je tremble de peur, assise de nouveau en tailleur au pied de mon lit. Je n'arrive pas à rester en place. Mes yeux mouillés regardent le vide.

Je sursaute en entendant trois frappements de porte. Mais rien ne me fait tourner le regard, ni même bouger d'un seul pouce. Je ne prends pas la peine de répondre et reste immobile. De toute manière ils n'attendront pas mon autorisation pour rentrer. Une Rouge n'aura jamais son mot à dire tant que les Argents règneront.

La porte s'ouvre, je la vois du coin de l'œil. Un jeune homme entre, suivit de quelques soldats, avant de leur faire signe de rester derrière lui.

- Kara ?

Cette voix si... familière, si monstrueuse.

Maven.

Il n'est jamais venu en personne, ne m'a jamais adressé la parole depuis mon arrivée. Pourquoi le faire maintenant ? Je ne veux pas tourner la tête vers lui, je suis terrorisée à l'idée d'affronter son regard meurtrier. Je reste assise, les mains entrelacées et moites. Si je pouvais me cacher sous mon lit je le ferais.

Il s'approche de moi à petit pas.

- Regarde moi s'il te plaît, poursuit-il d'une voix remarquablement douce.

Cette tendresse n'est pas vrai, il joue un rôle, comme toujours. Ça ne me fera pas baisser ma garde, au contraire, je me prépare à ce qu'il me prévoit. Sûrement quelque chose de bien pire que ce que j'avais enduré pendant toute une semaine.

Il s'accroupit à côté de moi et pose sa main chaude sur mon bras. Je resserre les poings et avale difficilement ma salive. Il sent sûrement mon muscle se contracté car il l'enlève aussitôt.

- Des invités sont venus pour toi, dit-il en essayant de capter mon regard.

Voyant que mes yeux ne lâche pas le murs, il pousse un soupire et se lève pour se tourner vers ses soldats.

- Emmenez là, ordonne t-il.

Les gardes attrape fermement mes bras et me soulève du lit. Je ne résiste pas, à quoi bon, je n'ai aucune chance face aux Argents au dons destructeurs. Je suis privée du mien donc obligée de me plier aux ordres.

Étrangement, le trajet n'est pas le même aujourd'hui. Je ne suis pas traînée jusqu'aux chambres de torture mais plutôt en direction de la salle du trône.

Maven lance la marche devant moi. J'en profite pour prendre la parole.

- Quel est ton but, Maven ? Si c'est me tuer, alors abrège ton cirque.

Je l'implore presque. Pourtant mon regard soutien le sien lorsqu'il se retourne.

- Morte tu ne me sers à rien.

Nous continuons la route en silence.

Je ne souhaite pas poursuivre la discussion. Maven à besoin de moi mais en quoi lui serais-je utile ? Ou du moins en quoi lui serais-je utile en si mauvais état ? Je ne tiens presque plus debout, et cela fait des semaines qu'il m'affaibli et me traite comme un animal. Je ne lui sers plus à rien, outre satisfaire son sadisme personnel.

- Où allons-nous alors ? demande-je à l'attention de tous.

Le Roi, devant moi, s'arrête un instant avant de se tourner à nouveau vers moi. Il a l'air heureux, content de m'emmener avec lui. Mais cette fois, son sourire au coin de la bouche me mets mal à l'aise.

- Le monde a besoin de connaître leur véritable ennemi, répond t-il avant de continuer sa route.

Je me répète la phrase en boucle dans ma tête. Je suis donc leur ennemi. Mais ce n'est pas que moi. J'ai ce point commun avec l'ensemble des Rouges du Royaume.

Nous arrivons devant deux grandes portes en bois laqué décorées de fines lignes en or qui forment de jolies motifs. D'un geste gracieux, Maven ordonne aux gardes d'ouvrir les porte.

La salle du trône, aussi belle que je l'imaginais.

Je n'y suis jamais allée. Pourtant les histoires ne font qu'en parler. Cette majestueuse salle aux milles et unes pierres précieuses, avec à son titre l'ensemble des Maisons Argents. Mais outre sa riche réputation, le coté sombre de cet endroit est moins attractif. C'est là que sont exécutés les Rouges, qu'ils sont humiliés et enchaînés devant les Nobles Argents. C'est un lieu de cauchemars et d'histoire toutes aussi tragiques les unes que les autres. De grands symboles Rouges sont morts en ces lieux, alors qu'ils se battaient pacifiquement pour améliorer nos conditions de vie. Mais aujourd'hui, nous avons compris que seule la force fera tomber les Argents. Ils n'ont plus assez de cœur pour pouvoir l'écouter.

Un large et long tapis rouge est étalé jusqu'au brillant siège du roi – et de la reine. C'est le chemins jusqu'au trône du Diable, et j'ai le malheur de l'emprunter. Dans une marche lente, nous séparons la grande assemblée de Nobles qui se trouve autour et me scrutent d'un regard critique. J'ai l'impression d'être nu devant eux, de ne plus porter le voile que je tiens à garder depuis le début de mon emprisonnement. Celui qui m'aide à survivre, à cacher mes sentiments, mes émotions ou mes pensées.

C'est durant cette courte marche que je m'évade dans mes souvenirs heureux. Je revois Cal avec qui je me promenais pendant mon temps libre, il me faisait visiter le palais et m'aidait à me repérer car il pensait que j'allais finir par y vivre. Il avait pas tout à fait tord, j'y vis actuellement mais contre ma guise.

Maven s'assoit sur son trône, auprès de sa sœur, Maélane, une adorable petite Argent de mon âge se trouvant au près de son horrible frère qu'elle ne connaît sans doute pas assez pour le comprendre. La princesse de la Maison Calore ne s'assoit sur le trône que lorsque sa mère est absente. On en conclu donc qu'Elara n'est pas là, c'est une bonne nouvelle. Maélane baisse son regard sur moi après avoir gentiment souri à Maven. Ses yeux bleus sont aussi perdant que ceux de son frère. J'en aurais presque peur. Mais la m'a tellement parler d'elle que je n'ai plus besoin de me méfier. Maélane est une demoiselle sensible, à la recherche d'une vie épanouie. Cal me disait même qu'elle ne voulait pas avoir affaire au trône et aurait préféré rester Noble.

Accompagnée des deux soldats qui me tiennent, je suis postée devant eux. En bas des quelques marches qui permettent l'accès à ces beaux et grands sièges parsemés de pierres précieuses.

- Tu peux commencer, déclare le Roi en ne détournant pas son regard du mien.

Samson Merandus, Chuchoteur et cousin de l'effroyable Elara, sort de la foule d'Argent pour se placer à côté de moi. Je ne lui adresse pas un regard par peur de subir ses atroces torture du cerveau. Mes yeux n'osent à peine cligner par peur de perdre le file de la situation. Les Merandus terrifie tout le Royaume, leur don est si puissant qu'ils arrivent à soumettre leur adversaire sans même user de leur voix ou de leurs mains. La télépathie suffit amplement. On ne peut ni les prévenir ni les éviter. Je ne sais pas quel don pourra les contrer un jour.

Soudain, les soldats me lâchent pour laisser place à Samson qui m'attrape par les cheveux et me tire vers lui.

- J'espère que mon numéro te plaira, dit-il avant de prendre mon menton, m'obligeant à le regarder.

Je tente de détourner le regard mais son emprise est trop forte. Les deux soldats viennent me tenir les bras pendant que Samson exerce son pouvoir sur moi, me laissant aucune porte de sortie.

- Maven ! Ne le laisse pas faire ça ! crie-je en essayant de le convaincre.

Mais j'ai l'impression que ça lui fait plaisir aussi de me voir me faire décortiquer la cervelle, me voir souffrir encore et encore, de me détruire intérieurement.

Samson ne lâche pas mon menton et ne me quitte pas des yeux. Sa poigne est si forte que j'en ai déjà la tête qui tourne. Je sais qu'il voit plus loin que mon regard. Et c'est ce qui me fait peur. Je le sens en moi, je sens un marteau taper les parois de ma fragile tête comme on frappe un tambour. Je n'arrive à sortir aucun son, pourtant je le voudrais. J'aurais aimé pouvoir exprimer ma douleur, montrer aux Argents leur cruauté, et leur en faire un traumatisme.

Je me vengerai, un jour. Vous avez ma parole, Argents.

Mes souvenirs se mettent à défiler dans ma tête, les bons, les mauvais... tous passent sous mes yeux. La douleur augmente au fur et à mesure qu'ils traversent mon esprit. Mes sens sont brouillés, mon audition est coupée et ma vue troublée. J'aurai pu croire en un rêve mais voyant mes souvenirs heureux basculer dans la tourmente, je me rappelle de ce qu'il m'arrive. Les seules choses que j'arrive à distinguer se sont les passages que me montre Samson dans ma tête. Il sélectionne les pires moments, ceux que je veux oublier, et me les passe en boucle dans ma tête.

J'avais entendu des rumeurs qui disaient que les Merandus étaient de véritables bouchers. Et les rumeurs sont belles et bien vraies. Je revois les tortures que m'infligent Maven et j'en ressens la douleur, je le revois tuer mes amis et j'en ressens la peur, je revois la mort de ma sœur et j'en ressens le regret. Tout ces moments où j'ai cru que c'était la fin, que la mort venait me chercher, que la tristesse allait me tuer. Tout ces moments d'angoisse, Samson me les fait regarder contre mon gré en boucle, sans arrêt. J'ai l'impression que ça dure des heures.

Soudain plus rien. Ma vision s'assombrit, et mes jambes ne tiennent plus. Je tombe à genou, mes mains me retiennent pour ne pas taper le sol trop fort. Samson a fini son petit jeux. J'aimerais me relever et l'étrangler, lui arracher ses yeux de vampire qu'il possède. J'aimerais attraper Maven encore sur son trône et lui crier : Pourquoi ?! Pourquoi es-tu aussi cruel avec moi ?

Mais je ne peux rien faire, je suis à peine capable de relever les yeux. Les centaines d'Argents me dévisagent le sourire aux lèvres. Je suis faible, désarmée et sous l'emprise de monstres sans cœur.

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