30 minutes plutôt.

- Mare tu es entrée ? me demande Farley dans mon oreillette.

- Oui, nous avons libéré le tunnel, je te tiens au courant.

Cal avait raison, cette entrée secrète est le passage idéal pour éviter tout témoin. Elle donne directement vers la forêt arrière du palais et n'est gardée que par une petit dizaine de soldats. Une seule caméra y est placée ce qui nous a permis d'attaquer sans avoir été remarqué. Un éclair aussi fin qu'un cheveux a suffi à les tuer, leur armure en argent devient un trop bon conducteur électrique pour qu'ils puissent y échapper. Leur cœur a été arrêté à l'instant où mes doigts ont lancé l'attaque, la rapidité et l'efficacité est une de mes priorités au combat. 

C'est d'ailleurs pour cette raison que Farley a fait de moi sa main droite, j'en suis honorée car servir la cause de la Garde Écarlate a toujours été un rêve pour moi. Je ne savais juste pas trop comment le réaliser. 

Mes parents ont été assassiné par des soldats sous l'ordre de Maven lorsque mon don a été rendu public, j'étais en mission ce jour là, ils ont frappé à ma porte pour m'embarquer mais n'ont trouvé que ma famille. Si j'avais été là j'aurais pu les sauver, c'est à ça que sert un pouvoir après tout, mais le destin m'a mis sur le chemin de la guerre alors je n'en ressortirai que lorsque nous aurons notre victoire. Depuis l'arrivée du roi exilé notre organisation a pris en puissance mais aussi en nombre, beaucoup de Sangs-neuf nous servent pour mettre au service du bien leurs dons, et grâce à eux nous formons aujourd'hui une armée presque aussi grande que celle d'une Maison. Même si notre nombre reste inférieur à l'armée de Maven, les pouvoirs de nos soldats sont bien plus élaborés que les leurs. 

Les Sangs-neuf nous donnent l'avantage dans bien des combats, et nous ne manquerons pas l'occasion de l'utiliser.

Nous traversons le tunnel dans une obscurité dérangeante, quelques torches sont allumées mais pas assez grande pour éclairer ce qui se trouve quelque mètres devant nous. D'un geste subtile de la main je balance un jet électrique à travers ce long et noir couloir pour nous permettre de voir plus loin. Il n'y a apparement rien, du moins pas avant que nous sortions d'ici.

Je lance un appel à toute ma troupe pour que l'on trottine jusqu'à la lumière du jour, nous sommes trop vulnérable ici, n'importe quel Argent pourrait utiliser son don pour nous anéantir. Le tunnel est étroit, difficile de se battre ou de fuir, si des ennemis venaient à nous encercler nous n'aurions pas beaucoup de chances de survivre. Tout le monde se cale sur mon pas et s'arrête net lorsque je vois les premiers rayons lumineux atteindre mes pieds. 

Les murailles sont si épaisses que cela ? Je comprends pourquoi Cal ne voulait pas que nous les détruisions, nous aurions mis tous nos efforts dedans alors que l'armée de Maven nous aurait attendu bien sagement derrière. 

Mon premier réflexe est d'observer là où le tunnel nous a mené, comme prévu il n'y a qu'un vaste terrain d'herbe suivis d'une écurie gigantesque. Plusieurs soldats patrouillent mais ne regardent pas dans notre direction, alors nous suivons le plan. Je suis la première à sortir du tunnel sans jeter de coup de d'œil à mes collègues, tous savent ce qu'ils ont à faire et malheureusement le plan nous a demandé de nous séparer. 

Nous portons chacun une tenue professionnelle aux différents métiers du palais, pour ma part Farley m'a attribué celle de la femme de chambre, un bon choix pour m'introduire dans les secrets intimes des Argents. Ce plan est très risqué car nous ne savons pas si Maven est capable de repérer les Sangs-neuf, si même s'il connaît assez bien ses serviteurs pour nous différencier. Tout va se jouer dans les prochaines minutes lorsque je croiserai le regard d'un Argent.

Je traverse le terrain en relevant les pointes de ma robe de servante et fais mine d'être légèrement pressée. Si je suis hésitante sur mes actions je serai vite repérée, c'est peut-être le seul moment où je remercie les Argents de m'avoir éduqué comme une misérable Rouge, dorénavant je peux jouer ce rôle comme si c'était le mien. 

Ils nous considèrent si peu qu'il ne pourrait sûrement même pas remarqué des intrusions dans leurs rangs. Les soldats ne me prêtent aucune attention et j'apprécie étrangement cette sensation. Ils sont bornés en se convaincant qu'une Rouge ne pourrait pas leur faire du mal, pourtant le piège est déjà sous leurs pieds pour la plupart, et pour la première fois de leur vie nous tournerons la roue à notre avantage.

Je traverse le terrain d'herbe et me rapproche de l'écurie, par ce beau temps les chevaux sont de sorties et quelques Rouges s'en occupent sans relever le regard sur moi. Je me demande s'ils se connaissent tous, ou bien il y a assez d'employés pour ne pas pouvoir tous les retenir. 

 Peu importe je vais éviter de trop me rapprocher d'eux et mettre toutes les chances de mon coté. D'un brève coup d'œil sur les cotés je repère mes camarades Sangs-neuf qui opèrent comme moi. L'un d'eux est un monteur de cheval, je le vois au loin marcher avec assurance vers l'écurie pour jouer son rôle comme si c'était le sien. C'est un domaine qu'il maitrise assez bien pour ne pas lever de soupçon, à voir surtout si les autres et véritables employés le démasque. 

En parlant d'employé, l'un d'eux que je n'avais pas vu travers le terrain dans ma direction. Avant de trouver cela suspect je fais mine d'être trop occupé pour le remarqué, mais sa marche s'accélère. Il regarde ses pieds tout en avançant et frotte ses mains sur son pantalon comme pour essuyer sa sueur, il ne lève jamais ses yeux vers moi pourtant son trajet se rapproche rapidement du mien. Je ne peux rien faire à part l'éviter en changeant de trajectoire mais je ne dois pas non plus attirer l'intention tout de suite, je suis à moins d'un kilomètre du palais c'est encore trop tôt. Les soldats sont trop près, tout est trop près, la victoire est trop près aussi, je ne peux pas la louper pour si peu. Je me détourne de l'homme et m'occupe à faire et défaire les noeuds de ma robe pour éviter toute confrontation. 

Ça serait dommage que ce soit un Rouge qui nous repère et non un Argent. Étonnement il passe près de moi sans m'adresser la parole mais me bouscule violemment.

- Désolée Mare...

C'est la seule chose qu'il prononce avant d'ouvrir ses paumes de mains vers le ciel et projeter un éclair aussi droit qu'une des tours royales. L'onde de choc me propulse en arrière, mon pied s'emmêle dans ma robe et me fait tomber au sol. Le bruit et la lumière aveuglante de ce dernier réveille les soldats autour qui s'approchent arme à la main. Qui est cet homme ? Un Sang-neuf comme moi ? C'est impossible, il n'aurait jamais pu savoir qui j'étais de si loin sans aide. 

L'inconnu se tourne vers moi en faisant crépiter de ridicules étincelles sur ses doigts qu'il semble admirer.

- Incroyable ton pouvoir, souri-t-il, j'aurais bien aimé m'en servir contre le Roi mais malheureusement il a encore eu une longueur d'avance sur vous.

Je pensais n'avoir qu'un seul ennemi, mais j'ai été bien trop naïve, nous ne sommes pas en guerre contre les Argents seulement. Certains Rouges désespérés par leur sort se retrouvent entre leurs mains de fer pour quelques pièces d'or ou bien même leur liberté. 

A leur place j'aurais sûrement agit de la même façon, sacrifier des inconnus pour sauver ma famille. Il faut être fou et ambitieux pour croire que nous pouvons détrôner les Argents, j'en oublie parfois que beaucoup de notre peuple ne possèdent pas de don. Et sans don il n'y a plus d'espoir. 

Notre seul espoir à nous c'est cette jeune fille prisonnière des mains du Roi. C'est d'ailleurs elle qui lancé le mouvement en amenant tous les Sangs-neuf vers la Garde Écarlate, et j'en fais également partie. Je n'ai jamais eu l'occasion de la rencontrer, seulement des rumeurs du peuple ou des éloges de Cal et Farley sur sa force inégalable. J'aurais aimé lui faire honneur avant que tout ce conflit lui tombe dessus, lui montrer ce que son impact sur nous a créé. 

Beaucoup des nôtres autrefois faibles se sentent invincibles et se battent pour nous grâce à Kara, elle ne doit pas vraiment le savoir car tout s'est produit à partir de son emprisonnement. Malheureusement de nombreux Rouges pensent qu'elle nous a trahis pour vivre une vie de princesse parmi les Argents, des hommes et femmes trop envieux de voir une si grande puissance dans un corps de Rouge, c'est si dégradant pour notre peuple qui devrait l'admirer. J'espère qu'elle aura l'occasion de leur prouver leurs tords, en tout cas moi je l'y aiderai.

Je me relève difficilement et pivote sur moi-même à la recherche d'un échappatoire, les soldats Argents nous encerclent comme des proies je dois rapidement trouver une issue.

- Désolée Mare, répète l'autre inconnu en rejoignant le rang des soldats.

- La ferme !

Il m'a dénoncé aux Argents, il a trahis son peuple, nous aurions pu le sauver s'il avait eu une once de courage mais il a préféré jouer seul sans aucune empathie. Je ne me rappelle pas avoir été comme ça avant que je découvre mon don, je prenais soin de tous sans exception et sans me préoccuper de mon sort. Comme Kara, comme Farley, comme Cal dorénavant, comme tous ses Sangs-neuf qui se battent pour nous, nous sommes les véritables sauveurs de ce monde. Nous devons sauver les plus faibles mais s'ils nous trahissent en retour dans quelle direction allons-nous ? 

Les soldats Argents m'entourent et m'attrapent le bras, j'en électrocute un au passage mais les autres arrivent en renfort et m'enferment les poignées dans des menottes. Un lourd poids venant de mes mains me fait chuter au sol, impossible de faire bouger mes doigts, mon corps s'est alourdi en entier. Je savais que la pierre du silence était puissante mais pas à ce point, un terrible mal de tête me prend et m'empêche d'employer la moindre défense. Je suis traînée comme un cadavre par les Argents qui attendaient patiemment le moindre défaut de notre part. Aucun de mes muscles répond à mes appels, je suis consciente sans en avoir le contrôle, les menottes m'ont abattu à l'instant où elles ont été celé. 

Comment Kara peut survivre autant de temps avec cette horreur ?

En me voyant m'éloigner de mon objectif, je pense à mes amis qui attendaient mon signal pour entrer aussi au palais. Cal était tant pressé de pouvoir enfin se battre contre son frère et pouvoir récupérer sa fiancée, il ne tenait plus en place hier soir. Farley aussi espérait pouvoir sauver son amie des griffes du Roi car sans elle elle n'aurait pas pu s'évader de prison. Kara a fait beaucoup pour nous, et en contrepartie nous ne faisons rien, j'en ai la chair de poule. Heureusement que l'éclair de l'inconnu n'est pas de la même couleur que les miens, il aurait fait tomber toute la Garde Écarlate dans son piège. 

Je suis transportée jusqu'au palais comme une marchandise et balancée dans le hall principal. Ma tête frappe le carrelage brusquement et m'étourdis d'avantage. Je n'entends à peine l'homme qui me fait dorénavant face en descendant les grands escaliers.

- Je te rencontre enfin, s'exclame-t-il. Mare Barrow, main droite de la célèbre Diana Farley et... amie du prince exilé ?

Je relève légèrement la tête, les yeux encore tremblants, et distingue une silhouette. J'ai d'abord cru que c'était Cal mais avec quelques secondes de plus son image s'est dissipée, son corps s'est rétréci et ses épaules ont diminué, ce n'est plus lui.

- Toi..., peine-je à dire sous les effets des menottes. J'espère que t'a commencé à creuser ta tombe, enfoiré de roi.

Plus aucune soldat n'est autour de moi, ils savent très bien que les menottes font amplement l'affaire pour ne pas faire de moi une menace. Je suis aussi faible qu'un enfant, ma seule arme a été neutralisé et je n'ai pas de solution pour sortir d'ici. Le plan ne disait pas quoi faire dans un cas comme celui-ci, c'était loin d'être prévu.

Maven en personne est venue m'accueillir, l'honneur est trop grand pour ne pas profiter de l'occasion.

- Vous êtes tous pareilles, les Rouges, un vocabulaire aussi pauvre que votre existence, souffle le Roi ennuyé.

- Pas besoin de vocabulaire pour gagner cette guerre crois-moi.

- Il n'y a jamais eu de guerre. Vous risquez votre vie pour une cause ridicule, à quoi bon ? Vous n'êtes pas assez malins pour comprendre que vous n'y arriverez jamais.

Son ton est lent et lassé, il donne l'impression de perdre son temps alors qu'il vient de mettre la main sur celle qui devait réduire en poussière son palais. Cal nous avait averti sur le personnage de Maven, un jeune garçon qui cache un art de la manipulation sous son charmant visage d'enfant. Il n'improvise jamais disait-il, et c'est d'ailleurs là son point faible à exploiter. 

En le prenant au dépourvu nous aurons toutes nos chances, hors même sur un plan censé être infaillible il nous a eu. Tout ceci me dépasse, je n'ai pas la capacité de Cal à comprendre ce monde de Nobles, je n'ai connu que la survie et la guerre, je suis née dans un champs de boue et de sang, mon corps est fort mais pas mon esprit. Repérer les mensonges ou les failles chez des hommes tel que Maven je n'ai jamais appris. Kara aurait su quoi faire, elle.

- D'ailleurs tu arrives au bon moment ! dit-il en ordonnant aux soldats de m'escorter pour le suivre. Votre légende de la rébellion va bientôt s'éteindre.

Son rire me brise le cœur comme si je revivais une seconde fois la mort de mes parents. Un mélange de colère et de culpabilité me foudroie en imaginant la mort de Kara sous mes yeux, le symbole de la paix qu'elle représente pour moi, pour nous, ne peux pas s'éteindre si vite. Nous avons besoin d'elle, elle était notre espoir à tous. 

Comment la situation a pu se tourner à l'avantage du Roi ? Avec ces menottes mon corps s'est très affaibli, et sans l'aide de mon pouvoir ou de la Garde Écarlate je suis à la merci de mon destin, le destin que m'aura choisi Maven.