22. Evangeline

Son cri résonne jusqu'à mon cœur, j'ai moi-même envie d'hurler pour que cela cesse. 

Nous sommes des centaines regroupés dans cette maudite salle du trône, mais le silence est aussi pesant qu'une ville morte après la guerre, aucun Argent n'ose attirer l'attention du Roi furieux. Il est avachi sur son trône comme un enfant enragé, ses doigts tapotent ses accoudoirs sur un rythme désorganisé, c'est une manière de montrer le déraillement de son esprit. 

Maven a été aussi surpris que moi après avoir entendu les exploits de Kara, c'est une nouvelle page qui se crée dans notre Histoire car avant cela personne n'avait réussi à vaincre la pierre du silence. Kara est là pour nous anéantir, elle le répète chaque jour de plus en plus fort alors que Maven perd le peu de contrôle qu'il avait sur elle, il n'y a que lui qui ne remarque pas. Je le pensais plus futile que ça, lui qui m'a toujours paru assez intelligent pour nous devancer.

Son regard ne s'échappe pas de la Rouge qui agonise devant lui, rien ne peut le faire fuir cette scène qu'il affecte tant. Pour nous il l'a punis, mais pour lui ce n'est qu'un jeu.

Après avoir détruit toutes les cellules rien qu'avec la force de sa haine, Kara a essayé de s'enfuir mais son corps maladif l'a rattrapé et elle s'est écroulée au sol, se laissant à la merci des soldats. Ce ne sont pas les menottes qui l'ont arrêté mais son corps faible et détruit des marques de Maven, si elle était en meilleure état elle aurait continué son massacre jusqu'à nos chambres privées. C'est ce qu'a hurlé Elara à la première heure ce matin sur son fils, Kara ne peut pas rester ici plus longtemps et nous sommes tous du même avis. 

Mais le Roi ne veut toujours rien entendre, il a ordonné de mettre sa prisonnière dans les mains de Samson Merandus, le Chuchoteur qui l'avait déjà retourné le cerveau il y a quelques semaines. J'ai l'impression de revoir la même scène en boucle, des caprices enfantins sur une jeune fille qui nous l'a met à l'envers quoi qu'il arrive. 

Samson lui tient le visage par le menton et soutient son regard implorant pour la ménager à sa manière, la seule différence aujourd'hui est que Maven lui a donné cartier-libre. Même aussi forte Kara ne ressortira pas de cette séance indemne, et cela fait étrangement sourire Maven. 

Je ne comprends toujours pas pourquoi il ne l'a tue pas, il fait d'elle un outil qu'on ne pourra plus se servir, une arme incontrôlable, une femme qui ne désire que vengeance. En l'observant j'aperçois ses larmes abondantes qui aveuglent son doux visage, elle me rappelle moi petite lorsque je faisais l'idiote devant mon père, rien ne lui échappait et je finissais souvent dans le même état mais avec du sang en plus.

Pourquoi souffrons-nous autant pour si peu ? Cal s'est démené pour devenir le roi qu'il n'est jamais devenu, Maven a souffert pour mûrir sans jamais grandir, nous subissons tous des châtiments qui ne nous mènent pas là où ils devaient nous conduire. Nous perdons donc le peu de sens qu'il nous restait dans ce monde ?

- Encore... murmure le Roi à ma droite en léchant ses canines comme un prédateur.

Et les hurlements de Kara s'intensifient. Elle attrape les mains de Samson pour espérer lui griffer mais il lui envoie son genou dans le plexus avant de reprendre sa séance de torture.

Je ne peux plus entendre ses hurlements.

D'un bond je me lève de mon siège et sors de la salle pour m'éloigner le plus loin possible de ces horreurs. Maven ne m'a pas retenue, je pense qu'il ne m'a même pas regardé d'ailleurs, la seule chose qui compte à cet instant est Kara. 

J'utilise mon don pour raccourcir ma robe de fer et me permettre d'avancer plus vite, j'ai besoin d'évacuer et ce n'est pas dans ce palais que j'y arriverai. En passant devant une des fenêtres je repense à la fuite de Maélane suivi de Diana Farley, je les ai aperçu courir vers les murailles du palais hier. Une bonne reine aurait averti de ce pas les soldats mais mon cœur me l'a interdit, si tous fuit Maven c'est surement que leurs raisons se tiennent. 

Tout a commencé avec Cal, puis Maélane, surement d'autres finirons par les rejoindre si le regard de Maven ne dérive pas de la jeune Rouge. Personne n'est en mesure de comprendre son obsession, pas même sa mère qui a la porte ouverte dans son esprit.

Si j'avais eu assez de courage j'aurais fuit ce palais, pense-je en hésitant entre deux couloirs. L'un me mène à la sorte et l'autre à ma chambre, l'un me libère alors que l'autre m'empoisonne. Tout est si compliqué, j'aimerais tant redevenir la petite princesse encore trop jeune pour quitter le nid de sa mère, elle me dictait quoi faire et m'aidait dans mes choix. Je rêvais de devenir reine pour lui ressembler, elle avait l'air si fière et si heureuse. Mais quand on grandi on décrypte mieux les visages, on devine ce qui se cache derrière nos maquillages. Aucune reine n'est heureuse, aucun roi ne l'est non plus, mais contrairement à lui la reine ne choisi pas son roi.

Quel monde de merde, pense-je à nouveau sans avoir choisi mon chemin.

Je reste debout tenant fermement ma robe que j'aimerais transformer en lames pour décapiter ces murs. Comment Maélane a pu fuir sans un regard en arrière ? Sa décision était-elle déjà prise avant même qu'elle ne finisse derrière les barreaux ? Cal est-il heureux là où il est ? Il doit attendre Kara comme un enfant attendrait ses cadeaux d'anniversaire, mais son amour pour Kara l'a conduit dans une vie qui lui était de loin pas destiné, et pourtant il ne semble pas s'en déplaire. J'ai pu lire ses messages écrits envoyé depuis une des tours de contrôle du Royaume, tout ça est si étrange. 

Un roi Argent qui se sent mieux parmi des pauvres Rouges, que devient notre monde si nous tolérons ces comportements ? En même temps, vivre dans un monde d'Argent n'est pas mieux, alors que choisir ?

- Eve, où vas-tu ?

Ptolemus, mon grand-frère, trottine jusqu'à moi le visage déconcerté par ma fuite. Ce n'est pas dans mes habitudes d'échapper à ce type de situation, au contraire je m'en extase normalement. Mais lorsque j'entendais hurler Kara, je me suis entendue le faire aussi en payant de mes bêtises plus jeune, je n'ai pas pu l'entendre d'avantage. Il y a des souffrances bien plus difficiles que d'autres, et tout ne dépend que d'un point-de-vu.

- Prendre l'air seulement, je reviens ne t'en fais pas, mente-je en voyant mes chances de m'enfuir s'effacer.

Il m'encercle de ses bras sans un mot, ce geste tendre et affectueux me fait perdre mes moyens. Une rivière de larmes s'écoulent sur mon visage sans que je puisse l'arrêter, Ptolemus le sent et ressert son étreinte. Il ne cherche pas mes raisons mais ne souhaite que me consoler, comme le ferait un être chère. C'est donc ça le véritable amour ? Se sentir soutenu quoi que l'on fasse, ne pas être jugé pour nos différences et toucher constamment à la sincérité ? Seul mon frère peut m'offrir un tel moment, personne d'autres n'en a les capacités. 

Je n'ai aucune souvenir d'une quelconque étreinte avec mon père, et du coté de ma mère c'était il y a bien longtemps maintenant. Je pensais être assez forte pour le supporter mais mon courage m'abandonne. Ou peut-être que mon courage se tourne vers un autre camps que le mien, un endroit qui me libérera enfin. Envisager de fuir me noue la gorge, quitter mes proches pour un monde inconnu encore, me lier à un peuple qui me hait. Est-ce vraiment le bon choix ?Maélane s'est-elle posée autant de questions que moi ? Tout me paraît si difficile d'un coup.

- Eve... murmure Ptolemus dans mon cou, ses bras toujours autour de moi. Pardonne moi.

Le temps m'était trop juste pour comprendre sa phrase avant qu'il n'agisse. En un instant mon frère forme des menottes autour de mes poignées qui m'alourdissent et me font chuter sur les genoux. Elles ne sont pas lourdes, non, elles sont puissantes, des menottes en pierre du silence comme porte Kara. 

Je ne cherche pas à me relever et tempère mon esprit sur le point d'exploser. Je ne vois que les menottes, rien d'autres, la voix de mon frère m'échappe comme si mon tympan sifflait, elle ne m'atteint plus. Mes pensées préalablement nombreuses ont désertés, la seule chose que j'aperçois devant mes yeux sont ses menottes. Est-ce réel ? 

Ptolemus s'abaisse à ma hauteur et me lève le menton mais mon regard ne quitte pas mes poignées.

- Eve, je suis simplement les ordres. Mais tout ira bien, Maven me l'a promis.

Mes larmes ont séché aussi. Étrangement je chagrinais plus en imaginant la beauté de l'amour que sa trahison, je finis par comprendre le comportement de Kara. Elle semblait forte et invincibles mais ce n'est finalement que le fruit de ses souffrances. Briser une personne ne peut que la rapprocher au plus proche de ses idées noires. 

Elle qui rayonnait lors de notre première rencontre au palais, je me rappelle de son visage apeuré de m'avoir comme adversaire pour son premier entraînement. Aujourd'hui elle ne décrocherait plus une seule grimace face à une armée entière, le sang l'aide à s'assouvir comme un médicament aiderait les fous à retrouver leur chemin. En repensant à Kara je découvre une nouvelle sensation en moi, un mélange de haine et de devoir qui s'enroule autour de mon cœur. Je rapproche mes mains vers ce dernier et expire profondément pour l'écouter, entendre ce qu'il me dit, ce qu'il me conseille. Et je ne peux que sourire face à cette délivrance.

- Qu'est-ce qui te fait autant sourire ? s'étonne méfiant Ptolemus en se relevant.

Mon silence l'agace, mon sourire s'étire d'avantage et cette fois il tourne les talons pour me laisser aux mains des soldats.

Je te comprends Kara, cette sensation qui coule dans tes veines, cette émotions semblable à de la vengeance, cette force te tire vers le haut et te pousse à travers tes limites. Je n'avais jamais ressenti ça, c'est indescriptible mais si puissant. Est-ce la conséquence après avoir touché le fond ? Je ne tenais plus qu'à un file, tout s'est joué sur ces dernières minutes où mon frère aurait pu me soutenir mais sa trahison a été pire. Le seul amour qu'il me restait s'est évaporé, il ne me reste plus rien, et aucune autre larme ne coulera, seules mes lames parleront.

***

Deux jours se sont écoulés depuis ce bouleversement. 

Les cellules de la branche droite détruite, j'ai été transféré à celles de la branche gauche, là où se trouve les Argents déchus. Maven est cruel mais intelligent, il attendait la faille pour me retirer ma légitimé de reine, il m'a vu laisser s'enfuir Maélane et a jugé cela comme de la haute trahison. Ma fuite lors de la torture de Kara a été vu à son avantage aussi, ma famille m'a renié comme la peste et je suis considérée comme la nouvelle Cal. 

La jeune Rouge avait raison depuis le début, le plan de Maven dépendait de nous mais avait déjà été conçu pour réussir. Il a attendu de perdre sa sœur, puis sa femme, pour pouvoir concrétiser son alliance avec la Région des Lacs. Iris Cygnet deviendra alors bientôt notre reine, elle s'assiéra sur mon trône et dirigera les terres qui m'étaient dû.

Kara est dans la cellule en face de moi mais elle ne s'est toujours pas réveillée depuis sa séance avec Samson Merandus. Je ne mange plus, je me contente seulement de l'eau que l'on m'apporte, je ne veux plus me nourrir de leurs mains, plus dépendre d'eux, ces monstres royaux. Immobile sur mon banc qui me sert de lit à coucher, j'observe le corps de Kara étalé au sol. Les soldats prennent bien soin de venir vérifier son état chaque jour en espérant la voir se réveiller. Que lui réserve encore Maven ? Son caprice ne compte jamais cesser, rien ne l'arrêtera dans son plan ridicule. Kara ne lui servira jamais à rien et surtout pas dans cet état.

Ils m'ont retiré ma robe, évidement mes armes aussi et mes talons. Je ne porte sur moi qu'une tenue droite et grisâtre, elle est étrangement mi-longue mais est aussi large qu'un manteau tout en étant légère comme un draps de lit. C'est ce que porte les prisonniers, un moyen de les reconnaître facilement et les allégés pour leur exécution.

Petite c'était une tradition de fin de semaine, nous allions sur la haute et lointaine colline marécageuse pour rejoindre les bancs d'exécutions. C'était une tribune en demi-cercle, ma famille et moi étions sur le devant tandis que nos conseillés et proches derrière et atour de nous. Puis devant nous se trouvait une scène rectangle dépourvu de rideaux, simplement un sol de pierre du silence sur lequel reposait trois pendus. Les prisonniers défilaient devant nous et devait s'excuser avant de se pendre eux-mêmes aux cordes. 

Je ne me souviens plus de ma première pendaison mais père insistait beaucoup pour que je l'accompagne, Ptolemus était d'ailleurs plus trouillard que moi en clignant des yeux pour fuir la vision d'horreur. Puis un jour se fut ma plus fidèle servante qui défilait devant moi, elle avait accidentellement brisé l'un de mes colliers en saphir en le lâchant sur le carrelage. C'est la première fois que je pleurais pour la mort d'une personne, à cet instant j'ai compris que chaque vie avait une valeur que mon père achevait pour son propre plaisir. Il n'est pas si éloigné de Maven après tout.

- Il n'y a que ceux qui portent une couronne qui décident, les autres souffrent.

Se sont les premiers murmurent qu'arrive à prononcer Kara à son réveil. Je me redresse aussitôt et m'approche frontalement de mes barreaux. Elle n'a que les yeux d'ouverts, son corps reste impassible au sol.

- C'est la phrase que m'a répété Maven depuis...

Elle ne termine pas sa phrase mais l'illustre en levant ses poignées menottées devant elle. Je ne vois pas très bien son visage, le couloir est bien trop sombre mais j'arrive à distinguer ses cernes et ses yeux rouges. Sa fatigue la consume peu à peu tout comme les menottes qui lui infligent d'importants dégâts sur le corps. Il s'affine chaque jour un peu plus, creusant ses joues et ses clavicules, un corps presque parfait pour une princesse mais bien trop faible pour une guerrière. Elle joue avec ses doigts à dessiner des choses imaginaires dans l'air, en la voyant ainsi on pourrait la comparer à une enfant en plein dans un rêve. 

Ce sont sûrement les séquelles d'un deuxième passage du tortionnaire Samson, ne plus savoir distinguer la réalité du rêve et avoir les souvenirs brumeux.

- Il n'y a que ceux qui portent une couronne qui décident, se répète-t-elle en boucle sans interrompre sa créativité aérienne.

- Kara ? tente-je aveuglement dans l'espoir qu'elle se résonne.

Elle ne détourne par le regard de ses mains mais change soudainement de disque.

- Si je porte une couronne, alors je déciderai ?

Son ton aussi est enfantin, elle semble se moquer presque de ce qu'elle dit. Un mélange d'innocence et de menace à la fois, c'est déconcertant, je ne pensais pas que l'on pourrait devenir plus fou que Maven. Tout ça n'est pas le fruit du hasard mais l'œuvre de la Maison Merandus. 

Elara a détruit Maven comme Samson l'a fait avec Kara, ils ont fabriqué des monstres que l'on ne comprend plus et qui nuisent à notre existence. Ils creusent leur propre tombe et tuent des jeunes âmes pour en faire des armes zombies. J'ai bien peur que Kara soit irrécupérable comme l'est Maven depuis les massacres de sa mère.

- Je porterai la couronne, et je déciderai, dit-elle d'un ton plus mature mais toujours moqueur. Et les autres souffriront. 

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