Chapitre 7

- Lou réveille-toi ! On va être en retard !

- Mhmm.

- Lou !

Dans un grand bruit, je m'effondre violemment au sol. Effrayée, j'essaie de me redresser mais ma couette est entortillée autour de mes jambes et m'empêche de bouger.

Les yeux écarquillés et la bouche à demi ouverte, j'observe Alice qui se tient debout au-dessus de moi. 

- Je...je suis vraiment désolée mais tu ne voulais pas te réveiller, me dit-elle en jouant nerveusement avec ses mains.

Rouge de gêne, elle n'ose pas croiser mon regard. J'ai déjà pu constater à de nombreuses reprises qu'elle semble assez peureuse, ça doit être à force de se faire hurler dessus par la vieille.

- Il est quelle heure ? Demandais-je en me relevant.

- Cinq heure déjà.

- Cinq heure ?! Mais le petit déjeuner n'est servi qu'à huit heure !

- On doit tout préparer et Jade nous veut tous prêts pour cinq heure, donc tu es en retard.

- Et que se passe-t-il quand on est en retard ?

- Corvée vaisselle et balayage toute la journée.

- Ce n'est pas très différent des autres jours...

- Dépêche toi s'il te plait, je t'attend dehors, déclare-t-elle en ouvrant la porte.

J'acquiesce et file à l'armoire. Tant pis  pour ma toilette, de toute façon je finirai la journée en puant la nourriture et j'ai toujours détesté me laver. Maintenant que maman n'est plus là pour vérifier, je ne suis plus obligée de prendre des bains tous les jours. J'enfile donc mon unique robe et passe mon tablier par dessus. Je retourne ensuite dans la chambre et demande à Alice de me faire un chignon. Une fois prête, nous nous mettons à courir comme des folles à travers les couloirs bousculant plusieurs personnes au passage et récoltant en échange quelques insultes.

                                                                                       ********
- Vous foutiez quoi ?

- Je...je, bégaye Alice à nouveau rouge de honte et les yeux brillant de larmes mal contenues.

- Ce n'est pas sa faute madame Jade, la coupais-je. Je ne me suis pas réveillée à temps.

La vieille se tourne vers moi avec un sourire méchant sur le visage qui n'augure rien de bon. Ce faisant, j'ai une vue plongeante sur ses dents jaunes et noirs. La nausée me prend.

- Tu commences bien la gosse. Corvée vaisselle, balayage ET poubelle pendant une semaine... pour toutes les deux.

Et sur cette stupide vengeance, elle s'en va, me laissant seule avec une Alice tremblante à côté de moi.

- Je suis désolée Alice...

- Ce n'est pas...pas grave.

- Tu n'es pas obligé de m'aider, je peux le faire toute seule, c'est ma faute...

- Non, ça ne me dérange pas, et j'emmerde cette vieille mégère.

J'ouvre la bouche, choquée par les mots qu'elle vient de prononcer. Ils sont si loin de son caractère habituel.

- Oh...d'accord, chouette...

Elle me sourie et s'en va préparer le petit déjeuner. Quant à moi, je suis de corvée balayage et je pars donc nettoyer la salle à manger. Au moins là, il n'y a ni odeur de poissons, ni vieille bique complètement siphonnée aux dents manquantes.

                                                                                             ******

En une heure, j'ai à peine nettoyée la moitié. Je commence à comprendre pourquoi la vieille nous fait lever aussi tôt, c'est si grand...et puis ici, je suis seule, je n'ai personne pour m'aider. Je soupçonne d'ailleurs la vieille d'y être pour quelque chose. Normalement, il devrait y avoir d'autres personnes pour s'occuper du nettoyage.

Essoufflée, je m'assieds quelques secondes à la table quand une voix derrière moi se fait entendre

- C'est comme ça que les bonniches travaillent ?

Je me retourne et tombe sur trois filles, celle qui parle est une grande brune à l'air mauvais. Elle semble être la meneuse, elle me fait penser à Philippe. Les deux autres sont juste là pour rire à ses blagues. Je les ai déjà vues, elles travaillent à la section ménage et s'occupent des chambres.

- Pardon ?

- Ce n'est pas comme si tu te tuais au travaille, on te demande juste de balayer. À cause de toi, ils devront manger dans de la crasse.

- Ils peuvent aussi le faire tout seul ! Répliquais-je mordante.

- Comment oses-tu ?! Si le maitre te voyais !

- Mais il n'est pas là alors je fais ce que je veux ! Et si je veux plus balayer, je balaye plus !

J'ai toujours eu beaucoup de mal avec l'autorité. Mon répondant m'a déjà amené pas mal d'ennuis, à la maison, la plupart du temps, j'avais droit à une correction.

- Tu balayes parce que ce sont les ordres qu'on t'a donné et parce que tu n'es qu'une bonniche, dit-elle dédaigneuse. Moi, ils me font assez confiance pour m'occuper de leurs affaires.

- Je m'en fiche !

Elle glousse comme une dinde et moi je sens la colère monter. Je sens mes joues chauffées d'indignation et mes petits points se resserrés autour du balai. 

- De toute façon je n'en ai rien à faire ! Rien du tout ! Je déteste les démons ! Je les déteste de tout mon cœur mais je te déteste toi encore plus ! Criais-je en commençant à pleurer de colère.

Elle rit toujours et je la vois s'approcher. Sur mes gardes, je me tend. Lorsqu'elle est n'est plus qu'à quelques centimètres, elle porte sa main au-dessus de sa tête et avant que je n'ai pu prononcer un son, elle m'assène une gifle phénoménale. Sous la puissance, ma tête bascule en arrière, je tombe et m'effondre par terre. Dans ma chute, ma joue cogne contre le coin du banc et je crie de douleur.
Choquée, je reste un moment au sol sans réagir. Puis, doucement, je porte la main à ma joue ou le sang coule et je relève la tête vers la fille qui m'observe toujours en souriant.

Je la hais. Elle pourrait mourir, je serais contente.

Je ne sais pas pourquoi mais petit à petit elle perd son sourire. Je fronce les sourcils d'incompréhension quand son regard se teinte d'effroi. Au moment où je me dis qu'elle doit regretter son geste, elle m'assène une deuxième gifle aussi forte que la première qui me renvoie au sol .

"Ne fais pas confiance aux humains, ils sont depuis si longtemps ici qu'il sont devenus aussi pourris que nous." On peut dire qu'il avait raison, ce sont tous des fous.

- Monstre ! Ne me regardes plus jamais comme ça ! Vous avez vu ses yeux ?! demande-t-elle en se tournant vers ses deux amies qui elles aussi semblent effrayées.

En me tenant à la table, je me relève doucement mais un coup de poing au ventre m'empêche de continuer, je retombe lourdement, comme une pierre. Mon corps est cloué au sol, elle continue à me frapper mais je ne sens plus grand chose. J'ai l'impression que mon corps est mou, comme de la mousse gorgée d'eau. 

Si j'arrive à me lever, je lui fais la peau.

Les coups s'arrêtent tout à coup et j'en profite pour lui sauter dessus. Comme un animal sauvage, je la mord, la griffe. Je n'ai jamais été très forte au combat simplement parce que ça ne m'intéressait pas mais à cet instant, je suis furieuse. Et le sentiment qui m'envahit petit à petit est étrange parce que encore jusque là inconnu, j'ai l'impression de découvrir une nouvelle facette de moi-même, plus violente. Je ne suis même plus certaine que c'est bien moi qui contrôle mon corps. 

- Par Satan mais qu'est-ce qui se passe ?! Appelez Jade !!

- C'est quoi encore que ce foutoir ?! Séparez les !

Je me sens bientôt tirée en arrière par deux bras. Je me débat mais n'arrive à rien, je suis couverte de sang. Le mien ou le sien ? J'espère le sien.

- Calme toi bon dieu ! Mais calme toi !

- Appelez le maitre !

- Lou, c'est Alice, doucement...

Je ne l'écoute pas, une sorte de voile rouge c'est posé devant mes yeux et je ne veux qu'une chose en finir avec l'autre sorcière qui a soudainement cessé de se défendre.

- Regardez ses yeux !

- Par Satan ! Qu'est-ce donc encore ?!

J'entends soudain les deux portes s'ouvrir avec fracas, une atmosphère lourde et sombre s'abat instantanément sur la pièce. Le silence se fait et je n'entend plus que mon souffle erratique.
Il est là.

- Où est-elle ? Demande la même voix que l'autre soir.

Cette voix... elle parait calme et posée mais pour rien au monde je ne tenterais de la contrarier. L'homme sur la colline.

- Ici...maitre, murmure Jade.

Je sens qu'il me prend fermement le menton entre ses doigts mais je ne le vois toujours pas. Je tente de me dégager mais il resserre sa prise et je grimace.

- Qui es-tu, l'entends-je chuchoter.

J'essaie à nouveau de me détacher mais il est bien plus fort. Il ne relâche jamais son étreinte et petit à petit, je suis bien forcée de me calmer. Le voile disparait.
Vidée et tremblante, je m'écroule par terre et commence à sangloter. La colère laisse la place à l'effroi et l'incompréhension et personne ne semble disposé à me fournir la moindre explication sur ce qui vient de se passer. 

- Apportez lui une couverture !

- Tout de suite maitre.

Je relève la tête, un lourd silence pèse dans la salle, tous ont les yeux fixés sur moi, démons comme humains.
Mais je ne vois que lui, posté au dessus de moi, il me regarde avec intérêt et je frissonne sous son regard insistant.

- Qu'as-tu fait ?

- Je...je ne sais pas.

- T'a-t-elle frappée la première ?

- Je ne sais pas.

- Ne me mens pas !

- Si vous savez si bien ce qui s'est passé pourquoi me demandez-vous ! M'emportais-je à nouveau sans oser regarder le sol où je sais que gît toujours la fille.

- Je veux que tu le dises, je veux que tu dises haut et fort ce qu'elle t'a fait.

-...

- Dis-le !

-...elle m'a giflée, deux fois...

- Et toi tu l'as mise dans cette état là pour ça ?

-...oui.

Doucement, il sourit et éclate finalement de rire. Les quelques rares autres démons présents le suivent bientôt dans son hilarité et je frissonne. 

- Peut-être finalement plus démone qu'humaine, finit-il par déclarer sans se départir de son sourire.

-...

- Cherchais-tu à la tuer en faisant ça ?

- Non ! M'écriais-je rouge de colère.

- Tu mens, je n'aime pas les menteuses.

- Mais je ne mens pas ! sanglotais-je.

- Ne me répond pas. Si on ne t'avait pas forcée à la lâcher, tu sais ce qui serait arrivé ?

-...

Il me fait peur. Pas comme papa ou Philippe, je n'ai pas peur de ses coups potentiels. Non, cet homme est bien pire. Quelque chose me dit qu'il n'aurait pas besoin de me frapper pour me faire du mal.

- Je t'ai posé une question, reprend-il d'un ton plat.

-  Je..je ne sais pas...

- Tu mens encore.

Il se détourne de moi et s'avance près de la fille qui agonise au sol, seule.

- Voila ce qui serait arrivé.

Il l'a relève et d'un coup, sans que je m'y attende, lui brise le cou.
Sans un son, elle s'effondre au sol, inerte. Personne n'a bronché, personne n'a détourné les yeux. Personne ne s'est interposé. 

C'est plus que ce que je peux en supporter, dans un sursaut, je me penche et vomis le peu qui se trouvait encore dans mon estomac.

- Comment s'appelait-elle Jade ? Demande-t-il à la vieille qui regarde le cadavre sans ciller.

- Pauline maitre.

- Retiens son prénom Lou, c'est la première d'une très longue liste.

Horrifiée, je le regarde s'approcher sans rien dire, il se penche vers moi et me chuchote à l'oreille.

- Dors.

Ma tête devient alors lourde, je ferme les yeux et me laisse emporter. Même si je voulais résister, je n'y arriverais pas. C'est plus fort que moi, mon corps ne m'appartient plus vraiment et je sombre.

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